Chapitre 2 (7) : Waltz under the illusion of moonlight
Il fait nuit.
Je ne sais pas pourquoi je suis dehors. Je ne sais pas ce qui me pousse à rester assise au bord de la rivière. Je ne sais pas ce qui me pousse à rester en vie.
Je crois que je contemple le flux tranquille de l'eau depuis bien des heures maintenant. Ruminant ce qu'il s'est passé durant cette journée mouvementée, les paroles de Taichi, les nouvelles d'Haruko, l'horrible regard que m'a lancé Saki... En fait, surtout son regard. Surtout ça, oui.
Après qu'elle se soit enfuie à mon approche, sans même me dire le moindre mot, je me suis précipitée dans mon laboratoire. Je n'ai même pas répondu un seul mot à Michi qui a tenté de m'arrêter, pour me demander ce qui n'allait pas. Je n'ai même pas signalé ma présence à Sora, qui a toqué à ma porte avec hésitation. Je n'ai vu plus personne de la journée.
Je n'ai même pas réussi à pleurer.
J'ai juste regardé le sol.
Sans bouger.
Sans parler.
Sans vivre.
Ce n'est que les règles de vie du donjon qui m'ont poussée à aller manger ce soir-là. Et j'ai mangé seule dans mon coin, refusant toute tentative de communication de la part des autres. Me contentant d'annoncer en fin de repas que je ne comptais pas retourner à ma chambre, avant d'aller me cacher dans un coin de la zone de rivière comme la pathétique petite chose que je suis. Idiote, crétine, cruelle, égoïste, mauvaise amie, mauvaise médecin, incapable de sauver qui que ce soit, incapable d'accepter l'aide de gens qui veulent uniquement mon bien. Incapable.
Incapable.
Incapable.
Ce mot tourne en boucle dans ma tête depuis des heures. Incapable. Incapable de comprendre, incapable d'agir, incapable d'être. Incapable, incapable, incapable. Minable, minable, minable. Bonne à rien, bonne à rien, bonne à-
« Salut princesse. »
Je sursaute. Ce surnom, cette voix grave, cette silhouette imposante au-dessus de moi ; C'est Daisuke. Il s'est penché vers moi, son œil vitreux brillant dans le noir, une moue agacée sur le visage.
« On dirait que tu tiens vraiment à te faire tuer. »
Je n'arrive pas à répondre. Comme d'habitude. Il me paralyse. Lui, et mon inutilité. Pour changer.
Devant mon absence de réaction, le Révolutionnaire soupire et s'assied à côté de moi.
« Remarque, en voyant ta tête, on a plutôt l'impression que ce serait un soulagement pour toi. Je m'en charge, si tu veux ? »
La terreur prend le pas sur mon apathie. Il va faire quoi ? Non, non, non, non, non. Pas encore, pas encore, pas encore... je m'éloigne de lui à toute allure, tremblant de tout mon corps, et le Révolutionnaire éclate d'un rire très froid, plus glacial encore que celui de Shizuka, alors que ses lèvres se tordent en un sourire ironique.
« Relax, princesse. Je plaisantais. Je n'ai pas envie de mourir même pour te rendre un petit service, et t'as des comptes à rendre aux gens avant de clamser. Pas vrai ?
— J'ai.... Je... »
Je balbutie, surtout. Bravo Reina, incapable de te faire comprendre même quand tu arrives enfin à parler. Et lui qui te fixe, sans dire le moindre mot, il se demande sûrement ce que tu veux dire, hein ? Ou alors il te juge, comme il l'a fait au procès, comme il l'a fait en permanence.
Après plusieurs tentatives pour essayer de dire une phrase intelligible, Daisuke finit par soupirer, avant de s'installer sur ses coudes.
« Ouais j'me doute. T'as essayé. J'ai vu la petite Tamura s'enfuir avec l'air le plus dégoûté jamais vu sur un visage, et le p'tit mec qui l'accompagnait m'a expliqué assez sommairement que t'avais essayé de lui parler. C'est bien d'essayer princesse. Faut continuer.
— Qu'est-ce que... Tu... Cherches ? »
Il pousse un profond soupir.
« Plein de choses. Déjà j'veux sortir d'ici, parce que nature oblige j'aime pas l'empire que Monokuma a fait peser sur nous. Après j'veux empêcher que Scott clamse, parce que bon t'auras compris que c'est une des rares personnes dont je me préoccupe dans ce monde de merde. Et puis j'aimerais bien comprendre comment tu fonctionnes, princesse. T'es une véritable énigme pour les gens comme moi.
— Tu... Tu n'es pas... Vraiment... Mieux. »
Son rire sans joie envahit la plaine, alors qu'il me fixe avec ironie.
« Ptêtre, mais moi j'ai cessé de chercher à me comprendre depuis quelques années. Toi, c'est bizarre. Tu as le comportement d'une gosse de riche mais l'œil de celle qui a vu la guerre. Des fois j'ai l'impression que t'y connais rien au monde et des fois tu comprends bien mieux que nous ce que c'est que la mort. T'as déjà vu des cadavres pas vrai princesse ? Des gens que t'as échoué à sauver, des gens que tu as vu mourir, des gens que t'aimais.
— Je suis médecin... C'est logique que j'aie vu la mort. »
Ma diction s'améliore de phrase en phrase, même alors qu'on s'aventure sur un terrain glissant. J'ai peur, affreusement peur, de finir par perdre pied. Mais à faire des réponses évasives, chercher comment éviter le sujet, je sens ma langue cesser de s'empâter, mon cerveau se concentrer sur la conversation, et mon regard se fait plus clair, alors que je fixe le visage empreint de neutralité du Révolutionnaire. Ce dernier hausse les épaules.
« Je ne parle pas de la mort dans l'exercice de ton métier. Je te parle de celle comme celle de l'Ambassadeur. Imprévisible, hors de ta compétence, et pourtant le genre de mort que tu sens que tu aurais dû prévoir. »
Je me crispe, d'un coup.
« Je ne dirai rien. Je ne vois même pas de quoi tu parles.
— Pas la peine, princesse. J'ai ma réponse. »
Il se relève, avant de se diriger vers moi et s'accroupir juste en face de mon visage.
« Il t'a dit quoi, le prêtre, alors que vous vous câliniez devant la salle de concert ? »
Je hausse un sourcil surpris. Où il veut en venir ?
« Il m'a parlé de sa famille ?
— Nan. Après. Juste avant que son chéri ne se ramène avec une guitare sur le dos. »
Minute. C'est une question rhétorique ? Il est déjà au courant ? ça veut dire que...
« Daisuke, tu... Tu nous écoutais ?
— Règle numéro un de la révolution, avoir ses oreilles partout. Réponds-moi. »
Je soupire. Je ne vois toujours pas où il veut en venir.
« Il m'a dit que je devrais peut-être m'ouvrir un peu plus... à l'art, et en général.
— ça te dit, une petite danse, princesse ? »
Pardon ?
Je dois avoir l'air incrédule le plus cocasse jamais vu sur un visage humain puisque Daisuke éclate de rire. Il me tend une main avec un sourire railleur, toujours accroupi devant moi.
« S'ouvrir à l'art, et aux autres. Bon moyen de commencer, non ? Ne t'en fais pas, je te marcherai pas sur les pieds, je suis une personne très agile. »
Je plisse les yeux. Suivre le conseil de Taichi ou refuser et ainsi avouer à Daisuke qu'il me terrifie ? J'ignore ce qui sera le mieux. Surtout que notre monolithe favori n'est pas la meilleure personne pour commencer des cours d'ouverture au monde.
Seulement je sens que si je ne saisis pas cette occasion, je n'en aurai pas d'autre. Peut-être que c'est le moment d'apprendre à cesser d'être une trouillarde.
Je soupire, et lui prends la main, non sans hésitation. Avec un léger hochement de tête, il me tire en avant pour me relever, et je ne tarde pas à me retrouver face à lui, une main sur sa taille et l'autre dans la sienne. Lui décide de garder son autre main contre son corps ; Ce que j'apprécie.
Nous commençons à tourner, non sans lenteur. Malgré l'agilité qu'il me dit faire preuve, Daisuke n'aime de toute évidence pas danser. Et je dois bien avouer que moi non plus. Notre valse se limite à quelques pas de côté, alternant celui qui mène la danse, sans dire le moindre mot, et sous le froid vent artificiel qui agite l'herbe fraiche du bord de la rivière.
Nous restons silencieux. La tension pèse lourd entre nous, et loin de n'importe quelle autre scène de danse dans n'importe quelle autre situation, il n'y a rien de romantique ou d'intime dans nos regards, notre manière de l'un nous guider l'autre chacun à son tour. J'ai plus l'impression que c'est le moment idéal de se jauger, de déterminer ce qu'est l'autre exactement.
C'est très étrange comme situation.
C'est sans doute la danse qui me donne des ailes, mais j'ai la surprise de m'entendre interroger, d'un ton hésitant mais néanmoins calme :
« Pourquoi moi ? »
Daisuke hausse un sourcil. Je décide de préciser ma pensée.
« Je ne dois pas être la seule étrangeté au milieu de ces gens. Pourtant, c'est à moi que tu t'intéresses. Qu'est-ce que j'ai de spécial ? »
Le Révolutionnaire pousse un profond soupir.
« Je ne sais pas si tu te rends bien compte, princesse, mais tu fais graviter les gens autour de toi. Cela ne pourrait être que parce que tu es une personne gentille, évidemment, mais franchement en te voyant, j'ai l'impression que tu es plus gentille par nécessité. Que ce n'est pas le vrai « toi ».
— Et c'est quoi, pour toi, le vrai moi ?
— Eh, je sais pas, princesse. Je pense que même toi, tu ne le sais pas. Mais c'est pas ça. Ça, c'est juste la façade que tu te mets pour te protéger. Et tu vas vite comprendre que ça marche pas.
— Pourquoi tu me fais la morale ?
— Tu as lu le bouquin, nan ? Danganronpa. »
Il parle sans doute du fameux livre de Wen Xiang. Oui, je l'ai lu, comme au moins la moitié de la population japonaise. Et celle d'Ultimes, soit dit en passant. Je hoche la tête, voyant difficilement où il veut en venir.
« Dans ce cas tu sais que feindre la force ne sert à rien. Et que ça va te revenir en pleine tête un jour ou l'autre. Bye, princesse ! Si jamais tu veux danser un peu, n'hésite pas à m'appeler. »
Et il disparaît presque en coup de vent, me laissant ruminer son étrange proposition le restant de la nuit.
Le fait que je n'ai pas dormi se lit sur mon visage. Mais je pouvais difficilement fermer l'œil après cette rencontre surréaliste avec Daisuke. Je ne suis même pas sûre que ce se soit réellement passé, tant cet échange avait un accent onirique... Au point que je décide de garder le silence sur cet épisode, même alors que Yuuki, seconde personne la plus matinale à rentrer dans le réfectoire, me demande ce qui ne va pas et pourquoi j'ai l'air aussi endormi.
Je me contente de marmonner une phrase sur une réflexion que j'ai eu cette nuit, et elle n'insiste pas plus, se contentant de sourire.
« Tu veux jouer avant d'aller dormir Reina ? C'est pas bien de trop réfléchir des fois, faut aussi s'amuser...
— Je veux bien, je soupire, mais avec quoi ? Je n'ai pas de console...
— C'est pas grave ! Tiens, m'annonce Yuuki en fouillant dans ses poches, c'est pour toi ! Ma console de secours avec un Smash Bros dessus ! Si tu veux jouer avec moi ? »
Demandé si gentiment c'est dur de refuser, même en sachant à coup sûr qui va remporter la victoire. Je connais assez bien les mécanismes de Smash Bros sur DS, mais il ne faudrait pas oublier que je vais tenter une partie face à l'Ultime Gamer. Gagner s'avère quasiment impossible.
Enfin, elle n'a pas tort sur un point, j'ai besoin de me changer les idées. J'accepte donc avec plaisir la console offerte par ma vis-à-vis et allume le jeu, calée confortablement dans un des sièges du réfectoire.
Il est inutile de dire que je ne vois pas passer une seule fois la sensation de la victoire. Yuuki a beau faire exprès de prendre des personnages low-tier que je peux normalement aisément contrer, je me fais écrabouiller à chaque partie. Je ne suis pas une joueuse du dimanche, mais en toute honnêteté, si j'avais cru en mes chances en lançant le jeu, elles ont disparu dans la stratosphère en moins de trente secondes de combat.
Trente matchs perdus plus tard, je suis au bord de la nerd rage, ce que je m'efforce de cacher car j'ai horreur de paraître mauvaise perdante, et le rire de Yuuki poursuit ma malheureuse Lucina comme un fantôme dans un couloir, mais j'ai complètement mis à la trappe mes problèmes du moment. Tout ce qui m'intéresse est de trouver un moyen de battre cette fichue gamine de quatorze ans. Ce qui est, évidemment, cause perdue.
« Tu te débrouilles bien ! Me complimente Yuuki après avoir éjecté pour la cinquième fois cette partie ma pauvre Lucina. Tu n'as jamais pensé à faire joueuse pro ?
— j'ai préféré la médecine, je grommelle, partagée entre l'agacement, l'amusement et l'incrédulité devant son compliment. Et puis je ne peux pas espérer faire le poids devant l'Ultime Gamer dans ce milieu, si ?
— Oh, je sais pas. Un jeu, ça se gagne en espérant gagner. Ceux qui me challengent en duel le font parce qu'ils veulent me détrôner, pas parce qu'ils savent qu'ils vont perdre...
— Tu as beaucoup de challengers ? »
Elle éclate de rire.
« Plein ! Depuis l'obtention de mon Ultime, je suis presque une légende sur les jeux vidéo en fait. J'ai passé ma première année à Hope's Peak à accepter des défis et écrabouiller tout le monde ! C'était rigolo, ça au moins... »
Minute. Sa première année à Hope's Peak ? Ne me dites pas que...
« Tu... Attends, tu étais dans ma promo ou celle d'avant ?!?
— La tienne ! Ne fais pas cette tête, je ne t'en veux pas d'avoir oublié, juré craché ! Fait la Gamer en imitant le geste de cracher sur le sol. La promo était grande et on avait pas vraiment les mêmes cours avec nos Ultimes... Mais oui, j'ai eu mon Ultime à treize ans ! C'est l'âge où j'ai atteint le niveau scolaire de la première année de lycée, alors l'école a pu me recruter sans problème... »
Déjà qu'obtenir un Ultime à quatorze ans est impressionnant... En plus elle m'apprend qu'elle l'a eu à treize, et de manière réglo, en atteignant le niveau d'une lycéenne à côté des jeux vidéo. Elle m'impressionne. Elle est une exception, et l'exception est assise sur une chaise à serrer une console dans ses doigts, un large sourire aux lèvres, sans se préoccuper de ma sidération. D'ailleurs, elle enchaîne très vite sur d'autres détails ahurissants, un large sourire aux lèvres.
« Quand j'étais gamine, en fait, j'ai sauté trois classes ! Mes profs disaient que j'apprenaient trop vite pour eux et demandaient à mes parents de m'avancer ! Eux, évidemment, ils ne se sont pas fait prier... »
Je vois une grimace passer subtilement sur ses lèvres, mais elle disparaît bien vite.
« Quand j'ai atteint le collège, j'me suis découvert une passion pour le gaming, et j'ai rejoint le club à côté de mes cours ! Le chef s'est vite concentré sur moi je crois... Si vite que j'ai participé super rapidement à des compétitions, nationales, puis internationales, jusqu'au tournoi qui m'a valu ma célébrité... tu sais, celui de Pokémon ? »
Je me souviens, oui. Elle avait fait la une de n'importe quel journal ayant une ligne éditoriale touchant un tant soit peu à la culture geek. C'était le seul moment où j'avais entendu parler de la future Ultime Gamer dans un autre milieu que celui, assez fermé, du jeu vidéo ; seulement, elle a continué à faire parler d'elle sur les forums, sur les plateformes multijoueur... Croiser son avatar ou même la défier en duel devenait aussitôt le rêve de toute personne ayant un tant soit peu un pied dans le monde du gaming professionnel. Une véritable légende s'était formée autour d'elle.
Et en voyant son sourire, je prie pour que la légende ne se fane jamais.
______
Je vous avouerais que la scène de danse m'a largement été inspirée par Thal-ent.
Mais c'est tout bénef parce qu'au final elle va se révéler importante pour le chara dev de Reina, et Daisuke a pas mal de rôle à y jouer !
Et en bonus vous avez un FTE de bébou Yuuki. Qui a pas mal de choses à vous raconter...
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