Chapitre 3

_ Quoi ?

Le cri d'étonnement d'Adrien, au même moment où il se tournait brusquement sur sa chaise pour faire face à son ami, résonna dans toute la classe.

Le professeur le fixa d'un air à la fois sévère et fatigué.

_ Vous me désespérez de plus en plus, monsieur Léon. Il semblerait que vous ayez mieux à faire plutôt que d'écouter ce que j'ai à vous apprendre. Encore une distraction de ce genre et vous aurez un devoir à me rendre vendredi.

Lentement, Adrien se repositionna face à son ordinateur, jouant avec un crayon qu'il venait d'attraper, pinçant les lèvres dans un sourire gêné et en clignant des yeux. C'était une mauvaise habitude qu'il avait lorsqu'il était amusé alors qu'il ne devait pas l'être. A défaut d'être gêné, il tentait donc surtout de cacher le plaisir qu'il prenait à faire tourner en bourrique ce cher professeur. Depuis longtemps, il lui en faisait voir de toutes les couleurs, étant donné qu'il les suivait lui et Octave depuis le lycée. L'animosité qu'Adrien lui portait était réciproque, aucun ne s'en cachait, et les heures supplémentaires de travail ne cessaient, par conséquent, de s'accumuler.

Adrien coula un dernier regard à Octave, qui mourait d'envie de lui raconter la suite de son histoire improbable. Sans bruit, il articula les mots « Par message » et son ami acquiesça. Ils se connectèrent tous deux à leur messagerie instantanée et Octave put finir son récit.

*

Les yeux écarquillés de surprise, Octave fixa sa mère qui reprit :

_ Tu as une...

_ Oui, j'ai entendu, inutile de te répéter, la coupa-t-il d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu.

Hagard, il se passa une main dans les cheveux. Il ne pouvait pas y croire. Il rêvait, autrement il ne voyait aucune explication. Il se laissa tomber complètement sur le sol. Non. C'était vraiment arrivé.

_ Mais comment ?

_ Elle est partie de la maison dès qu'elle a eu dix-huit ans. Quatorze mois avant ta naissance. Elle était en grand désaccord avec ton père depuis qu'elle avait l'âge de se faire sa propre opinion. D'ailleurs, elle avait un avis sur tout. Et elle était très têtue. Elle était comme ton père. Il lui arrivait très souvent de lui tenir tête. En fait, il n'y avait même pas une journée sans que cela n'arrive. Mais là...

La mère d'Octave soupira. Il l'écoutait avec attention. Il ne voulait perdre aucune parole.

_ Ton père voulait absolument qu'elle fasse du droit comme lui. Il espérait qu'elle devienne son associée, une fois son diplôme obtenu, puis qu'elle reprenne son cabinet, quand il aurait atteint l'âge de la retraite. Il a énormément insisté. Trop. Parce qu'elle ne l'entendait pas de cette oreille. Elle rêvait de s'engager dans une voie scientifique, dans la biologie, surtout. Ton père avait déjà accepté qu'elle choisisse la filière scientifique au lycée, mais il espérait toujours qu'elle entre dans une université de droit, ensuite. Tu parles ! Elle ne nous a jamais parlé de ses projets... Quand elle a eu dix-huit ans, quelques semaines seulement après l'obtention de son diplôme, elle est partie. C'était un vendredi matin. Je m'en souviens encore très bien. Elle avait préparé ses affaires la veille mais je ne le savais pas. On prenait le petit-déjeuner, ton père et moi. Et on l'a vue descendre les escaliers, chargée seulement d'une valise et d'un gros sac à dos. On avait l'impression qu'elle partait en vacances. Ton père lui a demandé ce qu'elle faisait, elle lui a répondu qu'elle s'en allait. Il a exigé des explications, le ton est monté et elle a fini par claquer la porte. Ton père n'a pas bougé, il s'est rassis, pendant que moi j'ai essayé de la retenir. Mais elle ne voulait rien entendre. Elle a pris le premier bus, celui qui allait vers la gare, et je l'ai regardé s'éloigner. Elle n'a plus jamais donné de nouvelles.

Octave était abasourdi par ces révélations. Quatorze mois plus tard, il venait au monde. Il avait vécu dix-huit ans fils unique, et s'était engagé dans des études juridiques dans l'objectif de devenir avocat et exercer dans le cabinet de son père. Le message était assez clair, en fait.

_ J'ai pris sa place, dit-il en relevant la tête.

Le visage de sa mère se figea d'effarement.

_ Qu'est-ce que tu dis ? Non, Octave, non, tu n'es à la place de personne, si ce n'est la tienne.

_ Pourtant, ça y ressemble, non ? Elle est partie parce qu'elle ne voulait pas reprendre le cabinet de Papa alors que moi, c'est ce que je veux faire plus tard.

_ Oui, mais parce que tu l'as choisi. Ton père ne t'a jamais obligé à faire quoi que ce soit.

_ Forcé, non. Mais influencé, sûrement.

Sa mère soupira.

_ Tu es venu parce que nous le voulions, geint-elle.

_ Pour la remplacer, donc.

_ Non, tu ne comprends pas.

_ Ah si, parfaitement !

Après avoir été tant confus, il était à présent énervé. Il se leva d'un bond.

_ Je vais me coucher, bonne nuit, dit-il froidement.

_ Octave, attends...

Il ne l'écoutait plus. Il ne voulait plus l'entendre. Il sortit du salon, monta les escaliers quatre à quatre, et alla s'enfermer dans sa chambre. Il essaya d'enlever sa chemise, mais ses mouvements étaient trop brusques et il ne parvenait pas à détacher les boutons. Rageur, il se força à respirer calmement et put enfin s'en débarrasser. Il alla ensuite dans sa salle de bain et s'aspergea plusieurs fois le visage d'eau. S'appuyant sur les rebords du lavabo, il retrouva un état apaisé. Quelle soirée... Il se dépêcha ensuite de se mettre au lit.

Mais il ne trouva pas le sommeil. Cela aurait été bien trop facile et bien trop beau.

Les émotions se succédaient, accompagnées d'une multitude d'interrogations sans réponse. Alors il ferma les yeux pour y voir plus clair. Il nageait en pleine incompréhension. Comment ses parents avaient-ils pu lui cacher l'existence de sa sœur aussi longtemps ? Quel genre de parents faisaient cela ? Où était le but, quelle logique cela avait ? A ses yeux, il n'y en avait pas. Et cela le mettait en colère. Il avait eu besoin de cette sœur, ses parents n'auraient pas dû prendre le droit de le tenir éloigné d'elle, ni de choisir pour lui s'il devait la voir ou non. Pourtant, ce qui l'exaspérait le plus, c'était ce qu'il ressentait, lui. Ses pensées étaient divisées et avaient engagé un duel acharné dans son esprit. Il enrageait face à son comportement à elle. Pourquoi n'était-elle pas revenue ? N'avait-elle pas eu envie de le connaître ? Savait-elle seulement qu'il existait ? Mais il était soulagé, si soulagé. Il avait raison depuis le début. Il avait une sœur. Elle était là, quelque part dans le monde. Oui, le monde était grand et cela aurait pu le décourager, mais il ne voulait pas y penser. Elle existait, et cela lui suffisait amplement. Amplement ? Octave fronça les sourcils et ouvrit subitement les yeux lorsque cette pensée traversa son esprit. Non, pas amplement. Il faudrait qu'il la rencontre, un jour. Il avait tellement de choses à lui dire. Il fut soudain assailli de doutes. Qu'est-ce que cela changerait à sa vie, de la connaître enfin ? Rien. Tout. Il ne savait plus. Puis, il se rassura : par principe, il se devait de la connaître. Remettre les choses en ordre. Voilà ce qui devenait important.

Les pensées fixées sur ce nouvel objectif, Octave referma les yeux et s'endormit.

*

_ C'est pas vrai ?!

Une fois de plus, la réaction d'Adrien ne passait pas inaperçue. Vingt-cinq paires d'yeux le fixaient, étonnés. Pour la deuxième fois, il s'était retourné vers Octave, ce qui ne manqua pas de lui attirer les foudres de son professeur.

_ Monsieur Léon, entendez-vous des voix ou étiez-vous encore connecté sur votre messagerie pour discuter avec monsieur Roy ?

Octave et Adrien levèrent subitement les yeux vers lui. Etaient-ils sous vidéosurveillance ou bien ce professeur les connaissait-il par cœur ? Alors qu'Adrien ouvrait la bouche pour donner une excuse farfelue, l'enseignant le coupa :

_ Inutile de gaspiller votre salive, monsieur Léon. Vous me ferez l'honneur de venir vendredi soir rédiger une synthèse complète du cours que vous venez de manquer. Vous serez en bonne compagnie, n'est-ce pas, monsieur Roy ?

Octave lui offrit un regard stupéfait, tandis qu'Adrien levait les bras au ciel, avec une expression d'enthousiasme exagéré :

_ Oh, super !

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