Chapitre 27


_ Bienvenus en Papouasie-Nouvelle-Guinée !

Octave et Adrien remercièrent d'un signe de tête les stewards chargés de l'accueil des résidents.

L'hôtel réservé par Avril n'était pas des plus luxueux, mais les prestations semblaient y être de qualité correcte et amplement suffisantes pour la nuit. En réalité, les deux amis ne se trouvaient pas en l'état de se montrer exigeants sur quoi que ce soit. Le trajet de vingt-neuf heures les avait tout bonnement éreintés.

Octave et Adrien déposèrent leurs bagages sur leur lit, prirent une douche pour tenter sans succès de se réveiller un peu, puis descendirent au restaurant de l'hôtel pour le dîner. L'odeur alléchante des plats et leur goût relevé satisfirent leurs estomacs qui s'avéraient être bien affamés, mais leur énergie ne fut pas pour autant renouvelée et ce sont deux zombies européens que personnel de l'hôtel et voisins de palier eurent le privilège de voir aller se coucher.

Ils émergèrent treize heures plus tard et en bien meilleure forme.

*

_ Tiens, Adrien, tu peux vérifier à quelle heure part le bus cet après-midi ? demanda Octave en présentant son dos à son ami pour qu'il récupère le plan de voyage dans le sac qu'il portait.

Adrien fouilla un instant dans les affaires avant de trouver le papier qu'on lui demandait.

_ Le bus est à... onze heures trente.

Octave le regarda interloqué :

_ Ce n'est pas du tout l'après-midi.

_ Non, je ne sais pas pourquoi tu as cru ça, mais tous les trajets se font ce matin, répliqua Adrien en refermant le sac.

_ Ah zut, ça nous donne moins de temps pour le tourisme.

Les garçons déambulaient le pas lent dans les rues de Gurney, village minuscule où un avion les avait déposés une heure plus tôt, s'arrêtant de temps en temps devant les vitrines de quelques boutiques pour observer ce qui y était exposé.

_ Quel tourisme ? On a déjà fait deux fois le tour de ce village, fit remarquer Adrien.

_ On court dans tous les sens depuis plus d'un an, autant profiter pleinement de ce dernier voyage.

Octave fit halte devant l'unique magasin de décorations du coin et sortit son portefeuille de sa veste pour vérifier de combien il disposait en liquide.

_ Range-moi ça, protesta son ami. On trouvera plus de boutiques et de restaurants à Alotau.

Octave comptait ses billets.

_ Alotau, répéta Adrien, là où ta sœur habite. Parce que tu n'as pas l'air pressé, mais en tout cas Avril s'attend à nous voir débarquer dans quelques heures à peine.

_ Je sais ce que c'est, « Alotau », marmonna Octave.

Une voix derrière eux les fit se retourner.

_ Excusez-moi.

Il s'agissait d'un homme proche de la trentaine et de taille moyenne, mais là furent les seules caractéristiques qu'Octave et Adrien saisirent de l'individu car celui-ci tendit la main pour happer le portefeuille au nez et à la barbe de son malheureux propriétaire avant de s'enfuir.

Le temps de pousser un cri de protestation, réflexe humain s'avérant bien inutile au regard de la situation, et la course poursuite commença, Adrien en tête tandis qu'Octave mettait un peu plus de temps à suivre le mouvement.

Le voleur descendit la grande avenue à la vitesse de l'éclair et tourna dans une rue perpendiculaire, Adrien sur les talons. Octave était-il derrière ? Le jeune étudiant se risqua à jeter un coup d'œil en arrière, mais la manœuvre le fit dévier légèrement de sa trajectoire et il tituba sur le bord du trottoir. Son équilibre à peine rétabli, il constata avec une pointe de contrariété que le fuyant avait disparu, probablement au détour d'une ruelle. En revanche, son regard fut attiré par un objet quadrangulaire marron, au milieu d'un tas de journaux déchirés et de caisses renversées et qu'il s'empressa de ramasser. Quel intérêt de s'en débarrasser maintenant ?

Soudain, les bruits d'une violente dispute parvinrent aux oreilles d'Adrien qui s'empressa de se diriger vers leur source.

_ Octave ! s'écria-t-il lorsqu'il aperçut son ami au milieu d'un étroit passage, aux prises avec le voleur.

Puis il écarquilla les yeux, se ruant vers les deux antagonistes, car ce n'était pas le voleur qui était en position de force, mais bien le jeune parisien. Il maintenait son adversaire plaqué contre un mur, sa main tordant le col de son T-shirt et les articulations blanchies à force de serrer le poing.

Le voleur ne paraissait aucunement impressionné par ce comportement mais son visage était défiguré par un masque de haine.

_ Je ne l'ai plus, ton portefeuille, tu ne comprends pas ? hurla-t-il au visage d'Octave.

_ Qu'est-ce que tu en as fait ? vociféra Octave en retour.

_ Mec, mec, je l'ai, laisse tomber ! s'interposa Adrien.

Le voleur se dégagea d'un violent mouvement de bras.

_ Tu vois, fit-il à l'intention d'Octave, il ne fallait pas t'énerver comme ça.

_ Ne me provoque pas, rétorqua le jeune homme dans un souffle.

Le voleur eut un sourire narquois et s'apprêtait à s'en aller lorsqu'Adrien le retint par le bras, la paume tendue. L'homme leva les yeux au ciel en soupirant et y déposa un téléphone portable avant de s'en aller comme s'il passait le plus banal des après-midis sous le regard méprisant d'Adrien et celui, choqué, d'Octave.

_ Ote-moi d'un doute, ce n'est pas mon portable ?

_ J'aurais aimé pouvoir te rassurer, répondit Adrien en lui tendant l'objet électronique. Je l'ai vu le choper dans la poche de ta veste.

_ Quel crétin, pesta Octave en regardant l'homme qui tournait déjà au bout de la ruelle. Un peu plus et il nous mettait en retard.

Pris d'un doute, il dégagea son poignet pour vérifier l'heure.

_ Non, non, il nous a mis en retard ! Amène-toi, Adrien !

Mais lorsque l'on est en retard, difficile de récupérer le temps perdu, quand bien même le village serait minuscule et donc rapide à traverser.

Les garçons mirent toute leur volonté dans leur course, mais le sablier avait une longueur d'avance et la victoire paraissait vaine. A la sortie de la ville, sur un parking sablonneux, le bus à destination d'Alotau venait de démarrer son moteur.

Octave et Adrien couraient, les poumons et les jambes en feu.

Quelle distance leur restait-il à parcourir ? Deux-cents mètres ?

Devant eux, le bus sortit du parking.

_ Merde, Octave, j'ai un point de côté, je ne tiens plus, haleta Adrien.

Une seconde plus tard, il s'arrêtait, plié et tâchant de reprendre son souffle.

Octave, quant à lui, poursuivait sa course. Il devait atteindre ce bus par tous les moyens.

Il vit le véhicule parcourir quelques mètres et s'arrêter à une intersection.

Cinq mètres.

Et Octave put frapper la surface métallique du bus.

_ Attendez ! s'époumona-t-il.

Il arriva à hauteur de la porte avant, qui s'ouvrit sur un chauffeur mécontent :

_ Qu'est-ce que tu as à taper comme ça sur mon bus ?

Sans demander aucune permission, Octave monta à bord et s'approcha de son interlocuteur.

_ Je suis désolé, je devais prendre ce bus pour aller à Alotau, mais on m'a mis en retard.

_ Oui, bon, maintenant que tu es là, installe-toi, maugréa le chauffeur en refermant la porte.

_ Attendez, un de mes amis devrait arriver d'une minute à l'autre, on doit partir ensemble !

_ Impossible. J'ai des horaires à respecter, moi.

_ Et le prochain bus ? A quelle heure part-il ?

_ Quinze heures trente, dit le chauffeur d'un ton pressé. Allez, va t'installer.

Le bus s'ébranla dans un bruit de tôles froissées lorsqu'il se remit en route et c'est la mine basse qu'Octave prit place au fond du bus, sous le regard indifférent des autres passagers.

Le jeune homme sortit son téléphone de sa poche et constata qu'Adrien lui avait envoyé un message.

Tu passeras le bonjour à Avril de ma part ! lut Octave.

Rapidement, il lui répondit qu'ils ne le laisseraient pas poireauter à Gurney pendant quatre heures et qu'ils viendraient le chercher dès que possible. Avril devait bien avoir une voiture.

Puis il soupira. Rien ne se passait comme il l'avait prévu. Et pourtant, il avait imaginé tellement d'issues différentes pour ce voyage ! Celle qu'il vivait actuellement était probablement la pire de toutes. Retrouver Avril... sans Adrien. Quelle déception...

Le long des treize kilomètres qui le séparaient d'Alotau, Avril occupa toutes les pensées du jeune homme et une légère appréhension s'empara de lui lorsqu'il sentit le bus ralentir et parvenir à destination. Le moment était enfin arrivé...

En remerciant le chauffeur, Octave descendit du bus. On l'avait déposé à l'entrée d'un beau village aux habitations en bois blanc, certaines joyeusement peinturlurées d'arabesques, mises en valeur par le bleu perçant du ciel et la dorure éclatante du soleil. Ce village respirait le calme et la joie de vivre et une sensation de profond bien-être chassa tout ressenti négatif.

Face à lui, une route rectiligne traversait le lieu et plus loin, au bout, on pouvait apercevoir deux fines lignes, l'une blanche et l'autre bleue, la dernière semblant davantage lointaine que la première. D'emblée, il se sentit attiré par cette direction, et il comprit.

La route qui te mènera tout droit vers l'horizon...

Alors, sans vraiment le remarquer, il se mit à courir. Toujours plus vite. Il ne pouvait pas s'arrêter. Pas après un si long parcours. Pas aussi près du but. Il s'approchait de la fin d'une quête à la fois interminable, éprouvante et pourtant si merveilleuse. Il avait le souffle court, ses poumons le brûlaient et le suppliaient de se calmer. Mais il refusait de les écouter. Encore quelques mètres. Soudain, un muret lui fit face, ne représentant un obstacle qu'un court instant. Le jeune garçon sauta par-dessus de la même manière qu'il aurait ignoré une simple branche placée sur son chemin. Mais derrière ce petit mur, les pieds d'Octave ne retrouvèrent pas le contact dur de la route, s'enfonçant au lieu de cela dans une matière qu'Octave ne tarda pas à identifier avec surprise. Il s'arrêta quelques secondes pour contempler avec émerveillement le sable le plus blanc, le plus fin et le plus pur qu'il n'avait jamais vu, s'infiltrer dans ses baskets. La gorge sèche, il peinait à reprendre son souffle, et lorsqu'il leva les yeux pour observer autour de lui, il crut que l'oxygène n'atteindrait plus jamais ses poumons tant ce qu'il vit lui coupa davantage la respiration.

Doucement, il se remit en marche, les yeux rivés sur ce qu'il croyait être un mirage. Une dizaine de mètres le séparait d'un ponton de bois dont les pieds baignaient dans une eau turquoise et brillante. Il en gravit les trois marches, les jambes si lourdes qu'il ne savait si elles allaient tenir le coup et le soutenir jusqu'à la fin. Puis, il s'immobilisa. Devant lui, une jeune femme à la silhouette élancée lui tournait le dos, le regard tourné vers l'horizon et ses longs cheveux bruns flottant au vent. Le cœur d'Octave manqua un battement, mais le garçon savait qu'il ne faisait qu'accomplir sa destinée : le vide n'en était plus un. Chaque seconde qui s'égrenait récupérait les fragments de son cœur et enfin s'assemblait le puzzle resté si longtemps irrésolu.

Octave ne disait toujours rien et en réalité aucun mot n'était nécessaire. Le visage de la jeune femme se tourna vers lui et lui sourit.

Elle avait le même sourire que lui.

Le sourire du soleil.




FIN




« Today's just the start »

End of Silence, Today's just the start

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