Chapitre 24

_ Tu aperçois Prisca quelque part, Arlequin ?

_ Pour la énième fois, Adrien, cesse de m'appeler comme ça... soupira Octave.

Ils se trouvaient devant une des ailes du Palais des Doges et s'étaient intégrés à la file qui attendait de passer les lourdes portes.

Adrien posa une main sur l'épaule d'Octave et le réconforta à sa manière :

_ Ecoute, mon vieux. Sincèrement, je trouve que ce costume te va à ravir, il met en valeur ton côté un peu joueur, un peu « foufou » ... Tu vois ce que je veux dire ?

_ Très bien, acquiesça Octave, je suis comme le bouffon du roi, en somme.

_ Le bouffon du Comte, rectifia Adrien moqueur. Et être le bouffon du Comte, mon cher, ce n'est pas rien !

Octave ouvrit la bouche pour rétorquer, mais ne put s'empêcher de rire. Une fois de plus, il ne trouvait pas de réplique assez puissante pour contrer l'humour piquant de son meilleur ami.

La file d'attente n'était pas rapide et c'est bien trente minutes plus tard qu'ils purent enfin présenter leurs invitations au vigile qui les laissa entrer en leur souhaitant une agréable soirée.

Celle-ci allait déjà bon train. La musique était moderne, endiablée, poussée à fond dans des enceintes high-tech disposées un peu autour de la salle. Plusieurs projecteurs mobiles diffusaient des rayons lumineux, faisant ainsi danser les couleurs sur la piste de danse, et de la fumée se propageait entre les corps en mouvement.

Octave scrutait chaque visage, soucieux d'y retrouver les traits de Prisca et essayant en vain de faire abstraction du monde qui l'entourait, non pas qu'il n'aimât pas ce type de soirée, mais il se sentait davantage à l'aise en comité plus réduit. Malheureusement, les visages semblaient identiques, seules les tenues permettaient de différencier un individu d'un autre.

Octave se tourna vers Adrien et cria pour se faire entendre :

_ Comment peut-on la trouver ?

Adrien ne répondit pas dans la seconde, laissant ses yeux parcourir la salle un instant avant de fixer son regard en direction de l'estrade édifiée pour l'occasion. Il fit un pas en avant et intima à Octave de le suivre :

_ Viens avec moi, j'ai une idée.

*

Une vague de protestation enfla lorsque la musique s'arrêta subitement et qu'un larsen désagréable atteignit les oreilles de la foule. Tous se tournèrent vers le fauteur de troubles qui se tenait fièrement sur la scène, à côté du DJ et de son équipement aux mille câbles, micro à la main. En voyant tous ces visages masqués le fixer, Adrien eut une once d'hésitation, qui s'envola bien vite par quelque technique dont lui seul connaissait le secret.

_ Bonsoir à tous, commença-t-il en anglais. J'espère que vous passez une excellente soirée. Dans mon cas, je viens d'arriver et je suis complètement submergé par la masse de costumes, je suis un peu perdu. C'est la raison pour laquelle je m'adresse à vous, car en réalité je cherche désespérément Prisca.

Il fit une pause, ne sachant trop s'il devait s'attendre à une réponse criée ou une main levée, peut-être. Le résultat ne fut pas celui escompté, car il ne perçut que des murmures et des regards inquisiteurs.

_ Eh bien... Prisca, si tu es dans la salle, tu sais désormais que je suis là avec Octave, donc... à plus tard.

Il abaissa sa main tenant le micro et s'apprêtait à le rendre au DJ lorsqu'il se retourna vers la foule qui ne bougeait pas.

_ Signore e signori, merci pour votre compréhension.

Il finit par remettre le micro au DJ en le gratifiant au passage d'un « merci mec » et descendit les quelques marches de l'estrade d'une démarche sautillante au rythme du son électro que les enceintes propageaient à nouveau.

Tout sourire, il rejoignit Octave qui se tenait en retrait non loin de là.

_ Dommage que tu ne sois pas monté, le public aurait sûrement adoré voir ton magnifique costume.

_ Ce genre d'intervention n'est pas trop mon truc, c'est plutôt ta spécialité.

Une voix féminine les interpella soudainement et ils virent une jeune fille se diriger dans leur direction.

_ Prisca, sourit Octave.

Encore une fois, elle était resplendissante, avec ses cheveux blonds ondulant délicatement sur son épaule gauche, un discret loup noir couvrant son visage et sa robe bleu marine légèrement pailletée.

_ Eusebio vous a trouvés de beaux costumes, à ce que je vois, dit-elle d'un ton moqueur en s'attardant particulièrement sur celui d'Octave.

_ On les a choisis sous la contrainte, justifia le principal intéressé.

_ Non, pas moi, rectifia Adrien comme s'il ne voyait pas de quoi son ami voulait parler.

_ Bravo pour ton avis de recherche, d'ailleurs, très efficace.

_ Oh, tu sais, la routine...

La musique changea subitement, son rythme se fit plus lent. La piste de danse se dégagea et la plupart des invités s'éparpilla pour aller grignoter un peu. Quelques couples se formèrent cependant et restèrent au centre de la salle, plongés dans leur monde et indifférents de ce qui les entourait.

_ Mon ventre crie famine, dit Adrien à l'intention des deux autres. Je vous ramène quelque chose ?

Il entendit à peine leur réponse, mais tiraillé par la faim il s'éloigna tout de même en direction du buffet, récupérant au passage une coupe de mousseux transportée sur un plateau par un serveur.

_ Avril m'a chargée de te remettre quelque chose, dit Prisca.

Elle porta ses doigts à son cou et défit l'accroche du collier qu'elle portait puis tendit l'objet à Octave.

_ C'est un de ses colliers préférés. A l'origine, Elliot le lui avait offert pour son esthétique, mais il y a peu Avril lui a donné une signification.

Octave le prit entre ses doigts et l'observa d'un œil minutieux. Au bout de la longue chaîne en argent pendait un anneau fin en métal gris strié de noir et comportant deux aiguilles mobiles au centre.

_ Une boussole ? dit Octave, inquisiteur.

_ C'est symbolique. Disons qu'avec ton entrée dans sa vie, Avril a eu besoin de trouver de nouveaux repères. Une fois qu'elle les a découverts, elle les a associés à ce collier pour toujours les garder en tête.

Fasciné par l'objet et ce qu'il représentait, Octave hocha la tête, pensif. Associer ses pensées à un objet, c'était une technique de mémorisation que son père lui avait enseignée, afin qu'il retienne les choses qui lui tenaient à cœur. Avril était sans doute plus proche de lui qu'elle ne le pensait.

_ C'est Avril qui t'a dit tout ça ? demanda-t-il.

_ Oui, elle est venue me le remettre en personne et m'a tout expliqué en détail. Je ne te restitue que la vérité, du moins, ce que j'en sais.

Octave mit le collier autour de son cou et le cacha sous sa chemise d'Arlequin. Il le montrerait à Adrien plus tard.

_ Eusebio nous a parlé de ton passé d'acrobate. Tu as travaillé dans un cirque ?

Prisca sourit à ce souvenir.

_ Non, en fait mes parents m'ont fait prendre des cours très jeune et j'ai participé à des concours pendant longtemps. J'ai arrêté au moment de passer en études supérieures, mais l'acrobatie reste un loisir et devenir l'Ange du Carnaval était un rêve d'enfant, pour moi. Au fond, je crois que je resterai toujours une acrobate.

_ Rappelle-moi comment tu as connu Avril ?

_ A un colloque à Hong Kong. Je participais à un séminaire proposé par mon école et Avril était venue en tant que conférente. Elle a monté sa propre boîte.

_ Tu fais de l'économie ?

_ De la gestion, oui.

Octave ouvrait la bouche pour continuer lorsque du coin de l'œil il capta une masse en mouvement qui s'approchait en gesticulant et dont les mains essayaient tant bien que mal de garder en équilibre des assiettes débordantes et des coupes pleines.

La soirée venait de commencer et Octave ne connaissait que trop bien Adrien pour savoir qu'il était loin du verre de trop. Seulement, un ou deux verres étaient suffisants pour que sa joie de vivre habituelle soit comme décuplée.

Pour ne rien perdre de son précieux butin, Adrien se dépêcha d'en transmettre des parts égales à Prisca et Octave :

_ Mes petits chats, mes petits lapins, regardez un peu ce que j'ai trouvé : des milk-shakes et des pancakes !

Et ils trinquèrent à cettebelle soirée vénitienne.

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