Chapitre 23
_ Tu es sûr que nous sommes au bon endroit ? chuchota Adrien à l'intention d'Octave.
_ C'est écrit en grosses lettres, Adrien, fit Octave à mi-voix.
_ Ah oui, toussota ce dernier, mais je voulais ajouter une pointe de suspens à la situation. Il faut bien qu'il se passe quelque chose d'intéressant, non ?
_ Je préfèrerais voyager tranquillement, vois-tu. Juste une fois, pour voir ce que ça fait.
_ Alors dépêchons-nous d'entrer, c'est parti !
D'un pas ferme, Adrien passa le seuil de la boutique et Octave n'eut d'autre choix que de le suivre en se faisant la réflexion que décidément, son ami était un sacré énergumène.
La boutique ressemblait à un grand débarras lumineux dans lequel étaient suspendus mille et un costumes. Pour atteindre le comptoir, les deux amis durent baisser la tête de nombreuses fois et serpenter entre les portants en métal. Il n'y avait personne pour les accueillir et aucun moyen de s'annoncer, alors ils patientèrent en jetant des regards intrigués aux masques accrochés aux murs. Leurs yeux vides semblaient les observer mais la musique d'ambiance enlevait toute impression d'oppression et offrait plutôt l'idée d'une invitation à faire la fête.
Ce n'est qu'à la fin de la chanson qu'un homme d'une quarantaine d'année surgit d'entre les costumes comme par magie.
_ Buongiorno amici ! s'écria-t-il en écartant grand les bras.
Sans prévenir, il enlaça chacun des garçons comme s'il s'agissait de vieilles connaissances. Son regard vif leur inspira tout de suite la sympathie.
_ Benvenuti chez Eusebio ! Comment puis-je vous être utile ? Vous recherchez un masque, un costume, une simple chemise ? Les meilleurs tissus au meilleur prix, c'est ici !
_ Nous venons sur conseil de Prisca Martelli, la connaissez-vous ? demanda Octave.
Eusebio leva les bras :
_ Mamma mia ! Ma petite Prisca choisit ses costumes chez moi depuis qu'elle est haute comme trois pommes. Elle était acrobate, le saviez-vous ?
Octave et Adrien secouèrent la tête poliment. Ils allaient finir par être en retard et ils auraient bientôt l'occasion de questionner Prisca sur sa propre vie.
_ Elle était douée, ça oui. La meilleure, probablement. Alors, quel type de produit désirez-vous ? reprit Eusebio.
_ Nous souhaitons des costumes pour le bal costumé de ce soir.
Eusebio cessa de sourire et commença à leur tourner autour, les détaillant de haut en bas. Octave et Adrien restèrent dociles et le suivirent des yeux lorsqu'il disparut dans l'arrière-boutique. Après quelques minutes d'attente, Eusebio ressortit en trombe et déambula dans sa boutique sans diminuer sa vitesse. Il fouilla les moindres recoins, le regard tour à tour en l'air ou vers le sol, puis réapparut devant les garçons comme un diable en boîte. Son visage était creusé par l'anxiété, ce qui inquiéta ses clients.
_ Je ne comprends pas, je suis désolé... il y a dû avoir une erreur de commande... c'est la première fois que cela m'arrive... balbutia-t-il.
_ Que se passe-t-il ? s'enquit Adrien. C'est si grave que ça ?
_ Il se passe qu'il ne me reste plus que deux costumes qui conviennent à vos statures. C'est vrai que cette année tout est parti très vite, mais me retrouver à court de stock... Mamma mia ! Mais comment est-ce possible ? Eusebio à court de stock...
Adrien pouffa de rire devant le caractère démesurément tragique de la situation et reçu de la part d'Octave un coup dans le bras en guise de réprimande.
_ Ne vous en faîtes pas pour nous, Eusebio. Nous prendrons les deux costumes restants.
Le sourire d'Eusebio revint orner son visage. Le commerçant marcha vers un portant, sélectionna un costume qu'il posa sur son avant-bras, se dirigea vers un autre, choisit un deuxième costume et revint disposer ses choix l'un à côté de l'autre sur le comptoir. Il se positionna derrière le bureau, face à ses clients, et détailla ses produits :
_ Ce costume vous permet d'entrer dans la peau d'Arlequin : pantalon à carreaux rouges, jaunes, bleus, verts et noirs, chemise aux motifs similaires, avec un large col blanc, tricorne et loup noir classique.
Octave regarda le costume d'un œil suspicieux. Il faudrait qu'il trouve un moyen de le refiler à Adrien, sinon il allait ressembler à un clown dans cet accoutrement. Et Octave Roy en clown, c'était du jamais vu, lui qui était de nature discrète et loin de détenir l'aisance caractéristique d'Adrien.
_ Le deuxième costume, reprit Eusebio, vous permet de devenir Comte de Venise : pantalon noir, chemise blanche, gilet rouge bordeaux, cape et gants noirs, foulard noir et loup blanc couvrant la moitié du visage. Succès garanti ! ajouta-t-il avec un clin d'œil.
Il regarda tour à tour ses jeunes clients qui ne disaient rien.
_ Alors ? les pressa-t-il, tout sourire. Qui prend quoi ?
Dans un haussement d'épaule d'indifférence feinte, Octave et Adrien tendirent tous deux la main vers le costume du Comte. Leur regard se croisèrent, chargés de rivalité exagérée.
Aucune consultation n'était nécessaire.
Il n'y avait qu'un moyen de résoudre ce conflit.
Leur poing droit se ferma aussitôt.
_ CHI-FOU-MI !
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