Chapitre 2
La veille
_ Au revoir Monsieur, dit Octave en posant un pied sur le trottoir, l'autre toujours sur le marchepied de l'autobus.
_ Bonne soirée, mon garçon ! lui répondit en souriant le chauffeur.
Les portes se refermèrent, et Octave se retrouva face à une maison classique, à la façade blanche, au jardin verdoyant et au portail marron en piteux état qui contrastait fortement avec tout le reste.
Les doigts du jeune garçon se refermèrent sur la poignée du portail, qui lui resta dans la main lorsqu'il essaya de la tourner. Il leva les yeux au ciel, un sourire en coin.
« Il faut vraiment que je pense à la réparer, un de ces jours. » se dit-il.
Il força dessus pour la replacer, réussit tant bien que mal à la tourner et ouvrir la petite porte, puis une fois passé, il abandonna tout de suite l'idée de la refermer correctement et la poussa simplement.
Il avait du temps devant lui. Le mardi soir, sa mère rentrait souvent tard de son cabinet, d'autant plus qu'en période automnale, les patients avaient tendance à affluer, la transition entre le climat d'été et celui d'hiver étant parfois rude et mal anticipée. Quant à son père, il était en séminaire et on ne risquait pas de le voir avant le week-end. Le jeune étudiant avait hâte d'essayer « le jeu phénoménal » dont Adrien lui parlait depuis plus d'une semaine.
Dans la cuisine, Octave se servit un grand verre de jus d'orange, et attrapa une pomme qu'il fit virevolter dans les airs avant de la croquer.
« Un esprit sain dans un corps sain », se disait-il souvent. Il avait toujours refusé de se laisser aller à manger les cochonneries grasses et trois fois trop sucrées que l'on pouvait trouver en masse dans les fast-foods ou dans les supermarchés, même quand son problème prenait le dessus. Au contraire, il était persuadé que manger sainement lui permettait de se relever plus facilement de ses périodes de crises existentielles.
Octave se rendit dans son salon, posa son verre et sa pomme entamée sur la table basse, alluma sa console et l'écran de sa télévision, s'empara de sa manette et s'affala sur son canapé.
Il avait bien avancé dans son jeu lorsque la porte d'entrée s'ouvrit sur sa mère, qui s'empressa d'aller déposer son sac à main sur la table de la salle à manger, sans retenir un soupir de fatigue.
_ Salut Maman !
_ Salut mon grand, ta journée s'est bien passée ?
_ Oh oui, normale...
Sa mère se prépara un thé dans une grande tasse et se tourna vers son fils :
_ Tu as bien travaillé ce soir ? Depuis quand joues-tu ?
_ Pas très longtemps, je gère.
_ Tu n'as pas travaillé longtemps ou tu ne joues pas depuis longtemps ?
Octave mit son jeu en pause et regarda sa mère d'un air entendu. Celle-ci sourit en prenant une gorgée de thé :
_ Je vois. Tu te souviens que Christine vient pour le dîner ce soir, tu pourras faire le dessert ?
Concentré sur le jeu qui avait repris, Octave accepta en marmonnant :
_ Mmm... tu voudrais quoi ?
_ J'avais pensé à cette superbe mousse au chocolat que tu réussis si bien...
_ Ça peut se faire.
_ Je te remercie. Tu me feras aussi le plaisir d'ouvrir au moins un de tes cours, je suppose qu'il est inutile de te rappeler que tu as des examens dans quelques jours.
_ Maman, c'est prévu, ne t'en fais pas, râla Octave.
*
La soirée touchait à sa fin. La mousse au chocolat semblait ne jamais avoir existé, tant il n'en restait aucune trace dans les assiettes, et la discussion avait tourné autour de Christine, du Brésil et pour faire dans l'originalité, de Christine au Brésil. La cousine éloignée travaillait effectivement dans l'évènementiel et avait installé son entreprise à Rio de Janeiro, proposant ses services aux personnalités les plus importantes.
Par conséquent, Octave s'ennuyait ferme. L'expérience était intéressante, mais le sujet devait-il impérativement accaparer deux heures de dîner sans interruption ? Il attendit donc la fin de la soirée non sans une certaine impatience. Surtout, il avait promis à sa mère de réviser un minimum et étonnement ce soir-là il tenait à respecter sa parole.
Aux alentours de vingt-trois heures, enfin, Christine se leva du gros fauteuil en cuir.
_ Bon, je vais devoir retourner à mon hôtel. J'ai une réunion à huit heures demain matin pour rencontrer l'agent d'une star brésilienne qui voudrait que j'organise son prochain shooting photo. Je pensais lui proposer les jardins de Versailles ou bien les Champs Elysées, des milliards d'idées me viennent en tête !
Octave n'en pouvait plus et dut se contenir pour ne pas laisser échapper un soupir de soulagement.
Sa mère ouvrit la porte d'entrée pour Christine, lorsque celle-ci se retourna une dernière fois :
_ Encore un grand merci pour ce dîner délicieux, tu es un vrai cordon bleu, ma chère cousine ! Dire que je n'ai pu profiter de tes talents pendant dix-huit ans !
Elle pivota ensuite vers son neveu qui patientait gentiment les mains fourrées dans les poches étroites de son jean et qui lui offrit malgré lui un sourire poli lorsqu'il constata qu'elle lui portait de l'attention.
_ Quant à toi, mon chou, tu es un garçon charmant ! Et tu ressembles tellement à ta sœur, c'est fou !
Octave crut avoir mal entendu. Il haussa un sourcil et la contredit aimablement :
_ J'ai bien peur que vous ne fassiez erreur, je suis fils unique.
Christine le regarda d'un air confus :
_ Je t'assure que j'ai une très bonne mémoire, et bien que j'aie été éloignée de ta famille pendant plus de quinze ans, je peux t'assurer que je n'ai pas oublié ta sœur et son caractère bien trempé.
Elle paraissait si sûre d'elle qu'Octave ne sut quoi répondre. Sa mère, dont le visage s'était décomposé, partit d'un rire forcé qu'il n'avait jamais entendu auparavant, prenant une voix plus aigüe que d'habitude.
_ Christine ! Tu devrais te dépêcher, tu seras trop fatiguée demain.
Christine regarda tour à tour sa cousine et son neveu, une expression profondément choquée sur son visage :
_ Attends... tu veux dire que... il n'est pas au courant ?
Le cœur d'Octave manqua un battement et une sensation étrange l'envahit, celle qui annonçait que quelque chose de grave survenait, mais il n'en voulait pas.
_ Au courant de quoi ? réussit-il à balbutier, les mots franchissant difficilement ses lèvres.
Mais Christine se tut, la bouche tordue de quelqu'un bien embêté de la situation qu'il a créée et qui ne sait ce que cela va engendrer.
_ Je vais vous laisser, dit-elle doucement, en coulant un regard désolé à sa cousine avant de s'éloigner d'un pas pressé.
Octave regarda sa mère refermer la porte d'entrée sans dire un mot. Que disait-on dans de tels moments ?
Sa mère se tourna lentement vers lui, d'une pâleur inhabituelle. D'une voix étouffée, elle lui demanda s'il comptait aller travailler. Octave la dévisagea sans comprendre :
_ Maman, c'était quoi ça ?
Elle lui offrit le même regard :
_ Quoi donc, Octave ?
_ Ce qu'a dit Christine...
Il ne trouvait pas de mots pour la suite. Aucune parole ne fut prononcée pendant de longues secondes.
_ Tu m'expliques ?
Sa mère se passa une main fébrile dans les cheveux. Tremblante, elle passa près de lui sans le regarder et il la suivit lorsqu'elle alla au salon s'asseoir dans le fauteuil le plus proche. Il s'accroupit près d'elle.
_ Il faut que tu saches que rien n'est ta faute, tu n'y es pour rien. Il faut que tu le saches, je suppose, on ne peut pas continuer ainsi, il fallait que cela arrive, d'une manière ou d'une autre.
Sa voix était si faible, il ne l'entendait presque pas.
_ Maman, dis-moi. De quoi parlait-elle ?
Le comportement de sa mère l'effrayait tant qu'il n'était même plus certain de vouloir entendre la réponse. Qu'allait-il apprendre de si grave ?
Les poings serrés, sa mère tourna les yeux vers lui :
_ Tu as une sœur, Octave.
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