Chapitre 18

Les passagers de « La Cruz del Sur » étaient bien silencieux. Ils avaient allumé un feu dans la cheminée de pierre avec quelques bûches qui étaient entassées à côté. Ils avaient trouvé du petit bois dans un panier et une boîte d'allumettes à peine entamée leur permit de produire quelques flammes. Désormais le feu crépitait joyeusement, mais les cœurs n'y étaient pas. Un voile de fatigue les avait enveloppés et ils n'avaient plus le courage de le soulever.

Ils essayaient désespérément de se réchauffer. Transis de froid, ils s'étaient débarrassés de leur veste de quart dégoulinantes, ainsi que de leurs chaussures et chaussettes qu'ils faisaient sécher à côté de la cheminée. Ils restaient donc en vareuse, pieds nus et tournés en direction du foyer. Les flammes éclairaient leurs visages, dansaient dans leurs yeux alors que leurs regards étaient dans le vague.

Adrien, en bon boute-en-train qu'il était habituellement, décida de briser le silence qui leur pesait un peu plus chaque minute.

_ Paolo, pourquoi votre bateau s'appelle « La Cruz del Sur » ?

_ Pour une raison très simple, raconta Paolo. Quand j'étais enfant, mon père m'a conté mille et une histoires sur les étoiles et l'aide qu'elles apportaient aux marins. Dans l'hémisphère nord, vous avez l'Etoile Polaire qui vous indique approximativement le nord, mais de chez nous, nous ne pouvons pas la voir. A la place, nous observons la constellation de la Croix du Sud. Quand je travaillais, j'étais pêcheur, mais à l'occasion j'embarquais des touristes en mer. Ils avaient tous des histoires à partager, plus ou moins sombres. Le voyage n'était jamais décevant. Quand ils regagnaient la terre ferme, mes passagers retrouvaient toujours un chemin de vie un peu moins escarpé qu'au moment où ils montaient à bord.

Un léger silence s'installa entre eux. Octave réfléchit et dit :

_ Quand nous étions dans votre pré, je vous ai dit que je devais retrouver ma sœur pour me retrouver, moi. Cela vous a fait penser à la raison pour laquelle vous naviguiez, n'est-ce pas ?

Le regard de Paolo à cet instant était sombre, mais cela ne dura pas car il baissa les yeux pour acquiescer.

_ Je voulais que vous ayez la même chance d'être apaisé que mes passagers d'antan. Mais nous sommes partis dans la précipitation et voyez dans quel pétrin mon imprudence nous a menés.

_ Vous n'avez pas tort, répliqua Adrien.

Paolo se recroquevilla sous cette remarque et Octave écarquilla les yeux, mal à l'aise. Il était d'accord avec son ami, mais il devait sûrement y avoir un autre moyen de réconforter leur guide. Il ouvrait la bouche pour rattraper la maladresse d'Adrien lorsque celui-ci reprit :

_ Vous n'avez pas tort, c'était très imprudent. Partir comme cela, sans vérifier les conditions météorologiques ni l'état du bateau, sans prévenir personne de notre départ...

Octave se frotta le menton en se raclant la gorge. Adrien était irrécupérable.

_ En revanche, il n'y a pas mort d'homme, poursuivit ce dernier. Vous nous avez brillamment sortis de la tempête et nous sommes sains et saufs à l'endroit où nous voulions nous rendre. Il nous suffit désormais de trouver la lettre d'Avril et de repartir demain matin.

Adrien ne s'en sortait finalement sans trop de difficultés. Mais à l'évocation de la lettre que sa sœur lui avait destinée, Octave ressentit un pincement au cœur. Ils n'avaient rien trouvé dans la vieille cabane qui leur servait d'abri. La lettre était probablement à l'extérieur, mais par ce temps, il fallait espérer qu'elle ne se soit pas envolée ou détériorée.

*

_ Tu pourrais au moins essayer de dormir, sinon tu ne vas pas tenir debout demain, chuchota Adrien à l'attention de son meilleur ami.

La majeure partie de la cabane était plongée dans la pénombre, mais la lune, ronde et haute dans le ciel, se frayait un chemin entre les rideaux et éclairait de sa douce lumière nocturne quelques parcelles du sol.

Tout en restant allongé sur le dos, Octave tourna la tête vers Adrien :

_ Qui te dit que je n'essaye pas ?

_ Moi. Tu ne fermais même pas les yeux. Et puis, je te connais assez pour savoir que tu ne peux pas penser à autre chose qu'à Avril.

_ Toi non plus, tu ne dors pas.

_ Ce n'est pas pareil, je suis comme un animal nocturne. Tu dors, je veille.

_ Pourquoi ?

_ Parce que je suis ton ami. Il faut bien que quelqu'un te surveille.

_ C'est vrai que je fais beaucoup de bêtises, dit Octave ironiquement.

Il avait esquissé un petit sourire en disant cela, mais rapidement il se figea et disparut, emportant avec lui toute trace d'ironie.

_ Comme celle-là, par exemple, souffla-t-il.

_ Tu regrettes d'être parti chercher Avril ? demanda Adrien.

_ Je regrette d'être monté sur ce maudit rafiot alors que tout le monde nous avait annoncé une tempête.

Adrien hocha la tête :

_ Tu sais ce qu'on dit ?

_ Non ?

Adrien se mit à chantonner :

_ Puisqu'on est jeune et con...

Octave émit un petit rire :

_ « Puisqu'ils sont vieux et fous », je sais.

_ Et puis, le maudit rafiot a tenu le coup, tout de même.

_ Vu son état, il aurait pu se disloquer que je n'aurais été qu'à moitié surpris.

_ Mais il ne l'a pas fait.

_ On aurait pu mourir, Adrien.

_ Mais nous ne sommes pas morts.

Octave se redressa et dévisagea son ami :

_ Arrête de faire ça ! grogna-t-il.

_ Qu'est-ce que je fais ? demanda innocemment Adrien, qui prenait un malin plaisir à faire tourner Octave en bourrique.

_ Tu contredis tout ce que je te dis !

_ C'est normal, dès que tu dis quelque chose, il s'agit d'une hypothèse d'un fait qui est déjà passé. Tu utilises le conditionnel passé, mec ! C'est inutile de te morfondre comme cela, tu connais le dicton : « Avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». Tu es en colère sans aucune raison valable, alors je t'aide à retrouver des idées plus claires.

Octave soupira et se rallongea sans dire un mot. Il passa son bras derrière sa tête et s'appuya dessus. Le voilà qui réfléchissait de nouveau. Après quelques minutes de silence, il déclara :

_ Comment fais-tu pour être aussi optimiste ?

Adrien ne répondit pas dans l'immédiat et Octave eut peur qu'il se fût endormi, le laissant seul avec ses réflexions. Mais il entendit enfin la voix de son ami, rauque comme s'il venait de se réveiller dans l'unique but de lui répondre :

_ Il faut bien qu'il y en ait un qui le soit pour deux.

Cette réponse sidéra Octave.

Je suis... pessimiste ? pensa-t-il. Cette douloureuse prise de conscience l'horrifia. Il considérait le pessimisme comme un des pires défauts qu'un être humain puisse avoir, à égalité avec la paresse. C'est un des vices qui vous rongent, vous enchaînent, vous tirent vers le bas, vous achèvent. Il espérait que cela ne pesait pas trop à Adrien. Sinon, comment celui-ci avait eu le courage de le supporter toutes ces années ?

Adrien sembla lire dans son esprit car il intervint à ce moment précis :

_ Mais tu sais, la plupart du temps, c'est toi l'optimiste du duo. En fait, on se relaie. On est complémentaires, mon pote, ce n'est pas pour rien qu'on est amis.

A ces mots, Octave retint sa respiration tandis que celle de son camarade de toujours se fit plus lente, plus profonde. Adrien tombait dans les bras de Morphée, mais Octave restait aux prises avec ses pensées.

Il se souvenait de sa déception lorsqu'il avait appris qu'Adrien refusait de l'accompagner au Botswana. Il se souvenait qu'il s'était demandé quelle décision il aurait prise à la place de son ami. Désormais, il savait. Il l'aiderait du mieux qu'il pourrait, le soutiendrait toujours, le suivrait partout.

Il l'accompagnerait au bout du monde s'il le fallait.

Comme Adrien le faisait pour lui.

« Paint me in trust

I'll be your best friend»

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Jeune et con de Saez


Human de Dodie Clark and Jon Cozart

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