Chapitre 12
Octave remplit d'air ses poumons à la dernière seconde et tomba tête la première dans l'eau. Elle était tiède, mais elle alourdissait ses vêtements et la sensation ne lui était pas agréable. En battant des bras, il réussit à remonter à la surface, inspira un bon coup, et regarda autour de lui, porté par le courant. Mais derrière lui, il n'y avait plus rien. Ou plutôt quelque chose qu'il avait fini par oublier. La cascade. Il tenta désespérément de s'en éloigner, tout en sachant inconsciemment qu'il perdait ses forces inutilement.
Puis, il se sentit attiré par le vide. Rien ne se produisit pendant quelques secondes, mise à part la sensation que son estomac se retournait. Ses pieds frappèrent l'eau en premier. La puissance du choc lui coupa un instant le souffle, et la panique l'envahit quand un tourbillon d'eau le secoua dans tous les sens en l'emportant toujours plus profondément. Il ne savait plus dans quel sens il se trouvait, et tendit ses jambes plusieurs fois de suite pour tenter de toucher le sol et remonter à la surface, en vain. Son sac lui pesait, mais impossible de s'en défaire. Ses poumons commençaient à réclamer de l'air, quand il sentit le courant faiblir petit à petit. Il décida de nager droit devant lui et toucha rapidement le sol de ses mains. Au bord de l'asphyxie, ses pieds vinrent frapper le sable et il creva la surface en inspirant bruyamment. De l'eau s'infiltra dans sa bouche, ce qui eut pour effet de le faire tousser, et il pensa que décidemment quelqu'un voulait sa mort. Quelqu'un qui meurt et qui utilise le second degré n'est pas réellement en train de mourir, se dit-il, et cette idée le rassura. Le courant était maintenant nettement moins fort, et il réussit à nager vers un rocher où il put s'accrocher. Il prit une minute pour reprendre ses esprits, puis il aperçut la rive et nagea dans sa direction. Ses pieds s'enfoncèrent dans de la vase quand il voulut se relever et il trébucha. Du coin de l'œil, il aperçut Alex et Adrien sortir de nulle part et courir vers lui pour l'aider à reprendre pied sur de la terre plus ferme.
_ Tu nous as foutu la frousse, mon vieux ! s'écria Adrien. Ne nous refais plus jamais ça, s'il te plait ! Ou préviens-nous, qu'on puisse se préparer !
Haletant, Octave sourit et lui répondit :
_ Compte sur moi.
Alex lui donna une tape amicale dans le dos :
_ Nous t'avons récupéré, c'est le plus important. Si tu as besoin, nous pouvons faire une pause ici quelques minutes, avant de repartir.
Il avait tourné la tête et le regard noir lancé par le rescapé lui échappa. Dans un sens, il valait mieux pour lui qu'il ne l'ait pas croisé, sous peine d'être changé en pierre par ce regard que même Méduse aurait jalousé.
Octave trouvait en effet que leur guide se montrait un peu trop serein après avoir manqué de perdre un client. Pourtant, il s'obligea à ravaler une réplique cinglante, conscient qu'Alex était la seule personne qu'il connaissait en Afrique et qu'il ne pouvait se risquer à le froisser sans menacer la réussite de leur périple.
Une furieuse fatigue s'empara alors d'Octave, causée par la descente d'adrénaline, et il n'eut qu'une envie, s'étaler sur le sol et dormir. Mais Alex avait raison, il était vivant et plus si loin du premier indice. Cette idée lui fit retrouver toute son énergie.
_ Non, dit-il d'une voix ferme. Je vais bien, nous pouvons y aller tout de suite.
Alex regarda autour de lui, puis désigna le chemin par lequel Adrien et lui étaient arrivés.
_ Il faudrait tout remonter pour retrouver le pont.
Il se tourna d'un quart de tour sur sa gauche et dit :
_ Mais je pense que si nous traversons la forêt par-là, nous pouvons en sortir aussi, et il y a même une chance que nous retrouvions la route habituelle des touristes.
Adrien le regarda sans comprendre :
_ En fait, on doit remonter dans tous les cas ?
Alex lui sourit :
_ Oui, bien sûr, mais avec un peu de chance, nous pourrions tomber sur une voiture qui pourrait nous emmener jusqu'au campement ou, à défaut, jusqu'au sommet. Tandis que si nous remontons vers le pont et que nous sortons de la forêt, les voitures ne nous serons d'aucune utilité, puisque nous aurons déjà tout grimpé.
_ C'est bien ce que je dis, rétorqua Adrien, cela revient au même : les probabilités de trouver une voiture sont très faibles. Autant monter tout de suite, au moins nous sommes protégés du soleil, ce sera moins dur.
_ Je suis pour la proposition d'Alex, dit Octave. Je vous avoue que même si j'ai la force de marcher, si on pouvait éviter de grimper un long sentier dans les broussailles tout de suite, je ne m'en porterais que mieux.
_ Alors allons-y, conclut Alex.
Il aida Octave à se relever, et ils se dirigèrent dans la direction proposée par le guide. Adrien les regarda quelques secondes, avant de les suivre en grommelant.
_ Un trek en Afrique avec des partisans du moindre effort, c'est n'importe quoi !
*
Une demi-heure plus tard, à force de se frayer un chemin parmi les arbres, le trio parvint à trouver un point de sortie. Dès qu'ils furent hors de la forêt, l'éclat du soleil les fit plisser les yeux et porter une main à leur visage. Ils rejoignirent la route terreuse en quelques pas seulement. Octave était perdu. Ces routes et ces paysages se ressemblaient tous. Heureusement qu'Alex les accompagnait.
Ils se placèrent au milieu de la route et observèrent autour d'eux. Enfin, pour être exact, Alex et Octave regardèrent ce qui les entourait et Adrien les imita sans aucune conviction. Sur leur droite, la route prenait de la hauteur et devenait sinueuse, les virages semblant se succéder en épingle à cheveux, toutes plus étroites les unes que les autres. Sur leur gauche, la route était si longue qu'elle donnait l'impression de s'enfoncer dans la ligne d'horizon.
Adrien avait les mains sur les hanches et les yeux plissés, mais il était impossible de savoir si la cause était la lumière aveuglante ou l'impatience. Il finit par rompre le silence :
_ Et donc, notre nouveau but, c'est de rester plantés là à nous cramer la rétine, c'est ça ?
Octave s'esclaffa :
_ Mais non, on vérifie s'il n'y a pas une voiture à l'horizon.
_ Mmm... marmonna son ami, dubitatif.
Alex parla avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit :
_ Il est inutile d'attendre plus longtemps, aucune voiture approche, de toute évidence. Avançons vers l'ouest, le camp est dans cette direction.
*
La suite de la marche fut longue et éprouvante. L'éclat blanc du soleil avait décliné et le trio était désormais enveloppé dans une lumière orangée et nuancée par une pointe de rouge. La température avait aussi diminué, mais aucun d'eux ne ressentait de différence. L'inclinaison de la route était conséquente, une multitude de petits cailloux faisaient déraper leurs pieds et souvent la poussière atteignait leurs yeux pourtant presque fermés par l'effort. Ils ne voulaient pas s'arrêter. Pas en étant confrontés à une telle pente. Sinon, il leur aurait été impossible de continuer leur route.
Et la nuit allait finir par arriver vite.
Chaque membre du petit groupe était mué par sa motivation propre. Alex était déterminé à mener ses clients à bon port à temps pour qu'ils puissent être récompensés d'un bon repas et d'une nuit de sommeil suffisamment longue pour envisager de reprendre leur périple le lendemain matin. Il leur devait au moins ça. Il était vexé de ne pas avoir prévu le changement qu'avait subi l'environnement et qui leur avait fait perdre tant de temps et d'énergie. Il aurait pourtant dû s'y attendre. Il avait quitté cette région du Botswana pour aller découvrir celle du Kenya il y a maintenant 10 ans, et même s'il avait retrouvé sa terre natale avec un plaisir évident, il n'avait certainement pas envisagé une seule fois que le paysage aurait pu se transformer autant. Pour mémoire, cette région n'avait jamais fait l'objet de pluies assez abondantes au point de faire apparaître des plans d'eau comme ceux qu'ils avaient trouvés. Le réchauffement climatique altérait décidemment la planète sur bien des niveaux.
Quant à Octave, il bouillait intérieurement. Il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Alex. Il était guide, il était censé connaître la région comme sa poche, et pourtant il avait bien failli y laisser sa peau. Le guide avait dit avoir « négligé ce détail » lorsqu'ils avaient évoqué l'existence des marais. Mais la négligence était de taille, et évitée, le groupe aurait pu économiser de l'énergie pour le reste du voyage qui s'annonçait tout aussi dur. Mais Alex n'était pas la seule raison de son énervement. Il était fatigué. A cause de la marche, évidemment, mais aussi à cause de l'objet de ce voyage qu'il avait entrepris un peu sur un coup de tête, il fallait l'admettre. Pendant dix-huit ans, il avait vécu sans Avril et l'avait attendue sans savoir si cela en valait la peine. Lorsqu'elle était venue à lui, il avait enfin cru que sa quête était finie, que son cœur allait finalement pouvoir se remplir, que le voyage qu'elle lui proposait n'était qu'un dernier pas à poser. Finalement, sa recherche était loin d'être terminée. Avril restait toujours hors de portée.
Adrien, lui, revoyait sa définition du « partisan du moindre effort ». Haletant, au bord du malaise, il sentait la sueur coller le dos de son t-shirt à son sac à dos. De grosses gouttes glissaient sur ses joues rouges, bien qu'il n'aurait su dire s'il s'agissait de transpiration ou de larmes d'effort. Ses mollets le faisaient souffrir atrocement. Il ne voulait pas se faire distancer par les autres, alors il effectuait de grandes enjambées qui lui coutaient énormément. Il aimait beaucoup le sport, mais pas trop non plus. A chaque pas, il se maudissait d'avoir Octave pour ami et d'avoir accepté de le suivre dans cette folle aventure, puis au pas suivant il se maudissait d'avoir de telles pensées et redoublait d'effort. L'amitié peut vous emporter si loin ...
Alors ils avançaient.
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