Chapitre 11
La route était terreuse, par moments sablonneuse, et surtout très chaotique à cause des pierres et des nombreux nids de poule qui la creusaient. Les garçons observaient la savane à travers les fenêtres de leur véhicule, dont ils avaient baissé les vitres. Le vent s'engouffrait dans l'habitacle, fouettant les visages, remuant les cheveux, et les empêchant de s'entendre discuter. Octave et Adrien apprenaient à découvrir leur guide et ne se lassaient pas de l'entendre raconter ses multiples aventures africaines, toutes plus excentriques et étonnantes les unes que les autres. Des sourires éclairaient leurs visages.
« Tell everybody I'm on my way
And I'm loving every step I take
And I can't keep this smile off my face
Oh there's nowhere I would rather be »
_ T'es sérieux, mon gars ? s'exclama Adrien, lançant un regard faussement outré à Octave. Frères des Ours ? Je te préviens, tu me sors une fois une chanson de La Reine des Neiges, je renie notre amitié !
A son heureuse surprise, Octave éclata de rire. Cela n'était pas arrivé depuis l'annonce de La Nouvelle. Que cela faisait du bien ! L'expression « rire aux éclats » vint alors prendre tout son sens à ses yeux : ce rire était l'expression d'un bonheur puissant, bien que simple, et dont chaque petit fragment qui s'échappait de lui prenait possession d'un autre corps. Car oui, le rire d'Octave était bien plus que simplement spontané : il était contagieux.
Et Octave comprit.
Il était heureux.
*
Ils roulaient depuis quatre heures quand l'incident se produisit. Tout commença lorsqu'Alex fronça les sourcils et leva le pied de l'accélérateur. Adrien et Octave tournèrent la tête vers lui.
_ Que se passe-t-il ? Il y a un problème ? s'enquit Octave.
_ Non, non... enfin pour l'instant, bégaya Alex.
Adrien se pencha vers le guide.
_ Vous entendez quoi exactement par « pour l'instant », Alex ?
Mais le guide ne répondit pas. Il restait concentré sur l'horizon. Les deux garçons l'imitaient, sans pour autant savoir quoi regarder. Ils constataient bien que la matière du terrain en face d'eux semblait changer de la route terreuse, mais ils ne savaient pas si c'était la raison de l'inquiétude d'Alex. Ce dernier fit ralentir le 4X4 encore plus, avant de l'arrêter entièrement.
_ Ce n'est pas possible... murmura-t-il.
Devant eux s'étendait une large zone marécageuse, une immensité de trous d'eau, de buissons, d'herbes hautes, s'étendant à perte de vue.
Octave soupira, se passant la main dans les cheveux.
_ S'il vous plaît, dites-moi que c'est praticable...
_ Hum... je crains que nous ne soyons obligés de faire un léger détour...
_ Léger comment ? intervint Adrien.
Alex ne lui donna aucune réponse, et sortit de la voiture, observant toujours l'étendue qui se présentait à eux. Les garçons le suivirent.
Alex sortit ensuite sa carte de la boîte à gants et l'observa. Octave s'approcha.
_ Est-ce qu'on pourrait savoir ce qu'il se passe, s'il vous plaît ?
_ Vous voyez bien, le terrain est impraticable.
_ Mais pourquoi vous ne le saviez pas ? C'est vous le guide, non ?
Alex le regarda, gêné.
_ Cela fait longtemps que je ne suis pas venu dans cette zone. Je n'avais pas prévu que le terrain aurait changé.
Octave ne parvenait pas à concevoir la réalité de la situation. Il espérait du plus profond de son âme que le guide se trompait ou qu'il avait une solution. Il souhaitait à tout prix qu'il ne s'agisse que d'une frayeur passagère.
_ Mais nous ne devons pas être les seuls touristes à nous diriger vers Tsodilo Hills, par où passent les autres ?
_ Beaucoup prennent l'avion depuis l'aéroport de Maun. Les autres doivent emprunter un autre chemin.
_ Par rapport à notre destination, on est où exactement ? demanda Octave.
_ On doit être à une heure et demie du camp où vous vouliez vous rendre. Mais avec des marécages comme ça, il va falloir changer de cap.
_ Et ça va nous prendre combien de temps ?
_ Impossible de le savoir précisément, je ne sais pas jusqu'où s'étend la zone.
_ J'espère au moins que vous avez une solution ?
_ Nous allons longer la zone vers l'ouest et nous repartirons vers le nord dès que cela nous sera possible.
Octave soupira et hocha la tête.
_ Bon très bien, c'est vous le guide. Ne perdons pas de temps, alors.
Ils reprirent leur place dans le 4X4 et Alex redémarra. Trois quarts d'heures plus tard, la petite équipe arriva à l'orée d'une forêt épaisse. Alex stoppa une fois de plus son véhicule et sortit sa carte.
_ J'ai une bonne nouvelle : vous voyez cette tâche verte sur la carte ? C'est la forêt devant laquelle nous sommes. Un bras de fleuve la traverse. On a juste à passer de l'autre côté et il ne nous restera qu'une demi-heure de marche avant d'arriver au camp.
Il s'interrompit, mais ne rangea pas sa carte pour autant.
_ Je suppose qu'il y a une mauvaise nouvelle ? dit Adrien.
_ C'est-à-dire... qu'aucun sentier n'est prévu pour les véhicules, seulement les piétons. Nous allons devoir laisser le 4X4 ici et continuer la route à pieds.
_ C'est pas croyable... fit Adrien à mi-voix.
Chacun récupéra ses affaires dans le coffre, Alex prit quelques babioles dans la boite à gant, et fourra quelques provisions dans une des poches de son sac et la troupe put se mettre en marche.
A mesure qu'ils s'enfonçaient dans l'imposante forêt, les garçons admiraient chaque arbre, chaque oiseau qu'ils rencontraient. Ils entendaient mille bruits différents qu'ils étaient incapables d'identifier. De temps à autre, un petit oiseau ou un petit mammifère se postait sur une branche et les observait.
Le sentier piétonnier, qu'ils ne mirent pas très longtemps à rattraper, était aussi l'habitat de nombreux insectes, des fourmis aux araignées en passant par les scarabées et les vers de terre. C'étaient les araignées que redoutait le plus Adrien. Il détestait ces horribles bêtes, velues pour la plupart, avec leur corps surélevé par huit pattes immenses et leurs yeux que vous ne voyez pas mais qui vous fixent en attendant le bon moment pour vous sauter dessus. Enfin... ça, c'était la théorie d'Adrien.
Ces bestioles ne posaient pas un réel problème à Octave. En revanche, même si elles ne le gênaient pas plus que ça, il ne fallait pas qu'elles dépassent un certain stade de taille et de pilosité, sinon, le garçon pouvait ne pas garder son sang-froid très longtemps.
Au bout d'une heure de marche, pendant laquelle le groupe s'autorisa plusieurs petites pauses, Alex s'arrêta.
_ Vous entendez ?
Les garçons, essoufflés, tendirent l'oreille du mieux qu'ils purent, mais n'entendirent rien. Alex reprit :
_ C'est le bras du fleuve dont je vous parlais. On entend la cascade qui n'est pas loin du pont que l'on doit emprunter.
Les garçons se regardèrent et Adrien fit la moue. Ils n'entendaient rien. Ils reprirent cependant leur route, confiant leurs pas à leur guide. Tout de même, Alex s'y connaissait un peu plus qu'eux. Ils ne tardèrent pas à atteindre le pont. Il couvrait une assez grande distance, le fleuve était large. Il était en très mauvais état. Des planches manquaient, laissant des espaces plus ou moins grands. Les cordes semblaient vieilles, sur le point de rompre.
Adrien regarda tout cela d'un œil suspicieux.
_ Dites-moi, Alex, vous êtes sûrs de vous, quant au chemin à suivre ?
_ Nous ne sommes pas sur le chemin habituel, vous savez. Cet endroit n'a probablement pas été emprunté depuis longtemps. Le temps a fait son affaire, on dirait...
Il fit une pause et s'approcha du pont. Octave et Adrien le suivirent, non sans appréhension. Le courant du fleuve était fort, et le pont était bas. Le trio pouvait sentir une multitude de gouttelettes d'eau atteindre leurs jambes. Alex prit la parole :
_ On passe un par un, pour plus de sécurité. Je passe en premier, pour assurer la voie. Ensuite, Adrien me rejoindra et enfin Octave.
Les garçons acquiescèrent et l'observèrent passer l'obstacle. Ses pas étaient sûrs, il savait ce qu'il faisait. Ils pouvaient sentir l'expérience d'Alex à chaque pas entrepris.
Puis, ce fut au tour d'Adrien. Nerveux, ses doigts serraient la corde effilée au point d'avoir les jointures blanchies, et ses pas, lents, cherchaient la moindre planche pour s'appuyer. Mais le pont semblait sur le point de flancher. La corde semblait perdre de plus en plus de matière, déjà peu présente, et quelques planches cédèrent après le passage du jeune homme. Néanmoins, il parvint à atteindre le rivage sans encombre. Il esquissa un geste de victoire et se tourna vers Octave, lui faisant signe de venir à son tour.
Octave lui sourit, et posa un pied sur la première planche, dont il testa la solidité.
« Allez, ça va le faire. Pense à Avril »
Penser à sa sœur lui faisait du bien. Sa respiration se calma tout de suite et il commença à marcher. Tout se passait pour le mieux, lorsque son pied glissa sur une zone plus glissante que les autres et alla se coincer entre deux planches. Le pont tangua dangereusement, plus instable que jamais, et les tentatives d'Octave à retirer son pied n'arrangeaient rien. Il essaya d'abord d'ôter sa basket, en vain. Elle était immergée, le courant ne l'aidait pas, et Octave se démenait de toute ses forces pour essayer de se dégager.
Le pont était toujours incliné, et soudain les cordes cédèrent.
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On my way de Phil Collins
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