Chapitre 1
Et maintenant, il se trouvait là. Il avait eu dix-huit ans à la fin de l'été, venait d'entrer à l'université et menait une vie des plus banales. A deux exceptions près. La première était qu'il n'avait toujours pas rempli le vide qui l'habitait. Cela en devenait presque lassant. A force de se battre pour trouver quelque chose à placer dans son cœur, il ne ressentait plus rien. Du moins, s'il ressentait quelque émotion, il n'en laissait rien paraître. Lui seul avait connaissance de la bataille menée au fond de lui depuis si longtemps. Dix-huit ans de guerre incessante, à essayer de comprendre. Mais comprendre quoi, exactement ? Il savait juste qu'il manquait quelque chose dans sa vie, et il avait à découvrir ce que c'était. Seulement, les sentiments forts n'arrivaient plus à atteindre l'extérieur. Il les gardait tous pour lui, comme s'ils étaient sa propriété et que personne n'était digne d'y avoir accès. Il les avait comme enfermés dans une petite boîte dont lui seul avait la clé, et qu'il préservait soigneusement. Malgré son enfermement sur lui-même, il avait compris une chose : que ses déboires ne devaient en rien affecter sa vie sociale. Ainsi, il riait, souriait, savait apprécier ce qui lui arrivait, mais voilà, le problème tournait toujours en boucle dans son esprit : avec qui aurait-il dû partager ces moments ?
« Come on, carry your flame
Set the night on fire
Leave it in the darkness
Carry your torches »
Il y avait une deuxième exception, et sûrement la moins négligeable. Un évènement venait de bouleverser sa vie, de la remettre en question. Ce qu'il avait toujours souhaité découvrir était venu à lui sans qu'il ne fasse aucun effort. Une révélation, plus qu'une découverte. Comment avait-il pu être aveugle tout ce temps ? Comment avait-il pu ne pas comprendre ? Mais dans le même temps, cela lui avait donné raison. Ce qu'il s'était imaginé pendant de si longues années et qui l'avait tourmenté durant de lourdes nuits venait de s'avérer. Il n'avait, en revanche, jamais envisagé une chose d'une telle gravité. Comment diable cela pouvait être possible ? Un si lourd secret, porté pendant dix-huit ans, caché aux yeux de tous... Il ne pouvait pas croire qu'on l'ait tenu à l'écart de cette vérité aussi longtemps.
Et maintenant, il se trouvait là, au milieu de ce couloir clair. Comme souvent, il était perdu dans ses pensées et distinguait à peine les autres. Des silhouettes en mouvement, dans un mélange étrange de couleurs à la fois grises et vives, voilà tout ce que ses yeux percevaient vaguement. D'innombrables brouillons de discussions parvenaient également à ses oreilles, mais aucun mot n'avait de sens.
« We all are living in a dream
But life ain't what it seems
Everything's a mess »
_ Eh Octave ! ça va, mec ?
Au contact d'une tape amicale sur son épaule, Octave sembla se réveiller. Adrien, un de ces rares imbéciles qui arrivaient encore à supporter ses absences et ses sautes d'humeur, lui faisait face, l'air soucieux.
_ Tu es sûr que tu dors assez en ce moment ? Tu as de ces cernes !
Octave lui offrit un sourire qu'il voulut décontracté.
_ Euh... Ouais, ne t'inquiète pas, tout va bien.
Adrien hocha la tête d'un air entendu. Bien sûr que son meilleur ami allait bien, de sa manière à lui.
_ Tiens, s'étonna Adrien. Elle est nouvelle celle-là ?
Tandis qu'ils s'étaient mis à marcher dans le couloir, Octave le regarda sans comprendre. D'un coup d'œil rapide autour de lui, il se demanda si son ami ne parlait pas d'une nouvelle élève, mais trop de visages lui étaient encore inconnus à l'université pour qu'il puisse les différencier clairement. Lorsqu'il se retourna vers Adrien, celui-ci précisa :
_ La chanson. Je ne l'avais jamais entendue auparavant, elle est nouvelle ?
Octave réalisa qu'il n'avait pas pensé mais prononcé les paroles de la chanson en question. Une fois de plus.
_ Ah, ça. Non, elle commence déjà à dater, mais je me suis souvenu des paroles d'un coup, tu sais que je ne peux pas l'expliquer.
Adrien acquiesça en souriant gentiment :
_ Oui, je sais. Elle est cool.
_ Ouais, elle est cool, dit Octave doucement, en pensant à la signification à laquelle il l'associait.
Il avait découvert la musique à proprement parler vers l'âge de six ans, lorsque ses parents l'avaient inscrit à des cours de solfège, même s'ils en avaient initié son oreille alors qu'il n'était pas encore venu au monde. Depuis, il se servait de la musique pour extérioriser ses pensées et ses émotions, tant et si bien que cela était devenu un procédé inconscient. Les premières fois qu'il y avait assisté, Adrien s'était montré surpris de le voir marmonner des phrases plus ou moins mystérieuses sans raison apparente, mais il avait fini par s'y habituer. A vrai dire, la voix d'Octave était assez juste, voire même plutôt belle à entendre, et les paroles aidaient Adrien à comprendre les états d'âme de son ami, ce qui n'était pas chose aisée la plupart du temps.
Cette fois-ci, il comprit qu'Octave n'allait pas aussi bien qu'il le disait. Autant il savait pertinemment que la définition du bien-être selon son ami était différente de celle de tout autre individu et prenait en compte sa sempiternelle quête, autant il sentait ce jour-là qu'un autre élément s'était rajouté à son tourment quotidien. Et dans le but de remplir de manière exemplaire sa fonction de meilleur ami, il se fit immédiatement le devoir de découvrir ce qu'était cet élément qui venait perturber davantage son camarade.
Adrien était en effet dans la confidence depuis quelques temps déjà. Entre lui et Octave, il s'agissait d'une amitié de longue date. Comme nombre d'enfants, leurs parents les avaient faits se rencontrer lors de goûters d'anniversaire entre camarades de classe. Depuis, ils ne pouvaient plus se souvenir combien de coups ils avaient fait ensemble. Quatre cents, probablement. Le problème d'Octave s'était imposé à eux alors qu'ils entraient en seconde. A l'époque, Adrien ne s'était montré suffisamment mature que pour réussir à ne pas divulguer le secret de son ami, et non pour essayer de le comprendre. C'était la première fois qu'ils s'éloignaient. Un an après, Adrien avait pris la peine de réfléchir à la situation et avait décidé de faire le premier pas. Il avait voulu soutenir son ami, être là pour lui autant qu'il le pouvait, rien ne lui avait tenu plus à cœur. Il lui avait montré qu'il tenait à lui, et deux ans après, rien d'autre n'avait plus jamais réussi à les séparer.
Ainsi, il s'agissait une fois de plus pour Adrien de comprendre ce qu'il s'était passé. Ils franchirent le seuil de leur salle de classe et il demanda :
_ Qu'est-ce que tu as fait hier soir ? Tu as testé le jeu que je t'avais conseillé ? Si tu me dis que tu as travaillé, je ne te croirai pas !
_ Tu m'as tellement vanté les mérites de ce jeu que je ne pouvais pas me risquer à le commencer seulement ce week-end ! J'ai allumé ma console dès que je suis rentré des cours, tu penses bien ! répondit Octave d'un ton enjoué.
_ Alors, quel est ton verdict ?
_ Il est pas mal, je dois bien l'avouer.
_ Tu rigoles, j'espère : « Pas mal », c'est tout ? s'indigna Adrien. Ce jeu est une œuvre d'art, mec !
_ Ne t'emballe pas, s'esclaffa Octave, je te fais marcher et toi tu cours ! Il est génial, les graphismes sont incroyables et le scénario est fou ! Ça te va ?
_ Je préfère ça, sourit Adrien.
Les deux garçons s'installèrent à leurs places, deux tables l'une derrière l'autre. Dès qu'il fut assis, Adrien se retourna :
_ Et sinon, tu as fait quoi de ta soirée ? Tu m'avais dit qu'une cousine éloignée de ta mère viendrait pour le dîner, ça s'est bien passé ?
Octave se renfrogna, baissant la tête et jouant avec ses mains.
_ Bof... Elle vient du Brésil, c'est le genre de femme extravagante qui dit tout ce qu'elle pense et...
Il fut coupé par l'arrivée soudaine de leur professeur, qui commença son cours avant même que les élèves se lèvent pour l'accueillir et sans prendre le temps d'enlever son manteau ni de poser ses affaires.
Adrien sortit un petit tas de feuilles et son ordinateur portable et insista en chuchotant :
_ Et donc, elle a dit quoi d'intéressant ? Toi qui adore les voyages, elle t'a parlé du Brésil ?
_ Oui, elle a beaucoup parlé d'elle, mais justement je n'ai pas pu travailler après le dîner, je ...
Le professeur, l'oreille fine, les rappela à l'ordre d'une remarque pince sans rire, sans même faire l'effort de les regarder.
Adrien fronça les sourcils et serra les mâchoires, frustré. Qu'il détestait cet homme ! Il tourna légèrement la tête, de manière que sa voix soit un peu masquée par son épaule, mais restant audible par Octave.
_ Attends, ça s'est mal passé ? Elle a dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
_ On peut dire ça, oui...
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Torches de X Ambassadors
Dream de Imagine Dragons
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