Chapitre XVII
1819. Milano, domaine de Giulia.
Le reste de la semaine a été bercé par une ambiance maussade. Personne n'osait véritablement parler de ce qu'il s'était passé. Le lendemain de l'arrestation soudaine de Falco, nous fûmes le 29 mai. Le jour de l'enterrement de Rodrigo. Et c'était sans surprise, que l'atmosphère de cette journée fut affreusement lugubre.
Tous habillés de noir, coiffés de manière sobre et formelle, nous étions alignés devant la tombe creusée le matin même. Le cercueil fut porté par des hommes grands et forts puis placé dans la fosse. Le prêtre fit une dernière prière pour accompagner l'âme du défunt jusqu'aux cieux, et, nous fûmes tous affligés par ses funestes paroles.
Pour cet homme, la vie sur Terre était finie. Je me demandais où il était bien parti, vers quel entité céleste s'était-il abandonné.
En réfléchissant à la vie après la mort, lourd dilemme souvent source de conflit, je sentis la main de ma Gigi serrer la mienne avec ardeur. Comme du coton, j'absorbais ses émotions en caressant son dos doucement et en pressant en retour sa forte poigne.
Puis, après quelques minutes, elle avança seule tel un guide près de la fosse. Elle balança délicatement une poignée de pétales de roses blanches par dessus son cercueil comme un dernier adieu. Je fis de même après elle, et toute notre suite également.
C'est ainsi que Giulia tourna une page du livre de sa vie. J'étais là pour l'aider, mais malheureusement, son chagrin était trop puissant pour être contré par n'importe qui. Sa mélancolie n'était absolument pas dû à la perte de son mari, mais plutôt comme on pouvait s'en douter, à celle de son amant. Sans aucune perspective favorable d'avenir, cet Amour s'était envolé loin, très loin de ma sœur adorée.
Elle était passée par toutes les soi-disantes phases du deuil amoureux. Cette nouvelle semaine représentait le début de ce funeste mécanisme. Si triste d'avoir perdu celui qu'elle aimait, elle était absorbée par une peine immense.
En milieu de journée lorsque nous n'étions que toutes les deux, elle finit par me raconter les derniers mots que Falco avait prononcés avant de s'éloigner pour une durée incertaine. Et mon cœur se brisa en entendant ses paroles remplies d'un amour inconditionnel.
«Vous savez Gigi, il est vraiment difficile de dire adieu lorsque nous voulons rester ;
très compliqué de rire lorsque nous voulons pleurer ;
mais sincèrement, le plus terrible est de devoir oublier lorsque nous voulons aimer.
Ari vederci, Giulia.»
Cette scène ne cessait de se répéter en boucle dans sa tête. Elle me partageait ses pensées en me criant dessus comme si je connaissais les réponses à ses questionnements.
— Il a osé me sourire après ce qu'il venait de me dire... Il a osé faire comme si tout allait bien, comme s'il partait en balade et reviendrait rapidement...
Mais je le sais moi, c'était un adieu! Ce n'était pas un simple «au revoir»...
Tout cela l'avait fait repartir dans un sanglot sans fin. J'osais espérer que le temps allait apaiser son âme et éteindre son signal de détresse. Mais rien n'était tout à fait sûr.
Elle entama ensuite une nouvelle phase vers le milieu de la semaine. Elle fut constamment portée par un maléfique courroux et, je décidai alors de la laisser se défouler un peu toute seule pour m'occuper de mon univers à moi.
Je quittais ses appartements pour me rendre et m'installer tranquillement dans le salon.
Je caressais délicatement l'émeraude qui pendait à mon cou. Ce collier était somptueux. Le vert de la précieuse pierre m'allait merveilleusement bien, faisant jaillir la couleur de mes yeux. Le bijou n'était ni outrageant par sa grandeur, ni trop inexistant par sa petitesse.
En effet, sa taille était parfaite, et puis, son contour doré et les minutieux détails lumineux faisaient accroître d'autant plus sa préciosité.
Habituellement, les hommes offraient des diamants ou des rubis à leur femme, mais Milo avait trouvé la pierre unique qui faisait chavirer mon cœur.
Depuis que j'avais ouvert l'écrin noir et que je l'avais mis autour de mon cou, je ne m'en étais jamais séparée. Je commençais même à prendre le réflexe de passer le bout de mes doigts dessus lorsque j'étais perplexe, en train de réfléchir, triste mais aussi heureuse. C'était comme un porte bonheur, mais plus jouissif encore.
Je trouvai finalement Milo nonchalamment disposé sur le canapé en train de sortir des lettres de sa poche. Depuis notre arrivée, il en avait déjà reçu une bonne dizaine. Mais lorsque le facteur venait déposer le courrier, Milo devenait froid et distant à chaque fois.
Au départ, je ne fis pas attention à ces changements de comportement si soudains. Je pensais par ailleurs que ces écrits provenaient de Danielo, comme promis. Mais je commençais désormais à m'inquiéter.
Toujours avant l'ouverture, il prenait un léger temps de pause comme pour préparer son esprit à ce qu'il allait lire.
Puisque je l'observai indiscrètement à chaque fois, je commençais à prévoir ses réactions autant troublées que troublantes.
Ainsi, après avoir ouvert la lettre, juste avant le début de sa lecture, il prenait cet air renfrogné fidèle à lui-même. Ses sourcils se fronçaient par automatisme et ses doigts se crispaient pour serrer un peu trop fort le papier dans ses mains.
Ses yeux finissaient alors par se balader rapidement sur les mots disposés devant lui. Il réalisait toujours une lecture précipitée et inattentive. Je supposais donc que c'était sûrement par habitude de lire les mêmes informations.
Quand je lui ai demandé, la première fois, qui était le scripteur, il ne me répondit que par un bref «hmm... ma famille...». Il devait bien se douter que je n'allais tout de même pas me contenter de cette réponse évasive et mystérieuse.
Mais je finis par calmer, pendant un certain temps, ma curiosité en voyant son attitude aussi renfermée et hostile. Ainsi, j'avais préféré contre toute attente, ne pas le déranger avec mes questionnements. J'espérais secrètement qu'il vienne m'en parler lorsqu'il serait prêt.
Sauf qu'il n'était toujours pas venu. Et je commençais à fortement m'inquiéter de ce flux épistolaire qui ne cessait de le mettre mal à l'aise. Il était constamment préoccupé, comme à cet instant précis où il m'a fallut lui parler directement, pour qu'il remarque ma présence.
— Je suis sûre que vous aimeriez vous balader avec moi dans les jardins Milo! m'exclamai-je, enjouée.
— Peut-être une prochaine fois, Katerina, ce n'est vraiment pas le bon moment.
— Allez, venez dégourdir un peu vos longues jambes, et, lâchez ce papier à lettres. Vous répondrez plus tard, je suis sûre que ce n'est pas si pressant.
Et puis... Oseriez-vous délaisser votre chère amie? dis-je en caressant lentement son bijou froid placé sur le haut de ma poitrine et en le suppliant du regard.
— Très bien, vous m'avez convaincu, finit-il par répondre après quelques instants de mûres réflexions et avec un tendre sourire aux lèvres.
— Vous m'en voyez ravie!
Je lui arrachai hâtivement du bout des doigts ses papiers pour les déposer non loin de nous, sur le bureau. J'enchaînai ensuite mon bras au sien afin d'être reliée à lui d'une quelconque manière. Puis, nous avançâmes pour nous installer sur un banc en marbre situé à proximité de la demeure. Je m'allongeais doucement sur lui et fus rapidement encerclée par ses bras robustes et réconfortants.
— Parfois, j'aimerais que le temps s'arrête. Que ces instants de bonheur intense et de joie immense ne connaissent aucune fin ; que toutes choses doucement oubliables restent à jamais dans ma mémoire ; enfin, que la vie soit remplie de douceurs et de plaisirs éternels...
Je le regardais tout simplement admirative de sa beauté envoûtante et de son esprit passionné.
— Danser énergiquement, boire avidement, rire sans retenue, festoyer sans penser, pleurer de joie longuement, profiter pleinement de tout et de rien, aimer passionnément. Ainsi devrait être notre monde à notre âge, alors pourquoi ne l'est-il pas ?
— La vie ne serait pas aussi belle si elle n'était pas aussi compliquée.
— Vous avez malheureusement raison ma douce. Pourquoi est-ce si triste et si vivifiant à la fois ?
Je remarquais déjà dans ses prunelles un sentiment de nostalgie. Comme s'il essayait de profiter le plus possible des instants que la vie nous offrait. Comme si tous ceux-là seraient les derniers.
Une certaine appréhension grandit petit à petit en moi. Ressentait-il tout cela à cause de l'histoire de ma sœur et de Falco ? Ou se passait-il véritablement quelque chose ?
— Me diriez-vous si quelque chose de terrifiant ou d'horrible venait à se produire ? Seriez-vous honnête envers moi ?
— Je l'espère de tout mon être Katerina. J'aimerais que vos doux yeux émeraudes affrontent la réalité brutale de la vie, tout en étant à jamais épargnés par cette dernière.
2055. Lerici, maison de Katerina
« Attends quoi ?! Nooooon, pas Milo s'il te plaît... tout allait si bien entre vous...
C'est décidément dans ces moments-là, avec ce genre d'exemple, que je me rends compte que la vie n'est pas aussi belle et "rose" comme l'a décrite Edith Piaf. »
« Oh Anna, ce n'est pas tout à fait vrai...
Et puis, comme tu le sais, toutes les bonnes choses ont une fin!
Mais, c'est un cycle continu : cette fin n'est que le début de nouvelles aventures tout aussi merveilleuses! »
«J'espère quand même que ça va bien se terminer tout ça...
Et qu'entends-tu par "sa famille"? Pourquoi n'est-il pas heureux de recevoir des nouvelles de ses proches ? Je ne comprends pas et j'adorerais que tu éclaires ma lanterne, s'il te plaît maman!
Et sinon, il n'y avait pas une Agatha Christie à ton époque pour mettre en scène un merveilleux Hercule Poirot, ou une Miss Marple tout aussi perspicace? J'ai l'impression que la mort de Rodrigo restera un mystère... prononça-t-elle toute intriguée. »
« Ma chérie, j'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à ce dernier questionnement avisé, mais tu vas très vite savoir pourquoi! »
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