Chapitre VIII
1819. Lerici, Domaine de Katerina et Danielo.
Réveillée par un petit oiseau qui chantait non loin sur la plage, je me relevai sur le lit afin de me poser sur mes coudes. J'admirai l'enchaînement perpétuel des vagues qui s'écrasaient sur le sable mouillé. Je trouvai que la mer était quelque chose de magnifique. Elle transportait et hébergeait des milliards d'espèces qui nageaient et traçaient un nouveau chemin tous les jours pour découvrir leur partenaire, leur futur milieu de vie, leur nourriture, leur famille.
L'océan était si vaste. Là où j'étais, il n'y avait aucune terre en vue. C'était comme si la mer était infinie. Le ciel et l'océan paraissaient même liés. Je regardais le soleil se lever : on aurait dit qu'il était au bout de l'eau, pas très loin. Il semblait flotter à quelques mètres au dessus de cette immense étendue bleue, traçant par magie un chemin coloré jusqu'à lui.
Ses rayons jaunes, oranges et roses, se reflétaient sur l'eau formant ainsi cette longue voie. La mer était si claire et limpide que je pouvais voir les petits poissons se réveiller pour aller se nourrir.
Je fus étonnée lorsque je vis une tortue verte. Je n'avais pas l'habitude d'en voir ici. Peut-être était-ce la saison où elles revenaient pour se reproduire? Je n'en savais rien. Des mouettes se posaient sur le sable à la recherche de crustacés, et parfois, s'envolaient pour aller pêcher. Les crabes sortaient timidement et se cachaient rapidement lorsqu'ils remarquaient la présence de leurs prédateurs.
La vie reprenait après s'être presque arrêtée le temps d'une nuit. Je n'étais qu'observatrice de cette scène magnifique dont j'avais l'immense honneur de regarder.
Je me tournai alors sur le côté pour admirer quelque chose d'autre. Milo était allongé sur le ventre, la tête posée sur l'oreiller, tournée vers la mienne. Ses cheveux bruns foncés presque noirs étaient en bataille et se dispersaient sur son front. Il était d'une beauté ravageuse. Je passai délicatement ma main dessus afin de les replacer correctement.
Il ne bougea pas d'un cil. Il avait l'air si apaisé, si calme et détendu. Son bras droit était relevé devant son torse nu sous les draps. Je supposais qu'il avait du s'accrocher à moi, inconsciemment, pendant que nous dormions. Je longeai du bout de mes doigts son visage puis son cou, ainsi que son épaule et son bras.
Lorsque je touchai sa main droite qui était proche de mon corps, il m'empoigna et me tira contre lui. Son sourire prît place sur son visage avant même l'ouverture de ses yeux.
Il glissa à mon oreille gauche un doux «bonjour» pour bien commencer la journée. Je souris jusqu'aux oreilles puis lui rendis en retour, son accueil matinal chaleureux. Il se releva pour s'asseoir en tailleur. Ensuite, il enroula de son bras gauche, mes épaules pour me ramener à lui. Je posai tendrement ma tête sur une des siennes.
Nous admirions ainsi le lever du soleil déjà bien entamé. Nous percevions de moins en moins l'orange et le rose de tout à l'heure. Le rond jaune brûlant avait grimpé dans le ciel, laissant autour de lui un bleu vif. La mer répétait son cycle continu de vagues. Mais cette fois-ci, c'était différent car Milo regardait tout cela avec moi.
Je souhaitais depuis longtemps lui faire part de mes sentiments, et, c'est ce que je fis à ce moment. Sûre de moi, je m'exprimai en admirant ses pupilles foncées et ténébreuses.
— Mon tendre Milo, je pense à vous non seulement tous les jours, mais également toutes les heures, toutes les minutes, et enfin toutes les secondes.
Je posai tendrement ma main sur sa joue pour la caresser avant de continuer de parler.
— Mon esprit ne comprend et ne retient que vous, mes oreilles n'entendent que votre voix grave et envoûtante, mes yeux ne voient plus que votre beauté éclatante, mon nez ne sent plus que votre odeur boisée, mes lèvres s'ouvrent seulement quand cela vous concerne et vivent uniquement lorsqu'elles sont collées aux vôtres.
— Comprenez-vous, ma douce, que nos sentiments sont partagés : mon cœur ne bat que pour vous également, mon corps ne s'enflamme que lorsque le votre est près du mien, et mon amour pour vous décuple de jour en jour. Katerina, je ne sais guère comment faire pour cacher notre lien. Et puisque nous n'avons pu résister à notre attirance, nous devons assumer discrètement notre passion. Je vous en prie.
Si renoncer à vous représente la raison, je préfère devenir fou. Savoir que vous serez souffrante loin de moi et près de votre époux hanterait mes nuits. Je ne peux être heureux si vous ne l'êtes.
Nos questionnements rendirent la conversation plus formelle et délicate. Mais l'essentiel ayant été prononcé, nous retînmes que cela. Notre amour était partagé. Aucun de nous n'abandonnera l'autre. Mon époux, son ami, ne nous empêchera pas d'être heureux. Nous trouverons un moyen pour continuer à nous voir, j'en étais sûre.
En attendant, Milo avait amené quelques fruits découpés et un peu de pain que nous dégustâmes paisiblement tous les deux. Ainsi, nous nous éloignions le plus possible de ce monde pour en créer un nouveau, un rien que pour nous. La matinée passa finalement très vite, sans que ni l'un ni l'autre ne regrette quoique ce soit. Il était temps, à présent, pour nous de rentrer au château afin de préparer le retour de mon mari qui s'annonçait chaotique.
***
Je finissais de me préparer quand j'entendis des cris dans le jardin non loin de la porte d'entrée. Je m'approchai de la fenêtre, curieuse de savoir qui en était l'auteur. Je ne fus que peu surprise de voir que c'était Danielo qui serrait son ami dans ses bras fortement. Il devait être ravi de le revoir. Je fus encore plus troublée car ni Milo ni moi n'avions abordé précisément ce sujet épineux. Comment allons-nous faire pour nous voir sans éveiller les soupçons de mon mari?
J'eus soudainement cette idée théâtrale qui vint à mon esprit. Je venais d'informer Agata de mon plan et elle n'était pas totalement convaincue. Cependant elle ne savait pas non plus que faire d'autre, alors, sans aucune hésitation, elle m'exprima son soutien pour les futures situations. Je m'empressai finalement de quitter mes appartements pour accueillir mon époux, suivie de près par mes domestiques.
Je descendis les escaliers doucement afin d'annoncer mon arrivée. Je ne laissai pas un seul de mes regards à Milo. Je l'ignorai complètement. Mon mari devint le centre de mon attention. Un faux sourire se plaqua sur mon visage afin de satisfaire pleinement mon éducation de parfaite épouse. Il en était ravi. Il prit alors ma main et y déposa un délicat baiser pour me saluer.
— Katerina, me dit-il comme s'il était un explorateur qui venait de découvrir de nouvelles terres fabuleuses.
Toujours aussi resplendissante, votre beauté naturelle m'avait terriblement manqué.
Surprise par cette marque d'affection et ce côté flatteur, je ne sus que répondre directement. Je lançai un coup d'œil à Milo qui semblait comprendre mon jeu. Il me soutint du regard, comme pour m'aider à continuer la conversation normalement pour ne pas attirer l'attention. Après de longues réflexions, je pensai judicieux de faire dériver le sujet sur son voyage.
— Ravie que cela vous plaise, Danielo. Je remarque également, que votre voyage vous a plu et diverti pour que votre humeur soit si bonne. J'ai bien peur que le retour dans votre château ne vous déprime. J'espère que ma compagnie ne vous déplaira plus et que vous l'apprécierez comme à l'instant.
— Votre compagnie ne saurait me déplaire, j'ai perdu trop de temps. Ce fabuleux voyage m'a fait découvrir la petitesse de la vie et sa si courte durée. Mon patient était âgé de trente-et-un an : mort d'une crise cardiaque ! Il s'est effondré après avoir appris le décès de son très jeune fils à la chasse. Je souhaite connaître mes descendants et leur montrer les joyaux qui perlent le monde entier. Je promets de ne plus vous délaisser. Même si je promets également de sauver le plus de vies qu'il m'est possible de sauver.
Je vais prendre du temps pour rattraper celui perdu.
Je déglutis sous l'entente de ses mots. Que pouvais-je faire? Cette soudaine envie chamboulait tous mes plans. Je sentis que ma liberté allait être, de jour, très perturbée. Peut-être que je pourrais passer les nuits dans mes quartiers sans qu'il ne vienne. J'espérais fortement que cela soit le cas puisque je prévoyais de rejoindre Milo tous les soirs.
Je regardai alors ce dernier quitter la pièce dans une colère noire. Ses poings étaient serrés et j'aperçus de loin ses jointures blanches. Il traversa le salon et s'empressa de rejoindre ses appartements. Ses pas résonnèrent fortement au contact des marches en bois. Mon époux ne remarqua pas cet excès de rage et de fureur. Il lui sembla normal que son ami réagisse ainsi et je ne comprenais pas pourquoi avant qu'il ne prenne la parole.
— Il n'est pas marié, il ne peut pas comprendre ce besoin de fonder une famille que les époux ont.
2055. Lerici, maison de Katerina.
« Cet homme avait le don de m'exaspérer. Ses sautes d'humeurs étaient toujours très perturbantes. Une semaine, il se réveillait le matin avec un respect inconditionnel et tendre pour moi. Puis la suivante, une haine soudaine s'emparait de lui et il me rejetait violemment. Mais pour la première fois, il ressentait comme de l'affection envers moi.
Cependant, j'avais un but et je ne voulais pas abandonner le peu de bonheur que j'avais eu durant ces derniers jours.
Je voulais que Danielo croie que son ami n'était qu'un étranger pour moi. Je voulais qu'il pense que sa présence ne m'intéressait pas. Ainsi, il ne se douterait pas de mon attachement, je pourrais rejoindre Milo la nuit et passer le plus de temps avec lui.
Penses-tu que c'était la bonne solution? Qu'aurais-tu fais à ma place? Et surtout penses-tu que cela a tourné en ma faveur?
Ça n'a vraiment pas été facile tu sais. »
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