Chapitre IX
1819. Lerici, Domaine de Katerina et Danielo.
— Je n'en reviens pas. Il souhaite désormais que j'accomplisse mon devoir d'épouse et de femme, et ainsi lui donner un héritier, un descendant pour perpétuer la lignée! Pourquoi maintenant?
Je regardais Agata. Elle s'était figée pour me répondre mais continua d'enlever mes bijoux et mes habits, voyant que je n'allais pas arrêter mon discours.
— Sa petite escapade ne pouvait pas lui faire comprendre qu'il vivait mieux loin de moi ? Non, évidemment. Il se découvre, suite à la mort d'un autre, une soudaine envie de fonder une famille. Ce besoin est si pressant pour lui ? Pensez-vous ma chère, qui êtes de très bon conseil, que j'ai le droit de m'y opposer?
Elle s'arrêta net avec une de mes boucles d'oreilles dans une main et un regard triste m'exposant ainsi la pitié qu'elle ressentait pour moi.
— Je me souviens avoir lu votre contrat de mariage car il y avait une clause concernant les domestiques. Dedans il stipulait clairement que vous vous engagez à donner à votre mari, un ou plusieurs héritiers ; tel est votre devoir conjugal. En aucun cas, vous ne pouvez donc refuser, la loi serait contre vous.
— Ce sont de stupides règles qui dictent notre société ! Mon père a rédigé ce contrat sans m'avoir consultée. Ahhh ! Je déteste ce sentiment de soumission.
Je n'aurais qu'à prétexter à chaque fois un mensonge afin d'éviter ses attouchements.
— Je doute fort que cela suffise, madame.
— Je n'ai guère d'autres choix, vous comprenez bien la situation.
— Et qu'allez-vous faire pour votre amant ? Vous devriez aller lui parler au moins, vous ne l'avez plus vu de la journée. Je crois qu'il est parti chasser, vous devriez attendre son retour pour discuter.
— Vous avez raison, merci Agata. J'attendrai que vous me rejoigniez pour souper alors.
Je l'observais quitter la chambre doucement. Je commençai à faire le tour de la pièce en marchant, pensive.
Je me posai sur le rebord de la fenêtre et regardai à travers celle-ci ce qu'il y avait au loin. Des nuages cachaient le coucher du soleil et prenaient tout l'espace disponible dans le ciel. Quelques gouttes commencèrent à tomber sur la vitre. Je vis le vent battre les feuilles vertes des arbres. Quant à eux, ils dansaient sous la puissance des soufflements. Ces quelques gouttes s'acharnèrent plus fortement pour former une pluie battante.
Prise d'un élan de folie, j'abaissai la poignée pour ouvrir la fenêtre doucement. Je ressentis alors l'air frais se frotter contre mon visage. Cette sensation, si intense et vivifiante, me rappela ces doux moments passés avec Milo lorsque l'air marin s'abattait sur nous.
Comme par magie, ce dernier galopait jusqu'aux écuries ce qui signifiait son retour au domaine. J'avais tant envie de le voir. Je fermai à la hâte la fenêtre et m'empressai de sortir pour le rejoindre.
Cachée derrière mon cheval, je l'aperçus descendre du sien. Il aurait pu donner les rênes à un valet pour qu'il s'en occupe, mais il n'en fit rien. Il accompagna son cheval jusqu'à son box et alla chercher des brosses et autres outils équestres.
Je m'avançai devant eux et observai la scène. Il brossait la crinière de l'équidé d'une main, caressait avec une autre le dos de l'animal. Il s'attaqua alors aux pieds de la belle bête qui paressait comblée par ces douces attentions.
Était-ce possible d'être jalouse d'un animal ?
Il lava les sabots remplis de terre et se redressa pour admirer son travail. C'est ainsi qu'il me remarqua, en se retournant pour déposer son matériel.
— Je ne vous pensais pas si tendre et délicat. Je crains avoir tellement de chose à découvrir sur vous, m'exprimai-je afin de cacher la gêne que je ressentais d'avoir été prise pour voyeurisme.
— Vous n'avez même pas idée, dit-il avec un sourire charmeur.
Souhaitez-vous rester en ma compagnie, même dans cet endroit sale dont la paille, la boue et les excréments risquent de tacher vos habits si soyeux? Je serais ravi de répondre à quelques questions.
Pour lui prouver mon intérêt, je me jetai sur la paille afin de m'allonger dessus. Je le vis hésiter quelques secondes avant de s'accroupir doucement et de s'étendre près de moi.
— Avant de procéder à cet interrogatoire, je pense que mes réponses méritent récompenses. Choisissez donc bien vos questions, dit-il pour me taquiner.
— Très bien.
Je le regardai dans les yeux et lui posai ma première question.
— Premièrement, quel est votre talent caché? m'exprimai-je en rigolant.
- Nous commençons doucement, c'est plaisant, j'accepte!
Je sais jouer du piano, plutôt bien d'ailleurs. Ma sœur en jouait la journée pour mon père et le soir elle m'apprenait des partitions.
— Je serais ravie de vous entendre jouer un jour. Il y a un piano dans la salle de séjour.
— J'ai bien peur d'être quelque peu rouillé, mais pour vos beaux yeux émeraudes, j'essayerai.
Malgré cela, pour le moment, j'attends la suite! s'exclama-t-il.
— Quelle est... votre plus grande peur ? l'interrogeai-je en souriant.
Il se calma et réfléchit quelques instants avant d'avouer.
— Hmm... et bien, je crains, comme tout le monde je pense, d'être abandonné par ceux que j'aime. Et....
J'ai peur de ne jamais trouver un sens à la vie. Pourquoi suis-je sur Terre ? Pourquoi d'autres sont partis plus tôt? Dieu en a voulu ainsi je le crains, mais pourquoi?
— Très bonne réponse, Milo. Je comprends tout à fait vos appréhensions. Mais je vais poursuivre mon questionnaire si vous me le permettez, m'exprimai-je en jouant avec mes sourcils et en lui adressant un regard malicieux pour ajouter du suspens à la suite.
Il me sourit, m'encourageant à continuer.
— Quelle est la seule chose dont vous ne vous ennuyez jamais? je le fixai et attendis qu'un son sorte de sa bouche.
— J'aurais premièrement dit ma petite sœur, Theresa. Je ne me lasse jamais de sa compagnie.
Cependant depuis votre rencontre, j'aurais plus tendance à dire que vous voir ne m'a jamais ennuyé et tout ce temps passé ensemble, ne m'a jamais gêné.
Il me regardait avec acuité pour soutenir et démontrer ses propos. Même si je ne le montrais pas, mon esprit était en fête, j'étais ravie. Curieuse d'en savoir plus sur lui, je continuai.
— Si vous pouviez vivre dans une autre époque, laquelle cela serait? m'exclamai-je sérieusement.
— Les questions s'endurcissent. J'aime cela.
Et bien, j'adorerais aller dans le passé pour découvrir les débuts de l'humanité et les progrès que l'Homme a réalisés. Je pourrais peut-être réécrire l'Histoire?
Cependant, le futur est assez attrayant également. J'aimerais savoir ce qui se passera d'ici un siècle ou deux. Est ce que l'Homme évoluera encore? Quelles nouveautés ferons-nous? La mentalité sera-t-elle la même? Y aura-t-il encore des rois?
Je choisirais peut être le futur pour répondre à toutes ces questions.
— Je trouve aussi que c'est un excellent choix. Dans votre périple vers un monde nouveau je serai votre partenaire de voyage, annonçai-je, ne pouvant retenir un rire théâtral.
Je souhaite savoir désormais quel souvenir d'enfance préférez-vous, Milo?
— Je me souviendrais toujours de la fois où je suis allé avec mes parents, mon grand frère et ma petite sœur, à Venise. J'avais à peine dix ans, Giuseppe en avait seize et Theresa en avait huit.
Cette ville était si raffinée. Les piliers fondamentaux qui berçaient les vénitiens étaient l'art, l'architecture et la littérature. Tout était si beau. La mer si fraîche, les maisons si colorées et les rues si étroites. Les commerçants proposaient tout un tas de marchandises venant d'Afrique, du Nouveau Continent et d'Asie. Un mélange culturel magnifique.
Que de beaux souvenirs !
C'était aussi le dernier voyage où nous fûmes cinq. Ma mère est morte deux mois plus tard de la tuberculose. Mon père ne s'en est jamais remis. Contrairement à lui, je ne me souviens que des meilleurs moments passés avec elle.
Il était perdu dans ses pensées et mémoires. Il s'ouvrait pleinement à moi et c'était très plaisant. Cela montrait qu'il avait confiance en moi.
— J'apprécie énormément votre honnêteté. Cette escapade dans cette magnifique ville devait être merveilleuse. Je suis désolée pour votre mère, la maladie l'a emportée vers le ciel. Elle serait fière de l'homme que vous êtes devenu, j'en suis sûre.
Je ne m'arrêtai pas pour autant et enchaînai avec une question que j'avais depuis longtemps en tête.
— Celle-ci est importante, selon moi.
À quoi pensez-vous que votre vie ressemblera dans dix ans ?
Il semblait réfléchir et passa une main dans ses cheveux pendant ce temps. Il regarda son cheval. Ensuite il se tourna vers moi, sa tête sur la paille avec ses mains pour la soutenir, près de la mienne.
— Je me vois avec un garçon, il aurait cinq ans. Je vivrais à Vérone, dans ma ville natale. J'aurais fait agrandir mon château, pour accueillir ma femme et ma petite fille qui se cache dans son ventre. Nous adopterions un chien. Un Golden Retriever que nous nommerions Dolce. Je serais riche de mes terres. Je défendrais ma patrie et mes frères en temps de guerre car de nos jours, rien n'est plus sûr.
Je sais que je serais heureux car j'épouserais une femme que j'aime dont je retrouverais les yeux verts dans ceux de mes enfants. Le bonheur de ma famille passera avant tout le reste.
Il prit ma main droite et enlaça nos doigts. Il ramena ma main liée à la sienne sur son torse.
— Cela me semble formidable comme vie. Je désire déjà connaître vos futurs enfants, prononçai-je en souriant.
Et maintenant, si je vous disais que vous pouvez revenir à n'importe quel moment de votre vie, non pour le changer mais simplement pour en profiter une seconde fois. Quel serait cet instant?
La curiosité m'empara alors pleinement. J'étais avide de découvrir ses pensées. Il s'exprima directement et distinctement.
— Sans aucune hésitation, la nuit que nous avons passée sur la plage, me révéla-t-il.
Surprise, je lui souris et fis pivoter tout mon corps face à lui. Il fit de même. Nous étions si proches. La tentation de goûter de nouveau à ses douces lèvres charnues était immense. Mais je n'oubliai pas ma dernière question.
— C'est ma dernière question, je vous le promets.
Quelle est la chose la plus spontanée que vous ayez faite Milo?
Il s'approcha doucement de moi. Il posa délicatement ses lèvres sur ma joue puis murmura à mon oreille.
— Vous dire que je vous aime comme un fou.
J'étais désormais enivrée par ce sentiment d'exaltation. Tous mes sens étaient décuplés pour se concentrer sur un seul être.
— Je vous aime aussi Milo di Verona.
Lorsque le soleil se lèvera notre distance sera digne de celle qui nous sépare du Nouveau continent. Mais quand les étoiles apparaîtront, nous serons plus proches que deux aimants.
Acceptez-vous de jouer cette tragédie avec moi et de devenir l'acteur principal? m'exclamai-je en rigolant.
— Mille fois oui Katerina, me répondît-il hilare.
Il me prit alors dans ses bras et la chaleur de son corps m'apaisa. Puis il chuchota tendrement :
— Rentrons afin d'éviter tous soupçons. Mais je souhaite avoir ma récompense prochainement, dit-il en me faisant un clin d'œil.
Je le suivis et nous rejoignîmes chacun notre tour le château. Il alla en premier chercher mon époux pour lui raconter sa partie de chasse avec les voisins. Je rentrai une vingtaine de minutes plus tard et ne m'attardai pas dans la salle de séjour. Je grimpai les marches à toute allure et me précipitai dans ma chambre pour m'installer à mon bureau.
J'écrivis à Giulia qui ne m'avait pas envoyée de lettre depuis déjà deux jours. J'étais inquiète. Que se passait-il de son côté ? Était-elle réellement passée à l'acte comme je le craignais? Je n'espérais pas car elle risquait de finir sa vie en prison ou bien pendue. J'attendis, avant de descendre pour aller dîner, l'arrivée d'Agata pour tout lui raconter et lui demander des conseils avisés.
À partir du moment où je descendis pour manger, Danielo me colla jusqu'à la fin de la soirée. Il tenait mes mains; me servait à boire; découpait ma viande comme si j'en étais incapable; passait ses mains le long de mes hanches. Lorsque nous étions assis sur le canapé à côté, il posait sa main sur ma cuisse. Je fis comme si de rien était.
Je ne lançai pas un seul regard à Milo. Même si c'était très dur et tentant. Danielo me glissa même quelques mots en reproche car j'étais soi-disant trop froide avec son invité. S'il savait!
Avant de se séparer, il proposa de continuer la soirée dans ses appartements. Je refusai poliment, prétextant que ce n'était pas la bonne période du mois pour répondre à son besoin.
Je fermai alors ma porte de chambre presque essoufflée. J'avais fui très rapidement pour éviter toute suite à cette histoire. J'espérai secrètement que ses ardeurs se calmeraient avec le nombre de refus que j'inventerai. Je me couchai rapidement et avant de m'endormir profondément, je pensai :
« Pitié, bon Dieu, faites qu'il m'ignore comme avant.»
2055. Lerici, Maison de Katerina.
« C'était une journée forte en rebondissements. Mais nos échanges avec Milo étaient fabuleux. C'était la première fois que je pensais sincèrement ce que j'avais dit.
Danielo commença sa pression sur moi à cette période là environ. C'était terrible, ma fille.
La situation avec Giulia m'inquiétait fortement également. J'étais habituée à ma lettre quotidienne. Et d'ailleurs, c'est à ce moment que tout se dégrada pour elle.
C'est pour cette raison que pour la première et dernière fois, sa lettre fut adressée à mon mari, et non à moi.»
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