Chapitre II

1819. Lerici, domaine de Katerina et Danielo.

Sacha se jeta sur ma jambe droite, comme pour me sortir de ma transe, faisant ainsi envoler mes pensées dans un coin de mon esprit. Je baissai alors mes yeux sur lui et souris. Son pelage noir était d'autant plus foncé à cause des gouttes de pluie qui avaient inondé l'herbe du jardin. Il lâcha la branche à ses pattes et se colla à ma robe qui devint mouillée. Je ressentis alors une vague de frissons me parcourir sous l'effet du froid sur mes jambes. Avec des mouvements brusques, il balança ses poils et secoua son corps robuste afin de se sécher.

L'homme qui se tenait juste devant fut autant arrosé que moi par l'ébrouement de mon chien. Je me penchai vers ce dernier pour le caresser et m'arrêtai ensuite quelques secondes pour observer cet étranger rire de la situation. Son rire était contagieux et si beau. Il vit que je le fixais et soutînt alors mon regard. Il s'avança pour m'aider à me relever et tendit son bras. J'attrapai le bas de ma robe d'un côté, puis, je m'agrippai à sa douce main. Un frisson parcourut alors mon avant-bras jusqu'à ma poitrine au contact de ses doigts sur ma peau humide.

Je me dégageai rapidement, surprise par les effets que je ressentais. Je me demandais alors si ce sentiment était dû au fait qu'aucun homme ne m'avait touchée depuis environ un an, ou si c'était parce que c'était justement cet inconnu qui avait eu ce tendre geste. Je cherchais une excuse plausible qui expliquerait mon comportement : en réfléchissant, il avait plu fortement, l'air était sec et froid, sa main était très chaude, le résultat aboutit à un cocktail explosif qui pouvait heurter la surface de mon corps...

Malheureusement, je crois que c'est à ce moment-là, à travers le lot d'émotions que je ressentais, que je compris que cet homme allait changer quelque chose en moi. Cette rencontre n'était pas anodine et je sentais bien que j'étais irrésistiblement attirée par lui, malgré les pensées restrictives et les questionnements qui affluaient déjà dans mon esprit.

Je me souvins soudainement que nous ne nous étions pas présentés. Pendant ces longues minutes à nous fixer, j'avais été incapable d'engager la conversation. Ce qu'il avait vu rapidement puisqu'il s'avança ensuite doucement et reprit ma main gauche du bout de mes doigts pour y déposer un délicat baiser.

— Mon nom est Milo di Verona.
Je suppose que vous êtes la magnifique épouse de Danielo, dit-il avec un sourire charmeur.

— Vous supposez bien, répliquai-je en essayant de garder mon calme et de rester assez neutre.

Di Verona, a-t-il dit ? Alors il ne vient pas de Lerici ? Surprenant ! pensai-je.

— Mais dîtes moi, qu'est ce qui vous a fait quitter Vérone pour venir à Lerici ?

— Et bien, je ne savais pas encore réellement avant de croiser vos doux yeux verts. Maintenant, je sais clairement que ma place est ici.

Le caractère de cet homme se dévoilait donc de plus en plus et je me moquais déjà de son côté flatteur et taquin qui ne m'atteignait pas encore.

— Cessez vos belles paroles, vous êtes venu voir mon époux, n'est-ce pas ?

— On ne peut donc rien vous cacher, s'exclama-t-il en rigolant.
Votre époux est un très bon ami, je viens passer quelques temps ici, puis je reprendrai mes occupations personnelles. J'espère que vous ne voyez pas ma présence comme une intrusion, je ne veux en aucun cas vous importuner.

Nous commençâmes à marcher vers le château suivis de près par mon canidé.

— Votre présence est une bénédiction, vous pourrez ainsi divertir mon mari dans ses travaux car j'ai l'impression qu'il fatigue en ce moment. Il est beaucoup trop occupé par ses patients, sa santé mentale se fragilise.

— Je connais bien ce sentiment. Je travaillais avec votre époux il y a environ deux ans, mon père et son oncle sont de très bons amis. Votre mari est un excellent médecin, vous savez, bien meilleur que moi et certainement le meilleur que je connaisse. Épargnez-moi ce regard surpris, cela ne me coûte pas de le dire, ma fierté dépend de la valeur des sentiments que j'entretiens.

— Cela me surprend juste, je ne vous pensais pas médecin. Et, je ne vous imaginais pas si modeste, dis-je en rigolant.

— Quelle méprisante femme vous faites, vous deviez penser que j'étais un simple dandy ignorant et arrogant ? Vous me flattez par tant de présomptions frivoles et amusantes qui sont malheureusement biens loins de la réalité. Mais je dois avouer néanmoins, qu'en étant un simple rentier, ma vie serait plus simple...

Milo avait une aisance orale surprenante et son visage était toujours très expressif, il montrait clairement ses émotions avec une touche d'humour et de spontanéité. Il me parlait si naturellement et franchement. C'était comme si nous nous connaissions depuis des années...

— J'avais plutôt pensé à éleveur de chiens, étant donné le fait que Sacha ne vous lâche plus depuis votre arrivée. Et je dois vous dire que c'est extrêmement rare, ce chien est très attaché à sa maîtresse habituellement.

Je feignais une moue attristée pour accompagner mes propos, ce qui le fit rire.

— Ah ah! Eh bien, vous devriez certainement vous en inquiéter, étant donné le fait que je reste ici pendant un certain temps. Il ne faudrait pas qu'il se détache de vous pour moi. Cela rendrait tout le monde très triste ici, je vous l'accorde.

— Oh vous savez Milo, permettez moi de vous appeler ainsi, l'ambiance générale n'est plus très gaie depuis quelques temps déjà à cause de l'humeur de Danielo. Mais vous apporterez peut-être un peu de joie, m'exprimai-je en souriant.

En se tournant face à moi, il me regarda longuement avant de répliquer ces quelques mots :

— Je serais ravi de pouvoir ranimer le feu ardent de la vie dans ce château, si tel est votre désir.

Ces paroles avaient comme un double sens, on aurait dit qu'il me courtisait. Il avait osé dire cela. Prise au dépourvu, je poussai la porte d'entrée d'un geste rapide et m'avançai dans le salon. Une fois dans un endroit où je me sentis à l'aise, je me retournais doucement face à cet homme qui ne comprenait pas mon empressement soudain. Tout était allé trop vite. Une simple conversation  avec Milo avait amélioré la vision déjà positive que je m'étais faite de lui. Découvrir sa personnalité était devenu bien plus important et intéressant que son physique attrayant. Cela était insensé : il avait beau être très charmant, ce qui m'attirait le plus, était ce que je ne pouvais pas voir avec mes yeux.

Derrière lui se trouvait Agata mais je sentis qu'il attendait de moi une réponse ou bien une invitation pour passer du temps ensemble. Ne sachant que faire n'étant pas habituée à une nouvelle présence dans ce château et en voulant refouler l'envie trop soudaine de le découvrir, je pris la parole et observai sa réaction.

— Agata va vous emmener jusqu'à vos appartements. Le souper a lieu à vingt heures et mon mari se trouve dans son cabinet. Il ne le quitte jamais, alors il est facile à trouver. Cette gentille dame vous y conduira.

Je sentis une pointe de déception perler sur son visage, comme s'il avait voulu que je l'accompagne ; comme si l'envie que j'avais refoulée était similaire à la sienne. Mais il se reprit et se retira sans un mot en voyant ma domestique quitter la pièce.

Je rejoignis alors ma chambre et commençai à écrire à ma chère sœur, Giulia. Je lui racontais l'arrivée de cet homme dans les détails. Je lui décrivais ainsi mes émotions face à la nouveauté qui touchait le domaine.

Giulia a toujours compris la peine qui m'avait frappée après ce terrible mariage. Elle souhaitait tout comme moi se délivrer du sien. Mariée à un homme plus vieux de trente ans, elle ne supportait plus sa compagnie. Parfois, nos échanges épistolaires ne parlaient que d'un monde où nous serions libres d'aimer sincèrement qui nous voulions. Cette utopie était toujours de courte durée, mais elle nous procurait d'immenses joies. 

***

— Madame n'est pas au château, monsieur Milo. Katerina est partie il y a un bon bout de temps déjà, cria Agata à travers la porte.

Une fois qu'elle entendit des pas s'éloigner de la porte, elle se retourna vers moi.

— Madame, ce cher Milo, tient véritablement à votre amitié. Qu'est-ce qui vous retient au point de vous cacher constamment ? Vous avez passé les trois premiers jours de la semaine collée à lui et à rire, qu'est-ce qui a bien pu changé ?

— Je ne sais pas comment l'expliquer Agata, s'il vous plaît ne me forcez pas à exprimer ce que je ne comprends pas moi-même... Veuillez m'excuser, je souhaiterais rester un peu seule pour penser.

— Appelez en cas de besoin, Madame. Je m'en vais préparer le dîner de ce soir. Essayez de vous reposer quelque peu...

Il était vrai, tout le reste de la semaine, je m'étais éloignée de cet ami de famille qui commençait à occuper tout mon esprit et à être source de nombreux questionnements intérieurs. Pendant trois jours, je n'ai passé mes journées qu'avec lui, à rire, à découvrir de nouvelles choses constamment, à danser, à lire et simplement discuter. Je m'attachais trop rapidement à sa présence et notre complicité devenant de plus en plus forte, je souhaitais prendre du recul face à la situation. Pouvais-je contrôler cette dernière tout en ne sachant pas ce qui se passait ?

Mais dès que j'ai pris la décision de m'écarter, tout fut encore plus frustrant, et ce malgré moi. Il était perdu face à mon comportement et il cherchait des réponses à ses questions en m'interrogeant constamment avec des mots ou des regards. Lors des déjeuners notamment, il me regardait avec intensité. Ce fut le cas hier soir où, à table, Milo était assis en face de moi avec Danielo à sa droite. Ne pouvant soutenir son profond regard, étant gênée des circonstances et de ce que je pouvais penser de lui, je rabattais toujours le mien sur mon mari pour me ramener à la réalité.

Celui-ci, était par ailleurs très heureux de la visite de son ami et fut plus courtois en général. Il sortait davantage avec Milo et j'avais pris le temps, de nombreuses fois cette semaine, d'observer de la fenêtre de ma chambre, les deux hommes s'amuser dans les jardins. Cependant, son attitude envers moi ne changeait guère, il était toujours aussi froid et distant. La situation ne me rendait pas malheureuse pour autant, cela ne m'importait plus depuis longtemps déjà.

Une fois seule dans ma chambre, prête à écrire à Giulia, je laissais libre court à mes pensées le temps d'un instant afin de me rendre compte des journées qui étaient passées. Je réfléchissais sans cesse par peur de la suite. Milo avait attendu chaque jour pendant des heures devant mes appartements pour me proposer des balades, sous l'œil étonné de mon mari qui ne voyait que de la frivolité et un manque d'intérêt dans ses demandes, demandes que bien sûr je refusais. Passer plus de temps avec lui aurait bouleversé tout un quotidien bien ennuyeux et je n'étais pas sûre d'être prête. Je savais très bien que j'allais m'attacher et que je me voilerais la face si j'essayais de me convaincre que cela n'arriverait pas. Mais plus je refusais ses propositions plus il insistait. Sa détermination était sans limite et son désir d'apprendre à me connaître semblait plus fort que tout.

Je savais cependant que j'allais finir par ne plus résister à ses initiatives, mais la question que je me posais intérieurement était "Quand ?".

2055. Maison de Katerina.

« Tu vois, Anna, je me demande ce qu'il aurait pu advenir si j'avais passé le reste de la journée, puis le reste de la semaine et enfin du mois, avec Milo. Je pense que tu n'es pas ignorante sur le fait que les connections instantanées entre deux êtres sont très rares et précieuses dans une vie. Celle-ci fut ma toute première et je m'interroge quant à mon comportement.

Aurais-je du agir différemment ? Était-ce mon attitude qui était peut-être trop distante? Pourtant ce n'était que le début... Mais combien de temps ai-je perdu? Trop à mon goût.

La vie est si courte tu sais. »

~~~

alexia

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top