partie v

Joshua n'avait rien d'un amant délicat. Il n'était que force et passion, aussi dévastateur que les feux qu'il allumait chaque nuit pour se débarrasser des vampires qu'il avait éliminés.

Holly ne l'avait pas oublié, mais il semblerait que son corps n'avait plus l'habitude.

Il n'y avait que Joshua pour repousser constamment ses limites.

L'aube trouva les deux amants allongés sur le lit qu'ils avaient profané. Holly reprenait son souffle, les yeux à moitié fermés, savourant la chaleur qui se dégageait de Joshua, pressé contre elle. Il ne l'avait pas jetée du lit, et il ne s'était pas enfui dès qu'il en avait eu fini avec elle.

Les miracles existaient.

Holly ne put s'empêcher de poser la main sur la plaie presque refermée qu'elle lui avait infligée lors de leurs retrouvailles, traçant du bout des doigts la coupure que sa lame d'argent avait laissée derrière elle. Il avait eu raison : ce n'était vraiment qu'une égratignure, le genre de blessure qu'un chasseur de son acabit ignorait sans difficulté.

Alors pourquoi un frisson secoua Joshua ?

Holly refusa d'y penser. À la place, elle ne cessait de songer à ce qu'il lui restait à faire. Ces heures passées avec Joshua avaient été agréables, mais elles n'avaient été qu'une distraction. Un moyen d'assurer à Holly qu'elle ne perdrait pas la minuscule longueur d'avance qu'elle s'était octroyée.

Dommage que Joshua choisît ce moment pour lui couper l'herbe sous le pied.

— Je sais pourquoi tu es venue te cacher à Pittsburgh, murmura-t-il.

— Vraiment ?

— Mmh. Comment va l'abomination ? Simon, n'est-ce pas ? Trouver son nom n'a pas été compliqué. Je n'ai eu qu'à demander au commanditaire la dernière mission qui t'avait été confiée. Les journaux locaux ont fait le reste du travail.

La main de Holly se figea sur le torse de Joshua.

— Je t'interdis de parler de lui, répondit-elle.

— Tu t'y es attachée.

Holly pouvait entendre la surprise dans la voix de Joshua, ce qui lui arracha un reniflement. Elle se redressa sur un coude pour se pencher sur le chasseur.

— C'est ce qui arrive aux gens ordinaires, tu sais. Ils s'attachent aux personnes qui sont bonnes pour eux.

— Parce que tu crois vraiment qu'une abomination est une personne ?

— Ce n'est pas une abomination, aboya-t-elle. C'est un adolescent tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Il ne s'est pas transformé !

— Tu n'avais aucun moyen de le savoir au moment où tu as décidé de l'épargner.

Joshua n'ajouta rien, mais il n'avait pas besoin de mots pour exprimer son désaccord. Holly parvenait à le lire dans la façon dont ses lèvres étaient pincées, dans l'éclat dur de ses yeux.

Il y a quelques années, Holly aurait été abattue d'avoir déçue Joshua.

Mais plus aujourd'hui. Elle ressentait une trop grande satisfaction à l'idée d'avoir prouvé à Joshua qu'elle était autre chose que son apprentie. 

— Peut-être, mais c'est un choix que j'ai pris en toute conscience, et que j'assume, répondit Holly. Rien de ce que tu pourras dire ne me fera changer d'avis.

— Je n'avais aucune intention d'essayer.

Joshua ne tenta pas de retenir Holly quand elle se leva pour enfiler les vêtements qu'il lui avait retirés, quelques heures plus tôt. La jeune femme sentait le poids de son regard sur son dos, comme un rappel permanent de sa présence.

— Pourquoi attendre huit mois ? demanda-t-elle. Tu aurais pu me retrouver bien plus tôt.

— J'ai mis quelques semaines à remarquer ta disparition. Ton refus constant de participer aux activités de la communauté y est pour quelque chose.

— J'aurais peut-être eu plus envie de traîner avec tes amis s'ils cessaient de me considérer uniquement comme un coup facile.

— Ce ne sont pas mes amis.

Et je ne suis pas un coup facile. Holly garda ces mots pour elle, de peur que Joshua la contredise.

— Ensuite, il a fallu que je rende visite à plusieurs commanditaires pour retrouver ta trace.

Holly n'avait jamais été aussi heureuse d'avoir choisi un mode de vie nomade, sans aucune attache à l'exception de la cabane de Joshua. Elle avait passé l'année suivant son départ de chez son mentor à voyager de ville en ville pour proposer ses services à la communauté, et ça avait visiblement joué en sa faveur.

— Mais tu as fini par le retrouver.

— Oui. Il m'a parlé de Lancaster, de la façon dont plusieurs chasseurs étaient déjà morts sur le coup. Il était persuadé que tu avais subi le même sort après avoir détruit le nid.

— Mais j'ai survécu.

— Je n'en ai jamais douté. Mais te mettre la main dessus n'a pas été chose facile.

— Pourtant, tu as réussi.

— Tu as bien brouillé tes traces, reconnut Joshua. Aucun chasseur n'aurait pu te retrouver. Mais tu as oublié un détail important.

— Qui est ?

Le sourire qui étira le visage de Joshua n'avait rien d'amical. Un frisson glacé courut le long du dos de Holly.

— Je te connais mieux que quiconque, Holly. C'est moi qui t'aie faite, qui t'aie permise de devenir la chasseuse que tu es aujourd'hui. Il n'y a aucune partie de toi que j'ignore.

Le premier instinct de Holly fut de hurler. Joshua n'avait aucun droit de dire ce genre de chose. Il n'avait pas été son premier mentor ; l'honneur revenait à Elijah. C'était lui qui avait formé Holly, qui lui avait insufflé ses valeurs, sa morale, qui lui avait permis de survivre dans un monde violent et sanguinaire au possible.

Mais y crois-tu vraiment ?

Non. Holly n'avait rien de l'héritière parfaite d'Elijah. Le titre appartenait à Joane. Holly avait bien trop souvent craché à la figure des valeurs d'Elijah pour oser affirmer qu'elle vivait selon son code d'honneur.

Malgré elle, elle était devenue exactement ce que Joshua avait désiré qu'elle soit.

C'était probablement sa plus grosse défaite.

— Et pourtant, Simon et moi sommes encore en vie, remarqua-t-elle d'un ton neutre.

— Tu as été maline.

— Plus que toi.

Joshua hocha la tête, comme pour lui accorder un point.

— La communauté est en colère, continua-t-il. Ils estiment que tu les as trahis.

— Ils ont raison.

— Ils demandent ta mort, et celle de l'abomination.

Holly chercha le regard de Joshua.

— Pourquoi n'es-tu pas passé à l'acte ?

— Parce que la situation n'est pas aussi simple que tu le crois, soupira Joshua en se levant.

Il se rhabilla, et Holly dut contenir son impatience. Elle avait envie de le secouer pour qu'il lui avoue tout, tout de suite. La frustration faisait trembler ses doigts.

— Alors explique-moi. Je suis tout ouïe.

Joshua alla s'accouder à la kitchenette.

— Ils ne souhaitent pas simplement te savoir morte, ils désirent une preuve.

Le sang de Holly se glaça dans ses veines. Malgré elle, elle ne put s'empêcher de penser aux crocs accrochés dans tous les recoins du Martha's Rest.

— Ils veulent un trophée, murmura-t-elle.

Joshua hocha la tête, et Holly inspira profondément pour tenter de chasser l'horreur que l'idée lui inspirait.

— C'est inhumain.

— Les chasseurs sont connus pour cela.

— Alors, que comptes-tu leur apporter ? Ma tête ? Ce serait peu original. Un doigt, peut-être ?

— Parce que tu penses vraiment que je compte me plier à leurs exigences ?

Oui. Parce que la loyauté de Joshua appartenait à la communauté, et pas à Holly.

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Joshua eut une grimace dégoûtée.

— Je suis un chasseur de vampire. Je ne rechigne pas à l'idée de la violence, mais je n'ai aucun désir de tuer de sang-froid un autre chasseur innocent, et encore moins de mutiler son corps.

— Oh, donc je suis innocente ?

— Tu as trahi la communauté, c'est un fait. Mais tu ne l'as pas mise en danger. La sanction est... démesurée.

— S'il n'y avait que la sanction...

— D'autres ne pensent pas comme moi.

— Tu veux parler de tes complices ?

Joshua opina.

— Je ne les ai pas choisis, ils se sont portés volontaires. Ils avaient l'air excités à l'idée de traquer une proie différente. Je pense qu'ils se lassent un peu des vampires.

Un silence s'installa tandis que Holly prenait la mesure des paroles de Joshua.

Pour la première fois depuis son arrivée, elle eut réellement peur pour sa vie. Il n'était plus question uniquement de la sécurité de Simon, mais également de la sienne.

Et elle n'avait personne sur qui compter pour la protéger.

Joshua n'était pas une possibilité. Ce n'était pas parce qu'il refusait de la tuer qu'il lèverait le petit doigt pour empêcher ses collègues de passer à l'acte.

— Où sont-ils ?

— Dans leur planque, quelque part en ville. Ils cherchent encore des traces de Simon, mais ils sont prêts à jeter l'éponge pour se concentrer sur leur deuxième cible.

— Moi, donc. Comment vont-ils réagir quand ils découvriront que tu ne m'as pas tuée quand tu en avais l'occasion ? Que tu as bandé mes plaies ? Que tu as passé la nuit avec moi ?

Ça n'allait pas leur plaire. Les chasseurs verraient aussitôt en Joshua un traître, et Holly doutait que sa réputation suffise à lui sauver la mise.

Elle se rappelait la façon dont les chasseurs avaient traité Elijah. Le respect leur était inconnu.

— Ils n'ont pas besoin de l'apprendre.

— Que comptes-tu faire ?

— Moi ? Rien. Ce n'est pas mon combat, ça ne l'a jamais été. Toi, en revanche...

Joshua s'approcha de Holly. La jeune femme se tendit, l'adrénaline commençant à traverser ses veines. Elle se força à rester immobile quand il saisit son menton pour lui relever le menton.

— Tu n'as pas le choix. C'est toi, ou eux.

— Je ne suis pas une meurtrière, souffla Holly.

— Mais tu es prête à le devenir. 

Holly ne le contredit pas.

Cela aurait été un mensonge.

*

— Nous sommes des chasseurs de vampire, mais nous ne sommes pas des meurtriers. Nous éliminons des monstres, mais nous ne tuons pas les hommes.

Voilà l'une des premières choses que Elijah avait inculquée à Holly. Il avait été fondamental pour lui que l'adolescente comprenne exactement la différence. Il était trop facile pour les chasseurs de basculer du mauvais côté de la balance s'ils n'étaient pas assez vigilants.

— Certains hommes sont plus monstrueux que les vampires, avait fait remarquer Holly.

Elle n'avait alors peut-être que quinze ans, mais elle n'était pas naïve.

— Mais notre mission n'est pas de juger la cruauté des hommes, avait répondu Elijah. C'est le rôle de la police, de la justice, et de Dieu pour ceux qui y croient. Nous ne sommes rien d'autre qu'une arme, au service d'un combat qui existe depuis des millénaires. Il faut que les choses restent ainsi.

— Que se passe-t-il quand un chasseur décide de s'en prendre aux hommes plutôt qu'aux vampires ?

Elijah avait alors hésité à lui répondre, avant de céder avec un soupir.

— Rien, Holly.

— Rien ? Vous laissez des meurtriers en liberté ?

— Je te l'ai dit. Nous ne tuons pas les hommes.

*

Les deux chasseurs qui accompagnaient Joshua allaient retourner à l'appartement de Simon à la nuit tombée.

Ce n'était pas une simple prédiction de Holly, mais plutôt l'exécution d'un plan sommaire concocté pendant que Joshua était sous la douche. Il lui avait proposé de l'accompagner, mais elle avait décliné, prétextant qu'elle était trop fatiguée pour bouger.

Il n'avait pas insisté.

Elle avait profité du fait que son mentor était enfermé dans la salle de bains pour s'emparer de son téléphone, laissé à l'abandon sur la table.

Holly savait que ce n'était pas un hasard. Elle savait également qu'elle dansait à la perfection la chorégraphie que Joshua avait orchestrée. Mais elle n'avait pas le choix.

Appeler les chasseurs aurait été impossible pour des raisons évidentes, alors elle se contenta d'un message adressé au numéro inconnu qui avait appelé Joshua deux fois la nuit dernière.

Position compromise, rejoignez-moi à l'appartement à la nuit tombée, dernière chance avant de quitter la ville. Ne me contactez plus sur ce téléphone.

Elle avait ensuite supprimé la conversation et bloqué le numéro.

Quand Joshua était sorti de la douche, Holly était déjà partie.

Elle passa les heures qui s'écoulèrent entre son départ du motel et le coucher du soleil plongée dans ses pensées, tiraillée par un dilemme moral auquel elle ne trouvait pas de solution satisfaisante.

Tuer ou ne pas tuer ?

Les chasseurs n'hésiteraient pas, eux.

Peut-être que Holly devrait en faire de même. Après tout, il ne s'agissait pas de tuer pour le plaisir, mais pour sa sécurité. Ces hommes ne s'arrêteraient pas tant qu'ils n'auraient pas la satisfaction de la savoir morte. Et avec Joshua à leurs côtés, il n'y avait aucun endroit sur Terre où Holly pourrait se cacher sans qu'ils ne la débusquent, tôt ou tard.

Pourtant, Holly hésitait. Elle avait quitté la communauté car elle ne supportait plus le manque de morale et d'humanité, et la voilà confrontée de nouveau à ce qu'elle avait mis tant d'efforts à fuir.

Holly n'était pas une meurtrière. Comme elle l'avait dit à Simon, elle ne prétendait pas être une bonne personne. Elle avait du sang sur les mains, comme tous les chasseurs. Elle avait fait des choses dont elle n'était pas fière. Elle avait été responsable de plus de malheur que de bonheur.

Puis il y avait eu Simon.

Malgré elle, Holly le considérait comme le petit frère qu'elle n'avait jamais eu. Elle ne voulait que son bien. Tout ce qu'elle désirait, c'était qu'il puisse mener une vie tranquille, à l'abri des chasseurs et des vampires qui avaient déjà essayé de le briser.

Rien que de penser à la terreur qui habitait Simon depuis quelques jours était suffisant pour faire enfler la colère en Holly, un sentiment assez puissant pour lui permettre d'ignorer les doutes et les appréhensions.

Simon ne méritait pas de vivre dans la peur.

Et si Holly devait sacrifier ce qui lui restait d'innocence pour s'assurer qu'il soit épargné, elle le ferait.

Sans hésiter.

*

Holly avait perdu sa lame.

Perdu, ou Joshua la lui avait confisquée. Elle ne l'avait pas retrouvée dans la chambre de motel, et elle n'avait pas eu le temps de fouiller sa voiture.

Tant pis. Les chasseurs étaient des humains, et non des vampires. Peu importait l'alliage, tant que la lame était assez aiguisée.

Et il restait à Holly son arme à feu, qu'elle avait laissée chez elle.

Que s'apprêtait-elle à faire ?

*

Peu avant que le soleil ne se couche, Holly appela Simon.

L'icône de sa batterie se mit à clignoter tandis qu'elle composait le numéro de l'adolescent, comme pour lui rappeler que les minutes lui étaient comptées.

Simon décrocha à la deuxième sonnerie.

— Holly ?

La jeune femme ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Le silence fit paniquer Simon.

— Holly, tu m'entends ?

— Oui, je suis là.

Holly sentit le soulagement dans le soupir que Simon poussa.

— Oh, mon Dieu, je croyais que c'était quelqu'un d'autre qui m'appelait. Tout va bien ?

— Oui. Et toi ?

Holly ne mentionna pas les plaies qui n'avaient pas fini de cicatriser sur son cou, ni la fatigue, ni les tremblements qui agitaient ses membres à intervalle constant.

Tout cela n'était qu'anecdotique.

— Ça pourrait mieux aller. Ma famille est inquiète, et la police est un peu perdue. Elle ne sait pas quoi faire ni par où commencer à chercher.

— Tant mieux pour nous.

— C'est ce que je me dis, mais...

— Pas de mais, l'interrompit Holly. Il vaut mieux que personne d'autre que des chasseurs ne mettent le nez dans nos affaires.

— Je sais, soupira Simon. Mais parfois... Parfois, j'aimerais que quelqu'un puisse nous aider, tu comprends ? Quelqu'un qui n'est pas un chasseur.

Fut un temps où Holly avait désiré la même chose. Elle avait passé de longues heures à imaginer être sauvée par la police, par l'armée, par n'importe laquelle de ces institutions qui représentaient l'ordre. Elijah avait rapidement tué dans l'œuf ses espoirs.

— Le gouvernement est au courant des monstres qui rôdent la nuit.

— Et il ne fait rien ?

— Disons qu'il a compris qu'il existait un système, là-dehors, qui s'occupait très bien du problème tout seul.

Les chasseurs aimaient penser qu'ils étaient le seul rempart entre l'humanité et les monstres qui désiraient se nourrir d'elle. Une personne ordinaire aurait trouvé un certain honneur dans la mission. Il y avait quelque chose d'héroïque dans le concept.

Dommage que les chasseurs crachaient à la figure de ces concepts. Aucun d'eux n'était dans la profession par plaisir. Ils s'étaient tous trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, avant d'être entraînés le long d'une pente infernale qui les avaient tous dépouillé de ce qui les avait rendus humains.

Commence l'apprentissage, deviens chasseur, puis tu pourras prendre ta vengeance contre le monde qui t'a tant blessé.

N'était-ce pas ce qui avait motivé Holly ? Elle n'était guère différente des autres.

Elle cligna des paupières et se concentra à nouveau sur le moment présent, sur Simon qui devait se demander pourquoi elle mettait tant de temps à lui répondre.

— Holly, tu es toujours là ?

— Oui, pardon. Je suis un peu distraite.

— Où es-tu ?

Holly regarda autour d'elle. Elle était dans un petit café, semblable à celui pour lequel elle avait travaillé ces derniers mois. Elle s'était dit que c'était un endroit comme un autre pour attendre le moment fatidique.

— En sécurité. Pour l'instant.

— Comment ça ?

L'écran de Holly vibra contre son oreille.

— Écoute, Simon, je ne vais pas pouvoir rester longtemps au téléphone, je n'ai presque plus de batterie. Je voulais juste m'assurer que tu ailles bien, et te faire une dernière promesse.

— Holly, mais de quoi parles-tu ?

Holly inspira profondément. Pourquoi les mots étaient-ils si durs à prononcer ? Elle les avait pourtant répétés, avait déjà eu cette conversation cent fois, mille fois dans sa tête.

— Je vais m'occuper de tout, Simon.

— Tu me fais peur, là.

Holly repoussa la vague de panique qui l'envahit à ces mots. Non, ce n'était pas juste. Simon n'était pas censé avoir peur d'elle.

— Ne t'inquiète pas ! Tout va bien se passer, OK ?

— Je ne comprends rien...

— Tu n'as pas besoin de comprendre, tu as juste à me faire confiance. Me fais-tu confiance ?

Une pause, puis un aveu :

— Oui.

Holly ferma brièvement les yeux, savourant ce mot.

— Que vas-tu faire ? poursuivit Simon.

— Ce que j'aurais déjà dû faire il y a quelques jours.

— Pourquoi ai-je l'impression que ça va être une grosse bêtise ?

— C'est ton instinct qui te dit ça ?

— Oui. Il me souffle que quelque chose de terrible se trame.

— Tu te rappelles ce que je t'ai dit à propos de ton instinct ?

— Que je devais toujours l'écouter. Qu'il ne me tromperait jamais.

Holly s'autorisa à sourire.

— C'est pour toi que je fais ça, Simon. Ne l'oublie jamais, OK ? J'ai tenu ma promesse.

— Holly !

La jeune femme n'eut pas l'occasion d'entendre les protestations de Simon, car son téléphone choisit ce moment précis pour s'éteindre.

C'est pour toi que je fais ça.

Pourquoi Holly avait-elle l'impression de se mentir à elle-même ?

*

Auparavant, Holly associait le coucher du soleil avec le début de quelque chose.

Le début de son enfer personnel, le début de sa nouvelle vie, le début de la chasse.

Désormais, il marquait la fin d'une ère.

L'appartement de Simon était vide quand elle s'y rendit. La porte avait été nettoyée et marquée d'un ruban de police. Elle n'avait même pas eu besoin de forcer la serrure ; Simon lui avait confié un double des clés.

Holly attendait l'arrivée des chasseurs dans la cuisine. Elle se trouvait dans un angle mort depuis l'entrée, ce qui lui accorderait un certain avantage.

L'arme à feu chargée dont elle avait retiré la sécurité en était un second.

Rien ne l'assurait que les chasseurs viendraient. Ils avaient pu flairer le piège et décider de ne pas mordre à l'hameçon. Joshua pouvait les avoir prévenus, même si Holly n'y croyait guère.

Tout était possible, et cet état d'indécision la rongeait de l'intérieur.

Le tremblement qui l'avait envahie à la sortir du motel ne la quittait plus. Elle ne pouvait s'empêcher de frissonner, victime d'un haut-le-cœur, à la pensée de ce qu'elle s'apprêtait à accomplir.

Le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se calmer était de songer à Simon. L'innocent Simon, qui était probablement en train de se ronger les sangs pour elle, bien à l'abris à New-York.

Comprendrait-il ce que Holly s'apprêtait à faire ? Ou déciderait-il que la jeune femme avait franchi les limites invisibles qu'il avait posées sur ce qu'il estimait être juste et ce qui ne l'était pas ?

Holly craignait bien les avoir dépassées depuis longtemps.

Un bruit lointain l'interrompit dans ses pensées. Des pas, le murmure d'une conversation. Le cliquetis d'outils dans la serrure, le grincement de la porte.

La cacophonie qui emplissait alors son esprit cessa aussitôt. Les vieilles habitudes avaient la vie dure.

Ils étaient là.

Holly saisit le couteau de cuisine qui remplaçait sa lame.

Le moment était venu.

*

Le premier chasseur s'écroula avec un gargouillis humide, sa lame d'argent lui échappant, quand Holly planta son couteau dans son cou.

Holly ne s'autorisa pas à réfléchir au geste qu'elle venait de commettre, à comment il avait été facile de prendre la décision, à combien la sensation était identique de celle qui accompagnait la chasse.

Elle recula aussitôt, abandonnant son arme, évitant de justesse les bras que le second chasseur tendit dans sa direction.

— Espèce de salope !

Le chasseur était un homme, plus vieux, plus grand et plus lourd que Holly, qui se retrouvait désormais désarmée et dépourvue de l'effet de surprise.

Oh, il lui restait bien son arme à feu, mais il y avait quelque chose qui la retenait de la dégainer. Son honneur, peut-être ? Ou du moins ce qui en restait.

Holly avait décidé de tuer ces chasseurs. Elle le ferait de ses propres mains, et pas autrement.

Elle bondit par-dessus le canapé pour mettre de la distance entre elle et l'homme enragé. Elle vit la façon dont ses yeux fouillaient l'appartement.

— Tu cherches Joshua, hein ? lança-t-elle.

— Où est-il ? gronda le chasseur.

— Pas là. Tu n'as pas encore compris ? Il n'était jamais censé être ici.

— Il devait s'occuper de toi !

— On dirait bien qu'il a échoué.

Parce qu'il a refusé. Mais ça, le chasseur n'avait pas besoin de le savoir.

Holly feinta à gauche avant de plonger à droite, en direction de la tache de sang qui s'étalait de plus en plus sur le parquet.

Elle eut à peine le temps d'effleurer le manche de la lame d'argent de sa victime que son acolyte la saisissait par l'épaule pour la projeter au loin. Ses doigts lâchèrent la garde et elle heurta violemment le mur, avec assez de force pour lui couper momentanément le souffle.

Elle n'évita la lame du chasseur en se baissant qu'à la dernière seconde.

Holly sentit la dague lui effleurer l'oreille au lieu de se planter dans son œil.

La douleur qui naquit de cette nouvelle plaie lui donna enfin l'occasion de réagir.

Holly asséna un coup de pied dans le genou du chasseur, ce qui lui fit perdre l'équilibre et lui permit de récupérer l'arme qu'elle convoitait tant. 

Quand elle se redressa et fit face au chasseur, une lame d'argent entre les mains, elle se sentait enfin entière.

Et quand le chasseur repartit à l'attaque, elle riposta au lieu de fuir.

Cet homme ne se battait pas de la même façon que Joshua. Là où son mentor n'était que fluidité et précision, l'assaillant de Holly privilégiait la force brute. La jeune femme avait rapidement compris qu'elle signerait son arrêt de mort si elle le laissait placer ne serait-ce qu'un seul coup.

Pourtant, elle ne baissa pas les bras. Elle ne pouvait pas, pas alors qu'elle était engagée dans un combat à mort.

Mais n'était-ce pas le cas de tous les combats qu'elle n'eut jamais menés ?

Voilà ce pour quoi Joshua l'avait formée, la raison pour laquelle il avait été si dur avec ses apprentis. Parce qu'une fois sortis de l'entraînement, ils n'auraient pas le droit à une seconde chance.

Soit ils gagnaient, soit ils mourraient.

Et Holly refusait de perdre.

Comme lors de son affrontement avec Joshua, Holly plongea dans un état second qui ne laissait de la place à rien d'autre qu'à ses réflexes.

Ce n'était pas le cas du chasseur.

Elle voyait bien qu'il se laissait dominer par ses émotions. Qu'à chaque instant qui passait où Holly lui échappait, il devenait plus enragé, son visage rougissant et ses mouvements désormais prévisibles.

Il rugit quand Holly le toucha à la cuisse, entaillant assez profondément la peau pour le faire saigner.

Il tituba en arrière, comme surpris, et Holly profita de l'ouverture pour l'achever comme elle l'aurait fait avec un vampire.

D'un coup de lame droit dans le cœur.

La première chose que Holly remarqua fut à quel point le sang des hommes était semblable à ceux des vampires.

La seconde fut que les hommes ne savaient pas mourir silencieusement.

Le chasseur hurla et la mordit quand elle tenta de lui couvrir la bouche. Elle retira sa main avec une grimace et enfonça encore plus sa lame.

Un couinement, puis le silence.

Enfin.

Ce ne fut qu'à ce moment que Holly remarqua à quel point elle tremblait. Son cœur battait la chamade, et elle n'arrivait pas à avaler suffisamment d'air. Chaque respiration était douloureuse.

Elle dut s'y prendre à trois fois pour récupérer la lame d'argent du corps du chasseur.

Le bruit que cela fit lui donna envie de vomir. Elle se retint, de justesse.

— Est-ce que ça en valait la peine ?

Une voix, dans son dos. Elle pivota, brandissant la lame devant elle. Elle ne se détendit pas lorsqu'elle reconnut Joshua.

— Tu as tué ces hommes.

Non. J'ai sauvé Simon.

— Ils m'auraient tué en premier, répondit-elle d'une voix absente.

— Tu aurais pu fuir.

— Ils m'auraient retrouvée. Tu m'aurais retrouvée.

— Suis-je une menace, Holly ?

— Quand ne l'as-tu pas été ?

Joshua s'approcha, l'image même de la nonchalance avec ses mains dans les poches et sa tête penchée.

Holly, elle, se sentait prête à se briser en mille morceaux.

Quand elle croisa les yeux de son mentor, elle ne put rien y lire. C'était comme si ses pensées lui étaient désormais complètement interdites.

Holly ravala la panique que cela lui inspirait.

La jeune femme se força à ne pas bouger quand Joshua lui toucha la joue, avant de lui saisir le menton et lui relever la tête.

— Qui es-tu ?

— Holly.

— Non, ce n'est pas vrai. Je connais Holly, elle n'aurait jamais fait une telle chose.

— Est-ce ce que tu crois ?

Holly tourna la tête, juste assez pour effleurer de ses lèvres la paume de Joshua. Ses mains sentaient le savon, et Holly inspira profondément, souhaitant s'imprégner de cette odeur plutôt que des relents métalliques qui imprégnaient l'air.

— Tu ne me connais pas, reprit Holly. Tu penses tout savoir de moi, mais la seule facette qui t'intéresse est celle que tu as soigneusement créée lors de mon apprentissage. Elle a disparu depuis longtemps.

— En es-tu sûre ?

Non. Holly aurait aimé affirmer le contraire, mais elle ne pensait pas pouvoir un jour se débarrasser de la jeune femme qui avait été fascinée par Joshua, qui avait confondu admiration et désir pour finir par s'y perdre.

Mais elle avait fait sa paix.

Joshua n'était pas censé le savoir.

— Certaine, souffla Holly.

Pour toute réponse, Joshua l'embrassa.

Ce baiser, contrairement à tous les autres, était doux, infiniment délicat, comme si Joshua savait que Holly risquait de s'effondrer au moindre mouvement trop brusque.

Ce fut cette tendresse – artificielle, imméritée – qui sortit Holly du brouillard dans lequel elle flottait.

La seule réaction de Joshua quand elle enfonça sa lame dans son estomac fut de hoqueter.

Il tituba en arrière, avant de tomber à genoux. Holly le contempla sans réagir.

— Est-ce vraiment ce que tu désires ? demanda-t-il avec une grimace.

— Je ne veux pas ta mort.

Elle l'observa presser ses mains sur sa plaie, tenter d'endiguer le flot de sang qui jaillissait sous son pull.

Une telle blessure ne le tuerait pas, mais elle lui ferait mal.

Assez pour qu'il ne l'oublie jamais.

— Si tu me laisses en vie, sache que je n'aurai de cesse de te traquer, déclara-t-il en la regardant droit dans les yeux. Partout où tu iras, je te suivrai. Tu ne connaîtras jamais la paix tant que nous serons tous les deux sur cette planète.

Il n'y avait aucune menace dans la voix de Joshua, seulement l'énoncé d'un fait.

Toi ou moi.

Toi et moi.

Holly était à nouveau seule.

Mais ne l'avait-elle toujours pas été ?

— Je n'en attends pas moins de toi.

Ce n'était pas des adieux.

Simplement une promesse.

*

Le jour où Holly avait perdu Elijah, elle lui avait fait une promesse en construisant son brasier funéraire.

Je ne te décevrai jamais. Je deviendrai une chasseuse dont tu seras fier.

Oh, si seulement il pouvait la voir aujourd'hui.

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