Chapitre 5


Une fois rentré, Abbacchio t'avait déposé puis bordé dans ton lit. Alors qu'il t'adressait un tendre regard, tes paupières se mirent à frémir et dans une contraction du visage, tu t'agitas, roulant d'un côté puis de l'autre.

Il posa sa main, doucement sur le haut de ton crâne, et se mit à te caresser les cheveux dans l'espoir de t'apaiser. Ce fut un tel succès que lorsqu'il se résolut à partir, tu le retins par la manche, marmonnant d'une voix geignarde :

- Me laisse pas... Lorenzino...

Pour t'avoir une fois entendue en parler avec Norio, il n'était pas sans ignorer l'identité de l'homme avec qui tu le confondais. Il s'agissait de ton ancien compagnon. Et il ignorait s'il devait trouver ça encourageant ou au contraire s'en offusquer.

En quittant la chambre, il se demanda, dans l'éventualité où il se déciderait un jour à te conquérir, s'il serait possible de rivaliser avec un fantôme...

***

Comme ton sommeil n'avait rien eu de naturel, tu n'avais pas tardé à te réveiller, une heure plus tard. Mais ce n'était pas un réveil agréable comme ceux qui succèdent à une douce nuit de repos. Non, plutôt le genre de sursaut provoqué par un cauchemar infernal.

Si tu t'étais libérée de ta colère lancinante, tu ne parvenais pas à oublier les horreurs dont tu avais été témoin à l'usine.

Toutes tes pensées se tournaient vers ces malheureux enfants, qui à cette heure encore devaient trimer sous les vapeurs de poudre, leur innocence brisée sous les coups de matraques.

Le cœur lourd mais pas moins gonflé de détermination, tu te fis la promesse solennelle d'arracher ces petits anges à cet enfer.

En descendant les marches, tu entendis résonner les voix de Leone et de Norio.

Rassemblés avec les trois garçons autour de la table du salon, les deux hommes discutaient des opérations prévues pour le lendemain.

Les voix se turent quand tu fis ton entrée et les regards se rivèrent sur toi.

D'une œillade parfaitement neutre, assez vaste pour embrasser toute l'assemblé, tu pris place en bout de table.

L'heure n'était pas aux reproches. Et si, après ton coup de sang, tu voulais avoir une chance qu'ils acceptent que tu te joignes à eux, tu devais t'astreindre à leur montrer un comportement calme et mesuré.

Gardant le silence, tu te contentas d'écouter quand Norio repris la conversation :

- Bien, je récapitule. Une fois à l'intérieur, Nico, tu déclencheras l'alarme incendie. Je profiterais de l'agitation pour prendre le contrôle d'un employé, lui voler ses clés, et les remettre à Leone qui s'infiltrera dans les bureaux pour y chercher des preuves ou des documents compromettants. Pablo et Tio, vous partirez en reconnaissance dans les sous-sols pour y recenser le nombre et la position de chacun des gardes. Pour une synchronisation parfaite, on portera tous de oreillettes. Enfin, on ne lancera l'assaut pour libérer les enfants qu'une fois que chacun aura bien rempli son rôle.

À cet instant, tu ne parvint pas à t'empêcher de t'agiter sur ta chaise. Ils n'allaient quand même pas t'exclure de leurs plans ?

Devinant ton désarroi, Norio se tourna enfin vers toi :

- J'imagine que tu veux en être, Y/N.

- C'est une évidence, déclaras-tu en posant les deux mains sur la table avec résolution.

Cette fois, ce fut à Leone de t'annoncer la couleur, d'un ton tranchant, les bras croisés :

- Alors à une seule condition. Tu ne mettras pas les pieds au sous-sol, et tu m'accompagneras dans les bureaux. Et cette fois tu te barres pas toute seule sans prévenir. Toi et moi on reste groupé.

- C'est d'accord, acceptas-tu sans même chercher à négocier.

- « D'accord » ce n'est pas suffisant. Je veux que tu promettes, exigea-t-il en ancrant ses yeux mordorés aux tiens.

- C'est promis, Leone. Je te lâcherais pas d'une semelle ! juras-tu en portant la main à ta tempe, dans une rigueur militaire.

Ce simple geste lui arracha un spasme de sourire que tu lui rendis pleinement.

***

Aux premières lueurs du jour, alors que la ville s'éveillait à peine, les portes de l'usine « Bolla di Caesar » s'ouvrirent dans un bruit métallique. Dans une vague de bleus de travail, les employés se pressèrent à l'intérieur. Dissimulée parmi eux, tu soufflas un bon coup, favorisant le calme et la concentration nécessaires à la mission. Puis, d'un pas résolu, tu te fondis dans la masse, Abbacchio à ton côté.

Contrairement à la veille, vous n'aviez pas revêtus les combinaisons de la main d'œuvre, mais des tenues plus à même de vous faire passez inaperçus dans les bureaux.

Leone avait regroupé ses longs cheveux en queue de cheval et enfilé une chemise noire qui ne manquait pas de souligner la puissance de son torse et des ses épaules considérables. Quant à toi, tu avais passé une robe blanche, droite et cintrée, dont la seule fantaisie consistait en une large fermeture éclair dorée, qui étincelait et fendait toute la longueur du tissu en son milieu.

Quand l'alarme incendie hurla, lançant le début des opérations, tu manquas de te perdre dans la débâcle, bousculée de toute part. C'est alors que tu sentis la grande main d'Abbacchio se glisser dans la tienne pour te guider à contre-courant, alors qu'il avançait résolument, dominant la foule d'au moins une tête.

Postés dans un recoin prêt de la fontaine à eau, vous aviez attendu que les couloirs se désengorgent et que Norio vous apporte les précieuses clés qui vous ouvriraient les portes des bureaux.

Votre exploration se concentra principalement sur les grandes pièces où travaillaient les membres les plus éminents de l'usine. Car s'il y avait quelques informations compromettantes à trouver, ça ne pouvait être que dans les tiroirs et les coffres des dirigeants.

Méthodiques, parfaitement organisés, vous vous étiez répartis les tâches : pendant que Moody Blues repassait la bande des conversations secrètes et des messes basses qui s'étaient chuchotés en ces lieux, tu en fouillais chaque recoin. Mais cela vous prenez du temps. Beaucoup trop de temps.

Prise par l'urgence, tu avais accéléré la cadence, et comme Leone n'en finissait toujours pas avec ses visionnages, tu résolus de prendre de l'avance.

Au moment où tu te dirigeas vers la porte du troisième bureau que vous inspectiez, ton coéquipier te retint par le col.

- Où tu vas comme ça ?

- Je prends de l'avance tant qu'on a encore le champ libre.

- Non, tu restes, te contredit-il froidement.

- Mais c'est idiot, on doit se dépêcher...

- J'ai pourtant était clair hier : « Tu te barres pas toute seule ». Tu as promis, te rappela-t-il enfin pour couper court à tes protestations.

Tu roulas des yeux, poussa un soupir exaspéré, mais ne bougeas pas.

Bras croisés sur la poitrine, le pied frappant incessamment la moquette, tu attendis, aussi utile qu'une putain de plante verte ! Et quand tu songeas que tu allais vraiment finir par prendre racine, Leone s'écria soudain :

- Je tiens quelque chose. On doit se rendre à la salle de réunion. Allez viens, dépêche-toi, osa-t-il te presser après t'avoir forcé à l'attendre.

Tu l'aimais bien, mais des fois tu aurais souhaité l'étrangler !

Une fois dans la pièce bordée d'une immense baie vitrée, où le seul mobilier consistait en une table de verre massive et une armée de chaises à roulettes, tu constatas qu'il n'y avait rien à fouiller.

Encore une fois, tu n'allais tout simplement servir à rien et devoir te contenter de poireauter pendant que Leone remontait sa piste.

- Tu as de quoi écrire ? te demanda-t-il subitement.

Heureusement, tu avais eu la présence d'esprit un peu plus tôt de subtiliser un carnet et un stylo. Tu t'en saisis, et telle sa secrétaire personnelle - ce qui ne manquait pas de t'agacer - tu pris en note toutes les informations qu'il te dictait : des noms, des adresses, des sommes d'argents...

Toute à ta tâche, tu entendis soudain des voix lointaines résonner graduellement derrière la porte. Les employés étaient en train de regagner les bureaux !

Ni une ni deux, tu collas calepin et stylo entre les mains d'Abbacchio et te précipitas pour fermer les stores. À l'affût, tu te mis à épier discrètement les allez-venus.

- Magne-toi ! Des hommes approchent, le pressas-tu, le cœur battant sous l'effet du stresse.

- Rien qu'une seconde. J'y suis presque...

Un second coup d'œil te confirma que le groupe de costard-cravate avait l'intention de se rendre à la salle où vous vous trouviez.

- Merde, Leone, on va se faire griller, ils se dirigent par ici ! Qu'est-ce qu'on fait ?

Dans un claquement de langue, il rappela Moody Blues. Puis, sans sommation, il te tira par le bras pour te rapatrier contre son torse.

- Tu me fais confiance ? te demanda-t-il à la hâte.

Il ne te laissa même pas l'occasion d'acquiescer et te fit décoller du sol pour te caler les fesses contre l'immense table de verre. Là, sa main captura ta nuque et son bras glissa derrière tes reins.

Interdite, tétanisée par l'intensité de son regard, tu le vis alors se pencher sur toi comme au ralenti.

- Que... ? bloquas-tu alors que les fonctions de ton cerveaux se mettaient en veille.

Tes yeux s'écarquillèrent, et l'instant d'après, ses lèvres épaisses prenaient d'assaut les tiennes, les recouvrant dans une volupté presque sauvage. Contre sa bouche exigeante, tu étouffas un petit cri qui ressemblait à une protestation.

- Shh, murmura-t-il contre la pulpe de tes lèvres. Ce ne sera pas crédible si tu me résistes.

Sous le coup de l'émotion, presque tremblante, tu entrouvris légèrement la bouche, incertaine de ce que tu devais lui répondre, et sa langue s'y invita, chaude, conquérante.

L'ardeur du baiser, la force avec laquelle il s'insinuait en toi, étaient étouffantes et au combien grisantes.

Sans desceller tes lèvres, d'un doigté assuré, il dézippa la fermeture de ta robe. Ouvrant les pans d'un geste brusque, il engouffra sa main sous la barrière de ton soutien-gorge. Ses longs doigts emprisonnèrent ton sein et ton cœur bondit au creux de sa paume.

Les jambes flottantes et les sens en perdition, tu t'agrippas à son large dos pour ne pas flancher. T'abandonnant toute entière à sa bouche dévorante et aux caresses invasives de sa langue, tu n'entendis même pas la porte s'ouvrir à la volée.

Seules l'abandon de tes lèvres et le timbre rauque de Leone parvinrent à percer le divin brouillard dans lequel tu t'étais enlisée.

- Tu as été parfaite, te souffla-t-il très bas, en affichant un petit sourire satisfait.

Une forte voix, masculine et courroucée, t'aida également à rallumer tes fonctions cérébrales.

- Quel honte ! Où vous croyez-vous tout les deux ?

Puis une deuxième, qui te fit cette fois sursauter :

- C'est une salle de réunion ici, pas un baisodrome !

Et une dernière :

- Déguerpissez et retournez immédiatement au travail !

Cette fois, à la troisième invective, tu repoussas le torse d'Abbacchio et te retournas, refusant de faire face aux hommes qui venait de vous surprendre. La tête baissée et les joues cramoisies de honte, tu refermas ta robe. Et sans demander ton reste, tu filas hors de la pièce, talonnée de près par ce prédateur qui venait de te voler ton premier baiser depuis cinq ans !

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