Chapitre 2

- Debout ! gronda une voix forte et masculine.

Un métal frappant contre un autre, raisonna sourdement dans la pièce où elle avait dormit, assise sur le sol froid au pavé inégale. En ouvrant un œil elle réalisa que ce n'était pas un rêve.

Elle était bien dans "L'Âme de la Pieuse", cette histoire sortie de son esprit pendant son séjour à l'hôpital. Mais pourquoi ? Que faisait-elle là ? Qu'est-ce qui avait fait qu'elle s'était retrouvée dans sa propre histoire mais dans une situation qui voulait sa mort, autant que sa propre
famille ? Elle y avait réfléchit toute la nuit, mais n'avait trouvé aucune réponse.

Peut-être Dieu voulait-il la punir de quelque chose ? Se rangeait-il de leur côté ? Elle avait pourtant prié, offert tant et tant aux églises et associations, elle était comme son titre "pieuse" mais visiblement pas assez pour que ce dernier se tourne vers elle et la récompense. Car c'était bien là une punition divine de la plonger dans ce monde et de chercher à la tuer dès le début. Mais... N'était-elle pas la créatrice de ce monde ? N'avait-elle pas sacrifié une vie pour entamée une romance entre Lady Tella et le premier Prince du Royaume d'Elibel ? Elle ne devait s'en prendre qu'à elle-même. Pourtant... dans ses souvenirs, Tella sauvait la pauvre âme condamnée, le ferait-elle pour elle aussi ? Elle allait bien voir ça car les soldats entraient déjà dans la cellule pour la tirer à leur suite, la bousculant pour la faire avancer plus vite. Son corps était frigorifié, elle n'arrivait pas à marcher sans sentir un million d'aiguilles lui perforer les pieds ou les jambes.

Elle devait savoir, il fallait qu'elle le voit de ses propres yeux. Avait-elle imaginé les choses correctement ou s'était elle trompée ? 

On lui fit traverser des couloirs froids, peu éclairés ou alors bondés de monde qui la regardaient étrangement. Elle se trouvait donc dans les cachots du palais royal et non dans Conté de Karring comme à l'origine. Ils déboulèrent dans une grande salle au milieu de laquelle se toruvait une chaise en piteux état, qui avait beaucoup servit pour d'anciennes exécutions. Elle le savait, car elle l'avait écrit, elle l'avait inventée.

Les larmes lui brouillèrent la vue jusqu'à ce que le peuple venu la voir se lève.

- Sa majesté le Roi Lorienne Fitzegard Elgwand, Soleil du Royaume d'Elibel ! La Reine Siriane Tamerianne Elgwand ! Les princes et Princesses du Royaume d'Elibel !

Ils sont dix enfants, se rappela t-elle. Archibald était le premier, ça doit être celui qui se trouve à la gauche du Roi. Donc le Duc et sa famille doit être... Il est là ! C'est... C'est vraiment Nohakyr ? Mon dieu ! Il est si beau ! Comme je l'avais imaginé.

Les larmes coulèrent d'elles-mêmes sur ses joues. La jeune femme ferma les yeux, cherchant à calmer le torrent qui ravageait son esprit. Elle devait lui parler, au moins plaider sa cause ! Mais l'écouterait-il ? Ou est-ce que lui aussi aurait changé ?

Elle rouvrit les yeux pour voir apparaître la famille du Conte de Karring. Tella était la dernière des trois enfants, la petite fille adorée et chérie du Conté.

Mais quand son regard croisa le sien, elle se figea sur sa chaise.

Non, ce n'était pas le personnage qu'elle avait écrit. Elle n'était pas "l'âme Pieuse" de son roman d'enfance ! Le regard haineux et ce sourire suffisant lui rappelait celui de sa propre famille.

Elle baissa la tête, honteuse d'avoir put espérer.

- Vous allez être exécutée, annonça un homme debout devant l'estrade royale. Voici les méfaits pour lesquels vous êtes accusée !

Il déplia un rouleau et énuméra des faits dont elle n'avait aucune connaissance et dont elle savait n'avoir jamais écrit, même pendant le procès de cette âme que Tella devait sauver, rien de tout ça n'avait été annoncé. Que c'était-il passé ?

- Durant votre confinement, vous avez demandé à parler au Duc Lightstrake. Majesté ?
- Majesté, autoriseriez-vous vraiment à cette femme une dernière requête ? s'exclama Tella choquée.
- Silence ! gronda le Roi, la foudroyant du regard.

Tella resta coite, rougissant de honte et de colère.

- Soit, chaque condamné a droit à un vœux avant de périr.

La jeune femme remercia secrètement son bourreau et dirigea son regard vers Nohakyr.

- Duc ?
- Si vous l'autorisez. répondit le jeune homme en quittant sa famille pour se diriger vers la chaise. Que me voulez-vous ?

Le regard larmoyant de la jeune femme lui rappelait un lointain souvenir, choquant se dernier.

- Approchez Sir, murmura t-elle, le souffle court, la peur au ventre et le regard émeraude brillant de larmes.

Pourquoi cette femme lui disait-elle quelque chose ? Où l'avait-il vu ? Il la vit baisser la tête et son corps tout entier se figea. Sa nuque !

Sur sa nuque était tatoué l'emblème du Duché. Qui... Le dessin était moins prononcé, preuve qu'il avait été fait il y a plusieurs années.

- Qui êtes-vous ? gronda t-il.
- Je... Je suis celle qui a créé ce monde.
- Comment ?
- Nohakyr Kallan Lightstrake, Duc et maître des Ombres. souffla t-elle à voix basse pour que seul lui l'entende.

Elle lui livra plusieurs choses secrètes que seul lui connaissait.

- Vous m'avez sauvé plus d'une fois alors que j'écrivais ce monde. Vous n'en êtes pas le personnage principal, mais je vous connais Messire, vous êtes le Prince de la Lune qui a maintenu une petite fille en vie durant des années jusqu'à être détruit...
- Que dîtes-vous ? exigea le Roi.
- Sir Duc, souffla la jeune femme à bout, le coeur sur le point de s'arrêter après sa tirade. Je suis épuisée...

Nohakyr ne comprenait pas pourquoi, mais il s'agenouilla devant elle, mettant son visage à sa hauteur. Elle le regarda, plongea dans ce regard rouge et violet. Elle fit alors ce qu'elle n'avait jamais fait de son vivant, elle allongea le corps et vint embrasser le Duc.

Nohakyr sentit des larmes couler de ses joues.

- Sir ! s'écria Tella horrifiée.

Nohakyr se redressa, sortie son épée et en plaça la pointe en direction de la jeune femme qui tentait de le rejoindre.

La femme sur la chaise, s'évanouie. La colère du jeune homme fut éclatante. Que ce passait-il ? Elle ne pouvait avoir inventé tout ça, pourtant... Pourtant, toutes les informations qu'elle avait livré étaient vraies ! Alors qui... l'emblème sur sa nuque, elle disait l'avoir créé pour lui, l'avoir imaginé comme un signe de puissance et de mysticité ! 

Si elle disait vrai, alors il devait faire quelque chose.

"Je suis déjà morte une fois." avait-elle dit d'une voix lasse et éteinte. "Cette fois-ci n'aura pas de retour. Merci de m'avoir permis de tenir aussi longtemps Messire. De m'avoir laissé vous aimer et de vous avoir créé à l'image que je désirais pour m'enfuir de mon enfer."

Pourquoi cette déclaration lui détruisait-elle le cœur ? Broyant son corps d'une manière beaucoup trop effroyable et réveillant en lui des souvenirs douloureux d'une enfance qu'il aurait préféré ignorer.

- Majesté ! s'exclama t-il, le regard brillant de colère et de questions. Cette femme porte ma marque !
- Quoi ? Cela ne ce peut ! hurla Tella horrifiée.
- Gardes !
- N'approchez pas ! gronda Nohakyr, propageant autour de lui une fumée noire et dense. N'approchez pas cette femme ! Elle est mienne !
- Noha ! ordonna son père, se levant, accompagné de sa femme.

Le jeune homme pris la femme dans ses bras et disparu.

- Nous prenons congé Majesté, s'exclama le père du jeune homme, s'inclinant avec respect, disparaissant également dans un écran de fumée.
- NON !

[...]

- Faites venir le médecin, gronda Nohakyr en arrivant sur les marches du château de sa famille, tenant la jeune femme dans ses bras.
- Jeune maître ? s'affola une femme, accourant vers lui.
- Miss Stessy, faites ce que je vous ai dit ! hurla t-il, se pressant pour la monter dans sa propre chambre. 

Il avait besoin d'avoir les idées claires et la seule façon pour lui d'arriver à se contenir était de l'avoir dans son antre. Était-ce une décision perverse ? Sûrement, et avec l'étiquette de son époque, il savait qu'une femme seule et non mariée dans la chambre d'un homme était très mal vue. Mais il n'en avait cure, il devait savoir, il avait besoin de la garder près de lui pour obtenir les réponses à ses questions. On lui ouvrit la porte, le laissant entrer avec son fardeau dans les bras. Il la déposa dans son lit que la gouvernante défis. Nohakyr la recouvrit et demanda à ce qu'on s'occupe d'elle le temps qu'il rejoigne ses parents dans le hall.

- Noha, l'appela sa mère inquiète. Explique nous, je t'en prie. Que ce passe t-il ?
- Pas ici, mère.

Tous les trois se rendirent dans le bureau du Duc et y condamnèrent l'accès le temps d'évaluer la situation. Mais Nohakyr semblait en proie à une douleur profonde, loin de la femme étrange c'était comme si des souvenirs enfouis refaisaient surface et qu'il avait besoin d'être auprès d'elle. Il devait combattre cette sensation.

Mais quand sa mère tenta de le toucher, son propre fils failli la blesser. Il s'écarta vivement d'elle, protégée par son mari, tous les deux surpris.

- Je... Désolé mère, je...
- Fils, dis nous ! Qui est cette femme ?! La connais-tu ?
- Je... J'ai des souvenirs d'une petite fille... Une petite fille allongée dans un lit, des appareils que je n'ai jamais vu, tout autour d'elle. Des bruits stridents, des murmures et des rires gras, des insultes...
- Envers qui ?
- Cette petite fille ?
- Oui. E...El... je ne me souviens plus de son nom, gronda Nohakyr, se prenant la tête entre les mains.

Une migraine douloureuse lui serrait la tête comme un étau de fer.

- Ils l'ont poussé ! s'écria t-il soudainement. Ils l'ont poussé ! C'était délibéré ! Elle... Elle va mourir ! NON !
- Noha !

Un cri strident raisonna dans tout le château, figeant d'horreur ses habitants.

La douleur, le supplice, ce désir de partir, de mourir, l'envie d'être enfin en paix raisonnaient dans ce cri aigüe provenant de la chambre du jeune homme.

- Ellyn ! s'écria t-il soudainement, se rappelant de cette enfant qui lui avait rendu visite durant des nuits entières, discutant avec lui alors qu'il se battait contre ses propres ombres. ELLYN !

Il sortie du bureau du Duc pour courir vers sa chambre, trouva la gouvernante, la tenant par les épaules, cherchant à la réveiller.

- Ne la touchez pas ! hurla t-il froidement, faisant sursauter la femme qui s'écarta aussitôt.

Il s'installa sur son lit, écoutant cette créature crier à l'aide, expirer son mal être, chercher celui ou celle qui saura la sauver. Nohakyr murmura alors son nom et tout se calma, comme si il n'y avait jamais eu de cri, comme si personne d'autre que eux, vivaient dans ce château paisible bien que sombre.

- Ellyn.

Des gémissements étouffés, des pleurs lui répondirent. Puis son nom, sortie parmi les ombres de ses cauchemars, elle l'appela.

- Nohakyr...
- Je suis là.

Sa voix grave et profonde, murmurée pour qu'elle ressente la pression de son pouvoir destructeur se répandre sur elle, la recouvrir comme une sorte de protection. Elle tendit une main dans son inconscience pour tenter de toucher cette chaleur sombre et dangereuse. Il lui prit la main et baisa ses doigts gelés.

- Noha...kyr...
- Dors, gronda ce dernier. Je ne te quitte pas. Tu es avec moi. Je t'ai retrouvé.

La chambre redevint alors silencieuse, laissant la jeune femme dormir, Maelicia, la duchesse de la maison Lightstrake, ordonna à ce qu'on les laisse quand le médecin arriva.

- Docteur ? demanda la femme.
- Elle est épuisée, mais son corps est très étrange.
- Comment ça ?
- Il est...
- Parlez sans crainte, souffla le jeune homme.
- Brisé.

L'aveu les figea.

- Brisé ? Expliquez-vous, ordonna la duchesse.
- C'est comme si elle ne voulait plus se battre pour vivre, son esprit est épuisé, affaibli autant que son corps. Elle est blessée, je peux sentir des fractures de partout, de nombreuses maltraitances, vieilles de plusieurs années.
- Pourtant...
- Rien n'est visible, termina son fils. Sortez.
- Merci docteur, Miss Stessy, raccompagnez-le, je vous prie.
- Bien Madame.

Mais quand la chambre fut enfin désertée, Nohakyr demanda à rester seul avec cette femme qui avait un jour, était dans son esprit et avait interagit avec lui jusqu'à totalement disparaître.

Il lui caressa la joue, son esprit n'était pas tranquille malgré le calme que cette femme lui apportait à l'instant. Elle devrait bientôt se réveiller et répondre à ses questions. Mais pour l'heure, il devait la laisser dormir.

- Keiron.
- Maître.

L'ombre apparu près du lit.

- Je veux que tu ailles au Conté des Karring et enquêter sur cette femme. Trouve son nom et son historie.
- Bien Mon Seigneur.
- Qui es-tu réellement, Ellyn ? Hormis mon passé fou et ce désir que j'ai eu si souvent de te revoir, de découvrir pourquoi tu occupais mes nuits difficiles, de savoir pourquoi tu as disparue... Dors, quand tu ouvriras les yeux, je serais là. Tel le démon que tu as fait de moi.

***

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