Imprévu
Si vous voulez vraiment savoir ce qui s'est passé, je devrais probablement vous parler, en premier lieu, du bal de fin d'année du lycée Saint-Michel de Fairway, qui a eu lieu onze ans plus tôt. C'est là que tout a vraiment commencé. Je ne pouvais pas le voir à ce moment-là, mais aujourd'hui, je suis convaincu que tout ce qui est arrivé par la suite fut orchestré par la main invisible du destin.
Le bal fut ex-tra-or-di-naire. Vraiment. J'entends par là une soirée durant laquelle tout vous éblouit: un lieu décoré comme dans un conte de fées, une musique qui vous transporte vers un endroit dont vous n'aviez jamais rêvé, et bien sûr, pour couronner le tout, la présence de vos meilleurs amis.
Maintenant ajoutez à cela une fille, la fille, celle qui hante vos pensées depuis que vous l'avez rencontrée, celle qui vous fait sentir à la fois faible et fort, pauvre et riche, intelligent et totalement stupide. Oui, cette fille-là. A chaque fois que je prononçais son nom ou que je l'entendais prononcer, je frémissais au-dedans de moi : Elizabeth Marie Bloom. Un nom qui rime avec Boom, et c'est exactement l'effet qu'elle eut sur moi.
Ce soir-là, elle était à couper le souffle : la robe qu'elle portait était tellement éblouissante, qu'on aurait dit qu'elle avait été faite à partir du soleil lui-même ; ses épaules étaient découvertes, ce qui permettait d'admirer sa longue chevelure dorée, mais aussi le tatouage en forme de papillon qu'elle avait sur la nuque. J'étais à l'autre bout de la salle, mon meilleur ami Daniel Edwards était en train de me parler, mais je ne l'écoutais pas car j'avais les yeux rivés sur Elisabeth qui était en train de s'esclaffer à cause de ce que son amie Samantha Jacobs venait de lui dire. Et lorsqu'Elizabeth Bloom riait, tout ce qui se passait autour devenait insignifiant.
- Tony !
La voix de Daniel me sortit de ma rêverie. Je me tournai vers lui en affichant un air coupable.
- Désolé mon pote, j'étais -
- Je sais, je sais, m'interrompit Daniel en me donnant une tape sur l'épaule. Un de ces jours, il faudra bien que tu l'oublies, mec.
Mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Elizabeth et moi nous étions rencontrés pour la première fois lorsque nous venions tous les deux d'avoir sept ans. Mes parents et moi venions d'emménager à Fairway suite à l'affectation de mon père dans un hôpital de la place, mais ma mère, psychologue de formation, était à la recherche d'un emploi. Fort heureusement pour elle (et pour moi aussi), le père d'Elizabeth, qui se trouvait être un de ses anciens amis d'école, était aussi le proviseur du lycée St-Michel, et sa femme y enseignait le français. Ainsi, il avait confié un poste à ma mère dans son lycée, et pour le remercier, elle l'avait invité lui, sa femme et leur petite fille à dîner à la maison.
Il ne m'avait pas fallu plus d'une seconde pour tomber éperdument amoureux d'Elizabeth. En fait, dès que nos regards s'étaient croisés, il y avait eu un silence, un silence que je ne m'explique toujours pas aujourd'hui. C'était comme si le temps s'était soudain arrêté. Puis, je lui avais dit :
- Un jour, tu seras ma femme.
Pour toute réponse, elle m'avait souri, puis m'avait fait un bisou sur la joue.
Qu'est-ce qui m'avait poussé à lui dire ça ? Je n'en ai aucune idée. Les mots étaient sortis de moi avant même que je n'aie eu le temps d'y penser.
Malheureusement durant les années qui avaient suivi, à notre entrée au lycée plus précisément, Elisabeth commença à s'éloigner de moi jusqu'au point de m'ignorer complètement. Lorsque je lui avais demandé des explications, elle m'avait répondu que c'était parce qu'elle ne me trouvait pas assez « charismatique », et qu'elle préférait la compagnie des « Bad boys ». N'ayant pas vraiment compris où elle voulait en venir, j'avais fini par saisir le sens de ses paroles plus tard lorsque j'avais vu son premier petit ami. Je dis premier parce qu'après lui, il y en avait eu d'autres. Beaucoup d'autres.
Au bal, donc, elle sortait avec un dénommé Matthew Droll. Je l'appelais « Troll », car s'il n'en avait pas le physique, il en avait bien le comportement. C'était une vraie brute. Elisabeth, pourtant, semblait vraiment l'aimer car cela faisait plusieurs mois qu'ils étaient ensemble, ce qui constituait un record pour elle. Ce dernier vint la retrouver quelques instants plus tard et sans gêne, déposa un baiser sur ses lèvres, auquel elle répondit avec passion. Je détournai vivement la tête, comme si on m'avait présenté un plat particulièrement répugnant.
- Tu te fais du mal, me dit Dan en entamant son énième verre de champagne. Fais comme moi, profite de la soirée ! Il y a plein d'autres nanas ici !
Il disait vrai, mais moi je n'avais d'yeux que pour elle. Cependant je dus reconnaître que face à Troll je ne faisais pas le poids. J'avais pourtant sorti le grand jeu: costume, nœud papillon, j'avais même mis du gel sur mes cheveux pour éviter qu'ils soient ébouriffés comme d'habitude ; mais apparemment ce n'était pas suffisant. Matthew, vêtu d'une simple veste noir, d'un tee-shirt et d'un jean, était - j'ai honte de l'avouer - beaucoup plus élégant que moi.
- T'as raison, répondis-je à Dan. Joignant le geste à la parole, je pris un verre de champagne, le levai et dis: « Qu'elle aille au diable ! »
- Je te retrouve enfin! dit Dan en souriant.
Je décidai de chasser Elizabeth de mon esprit et entrepris de m'amuser comme je ne l'avais jamais fait auparavant. Apres tout, cette soirée marquait la fin de mes études secondaires (le meilleur comme le pire) et je me devais d'en profiter. Par ailleurs, je savais que je n'allais plus avoir beaucoup d'occasion de faire la fête avec Dan, vu qu'il devait s'envoler bientôt pour Orlando pour y poursuivre ses études. C'était aussi ça la fin du lycée : la nostalgie, les séparations. En ce qui me concernait, je n'étais pas encore très sûr de ce que je devais faire, mais je n'étais pas inquiet.
Le DJ de la soirée fit monter la température en mettant le morceau phare des élèves du lycée. C'était une chanson style techno mais avec des airs de funk également. Tous les élèves formèrent un grand cercle sur la piste de danse. Dan se trouvait au milieu, et il me faisait des grands signes de la main, m'invitant à le rejoindre. Il se déhanchait comme un fou. Riant et dansant moi aussi, j'acceptai son invitation.
Quelques temps après, je fus pris d'une envie pressante de me soulager. Je dis à Dan que j'allais faire un tour et je me rendis dans les vestiaires. Sur le chemin du retour, mon attention fut détournée par un bruit en provenance d'une des salles de classe qui longeaient le couloir que j'avais emprunté précédemment. En me rapprochant, je m'aperçus que ce bruit était en fait des sanglots étouffés. J'entrai dans la pièce et je me figeai instantanément. La salle était plongée dans la pénombre, éclairée seulement par la lune à quelques endroits ; mais je n'eus aucun mal à reconnaître la personne qui était assise sur l'une des chaises tout au fond, la tête cachée dans ses mains. C'était Elizabeth.
- Liz ?
Elle leva ses yeux vers moi et les baissa aussitôt.
- Qu'est-ce que tu veux? me demanda-t-elle entre deux sanglots.
- Rien. Je passais par là et je t'ai entendu pleurer. Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Ce ne sont pas tes affaires.
J'étais à la fois triste et en colère. Je ne savais pas pourquoi elle se comportait ainsi avec moi.
- Bon, je te laisse alors, dis-je avec une pointe d'amertume dans la voix.
J'étais déjà ressorti de la salle quand j'entendis :
- Non ! Reste ! Je suis désolée.
J'étais tenté de l'abandonner là pour lui montrer que je n'étais pas son jouet, mais je ne parvins pas à le faire. Je m'assis sur une chaise à proximité de la sienne et j'attendis. Elle essuya ses larmes et ses pleurs cessèrent presque aussitôt. Ça faisait des années que je ne m'étais pas retrouvé aussi proche d'elle. Elle était encore plus belle de près.
- Matthew a couché avec Samantha, dit-elle après quelques secondes de silence.
- Quoi ? fis-je incrédule.
- Tu m'as bien entendu.
- Mais...Pourtant...Pourtant, je vous ai vu vous embrasser tout à l'heure.
- Tu nous as vus ? Tu nous observais ? me demanda-t-elle en me fixant soudainement.
- Non...Non..., dis-je en déglutissant. Mon regard est tombé sur vous par hasard.
Elle me considéra un moment, puis sembla être satisfaite de ma réponse. Elle poursuivit :
- C'est Samantha elle-même qui me l'a dit. La garce. Elle m'a dit qu'elle était désolée et m'a suppliée de lui pardonner. Tu le crois ça ? Ma meilleure amie! Et elle me dit qu'elle est désolée? Laisse-moi rire. Au début, je croyais qu'elle me faisait une farce, mais une minute après Matthew est venu nous rejoindre avec les verres de champagne qu'il était parti chercher. Quand je l'ai confronté, cette ordure n'a même pas essayé de nier. Apres lui avoir versé mon verre sur la tête et lui avoir dit d'aller se faire voir, je suis venu me réfugier ici.
Je ne savais pas quoi lui dire. Il était clair pour moi que Matthew était un salaud de la pire espèce, mais j'avais du mal à croire qu'il avait pu faire ça à Elizabeth, de surcroît avec sa meilleure amie. Il fallait être complètement fou pour tromper Elizabeth Bloom.
- Je suis désolé, finis-je par dire.
- Merci, dit-elle sans émotion.
Nous restâmes silencieux pendant plusieurs minutes. Mes yeux se fixaient à tour de rôle sur Elizabeth puis sur mes chaussures. Je cherchais quelque chose de sensible, de réconfortant à dire, mais rien ne me vint à l'esprit.
Soudain, sans crier gare, elle se leva et vint s'asseoir sur mes genoux. Ses yeux verts argentés plongèrent dans les miens. J'étais comme paralysé. Je pouvais sentir sa respiration sur mon visage et aussi son parfum qui avait une bonne odeur de fraise.
- Qu'est-ce que tu fais ? dis-je dans un murmure, alors que les battements de mon cœur s'accéléraient.
- Je ne sais pas, répondit-elle en m'examinant.
Elle se pencha pour m'embrasser, mais je détournai mon visage.
- Liz...Je ne peux pas...
- Pourquoi ? dit-elle avec colère. Tu n'as pas envie de moi c'est ça ?
Je la regardai, incrédule.
- Bien sûr que si, mais pas comme ça. J'aurais l'impression de profiter de toi...
- On s'en fiche.
Sans me laisser le temps d'ajouter un mot, elle m'embrassa. Ce fut comme une réaction chimique : tout mon corps se mit à trembler, comme s'il avait été parcouru d'un courant de 10000 volts. Lorsque mes mains rencontrèrent sa peau, je la sentis trembler également comme une feuille. Le peu de raison qui me restait s'envola. Nous fîmes l'amour dans cette position et ce fut l'un des plus beaux moments de ma vie.
Ma soirée se termina d'une manière complètement imprévue. A cet instant-là, ni Elizabeth ni moi ne savions que nous venions d'embarquer dans une aventure qui devait changer nos vies à tout jamais.
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