5 ~ Through the Darkness
«- Ah voilà donc la jeune française si désireuse de travailler chez nous ? -Sourit Monsieur Clifford- Bien, bien. Je vous en prie prenez une chaise.
-Merci -Dis-je nerveuse en prenant place sur un fauteuil vraisemblablement luxueux-
-Latoya je vous remercie. Vous pouvez retourner à vos occupations, je m'occupe de Mademoiselle Stuart.
-Bien Monsieur, juste j'aimerais qu'avant qu'elle ne rentre chez elle Mademoiselle Stuart passe par l'accueil, j'aurais des choses à lui montrer.
-Ce sera fait -Sourit Monsieur Clifford avant d'expulser Latoya d'un signe de main- J'ai cru qu'elle ne partirait jamais. Bien, Alésia n'est-ce pas ? -J'hoche la tête- Voulez-vous boire quelque chose ? Un café, un thé ?
-Oh j'ai déjà pris un café avant de venir.
-N'est-ce pas plutôt Monsieur Irwin qui en a profité ?
-Irwin ?
-Ashton Fletcher Irwin -Il jette un coup d'œil par sa baie vitrée, en contrebas se trouve Ashton, occupé à poser des packs sur une machine- J'imagine que vous avez déjà fait sa connaissance ?
-Vaguement -Je réponds les dents serrées avant de reposer mon attention sur l'élégant bureau du patron- Mais ça ira merci, je n'ai pas soif.
-Très bien. »
Je l'observe qui se redresse pour aller se faire un café sur sa cafetière personnelle. Bien-sûr Monsieur Clifford doit être ce genre de patron qui ne partage pas les mêmes activités que ses employés, évitant de s'y mêler à moins que ça ne soit nécessaire. En tout cas, bien qu'il soit plus petit que son fils, il n'en dégage pas moins une aura imposante, laquelle me fait me tasser dans mon siège alors que les minutes défilent en silence.
«- Donc, vous êtes venu de France jusqu'ici ?
-Je suis venu chercher du travail parce qu'il n'y en avait pas en France.
-Vraiment ? -Il glousse discrètement- Bon au moins ici vous êtes sûre d'en trouver. Avez-vous déjà travaillé dans un supermarché ?
-L'espace d'un été en contrat saisonnier.
-Pourquoi ne vous ont-ils pas gardée ?
-Car ils avaient leur effectif.
-Je vois -il sourit, fixant sa tasse de café fumante- Et puis-je vous demander vos motivations ?
-Je voudrais gagner suffisamment d'argent pour me payer mes études.
-Quelles études ?
-Photographie.
-Ah la photo ! -Il lève ses yeux de sa tasse pour m'observer- Quel beau métier, à condition de savoir capturer l'instant au bon moment.
-J'imagine oui -Dis-je en posant mon regard sur Ashton en contre-bas-
-Vous n'êtes pas très causante Mademoiselle Stuart, êtes-vous sûre de vouloir travailler chez nous ? Je ne vous apprends rien en vous disant que la caisse nécessite un certain tact et un bon sens de la communication ?
-Je n...
-Pourquoi ne pas la mettre en rayonnage ? -Intervient Michael, lequel vient de passer par une petite porte qui apparemment relie leurs bureaux entre eux- Il n'y a pas besoin de parler.
-Elle n'a que la peau sur les os -Me détaille son père avant de reporter son attention sur son fils, comme si j'étais invisible- Elle ne tiendra pas longtemps.
-Alors laissez-la aller en caisse, je suis sûre qu'elle se décoincera un peu -Dit-il en m'adressant un clin d'œil- Et pus, n'est-ce pas vous qui hier encore étiez en train de vous plaindre au sujet du manque d'effectif ?
-Tu n'es pas mon fils pour rien -Ironise le patron avant de m'observer- Bien, alors je vais vous proposer quelque chose. Un mois d'essai en caisse, vous serez bien entendu rémunérée, cependant si nous jugeons que vous ne faites pas l'affaire, alors nous serons dans l'obligation de ne pas renouveler votre contrat.
-Mais si tu y arrives -Enchaîne Michael- Tu seras prise comme employée, à temps plein. Alors, marché conclu ?
-Marché conclu -Dis-je à l'intention du plus jeune avant de serrer la main de son père-
-Bien, Latoya va vous faire signer quelques contrats et remplir des formulaires -Il se redresse, finissant d'un trait sa tasse de café- Une dernière question Mademoiselle, avez-vous un logement ?
-Oui je réside chez un ami dans les appartements situés au-dessus du magasin.
-Oh intéressant ! -Il lance un furtif regard en biais à son fils avant de me faire un large sourire- Au moins vous ne devriez pas être en retard. »
Sur ces bonnes paroles je serre une seconde fois sa main rendue moite par la chaleur qui avait émané de sa tasse et m'empresse de sortir, Michael sur les talons. Je ne me sens pas très bien, comme si je n'étais pas à ma place et étrangement c'est lorsque j'attends la réserve que je me sens respirer, un énième courant d'air glacé venant secouer mon corps.
«- Il fait toujours froid ici -Me prévient Michael-
-Pourquoi ? -Je demande curieuse alors que je ne remarque aucune porte ouverte-
-Oh c'est parce qu'il y a les frigos au fond, là où on stocke tous les articles frais.
-C'est ça qui provoque des courants d'air ?
-Oui et c'est assez désagréable, tu demanderas à Ashton, il en sait quelque chose. »
Je refuse de parler à Ashton. Lui aussi me rend mal à l'aise et si au fond de moi je suis réticente à l'idée de travailler en rayonnage, bien que ce soit le mieux pour mon manque de communication, c'est parce que je ne veux pas avoir à le supporter, il ferait tout pour me faire démissionner.
Nous parcourons la réserve rapidement avant d'arriver devant le rideau de fer. Je déglutis, vais-je encore entendre ce bruit atroce ? Mais alors que Michael approche sa main du bouton, je l'intercèpte malgré moi.
«- Qu'est-ce qu'il y a ? -Me demande-t-il la mine surprise-
-Il n'y a pas une autre porte ? Pour entrer et sortir de la réserve.
-Si bien-sûr, mais c'est plus simple de passer par là. Pourquoi ?
-Je... J'ai toujours eu un peu peur de ces trucs là -Dis-je en prenant un air crédible-
-Oh je vois -Il sourit en coin et éloigne sa main du bouton- Tu me suis ? »
Je fais oui de la tête et rapidement nous nous écartons, reprenant la direction des bureaux, sauf qu'une fois devant les deux portes massives et la machine à café, nous prenons à gauche, longeant un couloir vide et propre. 'Au bout tu as la salle de pause des employés' Murmure Michael alors que nous entendons son père au téléphone. Je remarque en effet la double porte, mais nous ne nous arrêtons pas là. Nous continuons encore un peu avant d'arriver devant une petite porte en mauvais état sur laquelle brille faiblement le néon 'Fire exit'. A en voir son état, j'imagine qu'aucun incendie ne s'est jamais déclaré ici, plongeant cette porte dans l'oubli le plus total.
«- Personne ne passe jamais par là -S'amuse Michael- Tu veux savoir pourquoi ?
-La raison va-t-elle me dissuader ?
-Peut-être -Il sourit en coin et ouvre la porte sur un couloir sombre- Voilà pourquoi personne ne passe par là, car il n'y a plus de lumières depuis longtemps.
-C'est un problème ?
-Etant donné qu'il y a des escaliers, oui c'est un problème. Tu veux quand même essayer ?
-Je n'ai pas peur du noir -Dis-je en fixant le couloir face à moi-
-Bien, alors je te retrouve en bas.
-Tu ne viens pas avec moi ?
-Non, j'ai bien envie de voir ce dont tu es capable. A tout de suite ?
-A tout de suite. »
Ceci étant dit je l'observe qui quitte le long couloir éclairé d'un pas détendu, ses cheveux rouges brillants sous la lumière des néons avant qu'il ne disparaisse. Est-ce prudent ? Je ne suis même pas encore employée que je me risque à faire quelque chose qui semble interdit. Cependant j'hausse les épaules. Je n'ai pas peur.
Après avoir jeté un coup d'œil derrière moi, je m'enfonce dans le couloir sombre, fermant la porte derrière moi et me plongeant dans le noir le plus total. Seul mon souffle se fait entendre et bientôt je n'entends même plus la voix de Monsieur Clifford qui beugle au téléphone. Je n'ai pas peur.
Décidée, j'allume mon téléphone et éclaire le sol poussiéreux, permettant de voir où je mets les pieds alors que je discerne au loin les escaliers dont m'avait parlé Michael. Pourquoi n'ont-ils jamais remis la lumière ici ? En pointant mon téléphone vers les hauteurs j'aperçois les lumières éteintes, couvertes d'une grasse et épaisse couche de poussière. Ce qui est curieux, c'est que les ampoules semblent être neuves, comme si elles avaient été changées, en vain.
Je déglutis et entreprends de descendre les escaliers avec précaution, eux aussi couverts de poussière et de graisse, les rendant glissants. Je me demande à quand remonte la dernière fois où ce couloir a été utilisé. Aux murs se trouvent encore les affiches expliquant comment faire pour évacuer le magasin en cas d'incendie, ainsi qu'un plan du dit couloir. Apparemment je dois continuer de descendre sur quelques mètres avant de tourner à gauche et d'avancer jusqu'à une porte qui devrait déboucher sur le fond du magasin. Ce n'est pas très pratique comme sortie de secours si le fond du magasin est lui aussi en feu.
Après avoir descendu la dernière marche, je m'accorde quelques secondes pour respirer, je me suis tellement crispée à l'idée de glisser sur une marche que mes jambes me semblent lourdes. Peut-être aurais-je dû me taire et passer par le rideau comme tout le monde, faisant tout pour ignorer le bruit. Mais je ne vais pas rebrousser chemin. Je n'ai pas peur du noir. Je n'ai pas peur...
Sauf que mon téléphone s'éteint, me plongeant dans l'obscurité la plus totale l'espace d'une seconde. Seconde durant laquelle un bruit atroce vient retentir dans le couloir, faisant presque trembler les murs autour de moi alors que je m'empresse de rallumer mon téléphone, pointant la lumière face à moi. Il n'y a rien, personne.
Ce bruit, c'était le rideau de fer. On aurait dit un cri.
Je frotte mon visage et ravale les larmes qui avaient affluées sous la panique, reprenant mon chemin d'un pas décidé et cherchant à tout prix à oublier le bruit ignoble du rideau. J'y suis presque, je sens l'air frais fouetter mon visage, faisant virevolter les quelques mèches dépassant de mon chignon. Toujours ce même courant d'air.
J'y suis presque.
La porte est devant moi, je discerne la lumière du magasin filtrer aux embrasures. Je n'ai qu'à tendre la main et lorsque je touche le métal froid de la clenche, une idée me vient en tête. Et si la porte était condamnée ? Depuis le temps qu'elle n'a pas été ouverte, peut-être suis-je piégée ?
Un frisson électrise mon corps et d'un geste rapide j'ouvre la porte à la volée, laquelle se répercute contre un objet. La lumière artificielle du magasin m'aveugle un court instant avant que je ne me remette de mes émotions, faisant face à un Michael dont une des mains tient son visage.
«- Vous les françaises êtes vraiment des bourrins ! -Grogne ce dernier-
-Pardon ? -Dis-je abasourdie-
-Tu aurais pu ouvrir la porte un peu plus doucement en sachant que je t'attendais derrière !
-Oh pardon je... J'ignorais que tu étais juste derrière ! -Je m'approche de lui mais ce dernier retire sa main, pour me faire un grand sourire-
-Je plaisantais, je n'ai pas si mal que ça -Il me fait un clin d'œil- Alors ce parcours dans le noir ?
-Rien de bien effrayant -Dis-je avec un soupçon de fierté-
-Je te conseille quand même de passer par le rideau, c'est moins... Dangereux, si je puis dire.
-Il suffit simplement de réparer les lampes ou le circuit électrique dans le couloir non ?
-Crois-tu sincèrement que nous n'y avons jamais pensé Miss ? Mon père a dépensé pas mal d'argent dans ce couloir pour le remettre aux normes en cas d'incendie, mais jamais rien n'a fonctionné. Tout est neuf là-dedans, mais rien n'y fait. »
Je déglutis et lance un dernier coup d'œil au dit couloir alors que Michael ferme rapidement la porte lorsqu'un espèce d'éclair de lumière surgit. Ai-je rêvé ? Je réouvre un instant la porte, mais tout ce que j'observe sont la noirceur et l'obscurité du couloir. J'ai sûrement halluciné, pensant voir l'espace d'une seconde les lumières se rallumer, seulement dès l'instant où la porte s'est refermée.
Finalement j'aurais peut-être dû accepter le café de Monsieur Clifford.
*
«- Je vais vous demander de remplir ces formulaires Mademoiselle Stuart -M'annonce Latoya alors que je suis dans son bureau, lequel se trouve derrière l'accueil- Concernant le numéro de téléphone je vais vous demander de noter le numéro de votre portable ainsi que le numéro fixe de votre logement et également celui d'un proche.
-Je ne connais pas encore le numéro fixe, je demanderai à mon colocataire.
-Bien, avez-vous des signes particuliers ? Des maladies ou des allergies ?
-Je suis allergique aux fraises mais j'imagine que ça n'a pas grande importance.
-Toutes les fraises que nous vendons ici sont en barquette, vous n'aurez pas à en toucher, cependant je pense que je vais le rajouter dans votre dossier. Vous prenez des médicaments particuliers ?
-Je les ai toujours dans mon sac
-Très bien alors je vais vous faire une autorisation.
-Est-ce qu'en général c'est interdit d'amener des médicaments au travail ? -Je demande curieuse-
-Nous préférons ne plus prendre ce genre de risque. Nous avons déjà eu des problèmes par le passé et... Mais vous concernant je ne pense pas que ayez à vous en faire, je donnerai juste cette autorisation à Monsieur Clifford. »
J'hoche la tête et rempli les formulaires, inscrivant mon numéro de téléphone et celui de Calum en attendant de connaitre son numéro fixe. C'est assez rapide jusqu'à ce que mes yeux ne s'arrêtent sur une question. Elle n'a pas été tapée à l'ordinateur, elle a été rajoutée à la main.
« Q : Avez-vous peur de quelque chose en particulier ? »
J'hausse un sourcil. C'est bien la première fois que je vois ce genre de question. Est-ce quelque chose propre à la Nouvelle-Zélande ou bien à ce magasin ? Je triture le bout de mon stylo avant mes dents avant de reprendre le formulaire en main.
« R : Les serpents. »
Curieuse question.
*
Après avoir rendu mes formulaires à Latoya, cette dernière me tend un badge sur lequel est inscrit mon nom, ainsi qu'une veste à l'effigie du magasin, beaucoup trop grande d'ailleurs. Sur cette veste se trouve déjà un badge d'ailleurs.
Sybill.
« C'est la femme que vous remplacez, je vous donne sa veste le temps que je vous en commande une à votre taille. Si vous ne voulez pas l'apporter chez vous et l'oublier, je vous conseille de la laisser dans le local des caissières. »
Le dit local est aussi grand que le laboratoire de Calum. Il n'y a pas beaucoup de place et les porte-manteaux accrochés au mur occupent déjà un bel espace. Je remarque qu'au-dessus de chacun d'eux se trouve une étiquette.
Latoya, Ermione, Mariann, Madison, Shauna, Ruby, Sybill, Caitlin et Paige
Mes collègues, je présume. De ce que me dit Latoya, elle et Ermione sont les deux chefs responsables des caisses, c'est à elles seules que je devrai m'adresser en cas de problèmes. J'hoche la tête et alors que je pose ma veste sur le porte-manteau resté vide de Sybill, je remarque que Latoya vient coller quelque chose par-dessus l'étiquette.
Alésia.
Est-ce pratique courante de remplacer une collègue aussi vite ? Je déglutis, toujours aussi mal à l'aise avant de m'extirper du local, me trouvant face aux caisses. Seules deux filles travaillent ce matin. L'une d'elle semble d'un âge avancé, ses cheveux grisonnants sont attachés en un chignon démodé et je lui adresse un sourire amical lorsque ses yeux bleus me détaillent au travers de ses lunettes aux montures épaisses. Elle ne m'adresse qu'un signe de tête, rehaussant son col d'un geste expert. Sûrement est-elle proche de la retraite tandis que l'autre, derrière elle, me donne l'air d'avoir mon âge. Ses cheveux sont d'une belle couleur prune et de jolies anglaises tombent le long de son dos droit. De dos elle a l'air très belle, et j'imagine que de face aussi.
Sinon Ashton ne serait pas en train de la draguer ouvertement.
J'enfouis mes mains dans mes poches alors que ce dernier me lance des regards de moquerie, faisant se retourner la caissière aux cheveux prune, vers moi. En effet elle est magnifique. Ses yeux vairons se posent sur moi et elle me gratifie d'un large sourire avant de se retourner vers Ashton. Peut-être que finalement je m'entendrais mieux avec la vieille Miss au chignon gris.
« - Voici vos horaires -Dit Latoya en me tendant un papier, me coupant dans mes réflexions- Bien évidemment comme nous allons commencer à préparer la fête d'Halloween, j'aurais besoin que vous veniez plut tôt après-demain, pour nous aider à décorer les caisses. Vous a-t-on déjà un peu parlé de cette fête ?
-Vaguement oui -Dis-je en fixant Ashton- On brûle les méchants pour protéger les gentils ?
-Oui enfin ça c'est la légende, n'allez pas croire que nous sommes des pyromanes sanguinaires.
-On m'a parlé des espèce de poupées.
-En effet. Chaque années nous en commandons une pour chaque employé, voulez-vous que je vous en commande une, vu que vous faites désormais partie de l'équipe ?
-Avec plaisir -Dis-je après réflexion-
-Bien. Alors à demain, je m'occuperai de vous former.
-A demain et merci. »
Alors que je m'apprête à sortir, le cri du rideau de fer retentit encore une fois et je dois prendre sur moi pour rester impassible, enfonçant ma tête dans mes épaules alors que je remarque avec stupeur que personne d'autre ne semble être dérangé.
Seul Ashton m'observe.
Est-ce qu'il l'entend lui aussi ?
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