25 ~ The virus and the silver mouth

«- Est-ce que tu as dormi ? »

Cette voix me parvient aux oreilles comme un murmure, avant qu'elle ne devienne plus claire. C'est Caitlin derrière moi. Nous sommes toutes les deux de corvée de rayonnage étant donné qu'il n'y a que peu de client aujourd'hui et que Latoya souhaitait éviter que Monsieur Clifford ne nous voie assises à rien faire.

Et bien que l'on ne soit pas réellement autorisées à parler, Caitlin prend le risque, venant poser sa main sur mon épaule fatiguée.

«- Depuis que tu es arrivée tu sembles mal en point Sia.

-Je suis juste un peu fatiguée c'est rien.

-Est-ce que ce sont les évènements d'hier soir qui t'ont perturbée ?

-En quelque sorte –Dis-je sans la regarder-

-Je voulais en discuter avec toi hier soir d'ailleurs, mais quand j'ai quitté la salle des Médiums, tu avais déjà filée et je n'ai pas osé te courir après.

-Que voulais-tu me dire ?

-Oh juste savoir ce que tu en avais pensé.

-Je n'ai aucun avis –Dis-je en haussant les épaules- Ces histoires ne sonnent pas réelles.

-Pourtant la femme hier soir, la numéro 6, elle était bien possédée !

-Elle pouvait très bien jouer la comédie !

-Pourquoi est-ce que tu refuses d'ouvrir les yeux ? –Grogne la brune en posant un lourd carton de glaces-

-Car rien ici n'a d'importance pour moi –Dis-je les joues rouges- Je... Je ne suis pas d'ici, j'oublierai tout quand je serai rentrée chez moi.

-Vivement ce jour d'ailleurs. »

Je sursaute à l'entente de cette voix que je n'avais pas réentendue depuis quelques temps et tourne finalement la tête vers Irwin qui lui ne m'adresse aucun regard. Je pense que maintenant nous sommes des étrangers l'un pour l'autre, non pas que ça me fasse quelque chose, mais je dois avouer que je le trouve bizarre. Où sont passées ses mauvaises habitudes ?

Mal à l'aise, Caitlin décide saisir le premier moment venu pour s'éclipser et ranger ses cartons de glaces tandis que je ne bouge pas, disposant les conserves sans prêter attention au bouclé à côté de moi.

«- Tu es sortie avec Luke hier soir ?

-D'où tu sors cette information ?

-De sa propre bouche.

-S'il te l'a dit pourquoi est-ce que tu viens me le redemander ?

-Je voulais simplement être sûr.

-Cette curiosité ne te ressemble pas. Tu as quelque chose derrière la tête Irwin.

-A vrai dire je voulais te dire quelque chose et j'aimerais que pour une fois tu m'obéisses.

-Ca reste encore à voir.

-Ne t'approche plus de Luke.

-Pardon ? –Je demande sans pouvoir cacher un léger choc-

-Tu veux que j'utilise d'autres mots pour que tu comprennes mieux ? –Lance-t-il d'un air arrogant-

-Je veux que tu m'expliques pourquoi tu me sors ça, Luke est mon ami !

-Luke est mon ami et je ne supporte pas de le voir trainer avec toi qui n'est pas mon amie.

-Qu'est-ce que ça peut te foutre ? T'es en couple avec lui peut-être ?

-J'ai pas envie de rire Stuart, Luke est mon meilleur ami et je refuse de le voir m'abandonner pour une fille comme toi.

-Oh pauvre chaton tu te sens seul ? –Dis-je en serrant les poings si violemment que le carton se déforme-

-Luke est à moi.

-Luke n'est pas un putain d'objet !

-Je ne te laisserai pas l'attirer.

-Aux dernières nouvelles je n'ai rien fait pour ça, Luke est venu vers moi naturellement et nous sommes devenus amis naturellement.

-Il ne peut pas être ami avec toi.

-J'aurais plutôt dit l'inverse. Il mérite bien mieux qu'un connard égoïste et bipolaire comme toi.

-Il a besoin de moi –S'énerve le bouclé-

-C'est pas l'impression qu'il m'a donné ! Arrête de te prendre pour le centre du monde, on peut très bien se passer de toi ici, tout comme Luke peut très bien se passer de toi.

-Je t'empêcherai de le revoir.

-Tu peux toujours essayer.

-Je refuse de le voir s'éprendre de toi.

-On dirait que tu veux sortir avec lui, tu deviens pitoyable Irwin.

-Je sais qu'il est passé chez toi hier soir, je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais il n'était pas bien. Je ne te laisserai plus lui faire du mal. Crois-moi Stuart que ton séjour ici ne sera pas de tout repos si tu continues à n'en faire qu'à ta tête.

-Je n'ai pas peur de toi.

-Pourtant tu devrais.

-Pourquoi ? Tu vas me dire que tu es un méga-monstre antique sorti du Folklore qui se régénère chaque jour et qui va me dévorer ?

-Si seulement j'étais ce monstre, tu serais le cadet de mes soucis aujourd'hui.

-Sauf que tu n'es rien d'autre qu'un gamin froussard et mélomane dont la seule peur est de perdre son petit cercle d'amis et de se retrouver tout esseulé. »

En une fraction de seconde son bras s'étire vers l'avant et sa main s'enroule fermement autour de mon cou alors que j'y joins ma propre main. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, je n'ai pas peur. Mon cœur bat calmement alors que je plante mes ongles dans la peau tendue du bouclé. Tout autour de nous semble être silencieux, personne ne nous remarque et c'est avec aisance que j'enfonce un peu plus mes ongles dans sa peau, esquissant un sourire malgré moi en voyant ses sourcils se plisser.

D'un geste brusque il retire sa main et j'ai à peine le temps de voir son sang s'en écouler qu'il s'est mis dos à moi, quittant le magasin à grand pas en direction de la réserve. Le rideau de fer se met à hurler, puis plus rien.

La vie reprend son cours normal.

La seule chose que je considère comme anormale, c'est le sang d'Irwin.

Un sang épais et noir s'est écoulé de sa main entaillée, jonchant à présent le sol et finalement je me décide à regarder mes ongles. Ils sont noirs et poisseux, comme si je les avais trempé dans de la peinture noire. Il n'est pas normal, tout comme je ne le suis pas non plus.

Et si notre animosité n'avait rien à voir avec mon idée de départ ? Et si... Nos Këhuas étaient incompatibles ? Selon Luke je possède encore un fantôme blanc, peut-être qu'Irwin lui est tout simplement noir et qu'il n'a fait aucun effort pour redevenir bon.

Mais je n'ai aucune piste.

Sans compter qu'il m'empêchera de voir Luke dorénavant et que je ne pourrais plus lui poser tout un tas de questions.

D'ailleurs, qu'avons-nous fait lui et moi hier soir en revenant du Temple ? Je n'en ai aucun souvenir. C'est comme si j'avais bu jusqu'à tout oublier. Je me rappelle le Temple, puis Carlin's Crescent. J'ai reçu un baiser, je m'en souviens. Je me souviens avoir senti des lèvres sur les miennes, puis une aspiration. Luke m'a sauvée, mais ensuite ?

Je ne me souviens même pas être rentrée chez Calum, pourtant c'est dans mon lit que je me suis réveillée ce matin. Seule et étrangement peu vêtue.

Tout était fermé à clé, même ma porte de chambre et mon volet.

Je reprends mon carton et me presse de le mettre de côté avant de prendre la direction de la réserve. Je dois me laver les mains, cette substance est étrange, elle est poisseuse et sa chaleur me picote le bout des doigts.

Je regarde s'écouler les filets d'eau noire dans l'évier, suivant les formes fantomatiques avant qu'elles ne soient avalées par le siphon. Mes mains ont retrouvé leur couleur normale, je devrais m'en aller et continuer mon travail dans les rayons.

Pourtant je reste là.

« Alésia »

Je reste car je sens que je me dois de rester. On m'appelle, on murmure mon nom. Comme les ombres sur la falaise, on vient chuchoter à mon oreille tandis que je fixe le siphon d'où s'évapore une fumée noire, filandreuse presque organique.

Elle s'avance et tournoie autour de moi, me frôlant tel un animal effarouché alors que je ne bouge pas. Encore une fois je suis étonnement calme, comme si j'étais sûre, au fond de moi, de faire le bon choix. Je me contente d'observer la masse flottante, prête à parer une éventuelle attaque.

Elle virevolte, plane contre ma peau.

Avant de se fracasser contre et de rebondir.

Elle cherche à s'infiltrer. Comme un animal une fois encore, cherchant à se mettre à l'abri. Elle tente une seconde percée, piquant vers mon bras immobile. Mais une fois encore ma peau blanche semble être devenue aussi dure et impénétrable que l'acier, car les volutes noires sont repoussées. Je ne les quitte pas des yeux et d'un geste, ma main fend l'air et s'abat sur la fumée.

Ridicule certes, on ne peut attraper de la fumée.

Pourtant ma main s'est refermée sur quelque chose de matériel, quelque chose dont l'état serait entre solide et gazeux. Quelque chose d'irréel.

J'observe mon poing fermement serré sur la fumée devenue une boule noire opaque avant de presser avec force. Au-dessus de moi la lumière des toilettes grésille et bien que j'imagine déjà les néons exploser, je suis surprise d'entendre un bruit d'éclat provenir d'un tout autre endroit.

La boule de fumée vient d'éclater, se brisant en de multiples morceaux de verre noirs qui deviennent liquides une fois en contact avec le sol, ressemblant à un espèce de pétrole, lequel s'est arrêté de couler juste devant mes pieds.

Est-ce ce que je suis ? Ce Médium spécial dont parlais Luke ?

Suis-je une créature capable de détruire de la fumée ? Autrement dit, des fantômes ?

*

Après avoir nettoyé la flaque noire au sol, je m'empresse de sortir des toilettes, reprenant le chemin de la sortie lorsque mes yeux tombent sur une masse au sol. J'allume la lumière et pousse un petit cri de surprise en voyant Irwin étalé de tout son long dans les escaliers. Ravalant ma colère et ma fierté, je me précipite vers lui et le soulève de mon mieux, cherchant nerveusement son pouls.

Il s'est évanoui.

Pourtant je ne l'ai pas entendu appeler à l'aide, ni même s'effondrer. C'est par hasard que je suis tombé sur lui et jamais il ne saura à quel point j'ai pris sur moi pour l'aider. Je le tire jusqu'en salle de pause où je l'allonge sur un des nouveaux canapés. Il est livide, comme s'il était mort.

Pourtant il respire.

Je pose ma main sur son front et sursaute en voyant ses yeux s'ouvrir grand. Il panique l'espace de quelques secondes, avant que nos yeux ne se croisent et qu'il ne comprenne.

« - Ne m'aspire pas je t'en prie –Dit-il d'une petite voix plaintive- Alésia je t'en prie. »

Il approche sa main de mon visage sauf que cette fois-ci je recule. Pourtant il ne pensait pas à mal.

Il souhaitait juste me montrer sa paume dans laquelle sont percés cinq petites crevasses tels des perforations.

Serait-ce mes ongles ?

J'attends qu'il ait de nouveau fermé les yeux pour attraper sa main et placer mes ongles aux endroits même des crevasses. Les écarts correspondent, pourtant mes ongles n'auraient jamais pu faire ça. Il devait avoir ces marques avant.

Et c'est au moment où je retire mes ongles que sa peau redevient nette. Il n'y a plus aucunes traces des perforations ni du sang noir.

Non décidemment Ashton Irwin n'est pas normal.

Je le regarde qui s'est endormi, me remémorant ses paroles.

« Ne m'aspire pas »

Aspirer. J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ça. Quelqu'un d'autre m'a dit ce mot. C'est un souvenir vague, confus. Qu'ai-je fait hier soir et pourquoi est-ce que je n'en ai aucun souvenir?

*

En redescendant, je veille à ne pas passer par le rideau de fer. J'emprunte le chemin dans le noir que j'avais pris à mon arrivée ici et retourne en rayon. J'ai beaucoup moins peur que la dernière fois et il me semble y voir plus clair, toujours avec l'aide de mon téléphone. La porte s'ouvre sans problèmes et je m'éclipse discrètement, ne sachant pas si oui ou non j'avais bien le droit de passer par ce chemin pourtant condamné.

En tout cas personne ne m'a vu.

Personne sauf Caitlin.

Elle aussi est plus pâle que jamais.

Elle vient vers moi en titubant presque et marmonne avec stupeur.

« - Sybil est revenue, elle.... Elle veut te voir.

-Sybil ? Celle que je remplace et qui avait disparu?

- O....oui.

-Elle veut me voir ?

-Elle a... Quelque chose pour toi. »

J'hausse un sourcil avant de suivre Caitlin. Elle semble effrayée, comme si elle venait de voir un fantôme et pour cause, lorsque j'entre dans le local, je manque de pousser un cri. Face à moi se trouve une grande femme horriblement maigre, dont les cheveux blonds foncés sont vaporeux et fins, à la limite de l'invisible et dont la bouche est tachée d'une auréole argentée indélébile.

« - Vous... Vous vouliez me voir ?

-Ce n'est pas toi que je veux voir, c'est Julianna Bloom.

-Je ne connais pas de Julianna Bloom.

-Pourtant elle est là.

-Qu'est-ce que vous me voulez ?

-Julianna.

-Je ne connais pas de Julianna ! –Dis-je un tantinet tendue- Ecoutez, si vous voulez reprendre votre place ici j...

-Je ne peux rester plus longtemps –Dit-il d'un ton rauque, crachotant de l'argent à mes pieds- L'Être Suprême.... Julianna.

-Comment ? Attendez prenez un siège et calmez-vous.

-La Terre va tomber ! Pas le temps de parler ou de s'asseoir.... Pas le temps.... –Dit-elle en attrapant fermement mes poignets dans ses mains osseuses- Ne dis à personne que tu m'as vu. Ne dis à personne ce que je t'ai donné. Ta collègue va oublier ma présence, toi tu n'oublieras pas...

-Vous ne m'avez rien don...

-Ne dis rien créature noire ! Ne dis rien ou tu mourras ! Ils ne t'ont pas vu... Ils n'ont pas trouvé Julianna.

-Mais qui est cette Julianna ?

-Le miroir te le dira.

-Le miroir ? Ca ne vous arrive jamais de vous exprimer autrement que par le biais d'énigmes ou de mots clés ? -Je grogne avec colère-

-N'aies pas peur de ton reflet, Alésia Stuart. N'aies peur que de la créature noire. Dompte-la ou elle te domptera...

- Quelle créature ? Qui suis-je ?

- Julianna.

- Je m'appelle Alésia Stuart ! -Je scande, étrangement hors de moi- Pourquoi venir me dire toutes ces choses, à moi ?

-Les choses avancent, le monde change et s'apprête à périr. Les Eléments se dispersent... Sans chef... Les Êtres Suprêmes.... Je n'ai plus le temps de parler.

-Vous devriez vous reposer un peu –Dis-je désormais mal à l'aise face à son visage de mort-

-Il me trouvera ! Il m'a déjà trouvée ! –Elle se recule de moi et remonte ses manches, me laissant découvrir une peau marquée par des brûlures semblables à des piqûres de méduses-

-Allergie à l'argent ? Alors ce qu'ont dit les Kewards était vrai ?

-Nous sommes en danger ! –S'étouffe Sybil, crachant de l'argent alors que je m'éloigne par précaution- L...La mort est sur nous créature noire. Son jugement.... Le jugement est proche. »

Elle tente à nouveau de s'approcher de moi mais je recule, terriblement effrayée.

Mais au même moment la porte s'ouvre sur Mariann. Cette dernière attrape Sybil d'une main ferme et l'éloigne de moi avant de lui faire signe de partir. La blonde se couvre d'un manteau miséreux avant de disparaitre derrière la porte, me laissant seule dans le local avec ma collègue qui se tourne lentement vers moi.

«- E...Elle est folle n'est-ce pas ? –Je demande d'une petite voix alors que Mariann se contente d'hausser les épaules- Que me voulait-elle ? Tu le sais Mariann j'en suis sûre ! »

Elle me fixe un long moment avant de soupirer et d'attraper un morceau de feuille.

« Ne parle de sa visite à personne, ce n'était pas toi qu'elle cherchait mais c'est toi qu'elle a trouvé. Si quelqu'un venait à l'apprendre, vous mourrez toutes deux. »

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