13 ~ Deadsflower and Këhuas

«- Est-ce que tu as bu ? -Demande Calum, les sourcils froncés alors que nous nous dépêchons de quitter la plaine sous le regard insistant d'Irwin-

-Non, j'ai refilé mon verre à Caitlin, je n'avais pas soif. Pourquoi, j'aurais dû ?

-Non justement -Il soupire et crée une petite boule de vapeur devant ses lèvres avant de me fixer- Il y a de la drogue mêlée à l'alcool..

-Quoi ?!

-Ce n'est pas une drogue puissante, c'est une essence naturelle issue d'une plante Néo-Zélandaise qui pousse sur le terrain marécageux de Grey Atlantis. Beaucoup de gens se risquent à aller en cueillir pour ensuite les assécher et les revendre en vrac. Ca marche beaucoup ici, surtout pour Halloween.

-Tu es en train de me dire que mes collègues étaient drogués ? -Je déglutis, me retournant pour voir la fumée rouge surplomber la plaine-

-Certains j'imagine -Il hausse les épaules- Ne me demande pas pourquoi ils prennent ça, c'est la tradition pour Halloween.

-Cette plante ne pousse qu'à Grey Atlantis ?

-Oui, avant l'inondation, elle n'existait pas et c'est ce qui lui a donné son nom de 'Fleur des Morts'. Elle est particulièrement coriace, elle repousse très rapidement et surtout elle résiste aux la submersions quotidiennes. J'ai récemment eu l'occasion de travailler dessus pour des médicaments. Et mélangée à certains produits, cette plante peut devenir mortelle.

-Très rassurant -Dis-je en fixant les quelques fleurs sur le chemin, éclairées par la lune- Tu en as déjà pris ?

-Euh non -Bredouille-t-il en accélérant le pas-

-Calum Thomas Hood.

-Oui bon ok c'était l'an dernier, j'ai voulu essayer à l'Université... On en avait un gros stock en trop, on voulait faire quelques expériences... La mienne d'expérience, je l'ai retrouvée dans mon lit le lendemain matin.

-Tu as ramené une fille chez toi ? -Je glousse alors que je l'entends clairement se renfrogner-

-J'en avais pris un peu trop, je n'avais aucun souvenir ! Et elle non plus d'ailleurs. Bref tout ça pour dire que tu as bien fait de ne pas boire Sia. »

Je souris en coin avant de me tourner une dernière fois. Au loin le brasier est encore visible, d'énormes flammes éclairent mes collègues dont je ne distingue que les silhouettes à présent et je me mets à penser à Caitlin. Elle a bien bu trois ou quatre verres, j'espère que tout va bien pour elle.

Mais pour rien au monde je n'y retournerai, pas maintenant qu'Irwin a retourné le sort contre moi. Si je le vois, je le mets dans le feu.

Je serre les poings et suis Calum jusque dans l'appartement, prenant la direction de la salle de bain où je ferme tout à clé. Depuis ce matin où je me suis évanouie, je n'ai pas eu l'occasion d'observer ma cicatrice. Je me mets en sous-vêtements et me poste devant le long miroir du basané, pivotant lentement sur moi-même.

Mon cœur bat la chamade et lorsque mon dos se reflète dans le miroir, je mords mon poing pour ne pas crier. De la naissance de ma nuque jusqu'au milieu de mon dos, ma cicatrice est noire. Les veines autour ressortent d'une couleur violacée comme si j'avais un hématome et je n'ose même pas poser les doigts dessus de peur de réveiller une vive douleur qui n'était pas revenu depuis ce matin. Pourquoi est-ce que ça s'intensifie ? Est-ce que c'est depuis que j'ai quitté la France ? Je déglutis et fini par passer de l'eau chaude dessus, sachant pertinemment qu'aucune crème ne pourra effacer ça. Rien ne pourra l'effacer.

En guise de pyjama, j'opte pour une polaire à col roulé, cachant ingénieusement mon horrible cicatrice avant de laisser la place à mon meilleur ami. Pendant qu'il s'admire devant le miroir, à l'inverse de moi, j'allume mon ordinateur et décide de faire un rapide Skype avec Théodore, lequel vient tout juste de se réveiller sous la pluie parisienne.

« -Est-ce que tu t'amuses là-bas ? -Demande mon cousin d'un air soupçonneux-

-Tu sais je travaille Théo, je n'ai pas vraiment le temps de m'amuser.

-T'as pas bonne mine. Je veux que tu souries, que tu t'amuses ! -Dit-il en se balançant d'avant en arrière sous mes yeux impuissants-

-Je le ferai, demain mon grand.

-Oui mais je ne le verrai pas !

-Je t'en fais la promesse, tu sais que je les tiens toujours ? -Dis-je avec un petit sourire-

-Les gens ne sont pas amusants ?

-Pas tous -J'hausse les épaules-

-Est-ce que tu as revu la lumière ? Tu sais celle qui était derrière toi l'autre soir, celle que tu as ignorée.

-Non mon grand, je n'ai rien vu du tout.

-Elle te fera du mal si t'es pas gentille avec elle...

-Ce n'est pas de la lumière qu'il faut avoir peur Théo, mais de l'ombre, tu le sais.

-Derrière la lumière se cache l'ombre.

-Je ne pensais pas que tu pourrais sortir une phrase pareille à ton âge -Je glousse- Tu grandis trop vite petit Gobelin.

-Je ne suis pas un Gobelin ! Je suis un Poufsouffle, comme toi !

-Et nous sommes les meilleurs -Je lui adresse un clin d'œil-

-Tu sais j'ai rencontré une autre Poufsouffle à l'école aujourd'hui, elle s'appelle Alice et elle adore les chats.

-Comme la Alice du Pays des Merveilles ?

-Je crois oui -Il sourit grandement, faisant bouger ses mains rapidement- Elle est belle et elle me parle ! Elle aime me parler comme tu aimes me parler, alors je l'aime.

-Il faudra que tu me la présentes.

-Et toi tu as trouvé quelqu'un que tu aimes ?

-Oui moi ! -Surgit Calum alors que je le repousse vivement sous le regard choqué de Théo, s'exprimant dans un français médiocre-

-C'est qui ? -Il demande-

-C'est Calum Hood, mon correspondant.

-C'est ton amoureux ?

-Oui -Chantonne Calum- Et voilà notre fils -Il soulève Flipper et Théodore semble fasciné par la bestiole-

-Oh Alésia ! C'est un Poufsouffle ! C'est un Poufsouffle ! -S'écrit mon cousin-

-Qui ça ? Calum ?

-Non ! Lui ! -Il tapote son écran et j'imagine alors qu'il parle de Flipper- C'est le symbole !

-Flipper n'est pas un blair... -Commence Calum en anglais alors que je lui donne un discret coup de coude- Oui tu as raison, c'est l'emblème de Poufsouffle !

-Woah ! -Ses yeux semblent briller de surprise- Mais... Comment ça peut être votre enfant ?

-N'écoute pas ce que raconte Calum -Je soupire- C'est des bétises. Bon, je ne vais pas tarder à aller me coucher mon Trésor, est-ce que tu fêteras Halloween demain ?

-Oui, j'ai déjà tout préparé, j'irai avec Alice ! J'espère qu'on verra plein de fantômes !

-Le but c'est de récolter des bonbons...

-J'aime pas ça ! -Dit-il en se balançant- C'est pas bon, pas bon ! On ira voir les fantômes, oui.

-Bien alors je te souhaite de passer une bonne journée mon grand, embrasse ta Alice pour moi et surtout sois prudent.

-Promets-moi de sourire et d'être gentille avec la lumière.

-La lumière ? -Chuchotte Calum tout en faisant coucou, venant de comprendre le mot-

-Promis. »

Je préfère ne pas parler de cette histoire de lumière à Calum, après tout c'est un scientifique. Les hommes de sciences ne croient pas aux esprits et aux fantômes. Ils ont réponse à tout et peut-être même devrais-je parler de mes doutes à mon meilleur ami, histoire d'être rassurée.

Un jour je lui parlerai de cette lumière, de ces cauchemars qui reviennent, de ma cicatrice qui semble réagir bizarrement, les cris du rideau de fer... Un jour je saurai lui parler de tout ce qui ne va plus chez moi et j'ose espérer qu'il m'écoutera.

*

Le lendemain à Pak'N'Save, tout semble tourner au ralenti. Ruby, Shauna et Caitlin sont encore sujettes aux effets de la Fleur des Morts à tel point qu'on les sort de caisse pour qu'elles aillent nettoyer les rayons. A leurs places sont misent Madison et Paige Kewards, dernières de mes collègues dont j'ignorais encore les noms et visages et qui se trouvent être sœurs. Madison est l'ainée et comme sa cadette, ses yeux sont d'un brun profond, presque envoutant. Comparées à Ruby et Shauna, on peut dire que les deux sœurs sont dotées d'un charme naturel qui semble hypnotiser les gens.

Maintenant que Caitlin est partie, je me retrouve seule dans mon ilot, passant le plus clair de mon temps à observer les deux sœurs avant que quelqu'un ne vienne s'asseoir derrière moi. Caitlin est de retour.

«- Voilà ce qui arrive lorsqu'on se bourre la gueule -Dis-je en souriant en coin, faisant passer quelques articles sans intérêt-

-Tiens donc, voilà maintenant que tu dispenses des remarques douteuses -Ricane une voix totalement à l'opposé de celle de Caitlin-

-Irwin ?! -Je fais volte-face et frisonne en voyant son sourire vainqueur- Mais qu'est-ce que tu fais là ? Dégage de mon ilot !

-C'est pas ton ilot Princesse et Latoya m'a appelé pour que je remplace cette fille là, Caitlin.

-Elle ne t'aurait jamais mis avec moi -Dis-je avec colère, reposant mon attention sur l'unique cliente à ma caisse-

-Visiblement tu fais erreur -Il sourit et j'entends un bruit lourd dans mon dos, me tournant pour voir Irwin à demi allongé sur la caisse, son regard fixé sur moi-

-Dois-je t'apprendre le métier de caissier ou bien t'as l'intention de te la toucher ?

-Il n'y a pas beaucoup de clients -Il hausse les épaules- Alors je n'ouvrirai ma caisse qu'en cas d'extrême urgence.

-Ce sera mon genoux dans tes parties l'extrême urgence -Je grogne pour moi-même- 20 dollar je vous prie, merci. Au revoir... »

Je déglutis et observe les rayons alentours, priant pour que quelqu'un débarque et me sauve de la tension qu'Irwin venait d'imposer en restant derrière moi. Mais personne ne vient, seulement deux trois personnes avec des bricoles, rien de plus. Tout le monde est bien trop occupé à préparer la fête d'Halloween de ce soir. Pour ma part je pense avoir assez donné et seul le repas chez Winonah et Tipo me conviendra, rien de plus.

«- Bon, t'as pas un truc à raconter ? Pour faire passer le temps ? -Demande le bouclé dans mon dos-

-Ta gueule.

-Parfait, je vais donc te raconter ma nuit d'hier.

-Ne me parle pas d'hier soir -Dis-je les joues rouges-

-Quoi ? Tu m'en veux encore d'avoir lu ton papier ? Oh allez bébé, je croyais que t'étais pas branchée superstitions ?

-Tu as lu mon mot !

-Et alors ? Tu veux savoir c'était quoi le mien ?

-Pas besoin de mot, ton prénom suffit à résumer ton personnage à lui tout seul.

-C'est le principe d'un nom en effet Madame-Je-Sais-Tout. Mais si tu veux tout savoir, mon mot était 'eau'.

-Tu m'en vois ravie -Dis-je avec un faux sourire, ignorant son mensonge et fixant l'entrée du magasin-

-Tu attends qui ? Calum ? C'est lui qui est venu te chercher hier soir non ? Je serais curieux de savoir si il t'a culbuté ou bien si il y a jamais pensé.

-Tu ne la fermeras donc jamais ?! -Je souffle exaspérée-

-Pardon d'essayer de communiquer.

-Pas la peine d'essayer avec moi.

-Je peux peut-être essayer d'une autre façon ? »

J'hausse un sourcil et avant même d'avoir pu comprendre quoi que ce soit, sa main droite atterrit sur mes fesses, faisant se dessiner un radieux sourire sur ses lèvres. Pour ma part, je sens une ébullition de colère me tenailler et en moins d'une seconde, j'attrape le bouclé par le col et l'écrase contre la caisse de Caitlin, son sourire devenant une grimace de douleur au moment où son dos percute le caisson. Nos visages sont si proches et d'un geste il échange nos positions, venant m'écraser littéralement contre la caisse, ma tête touchant le tapis alors que nous maintenons un contact visuel. Je ne cèderai pas. Ses yeux deviennent noir de colère et j'imagine que les miens aussi, une migraine me foudroyant rapidement.

«- T'as fait quoi là Stuart ?! -Enrage-t-il-

-Repose ta main sur moi et je ne me contenterai pas du bruit de ton dos qui cogne contre la caisse.

-Tu vas me le payer ! »

Son poing se dresse dans les airs et au moment où il s'abat sur moi, une main étrangère l'intercepte. Le figeant dans le vide, à quelques centimètres de ma joue. Je déglutis et lève les yeux du mieux que je peux, surprise de voir la chevelure grisonnante de Mariann au-dessus de la caisse de Caitlin. Rapidement Irwin se retire de contre moi, les joues rouges, tandis que je me remets droite douloureusement.

Autour de nous les gens nous observent en silence, les sœurs Kewards semblent surprises tandis que Latoya s'empresse d'aller chercher Cailtin et la fait reprendre sa caisse, chassant le bouclé de mon ilot. Quant à Mariann, elle retourne simplement à sa caisse, sans m'accorder le moindre regard.

C'était bien elle qui m'avait dit de rester éloignée d'Ashton Irwin... Je crois que je comprends pourquoi.

Son regard était si étrange, si malsain, que je mets un moment avant de l'oublier.

*

«- C'était ridicule, votre petite scène -Soupire Luke qui s'est porté volontaire pour me raccompagner jusqu'à l'appartement de Calum-

-Tu nous as vus ?

-Et comment, j'étais en rayon pour la matinée. Ca t'a apporté quoi de le violenter ? Tu devais bien te douter qu'il riposterait ?

-Il m'a mis une main au cul ! -Je scande, provoquant un écho fort désagréable-

-Et alors ? C'est un mec, on aime tous faire ça, ça veut pas dire que c'est déplacé.

-La main d'Ashton Irwin est forcément déplacée.

-Tu ne le connais même pas.

-J'ai eu suffisamment affaire à ses défauts depuis trois jours que je suis ici et crois-moi ça ne m'a pas donné envie d'en apprendre plus sur lui.

-Pourtant tu devrais.

-Tu es son colocataire, t'es pas objectif.

-Ex colocataire.

-Quoi il t'a mis une main au cul à toi aussi et c'est pour ça que t'es parti ?

-Non, c'est lui qui est parti, pour des raisons familiales. Mais il retourne souvent dans notre ancien studio. Tu le saurais si tu t'intéressais un peu plus à celui qu'il est et pas celui qu'il veut faire croire qu'il est.

-Toi tu vis où ? -Dis-je en ignorant totalement son discours sur la bonne personne que peut être Irwin-

-Chez ma mère. Tu devrais venir un jour, c'est une belle maison avec vue sur l'Océan. On est jamais inondé là-bas, à la différence de notre studio...

-Alors vous avez vraiment été inondés ?

-Oui, ou du moins, l'eau monte si haut qu'on a l'impression d'avoir l'Océan au pas de la porte, coupant tout accès à la terre ferme.

-Dis Luke, est-ce qu'Irwin a peur de l'eau ?

-Oui, comment tu le sais ?

-J'ai supposé, c'est tout. »

Le blond hoche la tête et me dépose comme convenu devant l'entrée avant de me faire une bise volage, prenant ensuite le chemin inverse en silence, sans jamais se retourner. Quel garçon bien étrange ce Luke Hemmings.

*

Comme ma cicatrice commence de nouveau à me faire mal, j'avale quelques comprimés avant de réfléchir à quelle tenue porter pour le repas d'Halloween. Je ne connais pas très bien Winonah et bien que Calum me rassure, j'aimerais faire bonne impression à sa voisine qui est à présent la mienne. Ne pouvant pas exhiber ni mon dos, ni ma nuque, j'enroule mon écharpe Poufsouffle autour du cou, puis enfile une cape sur lequel j'accroche ma broche jaune et noire.

«- Tu veux Flipper pour faire encore plus réaliste ? -Glousse Calum dans mon dos, me faisant sursauter-

-Non merci, j'aimerais passer une soirée loin de ce pervers.

-Il t'a encore volé des sous-vêtements ?

-A moins que ce ne soit toi qui me les dérobe, oui. Il m'en manque quelques-uns.

-Ou bien mon appartement est hanté par un fantôme obsédé ! -Il ricane, venant se poser sur le lit face à moi alors que je fais mine de ne pas avoir entendu sa dernière remarque- Bon vu que tu te déguises, j'imagine que je vais devoir le faire aussi.

-Que vas-tu mettre ?

-Attends moi-là ! »

Il se retire dans sa chambre, semble ouvrir et balancer ses tiroirs avant de revenir quelques minutes plus tard, vêtu d'un déguisement d'Indiana Jones, le fouet bien évidemment inclus avec la panoplie...

«- Je suis beau ?

-Ca ne fait pas très Halloween mais bon, c'est pas mal.

-Tipo va adorer mon costume.

-Qui sera là ce soir ?

-Sa mère, lui et quelques voisins, rien de bien grandiose. J'ai eu de la chance de tomber sur un voisinage calme et respectueux. Ce soir tu pourras boire à volonté, Winonah cultive la Fleur des Morts, mais seulement pour ses rituels, elle n'en mettra pas dans les boissons.

-Ses rituels ?

-Elle est médium ou voyante appelle ça comme tu veux. Quoi qu'il en soit tu n'as vraiment pas à te méfier d'eux, en plus c'est Winonah elle-même qui a insisté pour que tu viennes fêter Halloween avec nous. Tu dois lui plaire, dans un sens. »

J'hoche la tête et fini de me préparer avant d'emballer un petit paquet pour Winonah, la remerciant de son invitation. Alors que les minutes passent, je me sens étrange. Je vais bientôt fêter Halloween, cette fête qui semble si précieuse aux yeux des Néo-Zélandais, cette fête si étrange, bien loin de nos coutumes Européennes. Bien loin du rationnel.

*

Dès lors que nous passons la porte d'entrée, le jeune Tipo se rue sur nous, vêtu d'un costume de vampire bien trop grand pour lui tandis que d'autres enfants accourent. Parmi eux je reconnais les triplés, Minnie, Colton et Sheppard, que j'avais déjà rencontré à mon arrivée et quelle ne fut pas ma surprise en voyant Mariann parmi les convives. Apparemment c'est une amie proche de Winonah. Ses yeux se fixent sur moi et elle m'accorde un léger sourire avant de repartir dans une conversation en langage des signes avec la mère des triplés.

Parmi tous ces adultes se trouve Winonah. Elle est si petite, boulote, qu'elle semble perdue dans la masse, se baladant avec un lourd plateau de chips dans les bras. Dès qu'elle nous aperçoit son regard s'illumine et étrangement, elle ne semble avoir d'yeux que pour moi. Elle embrasse Calum affectueusement avant de se poster face à moi. Ses yeux sont brillants d'une excitation qui m'échappe et elle enroule mes mains des siennes.

«- Je suis ravie que tu sois venue Alésia ! J'avais peur que tu ne refuses étant donné que tu ne nous connaissais pas suffisamment. Merci à toi.

-Mais de rien -Dis-je en cachant ma gêne- C'est... Un plaisir.

-J'espère que tu t'amuseras ce soir et que laisseras tes soucis derrière toi -Elle sourit en coin- J'ai la faculté de ressentir les soucis des gens et je sens que tu en as un bien gros actuellement. Fais-moi plaisir et n'y pense plus mon enfant, ici tu es en sécurité. »

Mariann me lance un regard en biais avant de m'apporter une boisson que j'examine discrètement. Comment puis-je être sûre qu'il n'y a pas de drogue à l'intérieur ? Je fais mine de réfléchir et remarque au même instant que les enfants boivent exactement la même chose que nous.

J'imagine qu'il est absurde de penser que Winonah aura tenté de droguer les petits.

J'hausse les épaules et porte la boisson sucrée à mes lèvres, n'y trouvant aucun arrière-gout. Me voilà pleinement rassurée.

*

Tout le long du repas nous baignons dans la fumée des multiples encens rouge sang disposés autour de la table. J'imagine que c'est une autre façon de bruler et enfumer les démons bien que je sois reconnaissante lorsqu'un invité se lève pour ouvrir une fenêtre, apportant un peu d'air. Ma gorge est asséchée par la fumée et bientôt je me rends dans la cuisine pour prendre l'air, jetant quelques coups d'œil par la fenêtre ouverte. Le ciel noir de la nuit est gâché par d'innombrables feux de joie, visibles depuis l'étage, le tachant de fumée rouge vif. Ce soir des tas de poupées sont brûlées, des tas de mots seront envoyés au Diable dans le plus grand secret, tandis que le mien avait été lu par le Diable en personne, me maudissant à jamais. Je frisonne à cette pensée et tente de rejoindre le salon lorsque je me trouve face à Winonah, apportant la vaisselle salle dans l'évier.

«- Est-ce que tout va bien mon enfant ?

-Oui j'avais simplement besoin de prendre un peu l'air -Je souris maladroitement- Mais ça va mieux.

-Veux-tu que j'éteigne les encens ? Ce n'est pas bon si ils t'incommodent.

-Non ne vous dérangez pas pour moi, ça va aller. Je vais retourner à ma place. »

Je passe devant elle et au même moment elle entoure maternellement mon dos de son bras, me provoquant un sursaut énorme alors qu'elle se met à pousser un petit cri, observant ses mains avant de fixer mon dos.

«- Alésia qu'est-ce que c'est ?! -Demande-t-elle en pointant mon dos- Ton dos est brûlant ! Montre-moi ça !

-Rien, c'était un coup de jus ça m'arrive de temps en temps. »

Je ne lui laisse pas le temps de continuer et m'empresse de retourner m'asseoir, le cœur battant. Qu'a-t-elle ressenti ? Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir, car à en voir son regard troublé, ça n'annonce rien de bon.

Calum ne m'a-t-il pas dit qu'elle était médium ou quelque chose de la sorte ?

*

Le reste du repas se passe bien, l'air est de nouveau présent dans la pièce et je ne pose plus un seul instant mon regard sur Winonah qui elle, j'en suis sûre, ne m'a pas lâchée des yeux.

C'est peu avant le dessert qu'on autorise les enfants à aller quémander des bonbons dans l'immeuble. Accompagnés de Calum et quelques invités, me laissant incroyablement seule parmi les autres convives que je ne connais pas. Mariann m'observe de temps en temps et je peux voir qu'elle échange des signes avec Winonah. C'est trop pour moi. Je me lève brusquement et pars m'enfermer dans la salle de bain pour me rafraichir le visage, tout en regardant discrètement le haut de ma cicatrice, entourée d'un hématome aussi rougeâtre que violacé et qui a visiblement doublé de volume. Comment vais-je faire partir ça ? Est-ce que c'est un deuxième bleu qui s'est formé à cause du choc que m'a provoqué Irwin en me poussant contre la caisse ? Ca me parait bien trop gros. Je ferme les yeux et manque de m'étouffer avec ma salive lorsqu'on frappe à la porte.

«- Alésia c'est Winonah, il faut que tu m'ouvres j'ai quelque chose pour toi. »

J'hésite un instant avant d'ouvrir la porte sur Mariann et Winonah. Les deux m'observent comme si j'étais un zombie, confirmant ma mauvaise mine, avant qu'elles ne m'attirent hors de la salle de bain. Sauf que nous ne retournons pas au salon. Nous continuons dans le couloir à peine éclairé avant d'entrer dans une petite pièce couverte de coussins et de tapis. L'odeur d'encens est très forte ici aussi et je tente tant bien que mal de me boucher le nez, mais c'est peine perdue.

Alors que je m'assois, j'observe Winonah qui se dirige au fond de la pièce, remuant des bocaux dont je n'aperçois pas le contenu. Entre temps Mariann est retourné au salon, me laissant seule avec la médium qui, je l'avoue, commence à m'intriguer autant qu'elle ne m'effraie.

«- Tiens c'est pour toi -Dit-elle en m'apportant un bol en terre rempli d'une mixture sombre et dont l'odeur de plante est aussi gênante que celle des encens-

-Qu'est-ce que c'est ? -Je demande suspicieuse, refusant de prendre le bol qu'elle me tend-

-C'est pour ton dos.

-Je n'ai rien au dos.

-Ne me mens pas, j'ai vu ta marque quand tu étais dos à moi dans la cuisine. Ton écharpe ne peut pas cacher l'hématome -Elle me tend à nouveau le bol- Ca par contre ça le peut. Tu peux me faire confiance. »

Nous nous observons un long moment avant que je ne capitule, me tournant dos à elle et retirant nerveusement le haut de mon costume. Je sais qu'elle a une vue imprenable sur ma cicatrice lorsqu'un hoquet de surprise la trahit, me faisant mourir de gêne. Je suis affreusement laide.

«- Je vais te mettre la crème, ne bouge pas.

-Promettez-moi de ne rien dire à Calum. Je ne veux pas qu'il s'inquiète, je n'ai pas l'habitude de me battre -Dis-je en inventant un mensonge- C'est arrivé si vite j...

-Alésia ne me prends pas pour une débutante, ce n'est pas arrivé suite à un coup.

-Pardon ?

-Je connais cette réaction, ton corps réagit. Il lutte contre quelque chose de mauvais, contre des ondes néfastes -Elle se poste dans mon dos et étale la mixture d'un geste ferme- Tu n'as pas à avoir peur d'utiliser de grands mots avec moi, je suis médium, j'ai l'habitude de voir des choses étranges.

-Moi pas -Dis-je dans un murmure- De quoi est fait votre truc ?

-C'est un peu de terre mélangée à de l'eau et des racines de Fleur des Morts.

-Quoi ?! -Je fais un bond loin d'elle et observe la bouillie brune dans sa main laissée en suspension- Calum m'a parlé de cette fleur ! Retirez ça de moi !

-C'est pour te soulager Alésia, la Fleur des Morts fait disparaitre la douleur au bout de quelques heures. Je l'utilise souvent pour soigner des blessures et crois-moi c'est efficace. Surtout dans ton cas, tu as besoin du venin de cette plante pour lutter.

-On dirait que vous parlez en connaissance de cause.

-Ce n'est pas la première cicatrice de la sorte que je vois. C'est même assez répandu, ici on l'appelle la marque des Këhuas. Cette cicatrice que tu cherches tant à cacher devrais au contraire être synonyme de fierté. Elle prouve que tu es en vie. Et tu devrais être fière de l'être. Tant que tu ne l'auras pas compris alors tu ne guériras pas.

-Vous voulez que j'exhibe cette horreur ?

-Cette horreur est un don Alésia -Dit-elle d'une voix douce- Je ne te demande pas de la montrer à tout le monde, mais essaye déjà de te la montrer à toi, sans que tu ne te repousses. Tu es celle que tu es.

-Pourquoi me dites-vous cela alors que l'on ne se connait qu'à peine ?

-Parce que tu en vaux la peine. »

J'hausse un sourcil avant de la laisser bander mon dos. Une fois chose faite, je me revêtis et retourne au salon comme si de rien n'était. Comme si je n'avais jamais vécu les minutes les plus étranges de ma vie. A-t-elle réellement qualifié ma cicatrice de don ? Au contraire c'est un fardeau, quelque chose qui est là pour me rappeler mon accident, pour me rappeler que la vie ne tient qu'à un fil et qu'un jour, j'y passerai pour de bon.

*

Dès que Calum est de retour, je reste à ses côtés, ignorant les regards curieux de Mariann et ignorant même le dessert. Pourtant c'est très esthétique, c'est un grand gâteau à la crème, recouvert d'un nappage rougeâtre qui s'embrase lorsque Winonah y approche le bout de son chalumeau. C'est une version miniature du feu de joie. Tout est pensé pour rester dans le thème d'Halloween et même à la fin chaque convive est invité à noter un mot sur un bout de papier et à le balancer dans un pot en terre dans lequel on jette une allumette, faisant brûler nos vices.

Cette fois-ci personne n'est là pour lire mon papier.

« Ashton Irwin »

Voilà ce que j'ai bêtement écrit.

Et voilà ce qui brûle devant mes yeux fatigués, avant que tout ne s'éteigne, laissant des résidus noircis au fond du bol. Je ne me sens pas plus libre qu'avant.

*

C'est aux alentours de minuit que nous retournons chez Calum. Tipo et les enfants continuent de chercher quelques bonbons aux étages supérieurs tandis que je me mets rapidement en pyjama, ne jetant pas même un coup d'œil à mon dos. La mixture me brûle, c'est assez désagréable si bien que je me vois contrainte de dormir sur le ventre. C'était une soirée étrange, encore pire lorsqu'au moment de partir Winnah avait insisté pour que je revienne, seule. Apparemment elle avait des choses à me dire bien que j'ignore quoi, mais j'ai accepté. Préférant rentrer le plus vite possible.

Avant de me coucher j'offre mes derniers bonbons à Tipo tandis qu'au même moment mon téléphone se met à vibrer durement, me faisant sursauter.

De : Numéro inconnu

"Si tu n'envoies pas ce message à six de tes contacts avant minuit, alors ta vie ne sera plus jamais la même !"

La seule chose qui me perturbe c'est le numéro inconnu, qui a bien pu avoir mon numéro comme ça ? Sûrement un coup de mes collègues qui ont donné mon numéro à un client ce matin, je n'ai pas souvenir. Je lève les yeux au ciel et verrouille mon téléphone, jetant un rapide coup d'œil à l'heure en surbrillance qui ne tarde pas à disparaître. Dans moins d'une minute il sera minuit, décidément cette personne s'y prend un peu tard. Je verrouille la porte une fois que Calum est couché et file dans ma chambre, demain est une grosse journée. Je regarde mon plafond sur lequel est projetée l'heure, 00:05. Il me reste environ 7 heures de sommeil alors je m'enroule dans mes couvertures, prenant soin de ne pas frotter mon dos endolori et ferme mes yeux.

Je me demande combien de personnes auront répondu à cette stupide chaine.



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