12 ~ Silver and fire

Je n'ose plus lever la tête de peur que mon regard croise celui de Mariann. Peut-être va-t-elle remarquer que je suis au courant de quelque chose et j'imagine que c'est la dernière chose qu'elle souhaiterait. Au lieu de ça je dévie mon regard dans les rayons. Non pas que la vision d'Irwin me réconforterait en ce lourd moment de gêne, mais j'ai besoin de poser mon attention ailleurs.

Et j'ai trouvé un nouveau sujet d'attention. Une jeune fille dans les rayons, vêtue de la tenue de Pak'N'Save. Si je ne m'abuse, elle est à peine plus vieille que moi et elle arbore de longs cheveux blonds platine tirant presque vers le blanc, maintenus en arrière par un serre-tête. A première vue, cette coupe de cheveux est particulièrement démodée et ridicule, sauf qu'il existe des êtres humains sur Terre doté de cette capacité à rendre magnifiques sur eux toutes les choses moches sur les autres. Et cette fille en fait partie.

«- Qui est-ce ? –Je demande machinalement à Caitlin-

-Oh c'est Ruby.

-Elle n'est pas censée être en caisse ? –Dis-je en me rappelant vaguement son nom-

-Si, mais depuis peu elle a sa place en rayonnage –Grogne ma collègue d'un ton ironique- Autant toi tu n'as rien fait de catholiquement répréhensible, mais ce n'est pas le cas de Ruby Wolenstein.

-Elle a...

-Fait connaissance avec l'appareil génital de Michael Clifford, oui rien que ça. Sans ça elle serait comme toi et moi, assise en caisse. –Elle fronce ses sourcils noirs avant de m'observer- Honnêtement, cette fille ne vaut rien du tout, je ne m'en approche jamais. Déjà parce qu'à côté d'elle je serai semblable à la lune dans l'ombre du soleil, mais aussi parce que je ne veux rien avoir à faire avec. Elle ne m'inspire pas confiance. »

Forte de ce nouveau renseignement, je dévisage d'une toute autre façon la jeune femme, souriant avec amertume lorsque tout un attroupement d'étudiants vient batifoler autour d'elle, ne se gênant pas pour reluquer ses fesses rebondies dans sa petite jupe de travail. C'est incroyablement vexant et le pire c'est lorsque lesdits étudiants passent à ma caisse, ne m'accordant aucun regard ni même aucune parole, trop occupés à parler des formes de Ruby.

Finalement que ce soit en France ou en Nouvelle-Zélande, un mec reste un mec.

*

La pause du midi arrive rapidement et à la demande de Michael, Caitlin se doit de veiller à ce que je mange suffisamment, ignorant ma mine déconfite. Je n'ai pas besoin qu'on surveille mon alimentation, mon malaise n'était pas dû à ça. Cela dit, je ne pense pas avoir envie de montrer ma cicatrice à qui le voudra, alors j'accepte sans rechigner outre-mesure, suivant Caitlin dans les rayons en quête de nourriture.

«- Bon on va faire un petit pique-nique étant donné qu'on ne reprend que d'ici trois heures. Choisis ce dont tu as envie, c'est la maison qui paye.

-Pardon ? –Je demande surprise-

-Oui c'est Michael qui m'a dit ça –Chuchote-t-elle d'une voix amusée à mon oreille alors qu'elle sort une enveloppe- Je pense qu'il t'aime bien tu sais.

-Je peux me payer ma nourriture moi-même ! –Dis-je les joues rouges-

-Je serai toi j'en profiterai –Glousse-t-elle avant de fouiller parmi les sandwichs- Ce n'est pas tous les jours que le patron offre le repas. »

Elle semble ravie de cette initiative alors que pour ma part je cherche le décoloré des yeux. Non pas que je veuille le réprimander, simplement j'ai peur que les gens commencent à parler dans notre dos, depuis ce matin où l'on m'a vu m'évanouir dans ses bras puis revenir de son bureau où j'ai fait une petite sieste... Peut-être est-ce stupide d'angoisser pour ça, mais je ne veux pas avoir à lutter face aux ragots.

«- Pour le dessert ça te dit une salade de fruits ? –Demande la brune toute en joie-

-D'accord oui, mais ne prends surtout pas de fraises !

-Pourquoi ? C'est trop bon les fraises !

-J'y suis allergique –Dis-je en haussant les épaules-

-Sérieusement ? Dans ce cas permet-moi de te faire une promotion –Susurre une voix masculine dans mon dos- Une barquette de fraise achetée et le carton complet t'est offert, Stuart.

-Va te faire foutre Irwin.

-Ou si tu veux, moi aussi je peux faire un geste comme Michael et t'offrir une barquette. Ca me fait plaisir, j'insiste.

-Tu sais où je vais te les mettre tes fraises espèce de crétin ?!

-Nous ne sommes plus à l'extérieur du magasin Stuart, je te prierai de surveiller ton langage surtout qu'en tant que responsable des rayons, je suis ton supérieur.

-Oh vraiment ? Donc j'imagine que ce matin c'est parce que tu n'étais pas en service que tu t'es dégonflé et que tu ne m'as pas aidé, Monsieur mon supérieur ?

-Non, j'avais simplement pas envie de t'aider, c'est tout –sifflote-t-il les mains dans les poches-

-Euh navrée de vous interrompre –Bafouille Caitlin- Mais on devrait aller payer Alésia.

-Vous allez manger où ? –Demande le bouclé alors que je prie pour que Caitlin se taise-

-Je pensais l'amener à l'Océan.

-Merveilleuse idée, tu me feras le plaisir de la noyer pour moi dans ce cas. »

Sa mine arrogante me provoque un horrible frisson si bien que je m'extirpe à la première occasion, rejoignant Caitlin en caisse qui n'a de cesse de me répéter que jamais elle ne me coulera. Je souris légèrement à son attention avant de me tourner encore une fois, observant Irwin mettre une main aux fesses de Ruby. Ce mec m'écœure.

*

C'est assez surprenant, mais une fois que nous posons nos affaires sur le sable, Caitlin retire d'un coup ses affaires, dévoilant un coquet maillot de bain deux pièces en dessous. Pour ma part je n'ai pas pensé à en amener un et à vrai dire, je n'en ai même pas amené du tout en arrivant à Wellington. Je ne me baigne jamais.

«- L'eau n'est pas froide à cette période de l'année ? –Je demande sur le ton de la conversation alors que la brune s'étale de la crème-

-Jamais ! C'est une des choses que j'adore ici, je m'y baigne presque tous les jours, dès que j'ai une pause. Ça me permet de décompresser du boulot, de penser à autre chose et de revenir en forme juste après.

-C'est vrai que ça semble surprenant –Dis-je avec un sourire amusé- Ce n'est pas à Paris que j'aurais pu faire ça.

-Tu veux venir te baigner avec moi ?

-Oh non merci –Dis-je en essayant d'éviter le sujet- Je pense que je vais plutôt manger, c'est ce que Michael souhaite. Tu ne veux pas manger avant d'aller dans l'eau ? »

Elle me répond non avec un large sourire avant de se préparer à courir en direction des petites vaguelettes. Juste avant sa course je réussi à lui demander où sont ses couverts, cette dernière m'indiquant un petit sac en toile juste à côté de notre pique-nique, avant de partir en flèche vers l'eau. Je ne peux m'empêcher de sourire, c'est une toute autre mentalité et je crois que je ne vais pas mettre longtemps avant de m'y faire. Voilà deux jours que je travaille à Pak'N'Save et en deux jours je suis allé deux fois au bord de l'Océan pour manger, ça me change des rues grisâtres et des parcs pollués de Paris. Et c'est vraiment appréciable.

Je laisse le soleil chauffer doucement mon visage avant que je n'enfouisse ma main dans le sac, cherchant un couteau pour étaler le beurre sur mon pain de mie. Mais à peine ai-je touché le fond sur sac qu'une décharge foudroie mon corps, me faisant pousser un cri et envoyer le sac à quelques mètres de moi avant d'examiner ma main, le cœur battant.

J'ai des fourmis dans le bout des doigts, comme s'ils étaient paralysés et lorsque je les approche de mes yeux, je remarque cette marque qui ne m'est pas inconnue, entre le rouge et le mauve, semblable à une piqûre de méduse sauf qu'il n'y avait pas de méduse dans le sac. Je déglutis et le reprends vers moi, ouvrant les hanses de ma main valide pour en examiner le fond.

Il y a bien un couteau et à en juger par la décharge que j'ai ressenti, c'est un couteau en argent.

Rapidement j'enfoui ma main dans le sable et vérifie autour de moi que personne ne m'a vu ni entendu crier, décidant de finalement prendre un sandwich sans beurre.

La douleur est toujours lancinante et elle ne s'estompe que lorsque je mets discrètement ma main dans l'eau, prétextant de vouloir rejoindre Caitlin un petit moment. D'un regard en biais je remarque que les marques violacées ont totalement disparus et après un long soupir de soulagement, je retourne me poser sur ma serviette. Fichue allergie.

Je me souviens la première fois que ça m'est arrivé, j'ai bien cru que j'allais y passer. C'était il y a quatre ans, peu après l'accident. On m'a offert un bijou en argent pour mon anniversaire, un magnifique collier que toute ma famille avait financé, il était sublime. Je me souviens que lorsque je l'ai pris, j'ai ressenti quelques picotements, mais sans plus. Je l'ai essayé, porté pendant toute la soirée avant d'aller me coucher. Je ne suis pas toujours du genre sentimental, mais ce collier j'avais une réelle envie de le garder avec moi, je sentais qu'il était différent, qu'il rimait avec ma nouvelle vie. Alors j'ai voulu dormi avec... Quelle n'a pas été ma surprise quand au milieu de la nuit je me suis retrouvée au sol à haleter, le collier me brûlant la gorge à tel point que j'imaginais qu'il allait faire fondre ma peau. Je ne pouvais plus respirer et si mes parents n'avaient pas été alertés par le bruit de mon corps s'effondrant au sol, je ne serais plus là à l'heure actuelle.

C'est ce jour-là où j'ai compris que je ne pouvais ni porter, ni toucher de l'argent. J'ai gardé d'horribles marques semblables à de fines strangulations violacées pendant plusieurs semaines jusqu'au jour où je suis partie en vacances à la mer, chez une de mes cousines éloignées. L'eau de mer à fait disparaitre les traces en un clin d'œil et depuis, j'ai fait en sorte de ne plus avoir à toucher de l'argent massif.

*

Alors que je mange tranquillement, observant Caitlin aller et venir entre sa serviette et les vagues, quelqu'un vient s'asseoir à côté de moi, étendant sa propre serviette alors que je m'apprête à m'écarter poliment, ouvrant grand les yeux en voyant Mariann au-dessus de moi. Voyant que je l'observe, elle pointe du doigt l'espace de sable sur lequel elle s'apprête à s'installer.

«- Euh oui c'est libre, tu peux venir –Dis-je maladroite- Est-ce que tu as de quoi manger ? Avec Caitlin nous avons pris trop de choses et on ne voudrait pas gaspiller alors si tu veux j... »

Elle fait un simple non de la tête avant de me montrer son propre petit sachet repas. La vue du sac me ramène malgré moi en arrière, repensant à la peine cuisante que j'avais ressenti en voyant mon petit-déjeuner atterrir sur le matelas crasseux des sans-abris. J'aurais vraiment aimé qu'Irwin fasse quelque chose, au moins qu'il riposte et agisse en homme... Mais au lieu de ça il s'est laissé faire et m'a entrainé avec lui dans sa faiblesse.

«- Oh Mariann tu es venu te joindre à nous ? C'est génial ça ! »

La vieille femme répond par le biais de gestes, que je ne comprends absolument pas, mais qui semblent parler à Caitlin qui hoche la tête avant de sourire en coin avec amusement. Désemparée je me tourne vers cette dernière et hausse un sourcil.

«- Mariann est parti de la salle de pause parce qu'elle en avait marre de voir Ruby et Shauna draguer Ashton. Elle dit qu'elles sont pathétiques et qu'elles devraient se méfier de lui plutôt que de tenter de le séduire.

-Et je suis parfaitement d'accord ! –Dis-je en souriant à Mariann, cette dernière m'adressant des signes- Ce n'est qu'un sale con qui n...

-Elle dit que toi aussi tu dois faire attention.

-Pas de soucis pour ça, je ne drague pas Irwin et lui ne me drague pas non plus.

-Ce n'est pas une question de drague –Traduit Caitlin, les yeux rivés sur les gestes rapides de Mariann- Elle dit qu'Ashton est quelqu'un de foncièrement mauvais qu'il faut éviter à tout prix et surtout tu ne dois plus l'approcher, même si c'est pour vous disputer.

-Pourquoi ? Je n'ai pas peur de lui.

-Tout le monde a peur d'Ashton Irwin.

-Sauf moi –Dis-je avec conviction-

-Tu devrais pourtant –Soupire Caitlin en détachant son regard des mains de Mariann-

-Tu parles le langage des signes ? –Je demande pour changer de sujet-

-Oui un petit peu, disons que parmi les caissières, en dehors de Latoya, Ermione et anciennement Sybil, personne ne fait l'effort d'essayer de communiquer avec Mariann. J'ai trouvé ça triste et puis tu me connais, j'adore parler... »

Je souris en coin avant de finir mon sandwich, sentant le regard de Mariann darder sur moi. Par sympathie je me tourne vers elle pour lui sourire, sauf qu'elle fixe mon dos et au même instant je redresse le haut de ma veste, cachant le commencement de ma cicatrice dans la nuque. L'a-t-elle vue ? En tout cas même si c'était le cas, elle ne me demande rien et mange silencieusement. Ses yeux sont rivés sur l'eau et en jetant un coup d'œil à l'heure, je remarque que c'est le moment où les sirènes de Grey Atlantis vont se déclencher, prévenant un village fantôme de sa submersion imminente. Comment Mariann vit-elle cela ?

« Je suis allée à Grey Atlantis hier –Dis-je d'une petite voix alors qu'elle m'observe avec des yeux étonnement calmes mais également interrogateurs- C'est mon meilleur ami qui m'a amené voir ce village, pensant que je pourrais prendre des photos. Sauf que... J'ignorais ce qui allait se passer. J'ai été surprise et je... Je pense que j'ai encore beaucoup à apprendre sur ce pauvre village –Je marque une pause et remarque avec satisfaction qu'elle n'a pas cessé de m'écouter- J'ai appris que tu avais vécu là-bas, je suis désolée que tout ceci soit arrivé... Est-ce que tu y retournes de temps en temps ?"

Elle s'apprête à répondre lorsque ses yeux se détournent des miens et s'élargissent sous une terreur qui m'est encore inconnue. Instinctivement je tourne la tête dans la même direction qu'elle et remarque avec effroi une vague particulièrement massive arriver droit sur nous. Surprise, Caitlin met quelques secondes avant de sortir de l'eau en courant, attrapant ses affaires pour que l'on puisse se poser plus haut alors que la vague s'écrase au sol et balaye les traces de nos anciennes positions dans le sable. Autour de nous les gens se sont également précipités sur les hauteurs et fixent avec appréhension l'Océan qui semble s'être calmé. C'est silencieux et il me semble entendre au loin les sirènes de Grey Atlantis, signal que le niveau de l'eau est monté. D'où l'impressionnante vague qui a à présent disparue. En tout cas, nous préférons plier bagages et après que Caitlin se soit séchée, nous prenons sans peine le chemin jusqu'au magasin pour nous réfugier dans la salle de pause, histoire de passer notre dernière demie heure au chaud et à l'abri de Dame Nature.

«- Oh les filles vous êtes là ! –Entre Latoya avec un large sourire- Vous étiez à l'Océan ? J'ai entendu des clients parler d'une vague gigantesque !

-Oh oui j'ai cru qu'elle allait m'emporter ! –Scande Caitlin alors que je lève les yeux au ciel-

-Tu es bien trop bavarde pour que la déesse de l'Océan te veuille à ses côtés –Plaisante notre chef avant de s'asseoir face à nous, un lourd sac dans les bras- Trêve de plaisanteries, j'ai reçu vos poupées ! Etant donné que nous fermerons plus tôt demain après-midi, en vue d'Halloween, Monsieur Clifford a proposé de faire le feu de Joie ce soir.

-Vraiment ? Où ça ? –Je demande avec interêt-

-Nous aurions souhaité l'Océan mais si réellement il y a trop de vagues, peut-être irons-nous plus loin dans les plaines. Est-ce que ça vous dit ?

-Oui ! –S'excite Caitlin alors que Mariann fait un hochement positif de la tête-

-Alésia ?

-Eh bien je ne connais pas trop cette coutume, mais c'est l'occasion de me familiariser avec le pays.

-Parfait, alors tout ce que tu as à faire, c'est noter quelque chose sur ta poupée. Un trait de caractère ou tout simplement une phobie dont tu souhaiterais te débarrasser. Surtout ne montre ton papier à personne sinon l'inverse se produira et se retournera contre toi. »

J'accepte la poupée et l'observe avec curiosité. Alors c'est autour de ça que se base le mythe d'halloween ? Une vulgaire marionnette en chiffon qui fait plus penser à une poupée vaudou qu'autre chose... Ce n'est pas très rassurant cela dit j'imagine que ça va avec l'ambiance.

A : Calum

Ce soir je rentrerai un peu tard du boulot parce que nous allons faire le feu d'Halloween en avance. Ne t'inquiète pas si tu ne me voies pas rentrer.

De : Calum

Très bien, tu m'enverras un message pour me dire où ça se déroulera, comme ça je viendrais te chercher.

A : Calum

Je suis une grande fille tu sais ?

De : Calum

Ce n'est pas de ton comportement dont je parle, mais de celui des autres. Mais quoi qu'il en soit, amuse-toi bien et n'essaye pas de foutre Ashton Irwin dans le feu.

Je souris en lisant son message. Je suis sûr qu'il a lu dans mes pensées.

*

Alors que je me lève pour me faire un café, accompagnant le bout de donut qu'il me restait de ce matin, Caitlin et Mariann quittent les bureaux pour aller reprendre leur caisse. Moi il me reste encore un peu de temps. Je joue avec les boutons de la machine lorsque j'aperçois Luke dépasser les filles, Mariann lui adressant un signe de tête alors que ce dernier se met à sourire en me voyant.

«- Oh je ne pensais pas te trouver là ! –Sourit-il- Tu reprends bientôt ?

-Dans vingt minutes –Dis-je aimablement avant de retirer mon café brulant- Et toi ?

-J'attends Ashton pour reprendre.

-Il n'a pas repris ?

-Non disons qu'il est occupé ailleurs.

-Ah ouais ? A donner son repas aux sans-abris ?

-Non je pensais à quelque chose d'un registre un peu plus intime.. Si tu vois ce que je veux dire.

-C'est répugnant –Dis-je en priant pour chasser ces horribles images de ma tête- Avec qui ? Ruby ou Shauna ?

-Pourquoi choisir quand on peut avoir les deux ? –Dit-il d'une voix légèrement railleuse-

-Je crois que je vais vomir –Dis-je en écartant le donut de ma bouche- Il est sérieusement comme ça ?

-Il profite de la vie –Répond le blond en haussant les épaules- Pas toi ?

-J'ai d'autre façon de profiter de la vie.

-Comme ?

-La photographie –Dis-je en jouant avec ma poupée-

-Oh comme c'est marrant –Dit-il avec un sourire en coin-

-De quoi ?

-Rien, tu risques de l'apprendre bien assez tôt. Mais parlons d'autre chose, je vois que tu as ta poupée, ça veut dire que tu seras là ce soir pour le feu ?

-En effet, mais je ne pense pas y rester longtemps.

-C'est dommage, j'aime bien cette fête.

-Tu as eu une poupée ?

-Oui, mais je ne sais pas quoi écrire.. Tu sais quoi mettre toi ?

-J'ai ma petite idée.

-Ne me dis rien sinon ça va se retourner contre toi –Dit-il en posant sa tête dans sa main tout en me regardant-

-Je n'avais pas l'intention de le dire.

-Bien, dis-moi j'avais une question à te poser. Ça t'arrive souvent de t'évanouir comme ça ?

-Tu... Tu m'as vue ?

-Tout le monde t'a vue ! Michael a traversé tout le magasin en courant, avec ton corps inanimé dans les bras. On a cru que tu avais eu une attaque... Du coup je me suis demandé si ça t'arrivait souvent ?

-Jamais, ce doit être la fatigue –Dis-je en haussant les épaules- Quoi qu'il en soit oublie ce que tu as pu voir, j'étais dans les bras de Michael car j'étais dans son groupe c'est tout. D'ailleurs avec qui tu étais toi ?

-Oh avec Jason, tu entendras souvent parler de lui.

-Pourquoi ?

-Il arrive souvent bourré dès le matin. Et il le reste jusqu'à l'heure de quitter le travail. Ce n'est pas ce que j'appellerais un chouette collègue pour travailler, mais il a de bons côtés. Le seul problème c'est que c'est moi qui ait dû décorer tout le rayon vu qu'il tenait à peine debout –Il rit de bon cœur et je me surprends à sourire en le fixant, éblouis par son visage d'une extrême beauté- Bref, j'espère que tu vas mieux.

-Oh euh je... Oui, j'ai pu me reposer un peu pendant ma pause et également manger, donc je vais mieux.

-Promis ?

-Eh bien oui –Dis-je en haussant les épaules-

-Bon eh bien à ce soir alors –Dit-il en m'adressant un sourire lumineux- Sois en pleine forme. »

Je lui renvoi son sourire avant de fixer mon gobelet de café encore fumant. Est-ce que je rêve ou bien mon cœur est en train de ralentir ? Signe qu'il s'était emballé pendant toute ma petite conversation avec le blondinet. Je me sens terriblement stupide et tire sur mes joues avant d'avaler quelques gorgées de café. Je ferme les yeux, savourant le liquide chaud parcourir mon corps avant de les rouvrir, sur une fraise ?!

«- Vu qu'apparemment Caitlin a échoué, je t'offre une seconde chance –S'amuse Irwin qui vient de s'asseoir à côté de moi, son visage est recouvert d'une fine pellicule de transpiration, ses cheveux attachés en une petite queue de cheval et je remarque qu'il s'est changé- Tu attends quoi ?

-J'ai encore quelques projets avant de mourir merci bien.

-Ah ouais ? –Il soupire et se balance sur sa chaise, prenant la fraise entre ses lèvres-

-Je peux savoir pourquoi tu restes ici ?

-Pour la même raison que toi bébé, j'ai encore quelques minutes à perdre avant de reprendre mon service.

-Eh bien pourquoi ne pas les passer avec ton harem ?

-Oho ! Toi tu as surpris quelque chose qui ne te regardait absolument pas.

-C'est Luke qui m'en a parlé –Dis-je sans lui accorder un regard-

-Et alors ? Tu es maintenant convaincue de l'existence de mes couilles comme tu dis ?

-Te faire deux filles ne veut rien dire –Je lance avec un sourire ironique- Mais tu as raison, c'est mieux de savoir se les vider plutôt que de faire face quand on en a besoin.

-T'as pas fini de parler de ça ? T'es chiante à la fin Stuart –Se plaint-il-

-J'ai dû leur donner mon petit déjeuner !

-Et alors ? Tu aurais préféré qu'ils te demandent tes fringues ? –Demande-t-il avec colère- Au moins t'as pu arriver au boulot saine et sauve et dans le même temps tu nous as épargné la vision de toi toute nue. Dorénavant j'espère que tu arriveras par un autre chemin.

-Je n'en ai pas d'autre...

-Alors fais en sorte d'avoir suffisamment de bouffe dans tes sacs pour qu'ils te laissent passer. Oh et surtout, ils raffolent des biscuits, donc n'hésite pas à en mettre.

-Pourquoi tu me dis ça ? –Je demande suspicieuse-

-Je ne sais pas, je me sens toujours d'humeur généreuse après avoir eu un org...

-Je vais retourner en caisse.

-Oh déjà ? Ma compagnie ne te plait pas ?

-Je ne traine pas avec les lâches pervers et psychopathes.

-Tu ne sais rien de moi –Dit-il la mine sombre-

-Et je ne veux rien savoir de toi –Dis-je en enfouissant la poupée dans mon sac-

-Tiens tu seras là ce soir j'imagine ? –Je ne réponds pas et m'apprête à sortir alors qu'il se redresse et me barre la route à l'aide de son bras- Réponds.

-Laisse-moi passer.

-Ne me mets surtout pas en colère.

-Oh bah tiens on dirait que l'euphorie de ton orgasme s'est dissipée, tu veux que je rappelle tes groupies ?

-Tu fais ta maligne Stuart, mais sache que tu es en position d'infériorité. Ici tu ne connais quasiment personne, ni même aucun lieu. Tu ne devrais pas jouer à ça sinon tu le regretteras. »

Je déglutis et attends qu'il ait finalement retiré son bras pour m'enfuir rapidement de la salle de pause, reprenant mon poste avec soulagement.

*

Le soir venu, tout le personnel se précipite sur les stylos disposés à l'accueil et griffonne un mot avant de l'attacher à leur poupée. Pour ma part je reste en retrait, je ne sais pas quoi marquer. Plusieurs mots et traits de caractère me viennent en tête et je sursaute lorsque Michael me rejoint, sa poupée rangée dans son sac.

«- Tu as trouvé quelque chose à marquer ? –Je lui demande-

-Oui, chaque année je note la même chose.

-Et ça marche ?

-Non, mais bon c'est rigolo de le faire. De toute façon je ne suis pas originaire de la Nouvelle-Zélande, je suis Australien et chez nous en Australie, nous fêtons Halloween différemment. Ici je ne fais que me plier à la coutume comme un vulgaire touriste, sinon je m'en moque, ce n'est pas un papier ni une ridicule poupée de chiffon qui changera le cours de mon existence.

-C'est une belle réflexion –Dis-je avec un sourire- Donc je pense que tu as raison, je vais mettre la première chose qui me passe par la tête.

-Tant que tu t'amuses, c'est le principal. »

Je lui adresse un sourire avant de me mettre de côté pour écrire. Si je joue le jeu, alors j'ai une idée. Je déplie le papier et commence à griffonner.

Fantômes

Puis j'enroule le mot autour de ma poupée et l'enfourne dans mon sac, retournant auprès de Caitlin qui sautille presque sur place à l'idée du feu de joie. C'est vrai qu'à en voir son visage un peu typée, la brune est sans nul doute originaire d'ici et à l'inverse de Michael, elle doit être bien plus attachée à cette légende.

Une fois le magasin fermé, tout le personnel se dirige d'un même bloc vers le chemin par lequel Irwin était passé ce matin. Nous marchons dans la nuit tombante et même en dépit de l'obscurité, il me semble que je reconnais cette direction. Ce chemin... Et pour cause j'ai pris celui qui longeait l'Océan, avec Calum. Je déglutis et observe Mariann dont le visage crispé confirme mes doutes.

Nous nous approchons de Grey Atlantis.

Nous nous arrêtons après quelques fermes tandis que les plus robustes des employés s'affairent à préparer le feu. Bizarrement même le bouclé se joint à eux, me lançant des regards de défi de temps à autre                 alors que je choisi de me reculer. Nous sommes à quelques mètres du point qui culmine au-dessus du village et je me demande d'ailleurs si à cette heure il est toujours englouti. Mais alors que je vais pour m'avancer vers ce point, je sens une main s'enrouler fermement autour de mon poignet, me provoquant la chair de poule.

« -Ne t'éloigne pas –Gronde Luke-

-Je n'en avais pas l'intention.

-Ce village est maudit, mieux vaut l'éviter surtout en période d'Halloween –Dit-il comme s'il avait lu dans mes pensées- Reste ici, s'il-te-plait.

-Bien, mais seulement si on reste loin d'Irwin. »

Il hoche la tête et je le laisse me tirer jusqu'au groupe avant qu'il ne me laisse pour rejoindre le bouclé. Heureusement que je lui ai demandé à ce qu'on reste tous les deux loin de l'autre con ! Je soupire et retrouve aisément Caitlin dans la foule, cette dernière ne cessant de parler de son papier. Au moins ici je ne risque rien. Je me place derrière elle et sursaute lorsqu'une épaisse boule de feu s'élève vers le ciel, laissant place à un brasier au centre de notre cercle, chauffant nos visages en cette nuit qui tombe.

Ca a commencé.

D'un geste, tous se munissent de leur poupée, l'approchant des flammes alors que je reste en retrait à les observer. Tout bien réfléchi on dirait une espèce de secte, sauf que c'est la coutume ici. J'hausse les épaules et regarde la poupée de Caitlin atterrir dans le brasier, le papier s'évaporant en quelques seconde sous forme d'une fumée rouge alors que mes yeux s'écarquillent.

« - C'est un papier spécial –Murmure Latoya avant de lancer sa poupée- A ton tour Alésia et que les Dieux te protègent. »

Je me retiens de rire et m'avance au milieu du personnel, observant les multiples poupées voler dans les airs et atterrir dans les flammes alors que je passe ma main dans mon sac pour attraper ma poupée.

Sauf que mon sac est vide.

J'étouffe un petit cri et me tourne pour regarder le sol, en quête de ma poupée.

«- Fantômes ? Je m'en doutais. »

Ma poupée n'est pas au sol. Elle est dans les mains d'Irwin. Ses mains aux longs doigts qui ont déroulé le petit papier et qu'il vient de lire à haute voix, un sourire triomphant ornant ses, je l'admets, sublimes lèvres. Mon cœur manque d'exploser et malgré mon refus de superstition, je ne peux m'empêcher de repenser aux paroles de Latoya.

Personne d'autre que moi ne doit savoir ou lire le mot sur la poupée, sous peine que ça se retourne contre moi.

Et alors que d'épaisses larmes d'impuissance viennent brouiller ma vue, le bouclé attache à nouveau mon mot et, comme si ça ne suffisait pas d'avoir lu, balance ma poupée dans le feu... Avec la sienne.

A croire que je serais maudite jusque à la fin de mes jours.

«- Joyeux Halloween ! »

Crie un employé alors que je devine que toutes les poupées sont dans le feu. Personnellement je ne quitte pas la mienne des yeux et ne détourne le regard qu'au moment où l'on me tend un verre d'alcool. Tout le monde trinque à la légende, aux Dieux et à la Nature bienfaitrice de la Nouvelle-Zélande, moment lors duquel je vois Mariann grimacer... Elle-même sait particulièrement que la nature n'est pas prévisible, ni changeable et que ce n'est en rien une poupée qui aurait pu éviter au barrage de céder et de tuer sa famille. Mais il faut jouer le jeu.

Tout le monde danse autour du feu dont émane une épaisse fumée rouge qui jure avec le ciel noir de la nuit. C'est assez terrifiant et je profite d'un moment d'inattention de mes collègues pour me retirer. Mes pas me guident et en un rien de temps, je surplombe Grey Atlantis.

D'après les reflets de la lune sur l'eau noire, le village est encore englouti bien que quelques points culminants sortent des profondeurs. C'est si calme et le tumulte du feu de joie semble à des kilomètres maintenant. J'entends seulement des bruits de pas dans l'herbe.

«- Je t'avais dit de ne pas t'éloigner ! –S'énerve Luke qui me tire d'un coup sec, me faisant me tourner face à lui alors que je distingue quelqu'un d'autre au loin, dans son dos- Pourquoi tu n'en fais qu'à ta tête ?

-J'avais envie de m'éloigner un peu du bruit.

-Crois-moi mieux vaut les cris des vivants plutôt que le silence des morts.

-Tu as peur de ce village Luke ?

- Il est maudit Alésia ! –Je frisonne à l'entente de mon nom dans sa bouche étrangère- Viens on retourne avec les autres. »

Je fais un simple oui de la tête avant de regarder par-dessus son épaule. Au loin c'est Ashton Irwin, dont la silhouette noire se découpe au travers des flammes derrière lui. Je déglutis et baisse les yeux, ne me sentant en sécurité qu'au moment où les bras de Michael s'enroule autour de mes épaules, un énième verre d'alcool dans sa main.

A : Calum

Viens me chercher s'il-te-plait, j'aimerais bien rentrer... Je suis dans la plaine avant Grey Atlantis. Merci.

Je reçois une réponse de Calum dans les secondes qui suivent et fixe mon regard sur le chemin que nous avons emprunté pour arriver. Il va arriver par-là, je vais bientôt retourner à la normale.

Pourtant quelque chose me dérange et fait dévier mon regard.

Irwin m'observe de ses yeux aussi noirs que la nuit, avant que sa langue n'aille attaquer celle de Shauna, complétement ivre dans ses bras.

Vite Calum.

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