1 ~ One week ago
Une semaine plus tôt
Je regarde à travers le hublot le paysage terrestre qui rétréci à vue d'oeil, devenant aussi infime qu'une carte à jouer baignée par les derniers rayons d'un soleil couchant. Me voilà à présent bien loin de chez moi, flottant au travers des nuages et regardant le monde changer du dessus. Mais je crois que ça en vaut la peine. Si je veux payer mes études de photographe, il me faut trouver du travail et ce n'est pas en France que j'en trouverais. Quatre mois que je cherche sans relâche, répondant à tous les appels d'offre, postulant à droite à gauche dans l'espoir d'être appelée par quelqu'un dans les jours suivant. Mais mon seul entretien avait été un échec.
Le motif ? Pas assez d'expérience.
Du moins c'était ce qu'ils stipulaient dans leur lettre pré-écrite. Je sais parfaitement que mon potentiel manque d'expérience n'a pas du tout pesé dans la balance, pas après les multiples regards et réflexions au sujet de mes cheveux. Qui au 21e siècle peut encore juger une personne sur son physique ? Apparemment une majorité d'imbéciles. Je soupire et écrase ma joue contre le hublot froid, observant à présent les nuages cacher les dernières lumières du soleil et m'infligeant la vision de mon reflet mal réveillé dans la vitre. Ces derniers temps je n'ai que peu dormi, trop occupée à veiller sur les sites d'embauches ou à rédiger des mails auxquels je n'ai jamais eu de réponses. J'étais sur le point d'abandonner, mais fort heureusement Calum a décidé d'entrer en jeu.
Je m'étire paresseusement et observe mon voisin. Je crois que ce dernier a peur de l'avion tant son teint est livide et ses mains tremblantes. Comment réagirait-il si je m'amusais à secouer discrètement son siège, imitant des turbulences ? Un sourire en coin fend mon visage palot avant que je ne retourne à mes contemplations extérieures. Plus que 23 heures et je serai à Wellington, là où m'attendent Calum et ma nouvelle vie. Je me suis donné un an pour trouver un travail et mettre de l'argent de côté et peut-être ce voyage me sera bénéfique, du moins j'ose l'espérer.
*
Une fois que l'avion a atterri, je suis obligée de modifier l'heure sur ma montre et sur mon téléphone. A vrai dire j'aurais très bien pu le faire plus tard, hors de l'appareil. Mais je crois que mon voisin est encore crispé par le vol et ne cherche pas à se lever, m'empêchant de passer. Il faut bien que je tue le temps plutôt que de le tuer lui.
Au bout d'une dizaine de minutes il se lève enfin et j'en profite pour me faufiler derrière lui, m'extirpant de l'avion avec un sentiment bien étrange. Je viens d'atterrir en Nouvelle-Zélande, un pays que je ne connais absolument pas, où tout me semble étranger, à des années lumières de la France et tout ça, pour y trouver du travail. Selon mes parents, c'était de la folie, selon moi... C'était également de la folie. Mais qu'est-ce que la vie si on ne prend pas quelques risques ?
Je resserre mon sac à dos contre mon épaule et me dirige vers le hall où doivent m'attendre mes nombreux bagages. Partir en voyage dans un pays étranger nécessite un nombre considérable de valises, mais je crois que partir pour un pays étranger, dans le but d'y habiter quelque temps, nécessite le double. C'est le sentiment que j'ai lorsque je récupère ma quatrième valise, dans laquelle j'ai pu amener mon matériel de photographie. Quitte à voyager, autant appliquer les bases du métier que j'aimerais faire. Il ne me manque plus qu'une valise, mais cette dernière ne semble pas arriver. Pourtant toute la soute a été vidée et rapidement je sens la panique me gagner. Comment réagir quand on est seule dans un pays inconnu, qui ne parle qu'anglais et quand la malchance a décidé de frapper à notre porte ?
«- Je ne savais pas que j'allais récupérer un schtroumpf à l'aéroport -Ricane une voix derrière moi dans un anglais que je ne peine pas à décrypter-
-Revois tes couleurs Hood, les schtroumpfs sont bleu clair -Dis-je en me tournant face au visage rayonnant de mon plus vieil ami et correspondant néo-zélandais- Et moi qui pensais que tu n'allais p... Hé mais c'est ma valise ! »
C'est en effet dans les bras du jeune homme que se trouve ma cinquième valise. Ce dernier la pose délicatement au sol avant de venir m'étreindre comme si nous étions les meilleurs amis du monde. Bien qu'au début je semble hésitante, je finis par lui rendre son accolade, tapotant doucement ses épaules dénudées sous son débardeur noir. C'est plutôt curieux car jamais nous ne nous étions rencontrés auparavant. Ou du moins pas physiquement.
Calum et moi étions de simples correspondants depuis que j'étais entrée en primaire et que ma classe avait participé à un échange entre français et néo-zélandais dans le cadre des cours d'anglais. Au fil des années nous avons continué à nous envoyer des lettres, puis le numérique a commencé à prendre beaucoup de place et récemment on s'était retrouvé à faire des skypes à des heures improbables, parlant de tout et de rien au sujet de nos vies et pays respectifs. C'est d'ailleurs lui qui m'a proposé de venir ici à Wellington, suite à ma détresse. D'après ses dires, il connait quelques endroits où il pourrait me faire rentrer et même si je ne l'avais jamais rencontré en vrai, même si nous n'étions que des amis 'virtuels', j'ai accepté son offre et aujourd'hui me voici chez lui. Prête à tout pour décrocher un job.
Alors même si ça me fait bizarre de le rencontrer enfin, je finis par me dire qu'il s'agit de simples retrouvailles entre bons amis d'enfance.
«- Tes cheveux semblaient moins bleus à la webcam Sia. C'est quoi au juste ? Un bleu nuit ?
-Oh bon sang Calum je t'ai déjà dit que je n'aime pas quand tu m'appelles Sia ! -Je soupire et joue avec mes pointes qui arrivent au milieu de mon cou- Mais sinon oui c'est un bleu nuit.
-Ca te va bien je trouve -Dit-il avec un large sourire- Sia.
- C'est Alésia pas Sia !
-Ton nom n'est pas vraiment prononçable en anglais alors pour moi ce sera Sia. »
Il me fait un clin d'œil avant d'attraper deux autres de mes valises, me laissant le suivre au travers des longs couloirs de l'aéroport. Mes yeux se posent partout, aussi bien sur l'architecture du bâtiment que sur les personnes y fourmillant. Beaucoup d'entre eux ont le teint aussi halé que Calum, mais il y a également bon nombre de touristes. Dont moi en quelque sorte.
« -C'est vraiment gentil à toi de m'avoir proposé de venir ici.
-Oh ce n'est rien, après tout tu semblais vraiment désespérée en France alors je me suis dit qu'un petit coup de pouce ne serait pas de refus.
-Tu n'imagines pas à quel point ! J'ai reçu une réponse négative d'un magasin de vêtements, juste avant d'embarquer. Je pense que changer d'air ne me fera pas de mal.
-Quand on sera arrivés on prendra un peu de le temps de visiter et ensuite je te montrerais les quelques offres que j'ai pu te trouver.
-Tu as cherché pour moi ?
-Bien-sûr, plus vite tu trouveras ce job et plus tu auras d'argent pour tes études non ?
-Effectivement mais, pourquoi faire autant pour moi ?
En remerciement du bon vieux temps. »
Le bon vieux temps ? Sûrement un détail que j'ai dû oublier.
*
Sur le chemin nous évoquons plusieurs points me concernant, à savoir la réaction de mes parents quant à ce voyage improvisé à la dernière minute. A leurs yeux ça avait semblé si absurde de vouloir aller chercher du boulot aussi loin, mais je pense qu'à force de me voir dépérir devant mon écran d'ordinateur, jours après jours et nuits après nuits, ces derniers ont également compris que je n'allais rien trouver si je ne forçais pas un peu le destin. Ils m'ont aidé à financer le billet d'avion, mais je compte bien me payer moi-même mon propre petit logement, une fois que j'aurais trouvé quelque chose.
Je suis déterminée.
Sauf que Calum ne m'avait pas tout dit.
Alors que j'imaginais passer un peu de temps dans un hôtel, attendant de trouver enfin une situation financière convenable, je me retrouve finalement dans l'appartement du basané. Je reste sur le seuil, surprise, lorsque ce dernier m'attire dans une grande pièce, n'appartenant visiblement à personne.
« - Et voici ton palace !
- Mon... Palace ? Attends Calum qu'est-ce que ça veut dire ?
- Pourquoi t'obliger à payer un hôtel alors que tu peux rester vivre chez moi ?
- Vivre chez toi ? Comme des colocataires ?
- Exact, promis je suis quelqu'un de très discret. Je fais super bien la cuisine, j'aime faire le ménage... Oh et je fais rarement la fête car je passe mon temps à étudier pour mon diplôme de chimiste, alors crois-moi je ne risque pas de te déranger.
-Mais ça me gêne ! Déjà tu me fais venir dans ton pays alors qu'on ne se connait que par notre correspondance, puis tu me prépares une petite liste d'endroits où postuler et maintenant tu m'héberges ?
-Tout ce que je te demande c'est d'accepter. Ce n'est pas un superbe appartement, il tombe un peu en ruines par endroits, mais au moins... Au moins ça me fera un peu de compagnie. »
Il sort cette dernière phrase en me lançant un regard gêné. Alors Calum Hood a peur de la solitude ? Bizarre qu'en treize ans 'd'amitié' il ne m'en ai jamais parlé. Je me sens terriblement confuse, rongée entre l'impression d'abuser de sa gentillesse et la joie de ne pas avoir à tout faire à partir de 0 et toute seule. Après tout, si je trouve du travail, peut-être pourrais-je participer pour le loyer ou les courses ?
*
Après m'être installée, Calum me propose de sortir pour visiter la ville tant qu'il fait beau et agréablement chaud. Je suis encore un peu épuisée par mes heures passées dans l'avion, mais je crois que prendre l'air et marcher un peu me fera du bien. Sans compter qu'il va falloir que je me familiarise avec les lieux si je veux y travailler. Je m'observe dans le large miroir qui juxtapose mon lit et attache mes cheveux bleu nuit en un chignon à la va vite avant d'enfiler mes vans, ce sera plus agréable pour déambuler dans les rues.
Nous marchons quelques mètres dans les rues baignées de soleil lorsqu'il nous fait tourner à droite, prenant un chemin un peu moins fréquenté mais qui semble tout de même conduire à l'Océan. Une odeur légèrement iodée vient titiller mes sens et je ne peux m'empêcher de soupirer de bien-être. J'ai l'impression d'être en vacances, ne me faisant toujours pas à l'idée que cet endroit va être mon quotidien pendant un temps.
Je suis tellement prise dans mes pensées que je ne remarque pas que Calum s'est arrêté et me prend son épaule de plein fouet, me forçant à redescendre sur terre et à regarder face à moi. Pourquoi s'est-il arrêté ici ? Face à nous il y a un grand magasin d'où sortent bon nombre de personne.
«- Tu as besoin de faire quelques courses ? Si tu veux j'ai converti mes euros et je...
-Oh non, nous ne sommes pas là pour faire des courses.
-Ah et en quel honneur ?
-Bien que ça ne m'enchante pas plus que ça, ce supermarché est une des adresses que je t'ai notée. C'est d'ailleurs la plus proche de chez moi.
-Et pourquoi tu l'as noté si ça ne t'enchante pas ?
-Car tu m'as dit être prête à tout pour trouver du boulot, même à prendre le truc le plus miteux qui soit.
-Ce supermarché semble loin d'être miteux pourtant. »
Je traverse la route et me poste devant les grandes portes du magasin. Certes il n'a pas l'air d'être aussi flambant neuf que ceux que nous avons vu en partant de l'aéroport, mais ça reste un supermarché. Peut-être devrais-je y déposer un cv après tout, comme je l'ai dit je suis déterminée.
« -Tu penses que je peux aller leur déposer un cv en revenant de notre promenade ?
-Non. »
Je sursaute.
Non pas de peur mais parce que cette voix n'est pas celle de Calum. C'est une voix étrangère, presque inaudible mais qui pourtant provient de derrière moi. D'un geste je me retourne pour faire face à un garçon assez grand, une cigarette pendue à ses fines lèvres, portant une capuche grise par-dessus des cheveux ondulés et avec également un blouson orné du même logo visible sur la façade du supermarché.
Sur son badge je vois le prénom 'Ashton I.' et alors que je plisse les yeux pour voir ce qu'il y a d'écrit en dessous, le dénommé Ashton se tourne dos à moi, me lançant un dernier regard menaçant avant de s'en aller plus loin, crachant sèchement sa fumée qui me revient à la figure.
« Alors là je n'en reviens pas -Murmure Calum alors que je retourne près de lui, reprenant le chemin jusqu'à l'Océan-
Quoi donc ?
Je crois que c'est la première fois que j'entends Ashton parler.
Tu le connais ?
Oui, enfin je sais juste qu'il est le plus jeune employé du magasin, avec le fils du patron aussi mais ce dernier ne bouge pas trop son cul. Bref, j'ai toujours trouvé ça bizarre qu'Ashton soit le seul travailleur étudiant ici quand on voit le nombre de gamins qui postulent à droite à gauche.
Ils ont peut-être des critères stricts ?
Je ne pense pas. Mais je suis scotché ! Et moi qui pensais qu'il était muet. »
Muet rien que ça ? Je me tourne une dernière fois pour voir le dénommé Ashton me regarder avec insistance, soufflant de multiples petits nuages de fumée et me provoquant une vague de frissons désagréables dans tout mon dos, avant que nous ne prenions une allée pour l'Océan, coupant court au contact visuel entre le bouclé et moi.
Bizarre ce type.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top