Un minuscule nez en trompette - celui de Pyper, assurément. De magnifiques yeux aussi translucides que ceux des Smith, dont j'avais moi-même hérité. Un duvet roux, alors que ni l'un ni l'autre n'étions parés de cheveux de cette teinte.

          De minuscules doigts, presque microscopiques à côté de ma paume immense. Leur douceur était incomparable, on aurait dit de la soie. L'envie de les saisir me démangeait furieusement, je voulais les toucher, sentir le délicat velouté, la pulpe si fraîche. Il y avait aussi cette odeur... de bébé. Un mélange de talc, de lessive, de savon. J'aurais voulu l'absorber, l'avoir en moi et sur moi à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Je voulais qu'elle suinte de mes pores à chaque effort, pour me rappeler à quel point c'était bon d'avoir un enfant.

         Pas n'importe lequel, notre enfant.

        Ses cils étaient blonds, oui, blond était une bonne couleur, celle des Smith. Plus jeune, Pyper s'était décoloré les sourcils pour aller avec sa nouvelle teinture blond platine. Durant quelque temps, on aurait dit qu'elle n'en avait pas du tout tant ils étaient clairs. Étrange d'y repenser, alors que maintenant ils avaient retrouvé leur couleur naturelle ; un blond foncé, presque châtain.

         Et je les voyais, dans la continuité des paupières, ils paraissaient prêts à être haussés. Vivants. Encore aurait-il fallu qu'un bébé puisse bouger ses sourcils...

          Plus loin, sa mère souriait. Vraiment, elle souriait, elle était heureuse. Ses cheveux flottaient dans la douce lumière du petit matin, une luminosité dont je ne profitais plus depuis bien longtemps. Ses dents, dévoilées par des lèvres délicates, étincelaient. Elles me faisaient envie, mais ce n'était pas du désir malsain, c'était de l'amour.

Pur.

Et je voyais la même émotion faire briller ses petits yeux en amande, qu'elle plissait pour pouvoir nous voir.

En réalisant que je méritais ce bonheur, mon cœur s'emballa. Il était à moi, il m'appartenait tout comme elles étaient miennes. Jamais plus je ne les laisserai partir, je voulais graver ce moment dans ma mémoire. Je le voulais de toutes mes forces, du plus profond de mes entrailles.

Cette lumière orangée, ce berceau en plastique transparent, ces cheveux anormalement roux, ce sourire franc, mon cœur battant.

Nous nous trouvions dans une bulle, à l'écart de tout. C'était sûrement l'effet produit par la gravité 0, ce bonheur psychédélique. C'était beau, c'était un endroit perdu où nous aurions voulu rester.

Pour toujours.

Une joie éclatante, une mère radieuse, un bébé sublime ; et nous, mon cœur et moi. Juste un instant capturé hors du temps, enfermé dans une bulle propulsée dans l'espace.

À Gravity.