Chapitre 2 - Entorse
Gemma sépara son visage de celui qu'elle embrassait, toute sourire. Mais ce rictus heureux s'effaça quand ses yeux bruns rencontrèrent le regard furieux d'un Alexei blessé, se tenant à deux pas d'ici.
- A-Alex ?, commença-t-elle en bégayant sous la surprise, Laisses moi t'expliquer...
La jeune femme tenta d'approcher son copain en tendant la main, comme si elle allait amadouer un animal sauvage. Parce qu'Alexei était de ceux qui utilisaient l'offensive pour se défendre. Elle venait de lui faire du mal, elle le savait, et il n'allait plus se laisser avoir. Cela se voyait dans ses iris grises qui la dévisageaient avec une expression de tristesse mêlée à de la rage. Gemma tenta quand même sa chance en avançant un peu plus vers lui.
Cependant il ne lui permit pas de le toucher, ni même de parler à nouveau. Le jeune homme recula en détournant le visage, il ne voulait plus voir cette menteuse et le type qui, si sa mémoire était bonne, s'appelait Tiago.
- Ne me parles pas, ce n'est plus la peine.
- Alexei écoute moi s'il te plaît, insista la jeune femme en lui attrapant le poignet.
Le manque de sang froid du jeune homme aux origines russes se fit ressentir à l'instant même où elle posa ses doigts sur lui. Il eut envie de la pousser, lui crier dessus, de lui montrer à quel point il était blessé. Mais ce serait probablement déjà trop comparé à ce qu'elle méritait : plus aucun regard ni aucun mot.
Le plus impassiblement possible, Alexei se dégagea sans lui laisser le choix mais sa langue se délia avant qu'il ne puisse réfléchir à ses paroles, le laissant cracher son venin amer.
- C'est finit je t'ai dis ! Dégages et restes avec lui !
Ses propos n'étaient pas excessivement méchants mais leur virulence fit son effet, le rendant impressionnant et blessant.
À cause du mouvement de son ex-copain, Gemma recula contre Tiago, ébranlée par son manque de douceur dans ses propos et son ton haussé. En revanche, son amant la réceptionna délicatement dans ses bras avant de la mettre de côté pour s'approcher du jeune homme qui écumait.
- Hey, calme mec, tu t'es pas posé la question de savoir si c'était de ta faute ?
- Ma faute ?, fit un Alexei scandalisé par les propos de son interlocuteur, Tu vas me dire que c'est de ma faute si elle n'a pas rompu pour se mettre ensuite avec toi ? Je peux survivre sans elle, pas besoin d'un chaperon surtout si celui ci pleure plus que l'enfant gardé.
Il se sentait excédé par l'intervention de l'amant de son ex-copine qui usait de clichés lourds et ringards pour faire tourner sa colère en culpabilité. C'était mal le connaître d'avoir essayé une manoeuvre aussi inutile.
Mais ce qui l'énervait le plus était probablement l'ironie de la situation dans laquelle il se trouvait : depuis un mois elle lui faisait des scènes en ayant peur qu'il la trompe et au final... C'était elle qui allait voir ailleurs. Cette pensée le fit repartir dans un flot de paroles piquantes tout en imitant la voix de Gemma.
- Alexei ? Tu me trompes pas hein ? Parce qu'il faut que les choses soient claires entre nous, je te pardonnerai jamais si tu me faisais ça. Et puis moi j'en serai pas capable moi. Ok ? Quelle ironie...
Son imitation s'accompagnait de mimiques qu'elle faisait habituellement, renforçant la moquerie de son petit jeu. Cela fonctionna car Gemma perdit son calme pour devenir rouge d'humiliation puis de colère. Les cris vinrent très rapidement, faisant sursauter Tiago.
- C'est faux ! Tout ça c'est de ta faute et de cette fille ! Tu penses tout le temps à elle, et plus à moi ! Qu'est ce qu'elle a de plus que moi ?!
Sa dernière phrase fut presque criée à sa figure mais il ne frémit même pas, de marbre face à ce visage écarlate, à l'expression pitoyable et aux plaintes désormais quotidiennes. Il ne voulait plus être touché par tout ça, il ne voulait plus se laisser faire, se laisser berner aussi facilement. Sa réponse cinglante fut la conséquence du trop plein, de ce mois pénible qui a usé sa patience, sa bonne volonté malgré son amour persistant.
- De la dignité.
Alexei allait enfin se retourner pour s'en aller, amenant à sa fin cet échange/règlement de compte qui tournait déjà à une mauvaise comédie romantique Hollywoodienne que la jeune femme adorait.
Cependant Tiago sembla en décider autrement, le retenant par le bras pour le fixer droit dans les yeux avec un air grave, le torse légèrement bombé mais l'air tendu.
- Je ne te laisserai pas lui parler comme ça.
Est ce qu'il avait bien entendu ? Est ce que c'était une blague ? Tiago, le grand moralisateur, venait de s'opposer tel un chevalier en armure blanche face à Alexei, le vilain dragon. Les rôles n'étaient pas un peu inversés par hasard ? Il ne manquait plus que la déclaration de combat et il se mettrait à rire.
- Cool, répondit-il simplement comme une marque du plus grand mépris.
D'habitude ses iris grises glaciales en stoppaient plus d'un quand les ennuis arrivaient, mais l'amant de Gemma ne sembla pas comprendre le message. À défaut d'une épée, Tiago brandit son poing jusque dans sa joue pâle. Si il avait hésité à le frapper, Alexei, lui, ne se posa pas plus de question une fois son visage revenu droit avec une lenteur maîtrisée, ne présageant rien de bon... Sa main refermée s'écrasa dans le nez de son adversaire.
Puis une bagarre éclata.
.
L'eau lui apporta une sensation de fraîcheur rapidement suivie d'une explosion de douleur dans son nez et les contusions sur son visage. Il réitéra cependant le geste, amenant ses mains en coupe pleine du liquide translucide à sa figure afin d'en nettoyer le sang. Le lavabo en était d'ailleurs tâché un peu partout. Ses doigts engourdis et tremblants effacèrent les traces vermillon à grand renfort de papier toilettes généreusement humidifié au robinet.
- On dirait que t'efface un assassinat de lilliputien ou bien les conneries d'un chien qui saigne du nez mais qui se secoue quand même partout, fit Erke d'une voix moqueuse.
- Ou vos conneries, grinça Leandro d'un ton réprobateur.
- C'est bon maman, tu veux aussi me donner la fessée ou t'as finis tes leçon de morale ?
- Sérieusement Erke ! On va avoir des ennuis à cause de vous deux !
Alexei, qui jusque là demeurait silencieux et concentré sur sa tâche, releva enfin le visage vers le miroir en face, pouvant observer ses amis discuter dans le reflet.
- Je vous avais pas demandé d'intervenir, fit-il enfin en se passant une main dans ses cheveux châtains et blancs humides.
- Tais-toi et mets ça contre ton nez, rétorqua Sym qui lui plaqua un morceaux de papier hygiénique rose à fleurs contre le nez.
Il s'exécuta pour éviter de remettre de l'hémoglobine partout, le tenant fermement contre ses narines tout en basculant la tête en arrière. La sensation était désagréable, il sentait le sang couler dans sa gorge, lui donnant un goût métallique dans la bouche à chaque fois qu'il déglutissait tant bien que mal.
- En même temps, reprit Leandro à l'attention de Sym cette fois ci, tu ne vas pas te plaindre quand tu as une occasion de voir Gemma se prendre une baffe.
Le blondinet se contenta d'avoir un sourire énigmatique mais ne nia pas, signe que le métisse avait vu juste. Cela arracha un soupir à la "maman" du groupe. Ses amis étaient vraiment irrécupérables.
- Quoi ? J'ai jamais frappé Gemma !, protesta Alexei avant de se tourner comme il pu (avec la tête basculée) vers un certain Erke.
- Ah ? Bah moi si. J'ai cru que personne verrait..., fit son vis à vis avec une expression d'innocence plus ou moins bien feinte.
Ce fut un rire qui acceuillit la déclaration d'Erke, celui de Joap plus précisément. Ce dernier revenait avec compresses, pansements et désinfectant tout droit sortis de son sac de sport. Comme il pratiquait énormément d'activités sportives, les petites blessures n'étaient pas rares. Mais étant très précautionneux, le jeune homme avait toujours de quoi se soigner sur le moment afin d'éviter infections, aggravations et autres choses moins sympathiques.
Mais il fallait avouer que cette pharmacie servait surtout à ses amis, grands adeptes de bagarres ou bêtises un peu dangereuses... Surtout Erke qui s'attirait les ennuis comme un aimant et Sym qui apprenait à faire du skate malgré son célèbre équilibre digne d'un funambule débutant et unijambiste.
- Tu croyais que Boucle d'Or allait manquer ça ? Pour rien au monde voyons, s'esclaffa-t-il.
- Johan ne les encourages pas, pitié.
Le concerné grimaça à l'entente de son prénom, plus vraiment habitué à ce qu'on l'appelle ainsi alors que même ses parents le nommait Joap, sobriquet donné par Leandro quand ils étaient enfants. Cette appellation se basait sur ses origines. Certes qualifié de grand rouquin au visage parsemé de tâches de rousseur, ses yeux, ses très beaux yeux, étaient le souvenir de ses ascendants asiatiques : légèrement plissés, en amande et d'un brun chocolat. Joap n'était que la contraction entre "Johan" et "jap" (de japonais).
- Déstresses mama, on aura pas d'ennuis parce que si on réfléchis bien, Gemma n'a certainement pas envie qu'une rumeur sur son infidélité explose dans tout le lycée qui l'a déjà vu faire des scènes à Alexei. Donc globalement, elle n'a aucun avantage à raconter tout ça. Le seul problème qu'on peut avoir c'est un mot de retard si tu nous coinces encore dans ces toilettes pourris pendant toute l'heure de maths.
Voilà Joap dans toute sa splendeur, une réflexion terre à terre et rapide pour dénouer les situations avec simplicité et réalisme. Pas étonnant qu'il soit le meilleur élève des cinq, étant doté d'un esprit à la logique imparable qui lui fournissait des raisonnements constamment clair. Mathématiques, physique-chimie, SVT, que des matières où se faire plaisir. Ne pas prendre la filière S aurait été probablement la plus grande erreur de sa vie. D'autant plus qu'il était mauvais en langues et en histoire-géographie !
Il n'empêche que maman Leandro s'inclina, au sens propre du terme, pour laisser place à son ami qui, en plus d'avoir raison, allait soigner les grands blessés. Erke écopa sans doute d'une entorse au petit doigt qui lui valut les moqueries de ses amis et quelques bleus sur le poing. Rien de méchant en somme.
- Hahaha c'est que Gemma a la joue dure, le charriait Sym.
- Ta gueule blondinet, rétorqua l'invalide du petit doigt.
Alexei eut moins de chance que son ami : son nez mit une bonne dizaine de minutes pour enfin s'arrêter de saigner, son oeil droit se cerclait peu à peu d'une ecchymose, sans parler de sa joue. Autant mettre une pancarte "je me suis battu" sur son front, il n'allait pas échapper aux questions à propos de son minois endommagé.
- Bon c'est finit ? On peu aller en cours ?, s'impatienta Leandro qui venait d'activer son mode "rabat-joie" en plus de celui "mère poule".
Bientôt il y aurait la phase "Momster", mais pour l'instant le grand métisse se contentait d'observer ses amis dans le reflet du miroir.
Alexei remettait ses cheveux bicolores en place, ses yeux gris ardoise dardant son image d'un regard renfrogné. Il n'allait clairement pas bien et personne ne pourrait le blâmer pour ça sachant ce qu'il venait de vivre : la fin abrupte d'un couple de plus d'un an. Quand leurs iris se croisèrent au travers de la glace, il lui fit quand même un sourire rassurant que la mama s'empressa de lui rendre.
Son regard passa ensuite sur Joap qui rangeait la bouteille de désinfectant dans sa trousse de soin. Le jeune homme avait un vague sourire aux lèvres en écoutant distraitement Sym et Erke discuter, réhaussant ses pommettes tachetées de rouille.
Les deux pipelettes s'entretenaient à voix basse sur les exploits d'Erke contre la joue de Gemma, un sujet qui les faisait apparemment énormément rire. Ils ne se rendaient pas encore compte qu'Alexei se retrouvait blessé et désemparé face à cette rupture qu'ils avaient souhaité, alors heureusement qu'ils parlaient tout bas... Le petit blond avait ses iris azur brillantes tandis que ses joues prenaient une légère teinte rouge sous l'enthousiasme et les rires. Il se mordait même la lèvre pour ne pas pouffer trop fort à chaque blague qu'Erke faisait. Ce dernier n'était manifestement pas prêt de s'arrêter vu l'énergie qui animait sa silhouette et la vitesse de ses paroles moqueuses, au plus grand plaisir de Sym dont seule l'apparence était candide. Le plus grand des deux abordait une posture fière, comme si il revenait de la chasse, passant une main dans ses cheveux de jais d'un air faussement supérieur... Quoi que, c'était bien son genre de se vanter pour un rien dès que l'occasion se présentait.
À cette pensée, le grand métisse eut un sourire malicieux que remarqua Erke, l'interrogeant de son regard bicolore.
Parce que oui, en plus d'avoir un succès fou auprès de la gente féminine et masculine grâce à sa beauté énigmatique et sauvage, le jeune homme bénéficiait également d'yeux vairons à tomber par terre. Son hétérocromie se manifestait par un oeil vert d'eau très clair tandis que l'autre penchait sur un marron très pâle lui aussi. Le tout était terriblement intense quand il vous fixait droit dans les yeux.
- Bon on y va ?, se répéta le métisse.
Et cette fois ci, ils suivirent.
Hey ! Normalement je voulais continuer le chapitre mais ça faisait plus de 4000 mots alors j'ai scindé en deux, pour éviter de faire un truc trop gros :')
J'espère que ce chapitre n'est pas trop dense et qu'il vous plaira ! Est ce qu'à l'avenir vous voulez que je me concentre uniquement sur Alexei et la personne aux papiers jaunes ou bien sur tous les personnages ?
Liiora
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