Chapitre 8: Le temps efface les maux

Une fois prête, je descendis rejoindre les frères pour leur repas familial. Jamais je ne m'habituerai à cette ambiance si peu conviviale. Je m'installais à côté d'Ayato, face à Raito. Le silence habituellement tendu planait à table. A gauche, Reiji mangeait avec toutes les convenances et le savoir vivre en société, en face de lui, Shuu dormait, n'ayant pas même touché à son assiette. A ma diagonale, Kanato tenait sa fourchette d'une drôle de manière et martelait ce qui semblait être une banane. Subaru à ma droite, semblait aussi mal à l'aise que moi, et lorsque je croisai son regard, l'espace d'un instant, j'avais cru que l'on se soutenait mutuellement. En face de moi, Raito semblait lugubre, ses yeux cachés sous son chapeau ; il avait sa tête des mauvais jours. Enfin, Ayato à ma gauche se contentait de me fixer, comme s'il cherchait un point où ancrer son regard pour l'extirper de son ennui.

Entre les mauvais jours de certains et la tension habituelle régnant entre les frères, les repas mensuels semblaient se passer de plus en plus mal. Je ne serai pas étonnée que la prochaine fois, l'un ou l'autre des frères tentent de s'en échapper.

C'est ainsi que dans une ambiance gênante, le repas se déroula.

Une fois celui-ci fini, aucun de nous ne se fit prier pour sortir de table et vaquer à ses occupations solitaires. Enfin pas tous, Ayato avait décidé de rester avec moi, j'ignorais pourquoi. Mais n'en pouvant plus de la solitude pesante, je le laissai rester avec moi et nous passâmes le reste de la nuit ensemble. Il me regardait d'une drôle de façon, me couvait d'un regard à la fois intrigué et inquiet, ce qui n'était pas habituel. Cela me montrait pourtant encore une fois la différence entre Ayato et ses frères.


J'ignorais si un jour, les rapports entre les frères Sakamaki pourraient s'améliorer. J'ignorais même les histoires qui les unissaient à ce point dans la souffrance pour qu'ils soient ainsi.

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Notre repas se passait comme d'habitude dans la bonne humeur et les chamailleries. Un repas silencieux n'était pas possible dans notre famille, nous étions soudés plus qu'une famille liée par le sang, puisque nous nous étions choisis.
C'était mon père qui m'avait envoyé ici, et je ne lui en avais jamais été aussi reconnaissant.

Je préférais être avec mes quatre frères qui se cherchaient gentiment qu'avec des aristocrates qui se prenaient pour le centre du monde. Ils se pensaient intouchables car ils venaient de l'aristocratie... Ces six arrogants me dégoûtaient.
De plus maintenant qu'ils avaient un nouveau joujou, je les détestais encore plus. Enfin, cette Anju ne devait pas se prendre pour n'importe qui pour trainer avec eux... Quoi que...vu son visage décati la dernière fois, tout n'était peut-être pas si rose. Elle était peut-être forcée de vivre avec eux pour une raison qui lui échappait, comme moi.
Pourtant, il y avait une différence de taille entre elle et moi : mon père. Il était conscient de qui j'étais, il était très puissant et il ne cherchait qu'à me protéger.
Elle n'était qu'un petit agneau faiblard face à moi. J'étais le danger incarné, pas comme ces filles qui s'auto-proclamaient porte-poisse. Moi j'avais déjà tué, j'étais prête à recommencer s'il le fallait. J'étais plus dangereuse que n'importe quelle créature et il en faudrait beaucoup pour me calmer.


Mon père était mon modèle et grâce à lui je savais qui j'étais et ce que je n'étais pas.
Quiconque se mettrait en travers de mon chemin goûterait à l'amertume du regret de la vie.

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Je m'étais endormie en discutant avec Ayato. J'étais de plus en plus épuisée, et je sentais en moi des phénomènes inexplicables se produire.
Pourtant ce sommeil était tout sauf réparateur. Comme depuis quelques nuits déjà, je revoyais mes souvenirs, continuellement, de manière immuable, comme un poison qui s'infiltrait.

J'étais jeune, trop jeune pour comprendre dans l'immédiat et trop jeune pour me souvenir. Mes parents et moi étions spéciaux. On ne savait pas d'où cela venait, ou peut-être étais-je la seule à ne pas savoir... Ma mère contrôlait le vent, mon père le temps, et moi les esprits. J'étais capable d'exploiter les failles de la perception pour qu'un esprit tienne pour vrai une illusion, je pouvais contrôler temporairement les réceptions cognitives pour pousser l'autre à exécuter des ordres simples, j'étais aussi très sensibles aux émotions d'autrui, et ce surplus d'émotion se manifestait par le changement de couleur de mes yeux. Mes parents étaient fiers et nous étions heureux. Du moins, à ce qu'il paraît, j'avais l'impression qu'une partie de mon passé m'échappait. Un jour en sortant de l'école et m'attendant à les voir arriver, je regardais partout autour de moi. Une dizaine de minutes plus tard, je vis ma grand-mère arriver et aussitôt me serrer dans ses bras. Je l'aimais beaucoup, j'étais heureuse de la voir, et avec une voix guillerette je m'étais alors exclamée :

« Mamie, où sont papa et maman ? Je dors chez toi ce soir ? Ils ont trop de travail ?
- Je suis désolée ma chérie...mais tes parents ne rentreront plus... Je m'occuperai de toi désormais. »

Je ne comprenais pas la signification de ces mots, mais je savais qu'ils étaient douloureux, et je compris alors que ma grand-mère pleurait. Peu de temps après, nous avions fait une grande cérémonie, que ma grand-mère désignait comme « la plus belle et la plus grande de notre vie ». Encore une fois, je ne compris pas, j'étais trop jeune, je n'avais que 5 ans. D'ailleurs comment me souvenais-je de ce moment sans me rappeler du reste ? Le cerveau est un organe impressionnant...

Durant la cérémonie, on m'avait dit que mes parents étaient montés au ciel. Plus tard, je me dis que même sans l'aspect religieux, je trouvais cette comparaison très belle. L'âme s'envole, le corps retourne à la terre.
Ma grand-mère s'était alors occupée de moi en faisant de son mieux. Malheureusement, elle était assez fragile en matière de santé, et quelques temps après à son tour elle s'était envolée. Je fus alors placée dans un orphelinat. J'avais bien vite compris qu'il n'était même pas question que j'utilise mes pouvoirs, je les avais donc scellés, tentant de les oublier pour me faire accepter. Pourtant, la couleur de mes yeux restait instable, et les autres enfants me voyaient comme un monstre. M'accusant sans preuve d'avoir tabassé un autre pensionnaire, on me changea d'orphelinat. A 13 ans, une famille qui se sentait prête à m'accueillir vint à moi. J'étais heureuse et je me disais qu'après tout ce temps, j'avais enfin droit au bonheur. Cette illusion ne dura donc que quelques années, ils étaient passés outre la couleur incertaine de mes yeux, mais lorsque mes autres pouvoirs furent révélés et ébruités en ville, on me chassa, et c'est ainsi que je me retrouvais chez les Sakamaki.

Monstre ?
Enfant du diable ?
Erreur de la nature ?
Démon ?

Pourquoi me qualifiait-on ainsi ? Qu'avais-je bien pu faire ? Pourquoi avais-je ces pouvoirs ? Je n'étais qu'une humaine un peu spéciale et pas bien forte, mais la vie a décidé de me renforcer pour que j'ai les armes pour me battre.
Mais s'il fallait que je renonce à ce qu'il me restait d'humanité pour enfin effacer mes peines, en serais-je capable ? Peut-être devrais-je le faire un jour.

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