Chapitre 52 : Les promesses enfantines
L'espace d'un instant, Anju repensa à la discussion qu'elle venait d'avoir avec l'au-delà. C'était leur dernière chance pour rétablir les choses.
A force de crier, elle vit deux silhouettes s'avancer. L'une masculine, l'autre féminine. Une fois assez proches, elle reconnut Shu et Aiko.
« Aiko ? Shu ? »
Sa voix se perdit dans un faible écho, et Shu lui offrit un petit sourire narquois.
« Il faut croire que je n'aurai pas la chance de connaître mon neveu. J'aurais aimé voir comment Ayato se débrouillait en tant que père. Mieux que le nôtre en tout cas.
- Shu tenait à te voir pour te dire au revoir et passer un message à ses frères. De plus... Je suis là pour te proposer un marché. Je te rends les souvenirs que tu as oublié si en échange tu élèves ton enfant dans l'éducation angélique. »
Anju ouvrit la bouche sans parler. Choquée par ces informations. Elle pourrait récupérer ses souvenirs ? La raison pour laquelle sa vie va si mal ? Et peut-être aussi des informations capitales ? Elle ne pouvait pas renoncer à cela, surtout pas en ce moment.
« Marché conclu. »
Aiko lui avait souri, assurant à Anju que les souvenirs volés reviendraient à leurs propriétaires, avant que la conscience d'Anju ne se dissipe en un épais brouillard.
La suite avait perturbé Anju. Mais avant de s'y replonger, elle devait absolument trouver Ayato.
Rhin lui lança un rapide regard par-dessus son épaule, et inclina légèrement sa tête, signe qu'elle pouvait y aller.
Anju prit alors congé du dieu sous la garde de Rhin, qui lui avait chuchotée avant qu'elle ne parte qu'ils auraient bientôt des renforts.
En premier lieu, la jeune vampiresse se dirigea vers la source de l'explosion qu'elle avait perçue tout à l'heure. Elle prit garde à ne pas courir, se doutant qu'elle arrivait au terme de sa grossesse et ne voulant pas précipiter les choses – déjà qu'elle espérait que tout le stress ne déclenche pas tout cela au pire moment...
Arrivée au premier étage et après avoir escaladé les marches devenues bancales sous l'explosion, elle essaya de discerner les sons, les pensées ou les auras des autres vampires.
Une odeur particulière attira pourtant bien vite ses sens. Celle du sang d'Ayato. Elle se dirigea vers ce qui ressemblait à un boudoir, où elle percevait également une voix féminine.
Quelle ne fut pas sa surprise en constatant la présence des Tsukinami avec les triplets et Kyra.
Ayato pivota la tête à s'en déboiter le cou, et fila vers sa chère et tendre.
« T'es réveillée ! Pourquoi Azusa t'a l'aissé partir ?! Et c'était quoi ce-»
Avant même qu'elle ne puisse dire un mot ou qu'Ayato n'ait pu finir, Kyra le coupa et lâcha un petit rire.
« J'étais justement en train d'arriver à la partie intéressante. Je disais donc avant que ma belle-sœur n'arrive, histoire fort amusante. Pour faire court : on a trouvé le moyen d'arrêter Hadès en faisant revenir sa fille, elle a convaincu les autres dieux de lui venir en aide pour lui faire arrêter ce massacre, on a trouvé un remède pour l'Endzeit et par la même occasion, comment régler définitivement les conflits entre les différents clans. »
La demoiselle prit une petite pause, regardant Carla d'un œil doux. Celui-ci s'avança vers les triplets et Anju.
« Tout d'abord, c'est grâce à votre sang qu'on a pu créer un remède à l'Endzeit. En revanche, si l'un de vous développe la maladie à cause d'une mutation du virus, il faut absolument qu'il comprenne qu'il ne doit pas contaminer les autres. Cela veut dire, sous forme d'IST ou de transfert sanguin. Cela reviendrait à condamner toutes les espèces. C'est à la fois une menace permanente et un gage de sûreté tant que vous êtes en bonne santé.
De notre côté aussi on fera attention évidemment, mais le risque est seulement élevé de mon côté, puisque j'étais atteint de cette maladie, et que sans ce remède, j'étais condamné à mourir d'ici quelques jours. »
Un blanc s'installa quelques instants avant que Kanato n'ouvre la bouche.
« Et en quoi ça concerne la situation actuelle ?
- Grâce à ce remède, j'ai pu retrouver mes forces. Or, dans un rapport de force entre Karlheinz et moi, aujourd'hui, je suis largement capable de le surpasser. Autrement dit, c'est la fin du règne de Karlheinz et le royaume des démons va retrouver un ordre particulier. Néanmoins, comme c'est grâce à vous que cela est possible- et parce que je suis diligent, je ne vous fais absolument pas confiance soyons honnêtes- vous aurez toujours un droit de regard sur les affaires du royaume, vous et vos frères. De plus, je compte bien faire de Kyra ma reine, donc vous serez d'autant plus concernés par tout cela.
- On était déjà prince, ça ne nous change rien en fait, claqua Raito en regardant Kyra avec de grands yeux.
- Peut-être pas pour le moment, mais en tout cas cela changera totalement le régime du royaume. Karlheinz avait été particulièrement controversé, notamment avec son intérêt particulier pour les humains et l'oppression chez certaines populations comme les goules. Tout sera repris d'une main de fer. Enfin, en ce qui concerne les accords tacites passés avec les anges, je compte bien y mettre un terme, ils sont immoraux, finit par conclure Carla.
- Quels accords ? Demanda Shin en regardant son frère d'un air perdu. »
Anju se renfrogna. Les accords passés entre les anges et les démons étaient à la source de la situation actuelle. « Un mal pour un bien » était à l'époque la devise, et l'on pensait que cela signerait la fin des guerres entre les deux forces opposées. Anju avait été la pièce de ce jeu d'échecs, un ange chez les démons, à qui on a fini par couper les ailes.
Les souvenirs qu'elle avait récupérés étaient encore frais dans sa mémoire, la colère bouillait toujours en elle. Aussi elle fut étonnée en voyant que les triplets et Kyra arboraient la même expression qu'elle.
Carla jeta un œil autour de lui, constatant que chacun était dans ses pensées, il répondit brièvement à Shin.
« Les accords entre les anges et les démons ont été signés il y a de cela quelques centaines d'années, à la fin de la guerre entre les fondateurs et les vampires, après la mort de notre père le roi fondateur, précisa-t-il pour orienter Shin. Ils visaient à garantir la paix entre les deux clans et ainsi assurer qu'aucun conflit n'aurait lieu tant que les clauses seraient respectées. Mais les clauses en question ne tournaient qu'autour d'un chérubin abandonné dans le monde des démons. Une sorte de pari si tu veux, tant que le chérubin ne casserait pas le véto qui l'interdisait d'aimer un démon, ou pire encore, que le contrat soit définitivement brisé si l'ange perdait ses pouvoirs et devenait un démon, il n'y aurait pas de guerre. Je te laisse faire tes propres conclusions sur qui est le chérubin en question, Shin. »
Le fondateur aux oreilles de loup regarda alors Anju et comprit ce que venait de lui raconter son frère.
Carla jeta un œil par le trou béant dans le mur et observa ce qu'il se produisait dans la plus grande effusion, plus bas.
« Ils sont là, tout va prendre fin bientôt. Karlheinz doit être à Eden, Shin allons-y, nous devons tuer Karlheinz pour assister à un nouveau départ. »
Les vampires étaient toujours dans les souvenirs qu'ils avaient récupéré à cet instant, des souvenirs qui les ramenèrent au moment où ces histoires d'accord avaient commencées à les concerner.
Kyra jouait pour une fois avec Raito et Kanato, ils étaient encore petits et essayaient d'attraper des chauves-souris. Ayato avait même réussi à échapper à leur mère pour les rejoindre. Leur récréation se passait pour le mieux, avant qu'ils ne trouvent une petite silhouette recroquevillée au bout de leur jardin, dans les allées fleuries.
La petite boule semblait trembler et était drapée de tissus. Kyra comprit bien assez vite qu'il s'agissait d'une petite fille et s'approcha en courant, aussi inquiète qu'intriguée. Ses frères la suivirent, curieux de savoir ce qui avait traversé l'esprit de leur sœur.
« Hey, tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais là toute seule ? »
La petite fille releva la tête, et les enfants vampires ouvrirent la bouche d'étonnement. On aurait dit une poupée dont les yeux changeaient de couleur aussi vite que la lumière, et dans son dos flottaient des plumes d'un blanc éclatant. Les petits vampires n'avaient jamais vu d'ange et ne connaissaient que très mal cette espèce.
« Tu es une enfant oiseau ? Demanda innocemment Kanato.
- N-non, je...
- T'es toute seule ? T'as besoin d'aide ? Demanda Ayato en remarquant qu'elle avait des blessures similaires aux siennes. Tes parents sont méchants avec toi aussi ? »
La jeune fille regarda le garçon aux cheveux rouges, les larmes glissaient encore sur ses joues.
« J-je suis juste tombée et je me suis faite mal. Je sais pas où sont mes parents... »
Aux yeux des enfants de Cordelia, cela semblait être un mensonge. Ils pensèrent de concert que la poupée aux ailes blanches s'était échappée de chez elle pour fuir ses parents.
Mais si seulement ils savaient qu'elle ne mentait pas. L'enfant venait de chuter depuis le paradis, d'où on l'avait poussée « par mégarde ».
« C'est dangereux si tu restes ici... Commença Kyra
- On peut pas non plus la renvoyer ! Imagine des personnes méchantes s'en prennent à elle ? Comme mère ! S'inquiéta Ayato.
- Mais on peut pas la garder ici Ayato... S'exclama alors Raito.
- Si elle reste quelques temps avec toi Kyra, ça devrait le faire non ? Maman s'occupe pas souvent de toi, moi elle est toujours sur mon dos et elle vient souvent chercher Kanato pour qu'il chante. Raito viendra te voir.
- On n'a pas notre mot à dire ? Bouda Raito.
- Vous inquiétez pas pour moi...
- Si ! Faut qu'on te soigne aussi ! »
Les heures qui suivirent, Ayato, en tant qu'aîné, s'acharna à convaincre ses frères et sa sœur de l'aider à cacher le petit ange chez eux, et finirent même par jouer avec elle une fois qu'elle fut calmée.
Ils étaient encore jeunes et naïfs à l'époque, leur cœur n'était pas entaché par les regrets, la douleur, la tristesse.
Le temps passa assez rapidement, et les relations avaient très vite évoluées entre les enfants. Anju avait toujours soigneusement évité le contact avec les vampires, sans savoir réellement pourquoi.
Kyra et Raito étaient devenus les meilleurs amis d'Anju, Kanato, plus distant, n'était pas tellement proche d'elle. En revanche, l'affection enfantine avait mené Ayato et Anju à s'aimer dès le plus jeune âge.
Ce jour-là, c'était l'anniversaire d'Anju, du moins celui de son arrivée. Ayato avait une fois de plus échappé à la surveillance de Cordelia et avait retrouvé ses frères, sa sœur et son amoureuse dans un coin du jardin. Raito avait volé des petits gâteaux à la cuisine et Kanato s'occupait d'allumer deux bougies qu'il avait trouvées. Tout se passait pour le mieux.
Les petits vampires étaient toujours émerveillés de voir les couleurs danser au rythme des émotions dans les yeux du petit ange.
Au moment des cadeaux, Ayato lui tendit un dessin. Pour le remercier, la jeune fille outrepassa son esprit qui la mettait en garde et offrit à Ayato un bisou sur la joue.
Elle n'eut que brièvement le temps d'entendre Kyra applaudir en riant avec Raito et Kanato se plaindre que c'était dégoûtant, ou encore de voir les rougeurs sur les joues d'Ayato, qu'un éclair déchira le ciel.
Anju sentit ses ailes bruler et se recroquevilla. Une ombre apparut à ses côtés et tous les enfants furent effrayés.
« Chérubin, tu viens de briser le véto. Toucher un démon constitue un crime de haute trahison pour un ange. La conséquence de cet acte est irrévocable, une partie de tes pouvoirs te sera ôtée, tu ne seras plus considérée comme un ange, mais comme une déchue. De plus, pour prévenir d'autre trahison, vos souvenirs partagés ensemble seront retirés. »
Lorsque le soldat des anges eut fini sa tirade, des pas sur l'herbe se firent entendre.
« Et bien, déjà à cet âge il semblerait que le chérubin veuille enfreindre les règles. Ma chère petite Anju, si un jour tu te souviens de ce moment, j'attendrais qu'Ayato et toi veniez me tuer car vous êtes les seuls à pouvoir le faire. Montrez au monde que les anges et les démons ne sont pas faits pour se détester mais pour s'aimer, montrer leur ceci, car la même règle s'applique avec les humains. Si à votre âge j'avais eu la même force pour affirmer mon affection avec mon humaine, peut être les choses auraient elles été différentes... Quoi qu'il en soit, venez me trouver près de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal si vous vous souvenez de tout cela. »
Karlheinz aussitôt apparut sembla disparaître aux yeux des enfants qui, sans un mot de contestation, se virent privés de leurs souvenirs.
Avec force, Ayato et Anju s'écrièrent en cœur avant que Carla et Shin ne disparaissent des lieux « NON ! Amenez-nous à Eden, nous devons nous charger de lui nous-même. »
Ce fut comme s'il s'agissait de la première fois que les amants se regardèrent réellement depuis leurs retrouvailles. Un entendement mutuel passait dans leur regard.
Ils allaient mettre fin eux-mêmes au conflit avec les anges.
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