Chapitre 44 : Le sentier des larmes
Anju chancelait en marchant sur les routes parsemées de cailloux et de trous. Était-ce l'inégalité des chemins ou la tristesse qui la submergeait ? Sûrement les deux. Elle n'acceptait pas la perte de ces deux êtres dont elle avait partagé le même toit.
Elle se souvenait encore de la douleur du début, du désespoir qu'elle ressentait, de cette haine et du dégoût qu'elle avait éprouvés pour ces créatures sanguinaires. Mais au fond d'elle, elle savait sa place auprès d'eux, malgré leurs nombreux défauts, malgré toutes les horreurs qu'elle avait dû traverser. À travers ses larmes, au-delà des bleus et morsures, elle avait enfin l'impression de revivre.
Elle qui, toute sa vie, avait eu l'impression qu'une partie d'elle lui manquait. Elle qui avait essuyé l'humiliation et les coups, les pertes de contrôle et les regards haineux ; elle avait enfin pu goûter à un monde où on ne la jugeait pas pour sa différence. Elle avait même pu goûter à d'autres plaisirs.
Comme une pensée coupable, le souvenir de la sensation des lèvres de son petit ami lui revint en mémoire. Anju se sentit rougir à travers ses larmes.
Pourtant, bien assez vite, le nœud qui enserrait sa gorge revint accompagné du stress installé dans son ventre. C'était pour sauver ce qu'elle possédait encore qu'elle se trouvait sur les sentiers à l'aube.
Le chemin fut long.
L'épuisement l'avait obligée à s'arrêter plusieurs fois, le trajet était compliqué pour une personne lambda et l'était d'autant plus pour une femme enceinte. Elle savait que Kyra allait s'inquiéter de sa disparition, mais elle était bien plus préoccupée par l'état d'Ayato. Elle était parfaitement irrationnelle, guidée par la rage et la douleur, la crainte et l'amour.
Après deux jours à chercher où se diriger, s'enquérir du lieu où était son cher vampire, elle avait atteint le repaire.
Quand elle fut entrée dans le village où ils s'étaient réfugiés, elle avait été accueillie par l'odeur de sang. Bien que nouvelle vampiresse et enceinte – ce qui implique quelques frénésies de sang, elle avait été dégoûtée par ce parfum trop présent. La panique lui tordait le ventre, l'ambiance était trop pesante.
Du coin de l'œil, elle aperçut deux bambins se prostrer l'un contre l'autre derrière un mur, tentant de ne pas se faire voir de quiconque. Elle les entendait chuchoter, se rassurer mutuellement. Cela brisa son cœur de future mère, mais consciente de sa propre impuissance, elle ne pouvait rien faire. Elle voulait à tout prix s'assurer que ses vampires allaient bien. Ceux qui restaient du moins. Elle sentit les larmes monter et une appréhension se frayer un chemin lorsqu'elle réalisa qu'elle ne reverrait plus Subaru, Azusa, Yuma et Shu à leurs côtés.
Se raisonnant du mieux qu'elle put, elle poussa une énième porte de maison, cherchant désespérément le bon repaire.
Un soupir de soulagement lui échappa en voyant une touffe blonde avachie au fond de la pièce.
Elle courut les bras ouverts vers lui.
« Kou ! »
Le jeune homme releva la tête si vite que l'on aurait pu entendre ses cervicales craquer. Il se releva, surpris et incertain de la réalité de la situation.
« Anju ? Que fais-tu ici ?! »
La demoiselle enferma l'idole dans une étreinte.
« J'ai reçu les nouvelles pour Yuma et Shu et je... Je ne pouvais plus rester à l'écart ! Je devais faire quelque chose ! »
Kou resta quelques instants silencieux, avant de reprendre la parole.
« Tu t'étais éloignée pour...parce que tu étais enceinte ? Tu l'avais dit à Ayato ? Et c'est de la folie pure que tu sois venue avec un bébé dans le ventre ! »
La vampiresse réalisa comme Kou avait changé. La situation le perturbait tant qu'il avait laissé tomber son petit surnom pour la jeune femme, et il avait l'air si incertain... Si perdu... Son expression serra le cœur d'Anju.
« Je me laissais sombrer à petit feu là-bas, je prenais autant de risque avant qu'en venant...
- Tu ne sais pas ce que tu dis. Ayato va être furieux quand il reviendra !
- Où est-il d'ailleurs ? Et les autres ?
- Ils sont partis évaluer la situation au château. Il paraît que le manoir Sakamaki a été détruit par les démons. Les anges font la chasse aux vampires aussi. Plus le temps passe plus le peuple vampire est en danger. En venant ici tu as peut-être remarqué les gens qui se cachaient, on a annoncé aux gens de rester sur leurs gardes. Une armée d'anges a été signalée dans les environs. Dans leurs rangs se trouvent les meilleurs chasseurs de vampires qu'on a rencontrés. Reiji connaît un chasseur de vampires, un prêtre, la mère d'une des précédentes mariées sacrificielles. Il nous a dit que les chasseurs humains n'étaient rien en comparaison des anges. C'est sûrement eux qui... »
Le blond était incapable de finir sa phrase. La future mère saisit tout de même le propos, Kou soupçonnait ces redoutables chasseurs d'avoir achevé Yuma et Shu.
Les heures suivantes furent stressantes. Anju se prit un savon de la part du Mukami pour son inconscience en venant ici. Elle dut envoyer une chauve-souris pour expliquer la situation à Kyra et aux Tsukinami. Mais après les reproches vinrent les sanglots. Et ô combien ils avaient besoin de parler et se libérer du poids sur leurs épaules. Ce fut un de ces rares moments que Kou partagea sans revêtir son masque amical, sans faire semblant de se préoccuper des autres. Il était sincère, et Anju ne cherchait pas à le forcer à s'adoucir.
La nuit passa, le jour défila, l'aube tomba.
L'ex-ange déchue s'était endormie sur l'épaule de l'ex-humain, prenant un peu de repos plus que mérité. Le blond quant à lui était toujours anxieux. Il ne l'avait pas dit à Anju, mais cela faisait désormais quelques jours que les autres s'étaient absentés et il n'avait aucune nouvelle.
Aussi, incapable de trouver le sommeil, il se tortura l'esprit. Des souvenirs qu'il préférait laisser enfouis revinrent à la surface et il se sentit obliger de s'éloigner de tout contact. Il laissa Anju se reposer contre le mur et partit faire un tour pour s'aérer l'esprit.
Evidemment, Anju se réveilla pendant l'absence de Kou. Elle fut tout d'abord prise au dépourvu par sa solitude soudaine, puis elle aperçut au loin à l'extérieur la touffe blonde du jeune homme aller et venir. Elle ne se posa pas plus de questions et attendit seulement son retour.
Elle referma les yeux un instant, profitant du calme avant la tempête. Quelques instants plus tard, elle entendit des battements d'ailes et rouvrit aussitôt ses paupières.
Son cœur s'arrêta et elle poussa un cri désespéré pour alerter Kou.
Elle observa l'objet à ses pieds, incapable de le toucher. Kou ouvrit la porte à la volée et regarda la chauve-souris.
Un paquet de bonbons gisait, goût pomme. Les préférés de Kanato.
Mais les larmes n'eurent pas le temps de couler, une autre chauve-souris apporta une macabre nouvelle.
Le chapeau de Raito.
Le cœur d'Anju allait lâcher. Tout se produisait trop vite. Elle paniqua, les larmes coulaient sans plus aucune barrière. Sa respiration se saccadait. Elle priait elle ne savait qui pour qu'aucune autre chauve-souris. Mais qui qu'elle eut prié, cela n'eut aucun effet.
Le dernier volatile entra, jetant directement dans la main d'Anju une rose rouge.
Kanato.
Raito.
Et Ayato venaient de mourir.
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