Chapitre 42 ½ : Azusa
J'avais toujours connu les rues pleines de terre, la poussière sur les vêtements, le regard désintéressé des passants. La faim me tiraillait souvent alors que j'empruntais les chemins noueux dans le seul but de me promener. A l'époque, je vivais parmi les gitans. Je n'étais pas forcément malheureux, ni profondément heureux, je me sentais plutôt seul. Mais plus le temps passait, plus la faim me tiraillait, je m'affaiblissais.
Souvent je me questionnais sur la raison qui me maintenait en vie. Des amis ? Je n'en avais pas. Un objectif ? Pas que je me souvienne.
Les questions de ce style tournaient en boucle dans ma tête et finissaient par plomber totalement mon moral. Ces pensées me coupaient l'appétit, ce qui m'arrangeait d'ailleurs comme je n'avais rien à manger.
Dans l'écho des rues, j'entendais les adultes dire à leurs enfants de bien manger s'ils voulaient être grands et forts ; à l'entente de ces mots, j'avais souvent un pincement au cœur sans en connaître réellement la cause.
J'avais fini par me sentir comme mort de l'intérieur, aussi mon état extérieur ne m'importait plus vraiment. Pourtant quelqu'un m'avait sauvé de la faim, je n'avais jamais compris pourquoi.
Plus tard, une bande de trois enfants voleurs avait décidé de s'approcher de moi. Il me semble avoir pour la première fois ressenti quelque chose lorsque j'étais avec eux. Ces enfants étaient souvent en colère après moi, parfois pour des raisons stupides, mais le traitement qu'ils me réservaient en disait long sur leur appréciation de moi.
Le premier s'appelait Justin, il me frappait parfois si fort que mon souffle en était coupé.
La seconde se nommait Melissa, ses coups de pieds étaient terribles et elle n'hésitait pas à viser mon visage.
La troisième se nommait Christina, elle m'avait déjà cassé le nez parce que je ne lui avais pas donné le pain que j'avais trouvé.
La douleur qu'ils m'infligeaient tous les trois était continue, inlassable, une colère inassouvie et inarrêtable pour des enfants. Mais j'avais un avis différent des autres sur ce que j'éprouvais : ce n'était ni plus ni moins la preuve que j'étais vivant, que j'avais une raison de vivre ; cette révélation me fit rire.
Lorsque que j'eus éclaté d'un rire tonitruant, ils avaient été purement et simplement dégoûtés. Ils voulaient peut-être simplement que je me taise pour leur apporter satisfaction complète, alors je ne dis plus rien. Si je pouvais leur apporter de la satisfaction ainsi, si je pouvais me prouver que j'étais vivant, si cette douleur était mon salut, alors j'acceptais tout avec joie.
Un jour pourtant, sûrement en quête de richesses, Justine, Melissa et Christina partirent. J'appris plus tard qu'ils avaient essayé de voler dans une maison de noble mais qu'ils s'étaient faits attrapés. Le policier qui m'apprit leur mort semblait content pour moi. Il me disait que j'étais enfin débarrassé d'eux, après avoir tant souffert de leurs coups. Mais en apprenant leur mort, je ne fis que pleurer. J'étais à nouveau seul, à nouveau sans raison de vivre, à nouveau errant.
Je croyais vaguement me souvenir de m'être évanoui devant une échoppe. Epuisé, affaibli, je sentis tout de même un coup de pied dans mon ventre. Un homme me criait de dégager parce que j'interférais avec ses affaires. Il continuait de me frapper pour que je bouge, et à cet instant je ressentis une vague d'euphorie. Je fus pris d'un fou rire incontrôlable et cela ne plut pas à l'homme. Me qualifiant de dégoûtant, il m'emmena alors à l'orphelinat.
Là-bas aussi tout était compliqué. Au début, les autres enfants essayèrent de discuter avec moi, j'ignorais bien si c'était de la simple curiosité ou s'ils me trouvaient quelque chose d'intéressant. Pourtant, eux aussi, comme Justin, Melissa et Christina, trouvèrent à la longue plus amusant de me frapper. Je ne m'en plaignais pas. Ils me manquaient ces trois-là. Je me confortais dans cette douleur solitaire, je me sentais vivant, c'était tout ce qui m'importait...
Pourtant un jour, j'ai rencontré Yuma. Il m'avait défendu contre ceux qui me frappaient et avait été gentil avec moi. Il avait même eu la gentillesse de me donner son pain, se privant ainsi de nourriture. Ce jour-là, j'eus l'impression qu'une lumière irradiait mon âme. J'avais eu beaucoup de mal à qualifier ce ressenti, mais j'avais fini par poser un mot dessus : de l'espoir.
À la suite de cela, j'avais pu rencontrer Ruki et Kou également. Ruki était très intelligent et nous aidait beaucoup, il avait toujours ce livre avec lui mais aucun d'entre nous ne le questionnaient vraiment. Kou quant à lui avait toujours les cheveux dans les yeux et il faisait tout ce qu'il pouvait pour se rendre le plus laid possible, mais je trouvais qu'il ressemblait toujours à un ange.
Mes souvenirs de cette période étaient flous, mais je me souvenais nettement d'un certain moment. Ruki, Yuma et Kou prévoyaient de s'échapper de l'orphelinat. Je ne comprenais pas pourquoi ils souhaitaient m'emmener avec eux, j'hésitais à les suivre. Rester semblait être une option dans laquelle je pouvais me conforter : bercé par la douleur qui m'avait toujours accompagné. Pourtant, c'est aussi une légère souffrance qui m'a permis de changer de vie. Ruki s'était approché de moi et m'avait mis une énorme gifle pour me raisonner. Je ne savais plus vraiment pourquoi cela avait achevé de me convaincre, mais c'est sur ce geste que j'avais accepté de les suivre pour que l'on s'enfuie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top