Chapitre 41: Guerre de sang
Le départ fut déchirant. Le simple fait de quitter ce foyer qu'elle avait appris à aimer, ces personnes qu'elle appréciait, ce fut terrible pour Anju. Elle avait attendu l'arrivée de Kyra dans les jardins pour s'éclipser dans le plus grand des silences ; la première lettre déposée sur le lit d'Ayato, une seconde sur la table du salon, destinée à tous les habitants.
Carla et Shin n'avaient rien redit sur leur dernière rencontre lorsque les filles les avaient rejointes. En revanche, Carla avait fixé Anju d'un œil étrange avant de prendre Kyra par la taille.
« Nous allons retourner dans notre château. La situation sociale est de plus en plus critique, les vampires sont les victimes des tensions avec les anges et les autres démons, les adeptes d'Hadès s'en prennent à eux : les conflits vont exploser, on est à l'aube de la guerre. »
La remarque avait jeté un froid chez les quatre êtres, mais Kyra décida de le briser.
« On va s'en sortir, et eux aussi. Anju, tu es en sécurité ici. D'ailleurs, je peux te demander pourquoi tu n'es pas restée avec Ayato ? Tu es plutôt du genre combatif, je suis plutôt étonnée.
- Et bien...
- Elle est enceinte. »
Les trois têtes se tournèrent à nouveau vers Carla.
« Comment tu... ?
- C'est simple, je le sens à ton odeur, à ton aura aussi. Les fondateurs sont plus sensibles, et Shin a sûrement remarqué également quelque chose sans savoir ce dont il s'agissait.
- Oh. »
Carla redemanda à un serviteur de leur servir du thé, puis ils s'installèrent dans le silence sur les canapés. La sensation agréable du coussin dans lequel on s'enfonce et la douceur du thé au lait permirent à Anju de se détendre un peu.
Sa tasse tenue de manière élégante, et semblant savourer la substance colorée et parfumée tout en réfléchissant, Kyra releva les yeux vers Anju.
« Au fait, je tenais à présenter mes condoléances pour votre amie. Désolée de ramener des souvenirs douloureux sur le tapis... »
Un petit sourire triste étira avec lenteur les lèvres de la demoiselle, recevant ces sentiments sincères avec humilité. Le rappel de cette mort injuste serra le cœur de la future mère.
« Merci, c'était une amie précieuse dont je n'ai appris à connaître la valeur qu'à la fin.
- On ne reconnaît la valeur des gens que lorsqu'ils s'en vont, acquiesça Carla.
- Enfin ça vaut pas pour tout le monde, marmonna Shin. »
La nouvelle vampiresse observa sa tasse en tournant le liquide à l'intérieur. Un instant, elle se revit dans son café préféré, attablée avec un livre à la main, profitant de la chaleur d'un thé noir et du confort d'une lecture intéressante. C'était une bulle dans laquelle elle se sentait bien et en sécurité, ce qui faisait atrocement défaut ces derniers temps. Mais pouvait-il en être autrement ? Les pièces d'un puzzle trop longtemps ignoré commençaient enfin à bouger, et elle avait enfin pu goûter à un bonheur qu'elle n'espérait plus avoir. Il fallait bien qu'elle prenne conscience que les meilleures choses ont une fin.
« Hey, te prends pas trop la tête. Au moins toi et ton futur marmot êtes en sécurité. »
Shin l'observait, tentant d'attirer son attention sur des pensées plus positives.
« Vous avez mis en place quelque chose pour vous envoyer des nouvelles au moins ? Parce que ça m'étonnerait que les téléphones soient d'une quelconque efficacité dans ce monde.
- Je leur ai dit de m'envoyer une chauve-souris s'il y avait une quelconque évolution. Je ferai pareil.
- Très bien. »
Et sur cette note pleine d'espoir, les jours filèrent.
La situation se dégradait à grande allure, Carla envoyait des familiers s'enquirent de la situation extérieure régulièrement. Les anges, qui pourtant avaient une doctrine pacifique, avaient envoyé leurs troupes venger l'affront qui leur avait été fait ; les adeptes d'Hadès, blessés par la mort de la fille du dieu, essayaient de la venger en s'en prenant au peuple du meurtrier ; enfin les vampires cherchaient leur liberté. Mais ce n'était pas tout, les peuples opprimés et réduits à la servitude comme les goules cherchaient eux aussi leur indépendance. La guerre avait éclaté, pouvait-elle être évitée ? Plus elle y pensait, plus Kyra en doutait, expliquant les multiples tensions depuis trop longtemps irrésolues, elle déplorait le manque de communication et d'empathie des différentes espèces.
La jeune femme connaissait son sujet, et dès qu'Anju avait manifesté une soif de comprendre, elle lui avait servi des cours détaillés. L'histoire des différentes espèces l'avait toujours passionnée bien qu'elle se soit plus particulièrement intéressée aux fondateurs. Plus spécialement à l'Endzeit. Elle redoutait que la guerre ne finisse par dégénérer et que l'une ou l'autre espèce n'utilise cette maladie en la modifiant pour qu'elle touche les vampires, descendants des fondateurs en un sens.
Carla tentait souvent de la rassurer à ce propos, mais Kyra pointait régulièrement son propre scepticisme face à cette maladie mortelle.
De tous, Shin était le plus insouciant. Kyra déplorait souvent son côté tête brûlée car ils avaient empêché, à plusieurs reprises, le jeune homme de partir rejoindre cette guerre. Le seul objectif de ce dernier était de montrer à son frère ainé sa puissance, tenter de le dépasser, redorer l'image de puissance des fondateurs. Carla aurait trouvé cela noble si cela n'avait pas été un autre acte idiot et suicidaire.
Pourtant, plus que le côté imprévisible de Shin, c'était d'Anju que Kyra s'inquiétait. Deux mois étaient passés à une vitesse hallucinante, pourtant la future mère n'avait reçu aucune nouvelle. Elle ne savait pas si elle devait s'inquiéter ou s'en soulager, mais l'anxiété lui faisait se ronger les sangs. La demi-sœur des frères Sakamaki craignait que cela finisse par nuire à sa santé et celle du bébé.
Rien ne semblait dérider cette jeune femme sortant de l'adolescence. Cette période de sa vie aurait dû sembler l'une des plus belles, une fleur éclose au printemps dont la beauté était jalousée des bourgeons. Mais Kyra ne semblait qu'être confrontée à un fantôme errant dans les couloirs du château. Les balades avec Shin dans la forêt, les tasses de thé dans la bibliothèque avec Carla, les instants de discussion avec Kyra, rien ne semblait l'apaiser et la belle-sœur s'en désolait.
Un jour pourtant, une chauve-souris fendit le ciel au-dessus du château. En la voyant, la femme aux cheveux violets appela son amie. Anju arriva au balcon, et décrocha ce qui était retenu à la patte de l'animal.
Les deux demoiselles se regardèrent, et dans leurs yeux se reflétèrent ce que le monde était devenu. Désolation.
Quand les barrières tombent et que les plus forts deviennent les plus faibles ; quand le nombre impose sa supériorité ; quand la rage n'est plus une arme : il n'y a plus d'espoir.
Une personne était tombée et l'objet tenu dans cette main tremblante en était témoin.
Dans ces iris larmoyantes, on pouvait deviner les souvenirs qui défilaient.
Quand une rose blanche souillée de sang fut déposée, on ne pouvait plus douter que Subaru était tombé.
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