Chapitre 39: Les roses et les armes
La mort de Rhin avait eu l'effet d'une secousse, puis le temps s'était suspendu. Comme une montre cassée, figeant l'aiguille et bloquant la course de la trotteuse. Des larmes avaient coulé, des couleurs s'étaient perdues, et le deuil couvrit de son ombre les têtes abaissées.
Le soir de l'annonce de ce crime provoqua un soubresaut chez les plus forts du groupe. Ruki s'enferma, Yuma s'échappa, Azusa pleura et Kou s'effondra. Anju épaula les deux derniers, incapable de faire face à ceux qui peinaient encore à accepter, laissant cette charge à l'un ou l'autre des frères et n'offrant que cette force qu'elle tentait de maintenir. Alors, baissant sa garde, elle pleura avec eux.
Raito devint mutique. Etourdi entre ces émotions contradictoires qu'il ressentait, perdu et souffrant, agonisant comme si son cœur lui avait été arraché. Lui qui avait refusé de s'attacher, d'aimer pour encore être abusé, il avait cédé contre son gré et payait désormais les frais. Il l'avait bien trop aimée.
Les jours suivants se passèrent dans la noirceur, obscure comme le sort de la mort et la crainte des vivants. Comment vivre à travers la douleur ? Voir un chemin quand tout semble incertain ?
A quoi bon s'attacher à quelqu'un pour le perdre l'instant d'après ? Et surtout, comment accepter l'inacceptable ?
Ce trépas : bien plus qu'un accident, il s'agissait d'un meurtre. Même si Anju et Ayato avaient assisté à la scène, ils ne la comprenaient pas et avaient préféré taire ce qu'ils avaient vu le temps de démêler ces informations.
Les tourteraux ainsi s'étaient retrouvés dans les allées, loin du romantisme des rendez-vous, leurs pensées assombries, leurs cœurs tourmentés. Anju regarda le vampire, espérant trouver une once de détermination à laquelle s'accrocher, de quoi se rassurer que tout irait bien ; mais elle n'y trouva que du doute déguisé derrière ce masque de nonchalance.
« Que va-t-il se passer maintenant ?
- Je ne sais pas. »
Un échange court, ne répondant à aucune des questions qui courraient dans leurs esprits ; et pourtant, elles avaient bien plus de poids que n'importe quelle phrase de réconfort.
Aucun tout ira bien, pas de tout s'arrangera ne t'en fais pas, non, Ayato ne cachait pas que le destin semblait tracé et leurs sorts condamnés. Il ne savait rien de ce qui allait se produire, ne taisait pas ses craintes et confrontait directement son amante à cette sincérité plutôt que de lui cacher pour la préserver. Ayato savait qu'elle était forte.
La nouvelle vampiresse plongea à nouveau dans ses pensées. Elle avait bien plus à réfléchir que les autres habitants du manoir, un « fardeau » qu'elle avait choisi de porter, seule.
La seule personne à qui elle s'était confiée venait d'emporter le secret avec elle. Elle savait qu'elle devrait tôt ou tard se confier, elle ne pourrait pas le cacher bien longtemps, mais avait-elle le choix pour le moment ?
Ce n'était ni le lieu, ni le moment.
La jeune femme soupira, attirant l'attention de la tête rouge qui se tourna vers elle.
« Qu'est-ce que t'as d'un coup ? »
Elle resta muette un instant, puis leva les yeux vers Ayato.
«Tu crois pas qu'on devrait fuir avant que ça dégénère ? »
Le vampire la regarda, les yeux écarquillés.
« Pourquoi ?! Qu'est-ce que tu comptes fuir ?! A part nous rendre suspects ça ne va rien changer ! Ici, ça sera toujours la merde ! »
Anju soupira, regarda ses pieds le temps d'assembler ses pensées.
« Ayato, je dois te dire quelque chose, mais pour l'instant c'est compliqué. S'il te plaît, fais moi confiance quand je te dis qu'on doit fuir et non pas seulement pour notre bien.
- Je peux pas partir, pas maintenant. »
Elle releva sa tête, interdite face à ce sérieux et ce calme qu'elle n'avait pas l'habitude de voir chez Ayato, encore moins pour la contredire.
« J'sais pas ce que tu caches, mais j'peux pas non plus lâcher tout le monde comme ça. J'ai beau ne pas être super attaché à eux, ils restent mes frères. En plus notre père ne voudra pas nous lâcher comme ça. »
Anju se mordit la lèvre, nerveuse face à cette situation sans issue certaine. Elle le sentait. Elle ne devait pas rester ici, ce ne serait pas viable.
« Je dois vraiment partir... J'imagine que pour l'instant nos chemins vont se séparer ici.
- Pourquoi ? Pourquoi tu ne m'expliques pas ?! Qu'est-ce-que tu sais ?! Qu'est-ce qui t'obliges à fuir alors que ça va être la merde ?!
- Ayato... Tu sais toi-même que ça va être horrible ici. Une ange déchue a été transformée en vampire après avoir utilisé le secret des anges et échappé à la mort, la fille d'Hadès a été tuée par le roi des vampires et on ignore quel était le plan de Karlheinz pour qu'il nous amène au château dans cette pièce étrange. En plus de ça, j'ai quelque chose que je ne peux te dire maintenant. Crois-moi quand je dis que c'est pour notre bien que je pars. Je comprends que tu restes ici, que tu cherches à protéger tes frères, mais moi je ne peux pas rester. »
Alors après cette tirade, le jeune homme attrapa celle qu'il aimait, la serrant dans une étreinte douloureuse. Vampires qu'ils étaient, le sang leur permettait de communiquer. Comme un au revoir, ils se mordirent et le sang fut versé.
A ce moment-là, Ayato avait senti quelque chose de différent dans son sang, dans son odeur, dans son étreinte. Mais, bouleversé par tout ce qui se présentait, il n'avait pas pu mettre le doigt dessus.
Peut-être le découvrirait-il trop tard.
De tous, c'était Subaru le plus touché par la mort de Rhin. Il lui avait accordée sa confiance, lui avait confiée cette dague à laquelle il tenait tant, lui avait remise sa vie entre ses mains.
Il ignorait pourquoi et comment elle était morte, mais cette blessure resterait dans son cœur. Il avait commencé à enfin se sentir légitime d'exister, après toutes ces années de souffrance, de négligence envers lui-même.
Il avait ce jour-là accepté les larmes. Elles avaient coulé, par dizaines, sur ses joues bien trop pâles, de ses yeux bien trop rouges. Iris et sclérotique se confondaient en une couleur vermeille. Sa colère avait décuplé, toujours envers lui-même et son père, mais bien trop destructrice pour son bien.
Il avait brisé des vitres, des meubles et des murs. Il s'était attaqué aux rosiers épineux, tentait d'apaiser par la force ce flot d'émotions qu'il ne maîtrisait plus. Il souffrait. Tant physiquement que moralement.
Il finit par s'allonger dans les allées de roses blanches. Il avait récupéré cette dague qu'il avait offerte et la regardait à la lueur de la lune. Au loin, il entendait Ayato et Anju, eux-aussi dans le jardin.
Son demi-frère haussait le ton, ce qui était rare en la présence d'Anju. Il percevait des bribes mais ne leur donnait pas sens.
Ses pensées divaguaient sur les armes, sur celle qu'il tenait dans sa main, celle qui avait tué Rhin. Elle avait forcément dû mourir de sa propre lame, elle lui avait confié que cette matière noire qu'elle créait était la seule capable de causer des dégâts à son corps car contrairement aux vampires, elle n'était pas plus sensible que cela à l'argent.
Le benjamin Sakamaki soupira, ferma les yeux, et alors qu'une dernière perle salée coulait sur sa joue, il pensa :
« Pourquoi au bout des armes n'y a-t-il pas des roses ? »
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