Chapitre 22 : Ces plaies insoignables

Les jours avaient défilé, Ayato, Raito et Subaru se rétablissaient physiquement, mais quelque chose dans l'esprit des deux premiers semblait avoir été ébranlé. Les triplets avaient toujours eu une relation particulière, mais Ayato et Raito étaient les plus proches. Ces deux-là s'aimaient autant qu'ils se détestaient, et leur passé ne les aidait pas à toujours bien s'entendre. Pourtant cette fois-ci, ils se soutenaient mutuellement. Et si ce spectacle en temps normal aurait été admirable, il avait le don d'inquiéter leurs aînés qui se doutaient que cela n'était pas banal.

Kanato quant à lui s'était isolé et ne parlait pas à ses frères, la perte de Teddy semblait difficile à accepter pour lui.

Anju semblait toujours un peu ailleurs, perdue entre deux comportements distincts, deux personnalités foncièrement différentes.

Enfin, Subaru se remettait de ses blessures dans son coin, en bon loup solitaire qu'il était.

L'ambiance était morose, pourtant Shuu sentait que quelque chose d'autre se préparait, et que cela ne concernait pas les Mukami. Il se taisait, ne voulant pas perturber, plus qu'ils ne l'étaient déjà, les habitants du manoir. Par ailleurs, lui aussi était pensif. Il ne savait pourquoi mais cette impression familière persistait lorsqu'il voyait Anju. Ses frères passaient à côté, mais pas lui. Elle avait changé tout en restant elle-même, il en conclut que quelque chose jusqu'alors dissimulé avait fait surface. Il se disait également qu'elle n'avait plus l'aura d'une humaine, mais d'un être surnaturel sans toutefois être celle d'un vampire.

Anju de son côté jonglait avec sa personnalité et Shi, elle se réveillait parfois au milieu d'un couloir, ne se souvenant pas de ce qu'elle avait fait auparavant. Cette dissociation de la mémoire l'affectait d'autant plus qu'elle ne savait pas ce que faisait Shi. Il arrivait qu'on lui parle de quelque chose qu'elle aurait fait ou dit sans qu'elle ne se souvienne et donc, sans pouvoir répondre. Elle avait remarqué que certains la regardaient d'un drôle d'œil. Notamment Shuu, Subaru et Reiji. Ils semblaient la guetter comme si elle représentait une menace réelle. Elle tenta de les rassurer en ne changeant pas- quand elle le pouvait- son comportement habituel.

Mais tout comme Shuu, Anju sentait que quelque chose approchait. Une menace imminente et bien plus dangereuse que la colère de Rhin ou les frères Mukami. Elle se sentait épiée par une présence invisible, un œil la surveillant de loin.

Elle entendait aussi des choses : des bruissements de feuilles à côté d'elle quand elle marchait dans le jardin, des hurlements lointains, ne laissant pourtant derrière que des empreintes de pattes, sûrement des loups.

Anju gardait pour elle ce qu'elle voyait, ce qu'elle entendait, ce qu'elle ressentait. Ayato et Raito semblaient exténués chaque fois qu'elle les croisait, et lorsqu'ils posaient leur regard sur elle, ils semblaient la traverser comme si elle n'était pas là, perdus dans des contemplations lointaines. Shuu semblait également remarquer quelque chose, mais se taisait, c'est aussi ce qui la poussait à en faire de même. Reiji et Subaru se tenaient à l'écart, silencieux et observateurs de la déchéance de l'esprit de leurs frères. Kanato ne paraissait que trop peu pour qu'Anju ne lui confie quoi que ce soit.

Ces blessures insoignables étendues au monde, ces plaies douloureuses sur lesquelles on jetait du sel, ces cœurs qui se brisaient : les jumeaux ne savaient plus que faire alors que les cauchemars se répétaient, inlassablement. Ayato aurait dû être déterminé, prêt à en découdre à qui toucherait encore à son humaine, celle pour qui il était monté au créneau quand elle avait été enlevée. Pourtant, il n'était que l'ombre de lui-même, on semblait lui avoir dérobé quelque chose, à Raito également. Que s'était-il passé ? Ces cauchemars, cette robe, ces cheveux violets, ces yeux verts, ce rire, cette main tendue, ce sang imprégné, ces douleurs tues, ces souffrances dissimulées, ce masque forgé, comment s'en dérober ?

Ce qu'ils avaient fui, ce pourquoi ils s'étaient dressés, semblait se rappeler à eux douloureusement. Cette liberté qu'ils avaient souhaitée, finalement tout n'était-il pas calculé ?

Les jumeaux tombaient, Kanato de son côté les rejoignait. Ce qu'il avait caché dans sa peluche, cette peluche qui signifiait tant pour lui, aujourd'hui il l'avait entre les mains. Un jour caché, l'autre dévoilé, et dans leur cœur brisé résonnaient ces paroles acérées.

Subaru regardait ses frères basculer, osciller entre les abysses du souvenir et le présent incertain. Ils ne pouvaient rien dire ou faire, il était lui-même en prise avec ses démons. Alors comme à chaque fois, il observait, silencieux, n'intervenant que si nécessaire, tout en se battant avec colère contre lui-même. Que pouvait-il faire de mieux ?

Ces blessures insoignables, ces douleurs intenables, les éclats de verre dans le cœur et le sang qui coule à perdre couleur. Les plaies au monde exposées, et pourtant inconsolables, les enfances fêlées, les adultes incompris, dans leur cœur meurtri subsiste ce manque d'amour. Ils étaient à cet instant de la vie où l'on se demande si l'on finira par aimer, être aimé, être écouté, compris, vivra-t-on heureux ? Aux prises avec les souvenirs, entre les griffes de nos démons, le corps meurtri autant que le cœur, et pourtant l'un se soigne quand l'autre se blesse.

Reiji le savait, Reiji ressentait cette détresse ambiante, mais il n'était pas du genre sentimental. Il ne voyait pas ce que Shuu apercevait, mais il savait par la logique que ce calme n'était pas sain. Il attendait, guettait, mais quoi ?

Il fallait que l'un d'eux se réveille, que l'un d'eux se soulève, que l'un d'eux réagisse avant qu'il ne soit trop tard.

Quand les blessures non-pansées finissent par resurgir, les conséquences peuvent être fatales.

« AYATO ! A L'AIDE ! »

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