Chapitre 19 : Le retour d'une reine
Quand avais-je commencé à vriller ? Quand avais-je pour la première fois perdu pied avec la réalité ? Des pensées contradictoires, l'impression qu'une autre partie de moi me contrôlait, ou que les autres me manipulaient comme une marionnette, me pliant à leur volonté... Il me semblait que tout cela avait commencé lorsque mon pathétique destin m'avait amené chez ma nouvelle « famille ». Refoulant qui j'étais, jusqu'à m'oublier, jusqu'à me créer une nouvelle personnalité, de laquelle à présent je peinais à me dissocier.
Mais il y avait eu un élément aggravant. Un évènement à partir duquel, j'ai vraiment senti que j'avais des absences.
Comme toujours, j'étais isolée. Même sans connaître la raison de ma différence, les autres enfants savaient que quelque chose « clochait » chez moi, et me maintenaient loin d'eux.
Depuis peu, j'étais à fleur de peau. L'adolescence approchait et certains changements- indétectables à l'œil nu- chez les autres, étaient chez moi visibles. Notamment l'afflux d'hormones et les conséquences sur mon humeur, et donc aussi mes yeux. Je devais mettre des lentilles pour ne pas me faire repérer, mais tout cela me mettait dans un mal-être profond. J'avais déjà du mal à m'accepter moi-même, et je savais que si les autres me voyaient telle que je suis réellement ils ne m'accepteraient pas non plus.
Ce jour-là, j'étais en retard en sortant de sport. J'avais eu un problème avec mes lentilles et j'avais donc dû les enlever. Pour ne pas risquer qu'on me voie avec des iris changeant de couleur, je m'étais enfermée dans les toilettes.
Probablement envoyé par le professeur du cours suivant, une fille de ma classe était entrée discrètement alors que je regardais mes yeux dans le miroir devant les lavabos. Surprise, mes yeux passèrent de verts à bleu-violacés en un instant. Ce qu'elle ne manqua pas de remarquer, évidemment.
« Qu'est-ce que... »
Ne trouvant pas de mots pour justifier ce spectacle, je sentis mes yeux me faire mal, signe que leur couleur changeait encore, devenant probablement encore plus violets. La peur m'avait paralysée, et elle me fixait, sans un mot, une expression de dégoût marquée sur le visage.
Elle s'enfuit alors en courant, et je restai là, pantelante de frayeur.
Plus tard, j'eus affaire au harcèlement. Humiliation, coups, insultes, j'avais droit à différents traitements, une fois ils m'avaient même laissée à moitié morte, plaies béantes, contusions multiples, étendues sur le sol des vestiaires, mes larmes glissant sur le sol glacial.
J'eus ensuite l'impression d'avoir un vide. Comme si j'avais dormi longtemps. Je ne pouvais pas me l'expliquer, mais lorsque je sortis de ma léthargie, j'étais guérie et en forme.
En revanche, j'avais constaté que des éléments- que j'avais apparemment commis- manquaient à ma mémoire. J'étais renvoyée de mon établissement scolaire, car la veille, j'avais mis à mal toute ma classe, tous mes harceleurs, tous ceux qui jusque là maintenaient mon état d'esprit aussi médiocre, tous ceux-là, je les avais laissés à moitié morts. Le conseil de discipline n'avait même pas voulu traiter mon cas et était passé directement à la sanction. Ils avaient voulu aussi appeler la police, mais apparemment je les en avais « dissuadés ». J'ignorais les détails.
En apprenant tout cela, le comportement de ma famille d'accueil s'était fait plus froid avec moi, ils avaient enfin compris que j'étais un monstre, et mon père s'était alors mis à rechercher une nouvelle demeure pour me loger. La fille que je voyais dans le miroir me semblait étrangère, et plus que jamais, je me sentais mal. Qui étais-je ? Pourquoi tout cela m'arrivait-il ?
Une partie de moi me disait que tout était injuste. J'étais née ainsi, avec des pouvoirs, j'avais tout fait pour m'intégrer et on m'avait brisée, humiliée, blessée gravement. Personne n'avait daigné faire un effort pour moi. En revanche, il eut fallu que je fasse un faux pas, que mon esprit m'échappe et que je rende les coups pour que mon monde s'effondre complètement.
L'autre partie de moi, la plus résignée, me disait de tout abandonner, que ma vie n'avait pas de sens et que je ferai mieux de rejoindre mes parents.
Je me sentais divisée, tiraillée, instable. J'avais l'impression de me scinder. J'aurai pu crier à l'aide, aucune oreille ne se serait tendue, et cela me peinait d'autant plus.
Mais ravalant mes souffrances, acceptant l'inacceptable, je m'étais redressée et préparée à affronter le monde entier.
Tant pis pour mes absences.
Tant pis pour ceux qui me rejetaient. Peu m'importait que la ville m'ait rejetée après le scandale dans mon établissement, pourtant caché et étouffé pour éviter les émeutes.
Tant pis si je n'étais jamais heureuse.
Tant pis si la vie me quittait.
Je continuerai, jusqu'à ce qu'à jamais ma conscience se perde au profit de l'autre moi.
Tu m'écoutais tout ce temps, tu me veillais chaque fois, attendant patiemment, jusqu'à ce qu'on en arrive là.
Tu es là, Shi ?
Un sourire étira mes lèvres, me rappelant ces pensées, je réveillais mon autre personnalité. J'avais tant souffert, tant espéré pendant ce nouveau départ. Je m'étais accrochée au fil d'araignée le plus ténu, je voulais me reposer à présent.
Ces paroles qui m'échappaient, ce comportement inapproprié, cet humour noir déplacé, ces propos incohérents, ces pouvoirs qui me dépassaient, tout était ton œuvre pour que je te cède enfin la place entièrement, hein Shi ?
Vas-y, personne ne viendra me sauver.
Je fermai les yeux, et m'abandonnai à la fatigue qui me gagnait, laissant les menaces de Shi envers Ruki se manifester par des actes sans retenue.
Bon retour parmi nous, Reine du chaos.
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