La bataille du Palais Vert


En contrebas, la guerre faisait rage. Les soldats hurlaient, les membres volaient, la peau se déchirait et laissait pleuvoir sur la forêt sauvage une averse de sang encore brûlant. Yallan n'osait plus baisser les yeux vers les corps empalés à même la cime des arbres, et il ne comptait plus les dragons affolés dont les cavaliers pendaient encore à leurs étriers, blême de mort, assassinés par un carreau d'arbalète ou un sortilège mal tombé.

Mais Yallan souriait. Le soleil entamait sa descente et la bataille tournait toujours à leur avantage. L'autre camp faiblissait. Les hommes du Bastion Noir tombaient les uns après les autres alors que l'armée du Château Bleu gagnait du territoire, les soldats du Palais Vert sur les talons. Rien n'était encore gagné, les nombreuses guerres qu'avait mené Yallan lui avaient bien fait comprendre cela, mais l'efficacité de sa stratégie portait admirablement bien ses fruits : le premier rappel ennemi sonnait déjà, invitant les survivants Noirs à battre en retraite.

Yallan décida qu'il était temps pour lui de reprendre les armes. Il avait promis à la princesse de ne pas risquer inutilement sa vie, seulement la fureur du sang se faisait beaucoup trop forte : le chef de guerre se faisait vieux, lui-même ne pouvait pas le nier, mais son corps était toujours robuste... Et sa lame avait soif. Il se coucha sur la nuque de son dragon et plongea en piquet pour rejoindre la bataille, l'épée déjà dégainée et fin prête à déchirer la chair de ses ennemis.

Une salve de carreau le prit pour cible avant même qu'il ne transperce les nuages : son dragon les évita avec une grâce et une agilité déconcertante puis, la gueule grande ouverte, fonça sur l'agresseur. Ses crocs bleutés percèrent les écailles de la monture ennemie sans résistance alors que le cavalier Noir, rechargeant difficilement son arbalète, vit tout juste l'épée de son ennemi lui trancher la tête. Yallan réprima un sourire carnassier et s'envola vers un soldat Bleu prit en tenailles, bientôt sauvé par l'apparition miraculeuse d'un vieil homme en armure d'argent tout aussi massive que sa carrure.

Deuxième appel du cors ennemi. Un carreau plus vicieux que les autres fusa vers le chef de guerre, trop rapidement pour qu'il parvienne à l'esquiver : une rayure écarlate, douloureuse, barra sa joue sur toute sa longueur, inondant sa mâchoire de liquide chaud et ses yeux d'une fureur indescriptible. Il se jeta sur le téméraire responsable de cet affront, caché dans la cime touffue des arbres, lorsqu'il comprit le stratagème de l'arbalétrier Noir.

Une second ennemi fonçait vers le guerrier à toute allure, une lance de métal plus noire que le néant brandie en avant. Il n'était plus qu'à un ridicule battement d'ailes de sa victime lorsqu'un éclair éblouissant explosa à la pointe de son arme : monture et cavalier valsèrent sur plusieurs mètres avant de chuter vers la forêt, la chair du soldat abandonnant dans son sillage une traînée inquiétante de fumée noirâtre. Yallan tourna vivement la tête pour apercevoir son sauveur : la princesse lui adressa un sourire plus rapide qu'un battement de cœur et disparut aussitôt, si rapidement que le chef aurait pu croire à une simple hallucination... Mais il connaissait bien la demoiselle et savait qu'elle ne laissait aucun de ses soldats mourir d'une façon aussi stupide, surtout lorsqu'il s'agissait de son général le plus talentueux.

Troisième et dernier rappel ennemi : l'écho du cors ordonnait à tous ses soldats de fuir la bataille. Les dernières silhouettes Noires s'éclipsèrent aussi rapidement que leurs jambes ou les ailes le leurs permettaient, offrant à Yallan l'une des vues qui lui procuraient le plus de jouissance juste après celle du sang des soldats adverse. Plus que la défaite, le Bastion Noir lui offrait l'abandon. Le chef de guerre se redressa sur sa selle et hurla la victoire, suivit presque immédiatement par la voix de tous ses soldats. Ils avaient gagné. L'armée Verte et leur soutien Bleu avaient repoussé le Bastion Noir. Le Palais Vert était sauvé.

Yallan criait sa joie à l'infini lorsqu'un mouvement lointain attira son attention. Il se tu brusquement et baissa les yeux vers le sol de la forêt : trois survivants Noirs, par delà le feuillage des arbres, tentaient une approche discrète vers un point invisible. Ni une ni deux, le vieil homme se posa sur la haute branche d'un chêne et descendit le tronc du seigneur végétal aussi rapidement que sa lourde armure le lui permettait.

Les trois ennemis, des rôdeurs à en croire la légèreté de leurs armures de cuir, l'avaient bien évidemment entendu arriver : mais les flèches et les couteaux qu'ils réservaient ne touchèrent jamais leur cible, déviés par une lame argentées aux allures fantomatique. Cette même lame, trop rapide pour ces trois pauvres soldats ordinaires, leur ôta la vie en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Ce combat avait été terriblement ennuyeux mais Yallan était satisfait. La terre Verte était définitivement débarrassée de la souillure Noire.

Le chef s'apprêtait à rappeler sa monture lorsqu'un gémissement terrorisé le fit sursauter. Le sang encore bouillonnant, Yallan brandit son épée et chargea vers le modeste buisson d'où provenait le bruit.

Son coup se suspendit dans les airs et son visage se crispa. Le jeune homme qui se tenait devant lui ne l'aperçut pas tout de suite, trop occupé à tenter de se redresser, mais lorsque son regard rencontra la lame ensanglantée du chef de guerre, il manqua s'écrouler de nouveau : la peur le statufia et il resta prostré contre le tronc qui lui servait d'appui, les yeux exorbités, la poitrine se soulevant si fort que Yallan fut étonné que sa tunique étrangement courte et serrée ne se déchire pas. Son pantalon aussi était curieux, fait d'une matière bleue et visiblement rêche qui tranchait avec le blanc et le rouge de ses chaussure on ne peut plus bizarres.

Le guerrier observa le large cercle d'herbe couchée qui entourait le jeune homme et le toisa rudement. Tout ceci était vraiment étrange... Trop, même. Sûrement s'agissait-il d'une ruse avortée du Bastion Noir pour déstabiliser l'armée Bleue et Verte, surtout que cette petite clairière empestait la magie.

– Qui es-tu ? demanda sèchement Yallan.

Le jeune homme sursauta et fit un pas en arrière. Quelle fiotte ! Un mot et il tremblait déjà ! Il n'était pas plus âgé que la princesse, certes, mais il était bien trop vieux pour être aussi trouillard !

– Je t'ai posé une qu...

– Yallan ! l'interpella une voix féminine.

Une main gantée ne tarda pas à se poser sur son épaule, puis un visage dégoulinant de sang et de sueur se tourna vers lui. La princesse lui adressa un regard réprobateur avant de reporter son attention sur le jeune homme et de se radoucir, l'air inquiet.

– Qui es-tu ? répéta-t-elle avec plus de calme.

Le garçon déglutit et fixa tour à tour les deux personnages en armure, complètement déboussolé. Mais la princesse ne se démonta pas pour autant et fit un pas mesuré dans sa direction.

Le jeune homme recula précipitamment et trébucha lamentablement dans les fougères. Il tentait de fuir mais la fatigue semblait le clouer au sol.

– Du calme ! le rassura la princesse en stoppant son avancée, les mains levées en signe de paix. N'aie pas peur. Nous ne te voulons aucun mal. Nous souhaitons juste savoir quel est ton nom et d'où tu viens, rien de plus.

Le garçon cligna lentement des yeux et fit enfin entendre sa voix, ou plutôt un murmure déformé par la terreur :

– Je viens... De... Heu... Paris...

– Paris ? répéta Yallan, perplexe. Une bourgade de la Citadelle Blanche, sans doute...

– Euh... Non. Paris, en France...

France ? sourcilla la princesse. Où se trouve cet endroit ?

Le garçon semblait complètement atterré. Ses derniers mots eurent beaucoup de mal à franchir ses lèvres :

– La France de... la planète Terre ?

Yallan et la princesse s'entre regardèrent. Cette dernière ignora le regard interrogatif de son commandant et dévisagea l'adolescent avec intérêt.

– Je crois que nous avons affaire à un Voyageur..., murmura-t-elle.


*Monde Coloré*

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