Entre les Mondes
Nourriture, eau, matériel de soin, sac de couchage, affaires de rechange, couteaux, carreaux, arbalète... Tout y était. Le jeune homme referma son sac de selle et gambergea sur les paramètres de sa mission jusqu'à ce qu'une voix bourrue ne le tire de sa réflexion :
– Alors le jeunot, prêt pour Voyager ?
L'intéressé releva la tête : un petit homme au casque cornu et à la barbe rougeoyante lui souriait de tous ses chicots jaunis, ravi de son intrusion surprise. Ce nain lui disait quelque chose... C'était avec lui qu'il avait trinqué la veille au soir, non ?
– Une nouvelle mission, hein ? demanda le nain dans un chuchotement. Et alors... Qu'est-ce que ce sera cette fois ? De l'espionnage ? Un vol ? Un meurtre ?
Le jeune homme fit subtilement la moue. Il détestait les personnes pot-de-colle, surtout lorsqu'elles se montraient aussi indiscrètes vis-à-vis de ses... activités.
– La routine, maugréa-t-il pour couper court à la conversation. Rien de plus.
Le nain pouffa dans sa barbe, observant l'autre grimper sur son sanglier de Voyage d'un œil rieur.
– Ne me fais pas gober ça, gamin..., rétorqua le bonhomme. Tout bon malfrat de cette dimension connaît tes exploits... Kallan, n'est-ce pas ?
L'interlocuteur mentit d'un hochement de tête. Kallan... D'où lui venait ce pseudonyme, déjà ? Inspiré d'une histoire de guerre à dos de dragons, si ses souvenirs étaient justes. Un petit truc qu'il avait lu à la va vite, mais dont il avait tiré un nom de substitution plutôt efficace ; du moins, parmi tous ceux qu'il s'était créé. Il était toujours judicieux de développer plusieurs identités, surtout lorsqu'on s'amusait à jouer les criminels à travers les Mondes.
– Et bien moi, je me casse d'ici ! s'exclama le nain pour attirer l'attention du garçon. Avec le butin que j'vais ramasser aujourd'hui, aucune raison que j'revienne ici !
Kallan esquissa un discret sourire amer.
– Si les choses étaient si simples, susurra-t-il alors que le petit bonhomme ne l'écoutait plus, cette dimension n'existerait pas.
Si les choses étaient aussi simple, se répéta-t-il intérieurement, cet univers ne grouillerait pas de malfrats ou de populations rejetées par leur Mondes respectifs. Cet univers aurait un autre nom que « Monde Poubelle », un nom qui ne colle pas à l'âme de ceux qui n'ont jamais eu le choix d'y vivre. Kallan avait bien tenté de quitter cet endroit, plusieurs fois en réalité, mais la crasse qui rongeait les habitants de cette dimension était trop infecte aux yeux des autres mondes. Il aurait bien voulut dire tout cela au nain qui envahissait son intimité, seulement la moue impatiente qui fendait son visage était trop belle pour ça. Kallan songeait amèrement à la façon dont ses espoirs partiraient bientôt en fumée, sans doute de la même façon que son cadavre, lorsque son regard suivit instinctivement celui de tous les autres Voyageurs.
Un homme en tenue de cérémonie, sans doute un mage corrompu d'on-ne-sait quel monde, s'était approché de l'arc de pierre qui servait de porte inter-dimensionnelle. Il se plaça face à l'édifice et leva un étrange bâton au bout duquel pendaient des joyaux colorés, des pierres aux lueurs mystérieuses, une clef joliment ouvragée et même un dé à six faces : il psalmodia de longues minutes, le front en sueur, jusqu'à ce qu'une brèche s'ouvre entre les Mondes. L'air se déchira au milieux du vieux portail et révéla une lumière multicolore, teintée des couleurs du paysage qui se trouvait de l'autre côté.
Ce qu'il se trouvait de l'autre côté de la brèche, Kallan l'ignorait totalement. À vrai dire, il n'avait été mis au courant de ce Voyage qu'au petit matin et s'était jeté sur l'occasion sans chercher à connaître la destination. Il se fichait de cela. Le malfrat n'avait pas de destination : il avait simplement une mission, et pas n'importe laquelle. Il n'y avait pas d'argent, pas même de récompense à la clef, mais tout un avenir... Et la reconnaissance d'un ami.
C'était tout ce qui comptait pour lui. Kallan avait beau être un hors-la-loi, il ne cessait de rêver d'une vie meilleure pour tous : alors, tant qu'il le pouvait, il agissait, même si cela signifiait d'enfreindre les règles.
*Monde Poubelle*
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