De poussière et d'éclats

       La ville est calme en cette matinée printanière : les oiseaux et les insectes chantonnent en cœur, les passants arpentent les trottoirs en discutant joyeusement et le trafic est presque inexistant, perturbé de temps à autre par le passage d'une voiture roulant au pas. Mais, dans le Palais de Justice, c'est une autre histoire... Les cris s'engouffrent hors de la bâtisse par l'immense entrée sculptée, laissée ouverte pour aérer le chaos interne.

— Maître ! Maître ! hurle un homme en longue robe pourpre. Il... Il y en a une autre dans la salle d'en face !

       L'interpellé se tourne lentement vers le du nouveau venu : Monsieur Dudojean, boudiné et transpirant dans sa longue toge d'avocat, a l'air bien ridicule, mais il n'est pas l'heure de se moquer. Le Maître le dévisage avant de soupirer bruyamment, les doigts crispés sur les pages du rapport qu'il était en train de lire.

— Quel divinité ? demande-t-il au bonhomme pantelant.

— Dame Mehri, Maître... déplore l'avocat d'une voix chevrotante.

— Par les Dieux...

       Le Maître regrette avoir poussé ce juron à l'instant où la face de Dudojean vire au blanc : il n'est pas bon signe d'entendre une telle obscénité sortir de la bouche du supérieur, car cela annonce généralement les pires catastrophes. L'homme en robe bleue se pince l'arrête du nez avec lassitude et prend une grande inspiration, ignorant le chaos environnant pour mieux se concentrer sur le fil de ses pensées.

— Des nouvelles de Dame Illianne ? demande-t-il alors, la voix ferme mais teintée de fatigue.

— Rien, Maître... Nos prières sont sans réponses... M-Mais je vais retourner voir l'oracle. Je reviens dès que nous avons des nouvelles !

       Dudojean tourne les talons et repart à toute vitesse, presque plus rapide que les jeunes avocats qui traversent le hall en courant. Le bonhomme n'a pas quitté la pièce que le crissement d'un freinage d'urgence se fait entendre depuis la rue, précédé du son d'un puissant battement d'ailes.

— Chaud devaaaaaaaaaaant !

       Les quelques curieux amassés à l'entrée du Palais s'écartent vivement, laissant atterrir un bien curieux personnage : une adolescente affublée de grosses bottes cloutées, d'un blouson de cuir vieillit, d'une grosse paire de lunettes d'aviateur et d'un jetpack pourvu de deux puissantes ailes artificielles. La jeune fille ôte poliment son couvre chef, assorti à ses lunettes, avant de s'avancer dans le hall d'un pas décidé.

— Bien le bonjour ! lance-t-elle joyeusement.

       Le Maître ne peut s'empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement.

— Dame Neïs ! la salue-t-il dans une humble courbette. Comme je suis heureux de vous voir ! Nous peinons à contacter votre mère et...

— Oui, je sais..., le coupe la jeune déesse. D'ailleurs, c'est elle qui m'envoie : elle est occupée, alors elle m'a demandé de venir à sa place. Alors comme ça c'est la pagaille ? Quel est le problème ?

       Le visage du Maître se pare d'un inquiétant voile de ténèbres. La divinité aborde une moue interrogatrice mais l'homme réplique avant même qu'elle pense à ouvrir la bouche :

— Suivez-moi.

       La déesse accueille ce ton mystérieux en ouvrant de grands yeux surpris ; elle n'est presque jamais venue ici, mais elle sait très bien que le bonhomme qui gère cet endroit n'est pas du genre à tourner autour du pot... Elle détache son imposant jetpack et l'abandonne nonchalamment en plein milieu du hall, puis suit le mortel jusqu'à la plus grande salle du rez-de-chaussé.

— Le voilà, le problème... susurre-t-il en s'écartant pour laisser entrer la déesse.

       La demoiselle fait un premier pas dynamique dans la pièce, puis deux autres, beaucoup moins assurés. Son sourire lumineux a définitivement déserté son visage, remplacé par un pincement de lèvres angoissé.

       Face à elle git la statue de sa mère, Dame Illianne, brisée en mille morceaux sur le sol de marbre blanc.

— Qui a fait ça ? s'enquit-elle d'une voix tremblante.

— Nous l'ignorons, Dame Neïs, et c'est bien là que réside le problème... D'autant plus que Dame Mehri a également été touchée, ainsi que Sieur Yolek.

       La divinité déglutit, puis écarte le regard des restes poussiéreux de la sculpture. Son cœur bat la chamade. La dernière fois qu'une telle chose s'est produite...

— Par l'Univers... mumure-t-elle.

       Le Maître se renfrogne un peu plus.

— Le culte d'un Dieu ne disparaîtra pas une seconde fois, Madame..., promet-il solennellement. Plus aucun des vôtres ne mourra, nous vous en faisons le serment...



* Monde des Dieux *

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