Rouages et épitaphe. [Fin tome 1]

« J'ai une théorie.

- Tu es donc beaucoup plus loin que moi.

- Bien. Je n'ai aucune donnée sur les tours de MAP, mais si c'est là-bas que les trois victimes ont été infectées, j'ai des raisons de croire que c'était dans un laboratoire ou un hôpital.

Ma théorie est que la maladie leur a volontairement été injectée (ça, on le savait) mais qu'elle a aussi été volontairement créée en labo.

- Comme... un vaccin qui aurait dégénéré ?

- Plutôt comme une arme bactériologique.

- On a des preuves ?

- Les tester sur des Portias ne servirait à rien pour une application humaine. Et infecter des humains, ça attirerait l'attention.
Or, il y a bien des organismes humains sans aucune identité légale...

- Oui, mais quitte à faire des expériences sur des organismes humains, pourquoi pas le faire sur des cellules ? Ou des clones ? Voire même aller dans les bas-fonds ?

- Infecter une cellule et infecter un corps entier, c'est pas la même chose. Et puis, les clones sont chers à produire si on n'a pas le matériel requis, et ceux créés en gros sont soigneusement suivis.
Et puis, aller dans les bas-fonds, c'est hors de question pour qui que ce soit. D'ailleurs, mon livre avance, là-dessus.

- Concentre-toi sur l'enquête pour le moment, veux-tu ?

- J'y viens. La maladie pourrait donc être une arme bactériologique. Nonobstant, il y a à peine deux heures, une grande réunion s'est tenue dans ce bâtiment même.

- Tu veux dire que...

- Je soupçonne l'Empire d'avoir créé une maladie mortelle et d'avoir, avec l'appui de la Coalition des Commerces, expérimenté sur des cobayes souriens.

- Humains.

- Oui. Oui, humains. Désolée. L'habitude.
On reprend depuis le début ?

- Avec joie.

- L'Empire implante un groupe de recherche à MAP, et fait venir trois Oubliés jusque là, en menaçant Yal au passage.

- Ensuite, ils leur injectent les maladies, et les renvoient aux bas-fonds.

- Ils y meurent, et remontent les corps via la milice.

- Les légistes, sans doute de mèche avec l'Empire, récupèrent les corps. Peut-être pour vérifier si les maladies sont vraiment indétectables ?

- Peut-être. On t'assigne l'enquête, tu arrives là-bas, et ils ne te donnent aucune réelle info. Tu repars.

- Là, Xil me souhaite bonne chance. Elle était au courant, à ce moment ?

- Peut-être... Il y a aussi l'attentat de l'Hégémonie. Mais ça n'a rien à voir.

- Je vais à MAP, et Yal ne me dit rien. Mais Dan, qui m'y a appelé 2 fois, ne sait pas qu'elle ne m'a rien dit.

- Et donc quand tu reviens à Khyberia, ton exécution était prévue. D'ailleurs, ton taxi n'est entré en collision avec rien: il n'y avait qu'une épave au sol. Plus les deux drones, qui sont venus plus tard.

- Ça a l'air cohérent. Mais on manque de preuves, ce ne sont que des suppositions...

- Rien ne le dément pour ce qu'on sait. Mais du coup, on fait quoi maintenant ?

- Je crois qu'on en sait trop pour ne rien dire. Mais si on le dit, on va avoir des problèmes.

- Fait un rapport. Dis tout à Xil. Elle a essayé de te protéger, je pense qu'elle nous aidera. J'espère.

- Si... si tu le dis. »

Je pris environ une heure pour rédiger le rapport complet de l'affaire, avec une grande place pour mes spéculations.

*Toc* *toc*.

« Entrez, maugréa Xil derrière sa porte.

Je l'ouvris lentement, dossier à la main.
Son bureau à elle était beaucoup plus propre, mais aussi beaucoup plus commun que le mien. Une armoire à l'arrière, un holordinateur sur un bureau de verre, une petite machine à café et une plaque nommant "Commissaire Subalterne" en acier.

- Ah. Gal. Désolée pour tout à l'heure. J'ai beaucoup de choses à régler ces temps-ci.

- Chef, je crois avoir compris ce qui s'est passé. Avec les trois oubliés.

Elle me regarda en scrutant mon âme. Son seul œil sensible me dévisagea longuement, et sa moitié de visage expressif rendait ses sentiments indéchiffrables.
Était-elle en colère ? Avait-elle peur ? Je pouvais lire sa fatigue, mais pas plus.

- Je... je soupçonne l'Empire d'avoir créé une arme bactériologique, à savoir les trois maladies cheloues, et de les avoir testées sur des humains.

Elle continua de me considérer étrangement, sans aucune émotion compréhensible (mais pas sans émotions non plus), avant de commencer avec une voix rauque :

- Gal, je ne vous ai jamais réellement demandé votre parti dans la guerre. Nous avons la chance d'être hors conflit, la Coalition nous protège et nous permet de nous exprimer librement quand à nos convictions politiques.
Alors je vous le demande : de quel parti êtes-vous ?

- Ça n'a rien à voir avec...

- Ça a beaucoup à voir. Et ne jouez pas le malin en répondant une démocratie ou je sais pas quelle utopie populiste; vous savez bien que les démocraties se sont toutes cassées la gueule avant même le conflit Hégémo-empirique.

- Je ne pense pas avoir pris parti pour un camp ou un autre dans le conflit.

- Vraiment ? Pourtant, vous avez bien une Conscience ? Vous avez bien Lag ? Et vous savez bien ce que l'Hégécon et ses crevards de sujets en pensent, des Consciences ?

- Certes, mais les Consciences sont tout de même forcées à faire telle ou telle chose. L'Empire a le plein contrôle sur elles, par le biais des injections d'hormones ou d'émotions quand ça leur chante.

- Vous parler de plein contrôle ? Pensez aux Thébaïdes. Si l'Hégémonie gagne la bataille, que pensez-vous qu'il arrivera aux milliards de Thébaïdes à travers toutes les galaxies ?
Je vais vous le dire, et je n'invente rien. En chaque planète que leur armée à la con occupe, les Thébaïdes sont soit traquées et exterminées, soit réduites en esclavage si leur espèce peut paraître utile. Parce que pour eux, ce ne sont que des putains d'animaux, et qu'en plus elles portent la marque de l'Empire.

Elle marqua un temps, et effaça l'ostensible rage qui venait de s'implanter sur son visage défiguré. Une fois calmée, elle fit signe d'essayer de lui répondre.

- Même si l'Empire est le bon côté, ça ne change rien à la façon de faire. Envoyer des virus exterminer des populations entières, c'est interdit. Et c'est interdit parce que c'est horrible.

- Gal. Tu me parles de la façon de faire ?
L'Hégémonie organise, je ne sais pas si ça t'a marqué plus que ça, des attentats contre les Stockages de Mémoire. Elle organise des blocus sur des planètes entières qui ne disposent pas des ressources pour faire pousser ou élever quoi que ce soit pour les affamer. Elle organise des expériences qui ressemblent plus à de la pure torture qu'à de la science sur les Thébaïdes, pour tenter de prouver qu'ils n'ont pas de conscience. Ose me dire que ce qu'ils font est la "façon de faire" est bonne.

- Vous cautionnez ? Vous cautionnez le fait qu'on crée des maladies mortelles pour infecter l'armée hégémonique ou même sa population ?

- Ce conflit dure depuis des siècles déjà. Savez-vous combien de morts y sont passés, et dont le nom fleurira une stèle quelque part ? Cette guerre a duré bien trop longtemps, et il est grand temps qu'elle arrive à son terme. Vous me dites que des gens vous mourir à cause des virus ?
Ça fera toujours moins de victimes que si cette chienne de guerre continuait encore pendant des siècles.

- Soit. - Je pris un moment pour respirer et reprendre mon calme. -
D'accord. J'ai encore une question.

- Allez-y.

- Les souriens que l'Empire va recruter pour l'armée... ce seront des cobayes, c'est ça ?

- Les scientifiques doivent encore tester les vaccins, les antidotes, et la contagibilité des virus. Donc oui, une partie d'entre eux vont servir de cobayes, mais uniquement pour les vaccins.

- Et le taux de contagion ?

- Elle sera testée directement sur l'armée hégémonique. Sur des prisonniers de guerre, je crois. Avant que vous n'ouvriez la bouche pour vous offusquer, je vous rappelle que les prisonniers de guerre subissent ce genre de traitements dans les deux camps. La politique des prisonniers de guerre est que l'armée qui les capture aurait pu les tuer sur le coup; les prisonniers leur doivent donc la vie.

- C'est une dette qu'ils paient plus que souvent, je trouve. Et de manière disproportionnée.

- Ils seront tous relâchés à la fin de la guerre. Si elle arrive un jour. Avez-vous d'autres questions ?

- Oui. Une fois lancée, l'arme virale sera-t-elle annoncée au public ? Ou est-ce qu'officiellement, une épidémie va ravager l'armée hégémonique et l'Empire aura déjà comme par magie trouvé un vaccin ?

- Ce sera public. L'Empereur, qu'il aille au ciel, a affirmé sa volonté de mettre fin à ce conflit meurtrier par tous les moyens nécessaires; et révélera chacun de ces moyens dès leur mise en place.
Je comprends que ça puisse paraître révoltant. Je comprends que tu trouves ça horrible et inhumain.
Et crois-moi, s'il y avait un meilleur moyen de finir cette guerre au plus vite, je le préférerai mille fois à celui-ci. Mais ouvrez les yeux, Gal.
Pouvez-vous vraiment vivre dans un monde où des milliards de Consciences, où des milliards de Thébaïdes et où des milliards de femmes et d'hommes cherchant la liberté sont menacés chaque jour que Dieu fait par un attentat criminel, par un xénocide ou un esclavage intensif ou par le joug d'une armée totalitaire ?
Et, si vous aviez une solution, aussi horrible soit-elle, pour mettre un terme à cette horreur... - une seule larme de colère courut le long de sa joue organique - ... ne le feriez-vous pas ?

- Cela ferait juste de moi un diable combattant des démons, persuadé que je suis en mon droit car ceux-ci font pire que moi-même.

- Je veux bien être Diable pour sauver ceux qui peuvent l'être. L'Enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? »

J'allais rétorquer que je ne voyais pas vraiment en quoi un massacre de masse causé par une arme strictement interdite et immorale était une "bonne intention", mais ce fut le moment que choisit un employé du Central pour ouvrir la porte sans même toquer.

Xil resta figée dans un visage de haine tourné à mon encontre, et seul son œil robotique se tourna lentement vers l'intrus. C'était sans doute le strabisme divergent le plus imposant et inquisiteur qu'il me fut donné de voir, et l'impoli referma doucement la porte derrière lui.
« Vous pouvez le rejoindre dehors, Gal. Et méditez sur votre "bonne conscience". »

Je lui obéis en jetant toute la colère dont je pouvais faire preuve dans le regard, mais rien ne sembla la déstabiliser.

« Lag ?

- Oui ?

- Le titre, pour ton livre. "Les Martyrs du Saint-Empire".

- Sous-titré; "la face cachée de Khyberia." »






Fin du Tome 1: La conclusion de cette affaire se déroulera rapidement au début du Tome 2, qui ressassera les événements déroulés après ceux-ci. Bientôt un mini-bonus pour conclure le Tome 1, merci d'avoir lu jusqu'ici, et merci pour vos encouragements !!

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