MégArachnoPolis II

Les trains sillonnaient Abdelkader31-b6 (que tout le monde raccourcit en Abdel31 pour parler en phrase normale) d'un point à l'autre, reliant les trois villes qui s'y développent.
Des villes qui occupaient à peine 3% de la surface de l'astéroïde, tout le reste étant dédié à l'extraction des métaux rares qui abondaient dans les sous-sols.
Ainsi, mon train était pendu à des câbles tendus au dessus de mines sans fond occupées par une myriade de gigantesques machines d'excavation. Un beau spectacle pour peu que l'on s'y intéresse; ce qui est loin d'être mon cas.

« Mais du coup, Lag. On plonge dans MAP, et ensuite ? Comment on retrouve leur trace ?

- Les souriens n'ont pas d'identité légale. Ils ne peuvent pas prendre le train, ça demande une identité pour prendre un billet. Autrement, les souriens referaient leur vie ailleurs.
Question: comment ont-ils pu prendre le train sans ça, sachant que les fraudeurs sont assez rapidement arrêtés par la méca-milice ?

- Là, je vois pas.

- Ils n'ont pas pu voler de billet, l'identité est demandée lors du passage de billet aussi. Et, de toutes les façons, leurs cadavres ont été retrouvés chez eux, dans les bas-fonds de Khyberia, donc ils ont aussi trouvé un moyen de revenir.

- Et donc ?

- Tu me fatigues, Gal. Le simple fait que des souriens aient réussi à prendre le train devrait te mettre sur la voie. Comment ont-ils eu leur billet ?

- Quelqu'un le leur a donné ?

- Sans doute.

- Ce qui me ramène à la première question, en fait: comment on retrouve leur trace ?

- Je... j'ai pas de piste. Tu chercheras sur le tas, hm ?

- On verra bien, hein... »

Nous restâmes silencieux quelques temps, me laissant admirer les énormes masses métalliques arrachant au sol des fragments entiers de minerai, tel des carnivores arrachant des portions de chair aux côtes d'une proie mourante. Les roches incrustées de fer cédaient aux mâchoires d'acier avec étincelles et fracas, puis étaient entreposées dans des bennes où reposaient déjà des dizaines de morceaux de la chair d'Abdel31.

«  Sinon, j'y pensai depuis l'attentat, mais...
Elle marqua une pause.
Non, rien, c'est stupide.

- Non vas-y, je t'en prie.

- Si... si j'étais morte, dans l'attaque de l'Hégémonie, est-ce que tu m'aurais...
remplacée ?

Je restai muet. Qu'est-ce que c'est que cette question ? Je n'y avais même pas pensé, à vrai dire. Ça faisait bien 7 ou 8 ans que je travaillais avec Lag; c'était ma première Conscience et j'étais immédiatement tombé sous le charme de son caractère. Alors, penser à vivre sans elle...

- Désolée. Je savais que c'était une question stupide.

- Non, ça ne l'est pas, la rassuré-je. Je n'ai aucune idée de ce que j'aurais fait. J'aurais sans doute abandonné l'affaire, mais je ne sais pas si j'aurais pris une autre Conscience.
J'aurais porté le deuil, sans doute. Je te retourne la question, mais ne te sens pas obligée de répondre. Que ferais-tu si j'étais mort ?

Avec du recul, c'était cruel de ma part. Les Consciences, quand leur binôme meurt, sont face à 3 choix seulement.
Soit elles reprennent du service avec un autre binôme, comme Conscience d'occasion,
ou alors elles se font laver la mémoire pour reprendre un binôme avec un esprit vierge,
ou bien elles demandent à être supprimées du Stockage de Mémoires, un autre cerveau reprenant leur place. L'équivalent d'une mort pour elles.

- Je... je ne sais pas. »

Le reste du trajet se fit sans un mot de plus. J'imagine qu'elle devait, tout comme moi, cogiter sur la question complexe de notre relation. Dans le plus extrême des cas, je me serais engagé dans l'armée Impériale pour venger Lag.

Enfin, MAP fut visible depuis la fenêtre du train. Tout comme Khyberia, la ville était composée de centaines de gigantesques tours pointant vers le ciel et plongeant vers les profondeurs d'Abdel31. Mais, contrairement à elle, les buildings de MAP étaient reliés entre eux par des sortes de toiles noires qui recouvraient également la majorité des surfaces des bâtiments. Ces toiles servaient de passages pour les Portias pour se rendre d'une tour à l'autre; celles-ci n'utilisant pas de véhicules volants.
Ni même de véhicule tout court; tous les trajets étant assurés par leurs effroyables huit pattes mécaniques.
Tout autour de ces flèches pointant le ciel et perçant le sol s'étalaient des milliers de panneaux solaires , disposés tels les pétales d'une gigantesque fleur dont le pistil serait la ville en elle-même.

« Et du coup on va où une fois là-bas ?, me renseignais-je auprès de ma compagne.

- Si les trois victimes ont reçu leur ticket de la part de quelqu'un, ce devait être une invitation pour quelque part. Avec de la chance, il y a un registre de tout les déplacements de taxis volants quelque part, et on verra qu'il y a environ une semaine, 3 types se sont rendus au même endroit.

- Yep. Bon plan. J'en trouverai un bon aussi pour me rattraper plus tard.

- Tu as intérêt ! »

Le train s'arrêta dans la gare, d'où je sortis pour échapper à la foule.
Je n'aurais pas dû.

La petite portion de sol à la sortie de la gare donnait une vue sans pareille sur le cœur de la ville arachnide. Le soleil se couchait déjà, plongeant les tours enveloppées de cocons noirs dans le pénombre du crépuscule. En haut comme en bas, ces bâtiments sombres s'élançaient vers l'infini, sans que je n'en puisse distinguer ni la cime ni les racines.
Et, partout, sur les murs comme sur les toiles, telle une fourmilière en alerte, une masse indescriptible de corps métalliques en mouvement fluctuait dans un sens comme dans l'autre, les uns marchaient au dessus de ceux qui rampaient à même la façade des bâtiments.

Je restai tétanisé face à ce spectacle, suffisamment longtemps pour que la foule des passagers du train me rattrapent et m'enveloppe dans leur mouvement. Pas un seul ne levait les yeux sur ce cauchemar qui ne se donnait aucune trêve, aucun répit.
À croire que j'étais le seul à voir ces horreurs.
Une pensée me traversa l'esprit, me faisant constater que je me plaisais dans la horde humaine, en comparaison aux grouillants.

« Est-ce que ça va ? », demanda Lag à travers mon oreillette. Je ne lui donnai comme réponse qu'un hochement peu serein accompagné d'une déglutition, qui ne donna pas lieu à plus de questions sur mon état.

Une mission. Oui, j'avais une mission, qui m'étais sortie de la tête pendant qu'elle était envahie par ces monstres. On parlait de quoi ?
De registre. Oui.
J'arrachai mon regard hypnotisé du mouvement de masse de MAP pour me rendre à la station de véhicules volants qui longeait la gare. Le gérant était, dieu merci, un humain. Un petit vieux trapu qui roupillait dans son poste.

« Bonjour, commençais-je, je...

- Alors pour les réservations, c'est le guichet là-bas, monsieur.

- Non, justement, ce serait pour des renseignements. Est-ce que vous gardez en archives les trajets effectués par vos véhicules ?

- Euh... ouais, mon p'tit, mais à quoi ça peut vous servir ?

- Police, lui dis-je en montrant mon insigne. Je cherche où sont allés trois personnes, il y a 7 jours. J'ai les heures de leur venues, et ils se sont probablement rendus au même endroit.

- Ah ouais. Je vais voir ce que j'peux faire pour vous. »
Il sortit de son poste, visiblement frustré de ne pas pouvoir achever sa sieste, pour disparaître par une porte de service.

« Gal, tu as un appel. C'est ''Dan'', il dit que tu le connais.

- Oui, c'est un des légistes, passe-le moi.

- • • • Allo, Gal ? C'est Dan, tu t'souviens ?

- Oui, bien sûr. Vous en êtes où, ça avance ?

- Ah, salut ! Elle est charmante ta Conscience, gars. En fait c'était plutôt pour savoir si ça avançait de ton côté, parce que nous on n'avance pas d'un iota. Si tu as quoi que ce soit...

- Là je suis bien sur quelque chose, mais on n'est encore sûrs de rien. Je te laisse, ma source vient d'arriver. Je te rappelle si je trouve quelque chose. »

L'oreillette coupa et le vieux arriva avec une boîte que je devinai être un disque dur externe.

« V'la donc tous les trajets enregistrés d'il y a une semaine, avec la durée du trajet, l'heure, le nom du ou des voyageurs, et cétéra, et cétéra. J'vous souhaite bonne chance. Vous pouvez le garder, c'est une copie.

- Merci bien. », lui lâchai-je en m'emparant du pavé noir de la taille d'un livre de poche, que je branchai immédiatement au dossier de l'enquête pour que Lag puisse y avoir accès.
Son calcul ne fut pas long.

« J'ai déjà dégagé une grande partie des données. On cherche donc trois personnes aux itinéraires identiques, mais aux horaires différentes. Ou alors trois personnes dans le même trajet, mais il y en a trop...

- Est-ce qu'on a les noms des victimes, seulement ?

- Les souriens n'ont pas de nom, si ?

- Si, mais ils doivent bien se faire appeler d'une manière par leurs proches. C'est sans doute sous ce nom qu'ils se sont enregistrés. Tu peux rappeler Dan ?

- Soit. • • • Oui, allô Gal ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit la source ?

- Là c'est plutôt moi qui ait besoin d'informations complémentaires. Est-ce que, sur les corps des victimes, ou dans leurs vêtements, il y aurait quoi que ce soit qui pourrait déterminer leur nom ?

- Le nom de souriens ? Mais ça sert à quoi ? Attends, tu es où, là ?

- Je suis à MAP II, longue histoire. Je voudrais juste savoir si tu pouvais trouver quelque chose, genre un bracelet, une photo, un papier ou n'importe quoi avec un nom dessus.

- Euh... ouais, ouais, attends je cherche ça.
Il ne parla pas pendant quelques temps.
Oui, oui, c'est bon j'ai trouvé un truc. C'est... un... un papier ? Oui ? Un papier avec marqué... euh... Eli. Oui, c'est ça, Eli.

- Ça va, Dan ?

- Oui, oui, ça va. Pourquoi ça n'irait pas ?

- Aucune idée. Pourquoi il se trimballe un papier avec son nom dessus ? Y'a rien d'autre de marqué ?

- Nan, y'a rien d'autre. Il avait peut-être peur de l'oublier, j'en sais rien.

- Et puis, si les souriens ont pas d'identité légale, pourquoi ils se donnent des noms à trois lettres comme nous ?

- Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ! Je... désolé. Bon, il faut que je te laisse. Bonne chance. • • -la voix de Lag reprit place dans l'oreillette- Gal, je trouve trop de résultats pour Eli. C'était peut-être le nom de quelqu'un d'autre, voir même pas un nom. Reste qu'on est bloqué.

- Mh. Mhh... non, attends... si, comme tu l'as dit, quelqu'un les a invité, il a sans doute dû aussi réserver les taxis pour eux. Du coup...

- Du coup, les trois sont réservés sous le même nom ! Bien joué ! Je recherche ça.

- Je t'avais dit que je me rattraperai !

- Alors, il y a bien trois trajets sous le même nom qui correspond, mais je n'ai pas accès à l'itinéraire. Ça m'affiche « données confidentielles. »

- Comment ça ? Pourquoi les données des trajets de souriens sont tenues secrètes ?

- En fait il y a beaucoup d'itinéraires confidentiels dans les données; mais j'avoue que pour des souriens, ça surprend. Cela dit, ça a été le même chauffeur pour nos trois types. Peut-être qu'il se souviendra du trajet.

- Tu me le réserves ?

- Eh ! T'es dans le quartier général des taxis, ici. Je pense que tu peux t'en occuper ? Je vais voir ce que je peux faire pour « Eli »

- On va faire comme ça, alors. »

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