Les légistes

Même en 3167, même sur d'autres planètes et même sur une station minière et point de concentré technologique, les ascenseurs sont dotés d'une petite mélodie dont le but serait, semble-t-il, de nous faire patienter.
Dans les faits ça nous donne surtout envie de tout faire exploser au bout de 10 secondes de boucle répétitive.

Le ''ding'' d'arrivée me sauva. Youpi.

Je sautai hors de la cabine pour atterrir dans un de ces couloirs que toutes les tours de la Colonie présentent : les mêmes étages pour toutes les tours de travail, partout, de haut en bas. Un grand couloir circulaire desservant toutes les salles de l'étage et tous les ascenseurs
« Lag ?, appelais-je en appuyant sur mon oreillette.

- Au rapport, Maître.

- Quelle salle ?

- salle 421 de votre étage.

- Et concrètement ?

- Au fond à gauche.

- Ok merci... », lui lâchai-je en me dirigeant vers la porte indiquée.

Les grands couloirs déserts de cet étage ne montraient pas la moindre fenêtre donnant sur une quelconque salle capable d'assouvir ma curiosité; juste des murs de béton froids et des portes droites et alignées, chacun arborant un numéro en bleu, clignotant à mon approche et s'éteignant en grésillant l'instant d'après.

Porte 421. Pas de signe distinctif, pas de nom ni d'écriteau, rien. Si c'est pas là je vire Lag...

*Toc* *toc*

La porte s'ouvrit sur un laboratoire d'analyses : trois tables de dissection et trois bâches bleues, sans doute mes trois victimes, et deux scientifiques en blouses, avec masque, lunettes de protection et fraise ridicule. Celui qui m'avait ouvert me dévisagea derrière ses verres épais, et finit par enlever son masque de chirurgien, révélant une magnifique barbe brune.

« Vous êtes le flic ? - je lui hochai la tête- Ok, on vous attendait. Je suis Dan, là-bas c'est Ric, et notre chef de labo est en appel dans la salle d'à côté. Je vous fais le topo ?

- Avec plaisir.

- Bon. Là c'est les trois victimes de l'affaire, des sans-implants sans nom et sans intérêt. Çui-là, on dirait qu'il s'est fait ronger par quelque chose genre nécrose ischémique, mais sur tout le torse. On a regardé, les organes internes aussi sont pourris, mais que dans cette partie du corps. Pas de trace de toxine, de bactérie ou de quoique ce soit qui aurait pu amener ce pov'gars à crever comme ça. J'enlève la bâche ?

- Euuh... je suis pas sûr...

- On a envoyé les reconstitutions 3D dans le dossier de l'enquête si vous aimez pas tout ce qui est dégénérescences organiques.

- Oui, merci. Vous avez une piste sur ce qui pourrait avoir fait ça ?

- Nan, je cherche encore dans les tissus pour trouver une cause. Le deuxième c'est Ric qui s'en est chargé.

Je remerciai le dénommé Dan pour aller voir Ric, un gars blond plutôt petit assis à une paillasse d'expérience et posant des gouttes colorées sur des morceau que je devinais de chair humaine.
- *Hum, hum*
Il se retourna vers moi, surpris, puis enleva son masque pour parler, découvrant un visage vachement jeune, surtout par rapport à Dan.
- Bonjour, m'sieur l'agent. C'est pour le cadavre ?

- Yep. Racontez-moi tout.

- Bah, en fait, le gars a fait une apoptose généralisée.

Il déduit à mon regard circonspect qu'il devait m'expliquer.
- En gros, quand une cellule commence à faire n'importe quoi, genre avant un cancer, le corps peut détruire la cellule pour qu'elle ne fasse pas de dégâts. Sauf que dans le cas du bonhomme, toutes les cellules de son cœur et des muscles alentours se sont faites détruire de cette manière, et de manière assez rapide vu l'étendue des dégâts.

- Vous avez une idée ?

- Yep, et je cherche dessus. C'est en lien avec des virus, des protéines p53r2 et la mitose, et...

Il lut à nouveau sur mon visage que ça ne servait à rien de continuer.
- Je... je vous enverrai un rapport quand j'aurai trouvé, et quelqu'un vous expliquera.

- Merci. Le troisième est plus simple à expliquer, où... ?

- Ah ça je sais pas c'est la chef qui s'en est chargé.

- Vous bossez pas tous les trois sur le même pour passer au suivant ?

- Nan, elle a insisté pour s'occuper du troisième toute seule. Elle nous a dit que ça allait lui permettre de publier un super-article sur les revues scientifiques et avoir un peu de reconnaissance pour le groupe. »

J'allais enchaîner avec plus de questions, mais la porte de fond de salle s'ouvrit pour laisser entrer celle qui devait être la chef de labo; une femme plutôt jeune, dans la trentaine, dont le visage et l'allure semblaient à la fois sympathiques et stricts. Sans fraise, ses cheveux blonds aux reflets roux ondulés entouraient son visage et tombaient sur sa blouse galonnée.
Elle m'observa de haut en bas, ses grands yeux pers écarquillés. Il faut dire qu'elle ne devait pas s'attendre à une troisième personne dans son labo. Et que je faisais une tête de plus qu'elle.
« Gal, inspecteur de Police responsable de l'affaire de ces trois sans-implants. Ravi de vous rencontrer.
Elle me serra la main, en gardant son gant de dissection.
- Anne-Lyse, chef de laboratoire et responsable de l'affaire de ces trois sans-implants. Ravie également.

Anne-Lyse. Un prénom à huit lettres. Sur Khyberia, une loi stupide posait une taxe sur le nom des habitants au delà de trois lettres, soit-disant pour mieux répertorier les administrés dans les serveurs centraux. Du coup, un prénom à quatre lettres indiquait une famille assez riche pour se permettre de payer la taxe (assez conséquente), et des prénoms à rallonge signifiaient des postes extrêmement importants.
Ça peut paraître relativement ridicule, mais cette loi permettait tout de même de savoir quel était la classe sociale d'un individu, rien qu'avec son prénom. Par exemple, un citoyen nommé « Napoléon » relève d'une famille à la tête d'une super-entreprise intergalactique. Un merveilleux moyen de dissocier les classes.

Elle devait être habituée au regard étonné que je lui portais, et paraissait assez exaspérée.
- Oui, Anne-Lyse, et non, je ne suis pas née sur Khyberia. Vous pensez vraiment qu'un simple légiste peut avoir 8 lettres sans venir d'autre part ?

- Désolé, je...

- Nan, c'est normal. Tout le monde fait pareil. C'est pour le troisième cadavre ?

Je hochai la tête.

- Ok, je suis à vous dans une minute, je dois juste régler un truc. Ric, tu peux venir s'il-te-plaît ? »
Ils disparurent tous deux derrière la porte, me laissant dans le laboratoire avec les trois bâches bleues et ce brave Dan, en train d'observer un morceau de peau pourrie au microscope.

Je profitai de cet instant seul pour rappeler ma coéquipière.
« Lag, chuchotai-je. Est-ce que tu peux m'expliquer le truc du deuxième corps avec des mots simples ?

Lag ne répondit pas.

- Tu me boudes ?

Pas plus de réponse.

- Hé oh ?

- Les oreillettes ne passent pas, dans les laboratoires.
Je me retourna en sursaut vers Lyse, qui accompagnait Ric à ses expériences.

- Ah. - Je lâchai l'oreillette - Du coup, pour le troisième ?

- Pour le moment, pas grand chose malheureusement. Visuellement, les tissus organiques qui constituent son cœur, son épaule et le haut de son bras gauche sont devenus transparents, avec la texture d'un sachet de plastique rempli d'eau. Quand à savoir pourquoi, là je bloque.

- Vous pensez vraiment que ce sont des meurtres ?

- Vous conviendrez aisément que trois cadavres chelous trouvés la même journée avec des symptômes plus qu'étrange, ça ressemble pas à du hasard. Ça pourrait être une maladie, me direz-vous, mais dans ce cas pourquoi n'a-t-on  pas d'autres victimes ? J'ai déjà demandé aux services épidémiologiques, ils ne connaissent pas ces symptômes.

- Il y avait un lien entre les victimes ?

- Est-ce que vous êtes sérieux ?! Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Je suis juste légiste; hier j'ai reçu ces trois types au labo, on m'a rien dit de plus ! Si vous n'avez pas les infos dans votre dossier, c'est sans doute parce que ces trois types sont des souriens : on ne sait rien d'eux, la plupart ne sont même pas enregistrés dans les serveurs centraux, et ils arrêtent pas de casser les caméras qu'on pose chez eux ou les méca-milices qu'on envoie pour les mater. Donc à part qu'ils soient sans-implants et souriens, on n'en sais pas plus. »

Si les sans-implants désignaient ceux qui ne pouvaient ou même ne voulaient pas d'améliorations bioniques, les souriens étaient les citoyens tellement pauvres qu'ils vivaient dans les bas-fonds, sur le sol même de l'astéroïde. Les centaines de tours masquaient totalement la lumière de l'étoile de Khyberia à ces populations. Nul ne savait d'ailleurs si on les appelait les souriens pour le rapprochement qu'on fait d'eux avec les souris et les rats, ou de par la contraction de sous-rien. Parce que c'est effectivement ce qu'ils sont.

« Merci madame. Vous pouvez me contacter grâce à mes matricules, qui sont sur le dossier de l'affaire. N'hésitez pas à y poster les résultats de vos recherches.

- Je vous en prie. Bonne chance, Gal, c'est ça ?

- Yep. Bonne journée à vous. »

Sur ces mots, je quittai le laboratoire en saluant Dan qui m'ouvrait encore la porte.
Dans le couloir, j'essayais de contacter Lag, qui ne répondit qu'une fois dans l'ascenseur, me sauvant de la torture que constituait la petite mélodie de celui-ci.

- J'ai raté quelque chose, Maître ?

- En fait tu peux arrêter de m'appeler maître. Tu as pu enregistrer quoique ce soit ?

- Non, j'ai été désactivée devant le labo. Qu'as-tu appris grâce aux légistes, Maître ?

- Tss... Bon, ils travaillent dessus, et ils n'ont pas encore trouvé la cause des mutations. À chaque fois, ça touche le cœur et ses alentours, et ça détruit les cellules ou un truc dans le genre. La chef dit que c'est pas une maladie connue, et que c'est clairement pas dû au hasard.

- Du coup tu fais quoi ?

- Est-ce que tu peux rechercher les profils des victimes sur les serveurs centraux ? Pour savoir s'ils se connaissent, s'il y a un lien entre eux...

- Tu as oublié, on dirait. Je n'ai plus accès aux serveurs depuis ton dernier écart.

- Ah oui merde. J'avais fait quoi déjà ?

- Recherché des informations sur une affaire dont on t'avait interdit de pas t'occuper ?

- Pfff. Central de Police ?

- Central de Police.

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