Chef, oui chef !

Le trajet pour revenir au Central de Police fut atrocement long: Khyberia avait atteint son heure de pointe; vers midi, le ciel était saturé de centaines de milliers de vaisseaux bloqués dans des embouteillages qui duraient parfois jusqu'à minuit.
Disposant fort heureusement du super-pouvoir des fonctionnaires, mon transport volait entre deux files bondées de véhicules dont j'entendais les propriétaires m'insulter de tous les noms.
Imaginez-vous la scène, cependant. Des milliers de vaisseaux organisés en lignes, tissant une architecture grandiose, entre et autour des gigantesques gratte-cieux dont on ne voyait ni la cime ni la base.
Sans le bruit, l'odeur et les insultes, ça paraîtrait presque idyllique.

Je reposai enfin le pied dans la grand-salle d'accueil du Central de Police, encore plus bondé que ce matin. Je dus me faufiler parmi la foule pour atteindre de nouveau les capsules-ascenseurs réservées au personnel, pour retrouver le couloir des portes de détectives où les activités étaient plus nombreuses que quand je l'avais quitté; quelques secrétaires et inspecteurs pressés véhiculant entre les portes avec des holo-dossiers, ou discutant dans le couloir avec une tasse de café. Je réussis à me faufiler jusqu'à mon bureau, dans lequel je m'enfermais.
Je restais quelques secondes à souffler contre la porte. Décidément, la foule ne me réussit pas.

« Un problème, Agent Gal ? »
Je me tournai surpris vers le propriétaire de cette voix autoritaire pour tomber sur la Commissaire-Subalterne Xil, ma supérieure directe. Une femme froide et droite qui avait profité des efforts que j'entretenais pour garder mon antre comme un vieux bureau poussiéreux des années 50 pour se planquer dans le noir et attendre mon retour pour m'engueuler, comme à son habitude...

J'allumais le vieux néon jauni pour faire la lumière sur ce dragon des temps modernes.
Une peau ébène et une chevelure de flammes, un œil à l'iris orangé et l'autre bionique, mais surtout une carrure et une prestance qui imposaient le respect en tout points, le tout dans un costume noir sobre et sévère.
Je ne la voyais pas comme un patron trop autoritaire qui engueulait ses sbires pour rien, mais comme un patron trop autoritaire que je voulais à tout prix satisfaire en bossant de mon mieux.
Sauf que sa présence ici signifiait qu'encore une fois, je n'avais pas été à la hauteur.

« Je ne sais pas ce que j'ai mal fait, mais j'imagine que vous allez me le dire...

- À part avoir oublié d'inscrire votre entrée au Central tout à l'heure, rien du tout.

- Ah. Mais du coup... pourquoi vous êtes là ?

- Pour savoir comment avance votre enquête.
Elle me dit ça en me fixant de ses deux yeux asymétriques, avec tout le calme du monde.

- Bah, là je viens de rentrer et je comptais faire mon rapport, puis aller aux archives parce que je n'ai plus le droit de demander à Lag de le faire. D'ailleurs, si...

- Et vous comptiez dire quoi, dans votre rapport ?, me coupa-t-elle sans me laisser le temps de demander de permettre à nouveau à Lag d'avoir accès aux données.

- Les résultats des inspections légistes. Pourquoi vous m'interrogez comme ça ? Vous comptez pas encore refourguer l'affaire à quelqu'un d'autre ?

- C'est votre première affaire de meurtre, j'essaie juste de voir comment vous vous débrouillez. Vous pouvez demander de l'aide, vous savez.

- Je... merci. Vous pourriez remettre Lag au courent pour les archives ?

- Je vais voir ce que je peux faire.

Elle se leva du fond de mon antre pour se diriger vers la sortie. Dans le cadre de la porte, son oreillette sonna. Puis la mienne aussi.
Bientôt, dans tout le couloir, on entendit des dizaines de sonneries, puis tout s'arrêta avec l'allumage des télés de chacun des bureaux.

« Flash info: un attentat terroriste perpétré et revendiqué par l'Hégémonie a fait exploser un quartier entier de stockage de mémoires. De nombreuses Consciences furent détruites sur le coup, et plusieurs autres ont un diagnostic incertain. Nous sommes pour le moment capable d'estimer le nombre de Consciences détruites à 400 000 environ.
Si vous êtes dotés d'une Conscience, assurez-vous que celle-ci n'a pas été détruite lors de l'attentat... »
Les informations continuèrent, parlant d'assurances et de remboursements, mais je n'y prêtais plus attention; je spammai mon oreillette pour appeler Lag.

Elle ne répondit pas.

Le temps semblait s'être figé autour de moi, j'entendais les pleurs sourds venant des autres bureaux, je voyais le visage de Xil devenir livide, le tout comme plongé dans un filtre sans couleurs.

« Allô ? », répondit enfin ma coéquipière dans l'oreillette. Je soupirais lourdement.
« Ça va, Gal ? Tu m'as l'air d'être... tendu.

- Suis les infos, Lag. Et préviens-moi si il y a un quelconque problème.

- Oh. Tout va bien, je n'ai pas été touchée. Je te tiens informé. »

J'éteignis mon oreillette pour poser mon regard sur Xil, qui semblait aussi soulagée que moi.

L'Hégémon. Cette puissance tentaculaire qui terrorisait la galaxie avec ses attaques meurtrières sur des civils et des Consciences avait encore frappée. Par ''Conscience'', j'entends des cerveaux développés artificiellement, cultivés par milliards dans des ''stockages de mémoires'', qui les reliaient aux oreillettes et aux réseaux de partage de données comme Internet, Elvita ou Omnisciens, pour ne citer que les plus connues. Ainsi, chaque citoyen, de n'importe quelle planète sous domination impériale ou sous protectorat de la Coalition des Commerces pouvait acheter une oreillette, et donc avoir une Conscience avec soi. Comme un ami en qui on pouvait toujours avoir confiance, et qui, connecté directement sur les sites de données, pouvait vous renseigner en temps réel.
Sauf que l'Hégémonie voyait d'un très mauvais œil la culture de cerveaux humains synthétiques, et avait appelé plusieurs lois obsolètes et désuètes pour interdire ces pratiques qu'elle jugeait inhumaines.

En vrai, l'Hégémonie et l'Empire s'étaient séparés depuis 2470 (une date que tous apprennent dans les livres d'Histoire), et les Consciences n'étaient qu'un motif de plus pour l'Hégémonie afin de mener une guerre sans merci à travers toute la galaxie.
Et voilà donc un nouvel attentat sur les Stockages de Mémoire.

Xil me tira hors de mes rêveries.
« Bon. Lag a survécu ? -je lui hochais la tête- Retourne au travail, alors. L'Empire nous vengera. »

Khyberia n'appartenait ni à l'Hégémonie, ni à l'Empire, mais à un des groupes de la Coalition des Commerces, la troisième roue du char de la Galaxie, assez neutre dans la guerre.
Cependant, Xil était profondément impérialiste.

Je me levai de mon bureau pour traverser le couloir des inspecteurs, bercé dans les pleurs et les cris de ceux qui avaient perdu leur Conscience. Je continuai sans faire attention, en essayant de me fermer aux douleurs des autres. jusqu'à l'ascenseur, qui me mena aux archives.

Là-bas, tout le monde avait le visage miné, à part le gigantesque droïde cyclope, qui continuait de trier les clefs avec ses longs bras articulés, impassible et froid.

J'avais encore une enquête à finir, après tout...

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