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   Dès que je compris le sens de cette découverte, mes nerfs partirent en vrille. Quelqu'un venait d'arriver. Mais qui ? Étais-je bel et bien tombé dans un piège monté de toute pièce pour une demande de rançon ? Mon père se frottait peut-être avec des gens malhonnêtes. Une organisation criminelle qui opérait dans le trafic d'organe, peut-être. Mais, cela ne tenait pas. Pourquoi toute cette perte de temps ? Et cela comptait beaucoup trop sur le hasard pour un soi-disant truc pas net. Non, une professionnelle de ses trucs sordides ne jouait pas à ses jeux d'amourette psychiatrique.

   Bref, seul l'amour de Sarah était clair dans tout ce merdier. Aussi bien qu'un enfant aimait le chocolat ou qu'une abeille aimait le pollen. Ah ! Ah ! Réfléchir n'avançait à rien. Je n'avais pas grand-chose à perdre, de toute façon. Si c'était une personne de connivence avec Sarah, rien ne changerait. À par accroître leur colère. Oui, il faut foncer tête première, peu importe ce qui m'attendait. Avec cette devise en tête, je regardai la vieille porte qui me séparait de ma liberté.

   Je traînai mes oreilles sur les murs à la recherche d'un détail sonore. Rien. Je devais être trop en retrait pour pouvoir entendre leur conversation. La seule possibilité d'augmenter mes chances serait d'ouvrir cette porte. Mais il ne valait pas la peine d'essayer avec la force.

   La faiblesse m'accapara et je me laissai emporter. Qu'est-ce qu'il m'arrivait ? Les effets de ma sous-alimentation peut-être. Être nourri que de pizza n'avait pas que des avantages ! Néanmoins, c'était trop tôt pour ça. Alors d'où venait cette envie de me laisser tomber et de m'abandonner aux ténèbres d'un sommeil plus ou moins long ? La fatigue. Mais je ne faisais rien de mes journées à part subir les folies de Sarah... En puisant dans les recoins de ma cervelle, je traçai des figures dans la poussière du sol. Un émoji souriant, un émoji triste, un cœur traversé par une grande flèche, du sang, une balle et d'autres symboles plus pathétiques.

   Je ne pouvais rester ici plus longtemps. Après tout, j'étais l'homme. L'être qui commandait. Loin de moi toute pensée masochiste, mais en un rien de temps, j'aurais raison d'elle et pouvais la forcer à me défaire de mes menottes. Elle le savait tout aussi bien que moi, et voilà ce qui flanquait un "mais" à mon raisonnement. Pourquoi ? Pourquoi agissait-elle avec cette confiance exagérée tout en sachant que je pouvais la menacer à tout moment ? On pourrait même dire qu'elle semblait m'inciter à passer à l'acte. Et ça me faisait peur. Connaissant Sarah, elle devrait avoir un plan en tête pour se tirer d'affaire ou pire, me tirer vers le fond.

   D'après ses dires, on la destinait à succéder à son père à la tête d'une grande compagnie. Si c'était le cas, elle devait être bien moins ignorante qu'elle en avait l'air. Pour toute réponse, je lâchai un soupir avant de fixer le plafond. M'y perdre des heures semblait possible à tel point que je me sentais las. Toutefois, quand je commençais à m'habituer à cette nouvelle position, j'entendis un bourdonnement lointain. Quelque chose rythmée comme... une conversation ? Surpris par cette découverte, je me levai et me dirigeai vers la tête du lit pour plaquer mon oreille, avec très peu de conviction. Néanmoins, mes yeux s'écarquillèrent quand j'entendis deux voix.

   Boosté et en même temps apeuré, j'essuyai le mur avec mes lobes à la recherche d'un endroit qui laissaient passer le son avec facilité. Échec, il me parvenait toujours avec cette part de mystère. À bien réfléchir, il ne me restait pas beaucoup de choix. Rester dessiner sur le sol en espérant que cette personne ne venait pas pour mon cœur ou mes testicules. Où hurler de toutes mes forces en espérant que ce soit quelqu'un de lambda qui chamboulerait les plans de ma ravisseuse. Mes poings tambourinèrent le mur sans retenue tandis que je hurlais « à l'aide ». Pas trop viril comme action, mais je n'avais pas l'embarras du choix. Je continuais sur ma lancée et augmentais même ma force de frappe. Au diable toute pensée d'échec. Si cette personne était quelqu'un de lambda, comment expliquer que Sarah l'ait laissée entrer dans sa cuisine ? Peut-être pour lui servir un peu d'eau. Je ne pouvais qu'espérer que la chance soit avec moi.

   Je m'arrêtai un instant pour juger l'impact de mon action. Mais je n'entendais rien. Le bourdonnement s'évanouit à tel point qu'on aurait pensé qu'il n'avait jamais été là. Ce qui laissa place à un doute si profond qu'il semblait m'aplatir. Comme le silence persistait, je me résiliai à arrêter  cet élan d'espoir qui émergeait et à rejoindre mon lit. Le sommeil restait la seule chose sensée à laquelle j'avais droit. Mais au moment de me retourner, j'entendis une voix assez... Familière.

   Elle se distinguait avec précision et semblait être tout prêt, juste derrière ce mur. « Qu'est-ce que c'était que ce bruit ? ». Cette phrase ressemblait à un murmure, mais je décodais chaque mot. On m'entendait, on m'entendait. Je doublai d'énergie pour cogner et appeler à l'aide. Mes mains me faisaient mal, en plus du métal qui me dévorait le poignet. Pourtant, pas comme elles devraient. La joie réduisait sûrement la douleur. Le bruit redémarra de plus belle. Plus vivante et plus rapide. Une dispute peut-être ? Si mon raisonnement tombait à point, je ne pourrais que me réjouir de cette perspective. Des complices ne se fâcheraient pas pour un otage.

— Aidez-moi, je vous en prie. Elle m'a kidnappé. Aidez-moi.

   Voilà, c'était dit. Sans prendre en considération ce que cela impliquerait pour ce nouveau personnage. Et pourtant, quand j'entendis la détonation d'une arme à feu, tout me parut aussi clair que de l'eau de roche. Si cette personne n'avait rien à voir avec les manigances de Sarah, apprendre qu'elle retenait un prisonnier la mettait en danger. Le bruit remplit mes oreilles et ne voulut pas partir. C'était la première fois que j'entendais un tir d'aussi près. Elle résonnait encore et encore. Sur le coup, la paralysie prie possession de mon corps. Et à part mon souffle chaud qui frappa le mur, rien ne semblait indiquer que j'étais en vie. Qu'est-ce que j'ai fait ? Causer la mort de quelqu'un tout simplement, rien de plus.

   Impossible. Sarah n'arriverait jamais à ce stade-là. Elle était particulière, un peu folle même, mais de là à tuer... Le silence qui enveloppa la maison souffla que je me trompais, ou que j'avais le droit de douter. Plus de bourdonnement, plus de voix, plus de dispute, plus rien. Mes dents claquaient. Non, impossible. Mon cœur bouleversait ma poitrine. Jamais. "De l'autopersuasion ? Sympa", me murmura une voix que je ne pouvais contredire. Il fallait avoir le cœur net.

   Je me suis mis à appeler Sarah par des chuintements qui prirent du volume à mesure que je pensais qu'un corps gisait dans son sang, derrière ce mur. Maintenant, je hurlais à plein poumon. Espérant mettre fin une bonne fois pour toutes à son silence qui me laissait penser au pire. Mais rien, alors je continuais jusqu'à avoir mal à la gorge et jusqu'à ne pas remarquer que je pleurais. Le temps s'épuisa et je finis par m'arrêter, trop fatigué pour continuer d'hurler et avec assez de volonté pour me mettre à taper du front. Désormais, la certitude remplissait mes vides. Sarah venait de tuer quelqu'un avec une grande contribution de ma part. Elle pensait si fort aux conséquences de ses actes qu'elle perdit la voix. Tandis que je pensais moi aussi aux conséquences de mes actes, j'entendis un trousseau de clés avant que la porte ne s'ouvre sur une Sarah un peu trop calme. Son visage gardait cette même neutralité qui me perdait. Sa peau brillait à cause d'une infime couche de sueur tandis que quelques mèches de ses cheveux blonds tombaient sur sa joue gauche. Ses doigts pressaient la crosse de son pistolet qui balançait.

— Tu viens me tuer aussi, c'est ça ?

   Elle me regarda, l'air méfiant.

— Tu es bizarre avec tes questions pourries. Lève-toi et viens m'aider.

   Intrigué par cette demande, je me levai et m'approchai d'elle d'un pas hasardeux. Elle me fit une révérence pour insinuer de prendre les devants. Le petit couloir paraissait plus sombre que jamais et pourtant, le mur qui le masquait n'était plus là. On aurait dit une de ces scènes où le personnage marchait dans un tunnel, dont à l'autre bout brillait d'une lumière exaltante. Pourtant, l'envie d'atteindre le bout ne m'enchantait guère. Au contraire, cela m'apeurait. Quelle atrocité attendaient mes yeux ? Cependant, mes pieds prenaient la relève et réduisaient peu à peu la distance. Arrivé à la cuisine, une odeur inhabituelle flottait dans l'air et du sang, salissait le sol. Une femme s'y trouvait aussi, le visage renvoyant une grimace horrible, en tenant une jambe qui pissait le sang. Cette femme, c'était Jennifer.

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