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   Mon calme fut exagéré. De toute manière, ça trottait depuis bon nombre d'heures dans ma tête : mon indépendance m'échappait. Ça me démangeait, certes, mais ce n'était pas la meilleure chose sur laquelle se concentrer. Il fallait plutôt creuser et réfléchir à la petite faille qui bousculerait tout.

— Si toutefois tu es intelligente comme tu le dis, tu sais qu'il y a toujours ce petit détail qui change toute la donne. Rien n'est jamais sûr dans la vie.

— Bien sûr. À toi de me montrer si tu es capable de le trouver. Pour ma part, dans le pire des cas, je serai obligé de loger une balle dans ta tête, prenant ainsi un aller simple pour un monde sans couleur.

   Le silence couvrit ces paroles. De quoi accentuer les traits sadiques de ce qu'elle avançait. Mes nerfs sensitifs décuplèrent en capacité à cause de cette peur. La peau de Sarah dévoilait plus de chaleur et ses caresses, moins de douceur. Les bruits de mon propre cœur arrivaient jusqu'à mes oreilles et tout cela m'agaçait.

— Tu ne me fais pas peur.

— Je rigolais. Mais je n'énonce que de simples suppositions. Dans la vie, faut toujours tenter de prévenir au maximum les péripéties.

   Prévenir ? Ce mot ne rimait pas avec planifier, mais l'idée qu'elle manigançait ça depuis le début palpitait dans ma tête. Il me fallait avoir le cœur net.

— Dis-moi, tu as prévu tout ça le jour de notre rencontre ? Ou avant ?

— Avant ? Mais non.

   Le dernier mot de sa phrase sonna comme un écho cliché aux gens qui réfutaient des propos qui, à leurs yeux, étaient absurdes.

— Comment planifier ça sans même te connaître ? On dirait que tu n'acceptes pas le fait que notre rencontre soit le fruit d'un heureux hasard.

— D'un heureux hasard mon cul !

   Elle me pinça le téton tandis qu'un cri de surprise perçait mes lèvres. Un cri que je n'aimerais jamais refaire.

— Faut pas être grossier. Sinon, tu auras droit à une punition.

   La stupeur envolée, je lui menaçai de ne plus refaire ça. La conversation dériva sur la puissance de l'amour. Autant dire que mes tympans déflagraient. L'entendre me chanter les louanges d'un sentiment aussi merdique, me... mettait hors de moi. Je ne haïssais pas l'amour, mais je ne l'aimais pas non plus. À bien regarder, une bonne partie de mes emmerdes provenait d'elle. De ma première rupture, en passant par ces avocates encombrantes pour finir sur la disparition de ma chère mère.

— Tu rigoles, on est bien trop différent pour pouvoir être ensemble. Le coupai-je pour stopper sa progression. Toi, tu es une folle qui aime enfreindre les règles imposées. Et moi, je suis un avocat qui...

— Protège ce qui les enfreints.

— Non. Qui veille à ce que les victimes des violeuses de ses règles trouvent justice. Tu entends.

— Tu sais très bien que les contraires s'attirent, se mélangent et baisent.

   Elle se laissa tomber dans un fou rire, tout en manquant de m'entraîner dans sa chute. Bien sûr, son humour tordu s'en mêlait désormais ! Quoi que cette fois-ci, l'originalité répondît à l'appel.

— Arrête avec ça. Tu sais que d'ordinaire, ce sont les hommes qui cherchent à baiser et non l'inverse.

   Son regard devint lunatique et dit dans des vagues.

— Tu dois te sentir channnnnceux.

   L'épuisement commençait à avoir raison de moi. Tout ce que je disais tournait à son avantage.

— Tu as bien caché ton jeu. Tu semblais si... normal au départ. J'aurais dû prêter plus d'attention à ces signes. Comment n'ai-je pas pensé un seul moment à ce genre de cas ?

   Ma question était rhétorique, pourtant Sarah sembla chercher une réponse, sauf que ça tardait à venir. Elle se leva pour venir s'asseoir en califourchon sur moi. Ses mains prirent mon visage en coupe et restèrent un bon nombre de temps comme ça. Observant mes yeux de jais et moi, les siennes de jade. Après un sourire subtil, elle chuchota dans un souffle de ne plus penser à ses questions idiotes. Que cela ne valait plus la peine, car désormais, ça ne possédait aucune importance.

   Pour la première fois depuis mon incarcération, ce contact visuel me fit plaisir. Cela semblait si sincère. Dénué de reproche et de danger.

— Qu'est-ce que tu comptes faire de moi ? demandai-je poussé par le flot.

— Pourquoi, c'est à moi de répondre à cette question ? Tout dépend de toi.

   Ses doigts m'effleurèrent les joues tandis que son souffle chaud venait s'échouer sur mes lèvres. Mon cœur devenait trop grand pour ma cage thoracique. Non, surtout pas. Cette excitation merdique devrait être contenue ou mieux, jetée à la poubelle. En plus d'être folle, cette femme aimait me mettre en contradiction avec moi-même.

— Ce n'est pas l'impression que j'ai. On ne peut pas forcer quelqu'un à aimer. C'est impossible.

— Tu m'aimes déjà.

— Je n'en suis plus sûr.

   Accentuant son regard perçant, l'air qui dégageait de sa bouche s'intensifiait de plus en plus. Ça sentait la menthe et le... désir.

— Voilà qui est bien embêtant.

   Sa bouche se trouvait maintenant à quelques millimètres près de la mienne. Une tempête d'émotion dansait en moi. De l'excitation. Malgré tout ce qu'elle personnifiait, son emprise régnait en maître. Faisant mine de cacher mon trouble, je l'avertis que ce jeu dangereux pourrait se conclure sur une mauvaise note.

— Au moins, j'aurais fait ce que je désirais.

    Ses lèvres charnues finirent par retrouver les miennes d'une douceur insoupçonnée. Elle prit plaisir à me les déformer à chaque aspiration. Prévisible, tout mon corps prenait feu, mais je restais immobile.

   Steve Jobs disait que ce qu'on décidait de ne pas faire était aussi important de ce qu'on décidait de faire. M'abandonner à mes pulsions ou sentiments, appelez ça comme vous voudrez, dévoilerait une grosse bêtise. Mes commissures restèrent entrouvertes, mais aucune ardeur ne les animait.

— Tu n'as pas envie, c'est ça ? demanda-t-elle quand mon inaction commençait à l'agacer.

— Désolé, je n'arrive pas à jouer la comédie. Difficile de goûter avec la tête quand on sait que c'est une illusion.

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