Chapitre 9 - t2
Allongé sur le futon, le nez dans les couvertures qu'il serre contre lui comme si elles pouvaient lui apporter un peu de la tendresse qui lui manque, Jisung fronce le museau et ses paupières papillonnent doucement avant de s'ouvrir sur l'obscurité de la chambre. Il fait encore nuit et le calme règne dans la demeure. C'est à peine si on entend quelques ronflements légers provenant d'une des chambres voisines.
Ce n'est pas un cauchemar qui l'a tiré du pays des songes, ni même des bruits dérangeants. C'est un léger, un infime tiraillement au creux de la poitrine, comme une ficelle que l'on tend un peu trop. Une impression si légère qu'il se demande même s'il ne rêve pas encore à moitié.
L'oméga porte les doigts à son torse mais il n'y sent rien. Il n'y a rien d'autre que son propre corps. Toutefois l'impression reste. Elle est là, un infime éclat de chaleur persistant, une sensation oubliée qui revient à son souvenir, un battement. Pas celui de son cœur. Non pas le sien. Celui d'un autre.
Son regard perdu dans le vague, l'esprit encore un peu plongé dans le sommeil, noiraud se recroqueville un peu plus, comme pour protéger cette sensation, comme pour la ressentir plus fort encore.
— Minho...
Non, c'est impossible. Minho n'est plus, leur lien non plus.
Quelques jours plus tard, à l'ombre des arbres dans un coin de la cour, Jisung a trouvé sa place sur le même banc que chaque jour. Depuis combien de temps est-il là ? Il n'a même pas compté. Il ne parle toujours pas, ne s'intéresse à rien ni à personne. C'est à peine s'il observe parfois les autres pensionnaires qui restent souvent entre eux, en petits groupes plus ou moins éparses. Des omégas comme lui, des femmes. Ils sont tous plus ou moins jeunes, mais paraissent tous issus de bonnes familles aux moyens conséquents.
Comme chaque jour, personne n'ose l'approcher. Son aura froide et austère semble maintenir les gens à distance mais cela ne lui importe aucunement. Toutefois, un pas léger se faire entendre et se rapproche. Il ne lève pas le nez, mais devine une silhouette masculine qui reste à une distance raisonnable avant de s'asseoir sur le muret qui fait face à son propre banc. Assez proche pour être remarqué, mais assez loin pour lui laisser suffisamment de marge s'il lui vient l'idée de vouloir fuir.
Mais il reste là et ne dit rien, ce qui n'a pas l'air de déranger l'homme venu lui tenir compagnie.
Et ce dernier revient le lendemain.
Et le jour suivant.
Et ceux d'après.
Au bout d'une semaine, le jeune homme qui s'est invité dans la bulle du noiraud finit par briser le silence.
— T'as jamais faim ?
La question est simple et futile, mais à voir l'état de Jisung, elle lui paraît justifiée. L'oméga lève le museau sans répondre mais il semble que son hôte prend cela comme une invitation à poursuivre.
— Moi, j'ai tout le temps faim. Tu crois que c'est normal ?
Le silence répond, et prend place pendant un long moment. Mais contre toute attente et à sa propre surprise, le noiraud finit par énoncer quelques mots. Sa voix est rauque, tremblante, faible et peu assurée, elle n'en reste pas moins audible.
— Je crois... que rien ici n'est normal.
L'autre sourit.
— T'as un nom ? Moi c'est Ren. Ren Takamori. Je suis un oméga.
Cette fois Jisung ne répond pas. Il laisse toutefois le jeune homme se glisser sur le banc qu'il occupe, un peu plus proche, à la façon de quelqu'un souhaitant gagner la confiance d'un animal sauvage qui ne se laisserait pas approcher. Et il reste là. Il reste là suffisamment longtemps pour que le silence entre eux ne soit plus un poids.
En entrant dans sa chambre ce soir là, l'oméga est gelé, mais il n'en fait pas cas. Hésitant un instant, sa main se tend finalement en direction du carnet confié par le médecin et cette fois, au lieu de se préparer à y tracer des courbes sans sens, il s'essaye à y écrire quelque chose. Un prénom.
Minho.
Mais le pinceau reste figé au dessus de la page sans réussir à l'atteindre. Et les épaules déjà basses de Jisung se tassent encore un peu plus. Finalement il se résout et écrire la première lettre de son propre prénom pour commencer. Juste cela. Le trait est grossier et maladroit, ce n'est qu'une seule lettre mais c'est déjà trop. Un nouveau coup de pinceau est donné sur le feuillet et l'encre recouvre son effort comme pour le cacher aux yeux du monde. Comme pour effacer le fait que rien que cela a fait battre son cœur un peu plus fort.
Et ce sentiment, cette sensation d'un battement étranger au sien, cette impression de lien ténu est revenu. C'est toujours aussi léger, toujours aussi infime, mais c'est là, bien vivant. Ses doigts se crispent sur son vêtement à hauteur de son cœur et il ferme les paupières, cherchant à ressentir davantage, à savoir de quoi il s'agit.
— Minho... ?
Une larme s'écoule sur sa joue et il tait vite l'espoir qu'il sent naître au creux de son cœur. Il est mort.
Mais s'il ne l'était pas ? S'il s'était fait berné ? Si l'alpha était bien vivant ?
Non...
Non c'est impossible. Il ne l'aurait pas laissé.
Rapidement, il secoue la tête et cherche à ignorer ce qu'il ressent.
Les jours passent et se ressemblent tous. Ren est bavard. Trop bavard pour l'esprit du noiraud qui se ferme bien souvent et il n'entend pas tout ce que le jeune homme raconte. Il ne parle pas fort, ni pour meubler, il parle comme s'il avait un trop plein à évacuer, comme si c'était une nécessité, même si ses paroles restent sans réponse.
— Tu sais ce que j'adorais, quand j'étais dehors ? Le bruit des rues. Juste le bruit. Ma mère disait que je devais être né avec un tambour dans la tête. Toujours à parler, à rire trop fort, à faire du bruit, même quand je dors ! Elle disait : « Ren, si un jour tu te tais plus de dix minutes, le monde pensera que le soleil est tombé . » Bon, Elle exagérait. Mais j'aime ça, faire du bruit. Au moins ça montre qu'il y a de la vie ! Et puis ça occupe.
Malgré lui, malgré ses absences lorsque tout devient trop, Jisung écoute le jeune homme parler, évoquer ses souvenirs. Il ne répond pas, mais Ren ne semble pas en prendre ombrage et poursuit son monologue. Parfois il se répond à lui-même, parfois il laisse un silence s'installer, mais il reprend bien vite.
— J'ai aimé quelqu'un. Un garçon, un vrai crétin, il riait comme un âne et il dansait sans musique. Il disait que mes yeux étaient des petits soleils. Tu parles d'un poète. Il a disparu quand sa famille a su pour nous. Ils ont dit que c'était une phase, une erreur. Et moi j'étais quoi ? Une faute de jeunesse ?
Le pensionnaire claque la langue contre son palais tandis que le noiraud sent sa gorge se serrer atrocement. Ce dernier sent son cœur qui s'emballe, au point de cogner dans sa poitrine comme rarement. Ses poils se hérissent et des frissons lui courent au long de l'échine quand il sent un souvenir affluer dans sa mémoire. Un souvenir récent, un souvenir si charmant, si amoureux, avec lequel a débuté ce jour horrible qui lui a ravi son compagnon. « Bien dormi, petit soleil ? »
— Mais tu sais quoi ? J'espère qu'il est heureux. Je suis comme ça, moi. J'espère même pour les gens qui m'ont oublié.
Il n'écoute plus, il n'entend plus rien d'autre que la voix de Minho qui résonne et ce sourire si tendre qu'il arborait ce jour là malgré les cernes et son teint encore un peu pâle. La nausée le saisit, il tente de se reprendre mais tout tourne autour de lui. Les mains tremblantes portées à ses tempes, il tente de repousser tout ce qui veut remonter, de repousser ses pensées, ces souvenirs qui veulent se frayer un chemin dans son esprit perdu. Finalement, il s'en va, titubant sur les graviers, mais il lui faut aller chercher la solitude. Il ne peut plus entendre, il ne peut plus être sollicité ainsi. Il ne veut plus se rappeler, il veut juste le silence.
Quelques jours plus tard, Ren ne donne pas signe de vie. Il ne semble pas être là, ni dans les parages. Le jardin reste silencieux en dehors des chants des oiseaux et du bruissement du vent dans les feuillages qui les surplombent. Jisung ne saurait dire s'il est inquiet ou non. Il lui semble que c'est surtout qu'il a presque pris l'habitude de voir le jeune homme auprès de lui et que son absence se fait criante. Sans vraiment y faire attention, le regard de l'oméga se tourne régulièrement en direction de la porte menant à la cour, dans l'attente de voir celui qui lui est le plus proche ici.
Ce n'est que le lendemain que celui-ci réapparaît, une bande autour de la tête pour panser son arcade sourcilière. Cela ne semble pas perturber Ren outre mesure, et il sourit, fier de lui en s'installant auprès du noiraud solitaire.
— J'ai voulu voler une poire à la cuisine. Il semblerait que ça ne se fasse pas.
Le rire du jeune homme résonne dans la cour tandis qu'il se moque de ce qu'il dit lui même puis il hausse les épaules.
— Je me suis fait prendre la main dans le sac. Oups. Mais j'avais tellement envie de suuuucre... Je n'ai même pas eu le temps d'en croquer un bout qu'ils me sont tombés dessus... Tss.
Sans y penser, les doigts de Jisung se tendent en direction du pansement que le jeunne homme porte autour de la tête, un simple geste, sans même savoir pour quelle raison. Juste le toucher ? Ou le réconforter ? S'assurer que Ren n'est pas une illusion peut-être... Mais rapidement il suspend son geste et ramène sa main à lui, comme s'il s'était rendu compte avoir fait une bêtise.
— Pardon...
L'oméga japonais sourit en coin et hausse une épaule.
— C'est rien, t'en fais pas.
Ils ne se parlent pas tous les jours. Parfois, il suffit que Ren s'installe proche de Jisung et le silence n'est pas gênant. Sa présence se suffit à elle même. Et le noiraud, sans comprendre pourquoi, attend que la respiration du jeune homme se calme pour partir. Et un jour, il s'est endormi sur le banc, la tête penchée de côté et l'oméga est resté auprès de lui jusqu'à son réveil au crépuscule, lorsque le surveillant est venu les chercher pour le souper.
Cette nuit-là, ce sentiment que le noiraud ressent parfois se manifeste de nouveau. Une chaleur douce qui vibre juste à son cœur. Un poids. Les paupières closes de Jisung s'ouvrent d'un coup, et sa main se porte à son torse qu'il frotte délicatement. Minho... Leur lien n'est pas mort. La cicatrice qu'il porte à son poignet chauffe doucement, et il l'observe dans l'obscurité de la chambre, grâce aux lanternes laissées allumées au dehors.
C'est si faible... Si léger qu'il peine à le sentir. Mais ce soir, il veut s'en convaincre. Ce n'est pas une illusion. Ce n'est pas son esprit qui les trahit et qui lui fait croire que son alpha est vivant. Ce n'est pas qu'une impression. C'est réel. C'est vivant.
— Tu es là Minho... Min, dis moi que tu es là... Je t'en prie...
Comme pour se réconforter dans sa solitude et dans son manque, Noiraud se recroqueville contre ses couvertures et tente de chérir ce qu'il ressent, quand bien même ce n'est qu'une impression.
Ren est là presque tous les jours. Presque. Parfois il apparaît dans les moments où Jisung s'y attend le moins, comme s'il savait que c'était à ce moment précis qu'il avait besoin de sa présence. Il n'est jamais envahissant. Ce n'est jamais trop.
Cet après-midi, il arrobe auprès de lui porteur d'un carnet comme celui que le médecin lui a donné à lui aussi. Il paraît être hésitant mais fini par le tourner en direction du noiraud avec un sourire timide. A l'intérieur, contrairement à lui même qui n'y met que des lignes sans formes et des tentatives d'écriture vaines, il y voit de beaux dessins. Des paysages, des figures. Des oiseaux aux ailes déployées, des arbres en floraison, et même un cheval en pleine course. Il y a quelque chose de vivant dans chaque trait, comme si Ren avait mis son âme dans ces dessins pour les offrir sans rien attendre en retour.
— Je ne suis pas très bon, mais... j'essaye. Au moins ça occupe un peu.
Le ton était doux, timide, mais les yeux du jeune homme brillent d'une sincérité déconcertante. Jisung, sans vraiment réfléchir, lui rend son sourire, même s'il est en demie teinte.
— Ils sont beaux.
Ren rit doucement. Un rire léger. Un rire qui, à cet instant, semble chasser un peu de l'oppression qui pèse sur le cœur du noiraud.
Il lui faut se faire une raison... Au fil des jours, Ren devient comme une étoile faible dans le ciel sombre de l'oméga. Quelque chose de constant, mais jamais aveuglant. Quelque chose de doux, d'apaisant. Il est là, et ne lui impose rien. Il y a dans ses gestes une forme de respect silencieux, une compréhension des limites. Il parle beaucoup trop mais ne pose jamais de questions qui risqueraient de rouvrir des plaies. Il sait, sans savoir tout. Il sait que la douleur de Jisung est un territoire qu'il ne peut pas franchir. Un territoire interdit à quiconque essayerait de s'y rendre. Mais il est là, toujours là, comme une petite flamme dans la pénombre.
Un jour, après un long moment où ils sont restés tous les deux sans rien dire, Ren tourne la tête vers lui.
— Tu sais... Parfois, j'espère que quelqu'un se souviendra de moi. Pas pour ce que j'ai fait, mais juste... parce que je suis là, tu vois ? Pour avoir existé, d'une certaine manière.
Jisung l'observe alors derrière ses mèches qui lui tombent devant le visage, touché par la simplicité de ses mots.
— Tu es là, et rien que pour ça moi au moins je me souviendrai de toi toujours...
Le jeune homme sourit, un sourire qui, à ce moment-là, semble presque apaisé et apaisant. Comme s'il avait oublié quelque chose, le japonais fouille ses poches à la recherche de quelque chose. Il en sort un petit sachet de toile qu'il dépose près de l'oméga.
— C'est pour toi. Si tu en as besoin. Pour te rendre un peu plus fort.
Il ne donne aucune autre explication. Aucun mot de plus. Jisung ouvre le sachet. À l'intérieur, des herbes séchées, une infusion qui, lorsqu'elle sera préparée, aidera à calmer les nerfs, à apaiser les pensées. Un geste humble, mais ô combien lourd de sens. Pas un remède pour son cœur brisé mais peut-être un apaisement temporaire pour son esprit tourmenté.
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Au moins il recause un peu XD
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