Chapitre 8 - t2
- Il a refusé.
La voix du fonctionnaire claque dans l'air comme une sentence. Le ton est compatissant et mielleux, ce qui choque le jeune homme d'autant plus. Comment peut-on évoquer le meurtre froid et gratuit d'un homme comme on parle d'une petite constatation sans gravité ?
Pas un cri. Juste... une lame froide. Tranchante. Inévitable.
Un souffle.
Voilà tout ce qu'il lui faut pour effacer Minho. Son ami depuis toujours. Son amour. Son âme-sœur. Juste quelques mots anodins. Et par là, il détruit tout ce qu'il reste de vie en lui.
Il n'y a de cris. Pas de pleurs. Pas de tremblement. Le monde n'implose pas sous sa souffrance. Il ne se brise même pas. Non... Il s'éteint. D'un seul coup. Comme la petite flamme d'une chandelle que l'on souffle délicatement.
Le silence dans la pièce devient assourdissant, suspendu.
Le cœur de Jisung rate un battement... puis un autre... avant de se mettre à battre comme s'il n'avait plus aucune logique, cognant dans sa poitrine avec l'urgence d'un animal paniqué, mais son visage, lui, reste figé.
Vide.
Glacé.
Son regard s'est détaché du présent. Il ne regarde plus l'homme en face. Il ne voit plus les murs, ni les soldats. Il ne voit plus rien si ce n'est le néant qui s'étale devant lui, sombre et avide.
Minho.
Minho est mort.
Mort.
Un mot si court. Si brut. Si rapide à dire... aussi rapide que le vol de cette vie si chère qu'on lui a pris.
Le monde poursuit sa route, sans se préoccuper de ce qu'il se passe. Mais à l'intérieur, dans l'esprit de l'oméga, c'est comme si tout son univers vivait l'Apocalypse, l'anéantissement, puis tout s'est contracté dans un point unique : un trou noir, dense, avalant tout. Sa peau. Sa mémoire. Sa voix.
Le froid s'est insinué en lui lentement. Un froid sale, pas celui de l'hiver ou de la pierre, non. Un froid qui ronge les os de l'intérieur. Un froid qui s'infiltre dans la chair comme une tumeur, s'y love, s'y niche, et dévore. Dévore jusqu'à n'en rien laisser.
Il cligne des yeux une fois. Puis plus rien. Il ne réagit même pas lorsque les gardes s'approchent pour le relever. Ses jambes ne suivent plus, alors ils le soulèvent à moitié, sans ménagement mais sans brutalité. Il glisse, marionnette brisée entre leurs mains.
Le fonctionnaire l'observe et secoue la tête avant de donner ses instructions.
- Préparez-le. Il partira à la première heure. La maison d'éducation de Kyoto.
Kyoto. Le mot n'a aucune résonance en lui. Il aurait pu dire Pékin. Moscou. Lune. Cela revient au même pour le noiraud. Où qu'il aille, il n'y aura pas Minho. Il n'y aura plus jamais Minho. Le monde, maintenant, est sans visage. Un seul mot tourne en boucle dans sa tête.
Mort.
Mort.
Mort.
Mort.
Il ne dort pas cette nuit-là. Il ne comprend même pas que la nuit est tombée. Il reste simplement là, allongé sur le sol de pierre, recroquevillé, les yeux ouverts, sans vraiment fixer quoi que ce soit. Parfois, la nausée le saisit mais il ne vomit pas. Son corps a compris. Il n'est même plus nécessaire de digérer. A quoi bon ?
Quand les gardes reviennent au matin, il ne leur oppose aucune résistance. Il se laisse manipuler comme on le fait d'une poupée de chiffon. Il est là sans être là. Ils lui lavent le visage, comme à un enfant. Sans délicatesse mais sans brutalité. Ils restent respectueux et presque gentils. Après une brève concertation, ils lui passent des vêtements propres et les lui ferment doucement.
Il n'a même pas la force d'avoir honte. Il ne regarde pas. Il n'entend plus rien.
On le fait monter dans un chariot recouvert d'une bâche de tissu brut. Il n'a pas à s'asseoir : il s'affaisse de lui-même contre une paroi. Et là, il reste. Sans bouger, se laissant bercer par les cahots de la route.
Les routes de campagne défilent lentement, dans un bruit sourd de roues sur la terre battue qui avancent au pas lent des chevaux. Le ciel est blanc ce jour, indécis, et le vent cingle la toile du chariot, faisant claquer la bâche comme une voile triste. L'orage se dessine à l'horizon, mais peu importe. Jisung ne verrait que par petites fentes, entre les plis si seulement il s'y intéressait.
Parfois, un village traversé fait monter des rumeurs lointaines : des voix, le pas rapide des enfants, les sabots des chevaux. Il y a là de la vie. Du mouvement. Et lui, il est figé. Il dérive à côté de tout ça. Loin. Très loin.
Il ne parle pas. Il ne mange que quand on l'y force au point que parfois l'un des militaires se porte volontaire pour lui donner la béquée.
Jamais il ne pose de question. Plus rien ne compte maintenant qu'il a perdu ce qui faisait sa vie. Quand les gardes le regardent, ils détournent vite les yeux. Il n'est ni violent, ni menaçant. Juste... spectral. Comme s'il allait s'évaporer à tout moment. Et certains militaires se prennent à être peinés pour lui.
Ils prennent le bateau. La mer est grise, hachée par le vent, froide. Loin de la magnifique teinte bleutée qu'elle avait lorsqu'ils sont arrivés à Nagasaki. Quand ils sont arrivés tous les deux. A croire qu'elle a compris ce qui fait que l'oméga se trouve ici, seul et qu'elle se calque à ses humeurs effacées.
Une fois à bord, Jisung reste prostré sur le pont, inerte. La houle le fait tanguer mais il ne proteste pas. Il ne se couvre pas, même quand il tremble de froid, les lèvres bleues. C'est l'un des gardes qui le conduit à Kyoto qui, pris de pitié, vient l'enrouler d'une couverture.
Les autres passagers ne le regardent pas, ou rapidement, en coin. Il a l'allure d'un enfant battu ou d'un fou tranquille. Il ne parle pas. Ne demande rien. Il fait peur. Il fait peur parce qu'il ne pleure pas et que le vide a envahi ses yeux. Il n'y a plus de lueur.
A la descente du navire, la ville semble trop ordonnée, trop soignée. Les ruelles sont silencieuses, presque respectueuses, comme si elles s'excusaient d'exister. La maison d'éducation se trouve à l'écart. Hautes murailles. Portes épaisses. Une façade immobile, comme un masque. On le descend du chariot. Il ne sent même pas ses jambes plier. Elles portent encore son poids, mécaniquement, mais il marche à côté de ses propres pas.
À l'intérieur, tout sent la cire, le bois humide et le savon. Quelques encensoirs distillent leur filet de fumée parfumée. Il n'y a pas de cris. Quelques éclats de rire derrière des portes. Un murmure permanent, comme une rivière souterraine. D'autres omégas vivent ici. Il le comprend à l'odeur, à peine perceptible, diffuse, douce. Mais il ne veut pas les voir. Il ne veut voir personne.
On le conduit à une chambre. Petite, propre. Un futon tiré, des vêtements pliés. Un miroir. Il reste debout longtemps, une fois la porte refermée. On lui a expliqué brièvement des choses qu'il n'a pas pris la peine d'écouter. C'est lorsque ses jambes peinent à le soutenir qu'il s'assoit. Lentement. Il n'a même pas l'énergie de s'écrouler. Le noiraud se laisse doucement glisser le long du mur blanc, jusqu'à atteindre le parquet et il remonte ses genoux contre lui. Las, il pose le front sur ses bras, et... Il reste là. Dans le silence, pesant mais familier. Comme un cocon vide.
Minho...
Minho n'est plus qu'une absence. Une brûlure que rien ne soulage. Et Jisung est là, seul avec ce vide. Respirer. Respirer encore. Il ne sait même pas pourquoi mais il le fait... Parce que personne n'est encore venu lui dire d'arrêter.
Le lendemain matin, il n'ouvre pas les yeux immédiatement. Pas vraiment. À peine un frémissement des paupières, comme un réflexe, sans intention. Le soleil filtre par une fente dans le panneau de bois et trace une ligne pâle sur le tatami qui recouvre le sol. Il n'en fait pas cas. Noiraud reste recroquevillé au sol, le dos contre le mur, exactement là où il s'est posé la veille. Il n'a pas bougé. Il n'a pas dormi non plus, ou alors par bribes, des absences plus que du sommeil.
Une femme frappe doucement au panneau de bois et entre doucement, comme si elle ne voulait pas l'effrayer. Il en devine la silhouette à travers ses mèches sombres qui tombent devant ses yeux et qu'il ne prend pas la peine de rejeter.
Elle ne parle pas, mais lui apporte un plateau sur lequel sont déposés un bol de riz tiède, un thé et quelques légumes. Voyant qu'il ne bouge pas, la jeune femme dépose le plateau à côté de lui, lui prépare même les baguettes si cela peut l'aider à se nourrir au moins un peu.
S'agenouillant en silence, la jolie japonaise lui tend un linge humide, mais Jisung est toujours sans réaction aucune.
Elle attend. Une minute. Peut-être deux. Puis, d'un geste patient, elle pose le linge sur le futon et se retire. La porte coulisse doucement derrière elle, sans bruit sec. Pas comme là-bas.
Et lui ne bouge pas
Et le schéma se répète chaque jour suivant le premier.
Chaque matin, on lui emmène un plateau qu'il ne touche pas. Du linge propre. Quelques mots sont parfois murmurés, des mots neutres, qu'il ne comprend toujours pas. Et plus personne n'est là pour les lui traduire. On ne lui pose pas de questions. On ne lui demande pas d'obéir. Pas encore. Rien. Mais on s'occupe de lui. On prend soin de lui.
Il n'écoute pas. Ou plutôt, il entend tout sans que rien ne l'atteigne. Il ne pleure pas. Même seul, même la nuit. C'est bien au-delà des larmes. Il n'en a même plus les ressources.
Il respire au moins... lentement, mécaniquement. Il n'a même pas vraiment envie de mourir. Il n'a plus envie de rien. Pas même de la fin. Ce serait encore un mouvement. Un choix. Et il n'en a plus aucun. Il n'a pas la force du moindre geste, de la moindre volonté.
Parfois, il fixe le mur. Ou bien ses mains.
Ses poignets portent encore les marques anciennes des fers qu'il a longtemps porté il y a quelques années. Il les détaille comme s'il ne les connaissait pas encore par cœur, mais elle ne lui font plus rien. Son cœur ne se serre pas, l'idée de ce qu'elles signifient paraît à des lieues de lui. Il les regarde sans émotion aucune. Comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre.
Il ne veut pas penser à Minho.
Parfois, dans la nuit, des souvenirs se glissent à travers les failles de son esprit. Des choses infimes.
Le froissement d'un tissu, une main chaude dans la sienne, la voix du beau châtain qui dit son nom à mi-voix, presque comme une promesse. Il ne se débat pas contre ces souvenirs. Il les laisse passer. Ils le transpercent et repartent, comme des ombres et au matin, tout redevient plat. Lisse. Gris.
Comme chaque jour, le plateau attend. Il ne le touche presque jamais. Il mâche un peu de riz, parfois, parce que son estomac se contracte douloureusement, pas par envie. Distraitement, du bout des doigts il attrape quelques grains qu'il porte à sa bouche. Le thé refroidit sans qu'il y pense.
Personne ne le presse.
Personne ne le frappe ici.
C'est presque pire.
C'est comme s'il n'existait pas.
Un fantôme errant là. Est-ce faux, seulement ?
Un jour, une voix différente s'adresse à lui. Un homme cette fois. Plus âgé. Il s'accroupit face à lui et parle lentement, clairement. Il lui parle coréen, avec un accent marqué, mais l'effort est là.
- Tu peux marcher un peu. La cour est ouverte, si tu veux. Personne ne t'obligera, mais ça te ferait du bien.
La main de l'homme se tend en une invitation silencieuse, mais devant le manque de réaction de l'oméga, il finit par s'en aller en secouant doucement la tête.
Jisung ne bouge pas. Toujours pas. Prostré contre le mur comme une bête blessée et prise au piège, mais ces mots, cette liberté donnée sans contrainte, laissent une trace étrange dans son esprit comme une fissure dans la torpeur. Il ne sort cependant pas ce jour-là. Il ne bouge pas.
Mais le suivant... il se lève. Juste un peu. Ses jambes sont engourdies, ses muscles tremblent de ne pas avoir été sollicités pendant plusieurs jours. Il fait quelques pas. Oh, pas dehors, juste dans la chambre. Un simple aller-retour et c'est tout. Malgré cela, c'est épuisé qu'il retombe sur le futon, comme s'il venait d'escalader une montagne.
Ce n'est que le lendemain qu'il se décide à enfin sortir. Le soleil paraît si vif qu'il l'aveugle et le force à porter une main à ses yeux afin de s'en protéger. La cour est silencieuse. Quelques arbres maigres mais à la belle ramure chargée de feuilles dispensent une ombre bienvenue. Du gravier blanc. Une mare, au centre, dans laquelle nagent de belles Koï et où flottent des feuilles mortes.
Et personne ne le regarde. Il y a bien quelques omégas, à distance, quelques femmes. Certains sont seuls. D'autres par deux. Mais personne ne vient à lui.
Et il s'assoit sur un banc. Simplement.
Le bois est tiède. Chaleureux. La lumière sur son visage lui paraît étrange. Comme si son corps ne savait plus ce qu'était la chaleur naturelle. Il ferme les yeux et pour la première fois depuis des jours, il sent autre chose que le vide. Pas une émotion. Un battement. Très léger. Comme un soupir enfoui. Quelque chose... qui palpite encore. Noiraud porte une main à son cœur, serre le vêtement qu'il porte et il soupire.
Il ouvre les yeux et une feuille tombe juste devant lui, tourbillonnant lentement. Il la suit des yeux et sans s'en rendre compte, il la regarde toucher le sol.
Il revient dans la cour le lendemain sans y penser vraiment. Ses pas l'y portent comme on glisse dans un rêve, sans but, sans attente. Sa marche paraît moins raide, plus fluide. L'air est plus doux que la veille. Il s'assoit de nouveau, au même endroit. Le banc en bois, tiède. Les yeux mi-clos.
Il n'y a toujours pas de joie, toujours pas de tristesse. Juste sa présence sans rien d'autre. Il respire et c'est tout. Au moins ce n'est pas rien.
Il reste parfois là pendant des heures. On ne le dérange pas. Il n'y a pas de rythme, pas d'ordre, pas de voix brusque. Personne ne le force à parler. On le laisse faire. On le laisse gérer sa peine comme il la vit, comme il la ressent. On le laisse abandonner la vie à petit feu. Se désintégrer à son rythme.
Parfois, les bruits prennent plus d'importance que les images. Un rire étouffé au loin. Le craquement des graviers sous des sandales. Un battement d'aile. Le chant des oiseaux qui s'en donnent à cœur joie en ce début Août. C'est à tout cela que s'accroche son esprit, pas aux visages ni aux mots, mais à ce qui ne se dit pas : le frottement, le silence habité, le souffle derrière un shōji entrouvert. Certains soirs, il reste immobile dans sa chambre, les mains posées à plat sur ses genoux et écoute les sons du couloir. A force, il commence à reconnaître certains pas.
Un jeune garçon qui claque toujours un peu trop fort la porte.
Une femme qui traîne légèrement la jambe.
Un homme au pas souple, presque glissant, celui-là même qui est venu lui mentionner la cour.
Parfois, dans ce monde ténu, quelque chose s'accroche en lui.
Un écho.
Un rythme qui répond à l'intérieur de son esprit.
Quelque chose d'insupportablement vivant.
Et là, la douleur revient. Pas le désespoir, pas encore les larmes qu'il n'a toujours pas versées. Mais cette brûlure sourde, profonde, qui serre sa poitrine comme une main invisible. Une douleur qui n'a pas de nom, parce qu'elle est née de l'absence.
Minho.
Ce n'est plus un nom. C'est un souffle retenu. Un vide trop plein. Une mémoire qui ne veut pas disparaître. Il aurait voulu que ce prénom ne lui fasse plus rien. Qu'il soit mort en lui comme le reste. Mais il ne l'est pas. Pas encore. Et ce refus du cœur, cette fidélité absurde de son propre corps, l'écorche à chaque battement.
Les jours passent, se ressemblent, mais il commence à remarquer les autres omégas, et les autres pensionnaires, toujours sans vraiment les regarder mais il perçoit leur énergie, devine la présence par les ombres qui se déplacent dans son champ de vision. Certains parlent peu. D'autres rient doucement. Il ne sait pas s'ils sont là depuis longtemps. Il ne sat pas s'ils sont résignés ou s'ils espèrent encore. A moins que pour eux, ce lieux soit l'idéal auquel ils aspirent ?
Il ne leur parle pas.
Ils ne lui parlent pas non plus.
Mais il y a des regards. Des gestes calmes. Une forme de respect silencieux. On ne l'envahit pas malgré la curiosité croissante qu'il ressent à son égard et les regards dans lesquels il tombe de plus en plus souvent.
Une fille, un soir, laisse un bol de soupe près de lui quand il a oublié de rentrer dîner.
Elle ne dit rien. Il ne remercie pas.
Mais il lui laisse le bol vide sur le seuil de sa chambre le lendemain matin.
Ce n'est pas grand-chose, mais c'est toujours une forme de langage.
Son corps reprend doucement forme.
Il ne mange pas beaucoup certes, mais au moins il grignote un peu. Il dort parfois. Mal. Des nuits courtes, traversées d'éclairs et de souvenirs dont il ne veut pas se rappeler.
Son visage a maigri. Ses yeux, un peu creusés et cernés, portent encore cette fixité étrange, cette absence de lueur de vie.
Un jour, il s'aperçoit que sa main a arrêté de trembler. Ce détail infime l'ébranle plus que tout.
Jisung n'a toujours pas pleuré pour Minho, mais cette main, là, ferme de nouveau, fait monter une nausée inattendue. Il s'assoit, la tête entre les genoux et reste ainsi longtemps.
Il ne vomit pas.
Il ne crie pas.
Mais il reste là jusqu'à la nuit.
Une nuit, en murmurant sans le vouloir, il laissa échapper le prénom de son alpha. De celui qui lui manque cruellement. De celui qu'il ne verra plus jamais.
Minho.
Juste ça.
De manière à peine audible, comme une prière qui ne s'adresserait plus à personne. Aussitôt, il s'interrompt, mais c'est un point de bascule.
Minho n'est plus seulement un souvenir. Il est redevenu un nom dans sa bouche. Un nom qu'il n'a plus le droit de prononcer, mais qu'il a laissé fuir malgré lui. Et ce nom, là, dans la pénombre, pèse plus lourd que tout ce qu'il a vécu jusqu'ici.
Le ciel est pâle ce matin, presque blanc. Il ne pleut pas, mais l'humidité s'accroche à tout.
Jisung s'est levé tôt, sans savoir pourquoi. Il n'a pas rêvé. Il n'a pas faim. Il n'a pas mal. Il s'est juste levé, comme on obéit à un murmure qu'on ne comprend pas. Il sort dans la cour, seul, encore un peu engourdi, le gravier est froid sous ses pieds nus, mais cela ne le dérange pas. Au moins ressent-il quelque chose.
Un oiseau sautille devant lui, léger, libre. Il s'arrête. Son regard suit l'animal, sans pensée.
Mais quelque chose se fissure doucement en lui, parce qu'un souvenir remonte, sans prévenir.
Une scène anodine, Minho, allongé dans l'herbe, les mains croisées derrière la tête, les yeux mi-clos, et ce sourire tranquille qu'il n'avait jamais revu ailleurs, pendant que lui est installé la tête sur le ventre de son alpha et l'observe avec un sourire dans l'attente de ce qu'il va dire.
- "Tu sais que les moineaux, même s'ils tombent du nid, ils réessayent ?"
- "Ils réessayent quoi ?"
- "De voler. Même s'ils se cassent une aile."
Jisung avait ri, ce jour-là. Pas fort. Pas comme Hyunjin. Mais un vrai rire. Minho lui avait simplement souri, et lui avait effleuré la main.
Le souvenir fut un coup de poing.
Sec, violent.
Comme le coup de feu qui lui a enlevé celui qu'il aimait si fort.
Sa gorge se serre si brutalement qu'il croit suffoquer. Il recule de quelques pas, chancelle, et doit s'asseoir pour éviter que ses jambes ne flanchent brusquement. Il ne pleur pas... Toujours pas.
Mais son cœur bat trop fort. Trop vite. Comme s'il avait couru, comme s'il venait d'échapper à quelque chose.
Le lendemain, une voix douce frappe à la porte de sa chambre.
- Je peux entrer ?
Jisung ne répond pas mais la porte s'entrouvre lentement sur un homme, la trentaine peut-être, au visage calme. Ce dernier entre avec une petite boîte de bois dans les mains et s'adresse à lui avec un coréen mal maîtrisé mais suffisamment pour être compris.
- Je suis le nouveau médecin. Je m'appelle Daisuke. Je viens juste vérifier que tout va bien.
Il n'attend pas vraiment de réponse. Il s'assoit, pose la boîte qu'il ouvre avec des gestes lents. Il y a des fioles, des herbes séchées, un petit flacon d'huile.
- Je ne toucherai pas si tu ne veux pas. Je suis juste là si tu as besoin.
Jisung ne le regarde pas mais il ne le chasse pas non plus. Et c'est déjà une forme de consentement.
Daisuke reste un moment, en silence, puis, doucement, il essaye d'entamer la conversation.
- Tu n'as pas parlé depuis combien de jours ?
Le silence.
Il n'y a que le silence qui lui répond, mais il n'en prend pas ombrage. Puis, à sa grande surprise, Noiraud bouge légèrement la tête en un mouvement presque imperceptible. Un haussement d'épaules, peut-être mais cela reste une forme de réponse.
Le médecin note quelque chose dans un petit carnet. Il n'a rien d'un geôlier, rien d'un espion, rien de ce qu'il avait connu à Nagasaki, ou même en Corée. Il semble gentil et prévenant, doux et patient.
- Je reviendrai. Je n'attendrai rien. Mais je reviendrai. Prend ton temps Jisung.
Et il s'en va. Sans rien demander de plus, toujours sans le forcer et sans chercher à le faire réagir outre mesure.
Quelques jours plus tard, Daisuke revint.
Et cette fois, il pose quelque chose près de Jisung avant de repartir : un carnet vide à la reliure de cuir. Il n'a pas oublié de laisser un pinceau et un petit pot d'encre pour l'accompagner.
- On dit parfois plus de choses en silence qu'en parlant. N'hésite pas à confier tout ce que tu veux à ce carnet, ça pourrait vraiment te faire du bien.
Jisung le laisse là pendant plusieurs jours, et puis, un soir, il l'ouvre. Oh, pas pour écrire, mais pour respirer l'odeur du papier. Pour le toucher. Ce contact l'ébranle plus qu'il ne l'aurait cru.
La première chose qu'il y trace n'est pas un mot. C'est une courbe. Juste une ligne, fine, qui ondule doucement sur le papier. Il ne sait pas vraiment ce qu'il fait, mais il trace une autre courbe. Puis une autre. Un motif inutile, sans sens. Mais il regarde le pinceau déposer l'encre sur son passage. Pour la première fois depuis longtemps, il se surprend à se concentrer sur quelque chose d'aussi infime, ses doigts, eux, se sont remis à bouger et ce geste, cette fluidité, cette attention donnée au détail, le reconnecte un instant au monde.
Pas assez pour croire.
Pas assez pour vouloir vivre.
Mais assez pour ne pas mourir ce soir-là.
___
On la sent bien la douleur de Jisung là? On sent bien qu'il est à côté de ses pompes totalement? Parce que croyez bien qu'en écrivant tout ça je l'ai bien senti passer XD
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