Chapitre 45 - EPILOGUE
— Minho !
L'alpha se tourne vivement vers la voix qui l'interpelle. Hyunjin accourt dans leur direction, les vêtements en lambeaux, maculés de suie et de sang séché. Son souffle est court, son visage couvert de traces de suie et de terre. Yongbok le suit de près, trébuchant presque dans sa précipitation.
À peine arrivé, ce dernier se jette sur Jisung, l'inspectant fébrilement de la tête aux pieds, ses mains sales tremblant sous l'urgence.
— Ça va ? Tu n'as rien ?
Jisung cligne des yeux, comme s'il sortait d'une torpeur. Il hoche la tête.
— Non, ça va. Et toi ?
— Presque rien... Ça va.
Mais déjà, le regard de Yongbok se détourne, et il se fige. Son souffle se coupe en apercevant Minho.
Le noiraud suit son regard et, soudain, réalise. La tunique de son alpha est poisseuse de sang, déchirée au niveau de l'épaule. Un instant, son cœur se serre. Comment ne s'en est-il pas rendu compte plus tôt ? Son propre esprit embué par la rage et le chaos, obnubilé par sa soif de vengeance ? Une main tremblante se tend vers Minho, alors que son visage pâlit.
— Minho... ton épaule...
Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit de plus, le conseiller les attrape par le bras et les entraîne d'un mouvement brusque.
— On doit partir. Maintenant.
L'urgence dans sa voix les cloue sur place. Ses pupilles sombres vacillent vers l'horizon en feu, où des silhouettes s'agitent dans les volutes de fumée.
— Les troupes chinoises arrivent pour reprendre le palais.
Un frisson leur traverse l'échine.
— Les insurgés vont payer cher leur révolte.
Lui et ses érudits de même. Combien vont réussir à fuir ? Combien seront massacrés sous prétexte de traîtrise ?
La fumée s'épaissit, l'air devient irrespirable. Il faut courir.
Lorsqu'ils atteignent enfin la cour du palais, Jisung s'arrête net, frappé par le spectacle macabre qui s'étend devant eux. Des corps jonchent le sol, des silhouettes inertes baignant dans le sang, le regard figé vers un ciel chargé de fumée. Combien sont tombés ici ? Combien de vies fauchées en un instant ?
Un détail accroche son regard. Une présence familière au milieu du chaos. Son cœur rate un battement.
D'un geste instinctif, il se défait de l'emprise de Hyunjin et avance, hésitant, comme s'il doutait de ce qu'il vient d'apercevoir.
Les trois autres stoppent leur course, interloqués. Hyunjin implore alors, jetant des regards nerveux vers la sortie toute proche.
— Jisung, on n'a plus le temps, si les soldats nous attrapent...
Minho serre les dents. La voie est dégagée, l'évasion à portée de main, et pourtant ils sont cloués sur place, suspendus à l'instant. Il déglutit, conscient du danger qui les guette, mais incapable de forcer Jisung à avancer. Alors, sans un mot, il s'éloigne à son tour et le suit. Et lorsqu'il comprend enfin ce qu'a vu le noiraud, un frisson glacé lui traverse l'échine.
L'omega, lui, reste immobile, insensible. Son regard glisse sur le corps étendu devant lui sans qu'aucune émotion ne traverse ses traits. Comme si ce visage lui était étranger. Comme si cet homme n'avait jamais été son père.
Il est là, gisant dans la poussière, les yeux grands ouverts vers le ciel en flammes, son corps souillé de sang. Celui qui l'a vendu comme une simple marchandise n'est plus. C'est à peine s'il sent le châtain lui prendre la main pour l'attirer à lui. Son regard peine à se détacher de cette famille désormais perdue.
— On doit y aller. Je ne veux pas te perdre maintenant.
Le noiraud hoche la tête avant de se laisser entraîner, le pas hésitant. Autour d'eux, le tumulte de la bataille s'apaise pour laisser place à une menace plus redoutable encore. Le petit groupe avance à l'aveugle, peinant à trouver une issue sûre, tandis que les quatre mille cinq cents soldats envoyés pour rétablir l'ordre envahissent le palais, prêts à écraser les derniers insurgés.
Des cris résonnent au loin. Le fracas des lames, les ordres aboyés en chinois, les supplications étouffées par le chaos.
Hyunjin les mène à travers les couloirs en ruines, évitant les patrouilles qui quadrillent déjà la cour. L'air est épais de cendres et de poussière, rendant chaque respiration plus douloureuse. Minho serre les dents, sa main plaquée sur son épaule blessée, mais il garde le rythme, refusant d'être un fardeau.
Soudain, au détour d'un couloir, des voix retentissent. Trop tard.
Une patrouille de soldats chinois surgit à l'angle, leurs armures ternies par la suie. L'espace d'un instant, le silence s'étire, chacun évaluant la menace devant lui. Puis, tout explose en mouvement.
Hyunjin, rapide comme l'éclair, dégaine sa lame et frappe le premier, sa lame trouvant la gorge d'un ennemi avant qu'il ne puisse réagir. Yongbok, armé d'un poignard récupéré sur un cadavre, se jette sur un second, esquivant de justesse un coup d'épée qui manque de lui fendre le crâne.
Minho, malgré la douleur lancinante dans son épaule, intercepte une attaque avec son sabre, ses muscles tremblant sous l'effort. L'impact lui arrache un grognement, mais il tient bon, pivotant sur lui-même pour dévier le coup suivant.
Jisung, lui, bouge sans réfléchir. Son corps réagit avant son esprit. D'un geste fluide, il s'élance sans hésitation et vient ficher l'épée qu'il n'a pas lâché dans le flanc de son adversaire. Le sang jaillit, chaud contre ses doigts. Il n'a pas le temps d'y penser.
Le combat est bref, brutal. Les soldats s'effondrent un à un, mais déjà, d'autres bruits de pas approchent. Yongbok souffle, essuyant son visage maculé de sang et de suie, étalant cette dernière sur son nez constellé de tâches de rousseur.
— On ne peut pas continuer comme ça, ils sont trop nombreux !
Hyunjin scrute les environs, cherchant désespérément une échappatoire. Son regard s'arrête sur une galerie surélevée, reliant deux ailes du palais. Un souvenir lui revient : elle mène à une porte de service, donnant sur les jardins arrière.
— Par là !
Sans attendre, ils s'élancent. Minho peine à suivre, sa respiration hachée par la douleur, mais il ne ralentit pas. Jisung le soutient discrètement, posant une main ferme contre son dos pour l'aider à avancer. Ils atteignent la galerie de bois, mais à l'autre extrémité, deux soldats apparaissent, alertés par les bruits de lutte. L'un bande déjà son arc.
Un sifflement fend l'air.
Jisung n'a pas le temps de réfléchir. Il se jette sur Minho et le plaque au mur derrière eux. Une flèche passe à rien d'eux, venant se ficher dans un pilier. Hyunjin, d'un geste précis et rapide, se lance en direction de l'archer. Son épée l'atteint directement en pleine poitrine. Le second soldat hésite une fraction de seconde de trop, assez pour que Yongbok bondisse sur lui et lui tranche la gorge.
Le chemin est libre.
Le cœur battant, après s'être assurés qu'ils sont tous entiers, ils franchissent la galerie et s'engouffrent dans l'ouverture menant aux jardins arrière. Devant eux, une mer d'ombre et d'herbes hautes, l'odeur du bois brûlé se mêlant à celle de la terre humide et des étangs.
Ils courent. Aussi vite que leurs jambes le leur permettent.
Le palais disparaît peu à peu derrière eux, avalé par les flammes et les cris.
Ils ne s'arrêtent pas. Ils ne peuvent pas s'arrêter.
Ils sont en vie.
***
Le vent souffle sur une capitale défigurée. Hanyang (Séoul), autrefois brillante sous la lueur des palais et des temples, est désormais une ville brisée. Les révoltes ont été écrasées, le sang a coulé, et pourtant... quelque chose a changé.
L'armée chinoise a repris le contrôle. Le roi est désormais entièrement sous leur tutelle. Mais la révolte a semé un doute profond. Le peuple a osé s'élever. Ce n'est plus un murmure, c'est un cri qui a retenti à travers le royaume. Même si les chefs de l'insurrection ont été exécutés ou forcés à la fuite, l'idée de résistance ne pourra plus être effacée.
L'implication chinoise ne peut plus être niée. Avant, la Chine opérait dans l'ombre, influençait la cour sans jamais revendiquer son emprise. Mais en envoyant quatre mille cinq cents soldats, elle a révélé son vrai visage. Elle a montré à toute la noblesse, même aux loyalistes, qu'elle n'était pas là pour protéger, mais pour posséder.
La cour est divisée. Certains conseillers qui soutenaient la révolte ont été exécutés, leurs têtes ornant l'entrée du palais, mais d'autres ont survécu. Certains, jadis fidèles à la Chine, commencent à douter. Les alliances se fragilisent. Une fissure est apparue dans le système.
La Chine ne pourra pas se retirer aussi facilement. La situation instable pousse l'Empire Qing à stationner plus de troupes sur le sol coréen. Mais en restant trop visibles, ils risquent d'attiser encore plus le ressentiment de la population. Ils ont gagné la bataille, mais ont peut-être semé les graines de leur propre chute.
La résistance ne disparaît pas. Ce soulèvement n'a pas abouti à un changement immédiat, mais il a prouvé que le peuple ne veut pas se soumettre. D'autres suivront.
***
Voilà quelques jours que la révolte a eu lieu. Yongbok et Hyunjin ont pris le chemin de la résistance. Ils ont décidé de se cacher et de vivre pour le pays, rassemblant de nouveaux compagnons pour faire montre de leurs désaccords. Ils sont désormais quelque part dans un village reculé, à l'abri des troupes qui pourraient les rechercher.
Jisung, lui, observe les côtés de son pays s'éloigner. Le vent joue dans ses mèches folles, mais il ne les retient pas. Il laisse la brise emporter avec elle ses doutes et ses peurs. L'avenir lui semble incertain, mais il sait que rester en arrière ne ferait qu'aggraver les choses.
À ses côtés, Minho, dont l'épaule a été soigneusement pansée, se tient droit malgré la douleur résiduelle. Il jette un regard vers Jisung, son expression mêlant sérénité et préoccupation. Le silence est doux, pas pesant. C'est reposant. L'alpha le brise tout de même.
— Tu penses à Hyunjin et Yongbok ?
L'oméga hoche la tête, les yeux fixés sur l'horizon. La mer scintille au loin, mais son esprit est ancré à terre.
— Oui. Je me demande ce qu'ils font... s'ils sont en sécurité.
Le châtain se tourne vers lui, ses yeux empreints de compréhension. Il sait combien Yongbok compte pour son compagnon.
— Ils sont forts. Ils s'en sortiront.
Jisung esquisse un faible sourire, mais la crainte de l'inconnu le ronge. Le bateau tangue légèrement, le bruit des vagues rythmant ses pensées.
— Et nous, que ferons-nous en arrivant au Japon ?
Minho soupire, pensant à la suite. Ils doivent se reposer, se reconstruire. Il sourit, confiant en le futur.
— D'abord, nous devons trouver un endroit où nous sentir en sécurité. Ensuite... nous réfléchirons à notre prochaine étape.
— Et revenir ?
Jisung tourne la tête, un éclat d'espoir dans ses yeux.
— Oui... Nous reviendrons. Ensemble, nous aiderons à libérer notre pays.
Minho répond avec conviction. Il sait que revenir sera compliqué, que leurs têtes seront sûrement mises à prix au même titre que celles de tous ceux qui se sont échappés. Leurs regards se croisent, un pacte silencieux s'établit entre eux. Ils sont plus que jamais unis dans cette lutte.
Et un sourire taquin prend place sur le visage de Jisung. L'alpha sent son cœur se réchauffer à le voir. Le futur ne va qu'aller mieux. Son amant va aller mieux, il va guérir ses plaies et ses cicatrices. Il va retrouver le sourire et son espièglerie, il va rire de nouveau. Il s'en fait la promesse.
— J'ai entendu qu'au Japon, on porte les cheveux courts...
Le châtain hoche la tête, mais hausse un sourcil curieux.
— N'y compte même pas, je les garde.
Mais l'oméga a déjà filé, laissant son compagnon dubitatif.
— Jisung?
Il ne revient pas. Minho sourit en secouant la tête et se perd dans la contemplation de la mer qui les sépare de leur nouveau pays. Leur nouveau chez eux, où ils vont sans doute retrouver nombre de coréens exilés également. Des bruits de pas le font se retourner de nouveau et ses yeux s'ouvrent ronds comme des soucoupes. Son menton tomberait s'il ne se retenait pas.
— Tes cheveux...
La sombre chevelure de l'oméga s'est drastiquement raccourcie. Les longs cheveux noirs ont été taillés au niveau du ruban tenant la queue de cheval. Des mèches longues tombent dans sa nuque, tandis que de plus courtes viennent tomber le long de son front.
— Une envie de changement soudaine!
La main de l'alpha se porte à la tignasse toujours aussi désordonnée, et il rit de bon cœur pendant que Jisung lui offre une petite jarre de vin.
— A notre nouvelle vie. A nos nouveaux nous.
La promesse résonne entre eux, plus forte que jamais, alors que le vent les pousse vers un nouveau départ.
FIN.
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