Chapitre 27 - t2


Il n'a aucune idée du temps qu'il passe là, adossé à ce panneau. Ses larmes ont fini par sécher sur ses joues, mais ses yeux le brûlent toujours malgré le vide qui y reste bien ancré. Il n'entend plus que le martèlement sourd de son propre coeur. Un battement lourd, régulier... Insupportable à ses oreilles.

A son grand soulagement, personne ne l'a suivi. Personne n'est venu le chercher. Nul pas dans le couloir, pas de voix qui l'appelle, toute douce soit-elle. Juste cette chape de plomb qui pèse sur la maison toute entière. Ils respectent au moins ce besoin qu'il a eu de s'éloigner.

Les jambes encore tremblantes, Jisung finit par se relever. Lentement, le pas à peine assuré, il avance au travers le couloir, sans réel but, il erre comme un fantôme à la recherche d'un coin d'où il n'entendra pas les pleurs de l'enfant. Ses mains sont si serrées sur les pans de son vêtement que ses articulations en blanchissent, pourtant cela lui paraît nécessaire pour contenir cet immense vide qui menace d'exploser en lui.

En se dirigeant vers le jardin, désireux de prendre l'air malgré le froid de ce mois de Mars, il entend la voix étouffée du général. Sûrement échange-t-il avec Minho... Sûrement qu'ils parlent de lui et de ce qu'il convient de faire. A moins qu'ils n'évoquent l'enfant ? Il faut lui trouver un prénom après tout. Il s'imagine tout et rien. Il ne comprend pas l'échange, seulement le ton employé. Cette patience et cette bonté qu'il aurait voulu rejeter de toutes ses forces, mais qui lui arrache au contraire une culpabilité de plus. Il est si ingrat... Il s'en rend bien compte mais lutter contre ce fait est au dessus de ses forces.

Et puis, un cri résonne.

Léger, faible, aigu. Un appel de nourrisson.

Ses pas se figent alors qu'il a presque atteint son but.

Tout son être se tend, se crispe et son souffle se coupe.

L'oméga reste là, en tenue de nuit, vêtu d'un kimono simple et court de coton, de son pantalon de même tissu qui lui arrive à mi-mollet, les pieds nus. Ses cheveux défaits et en pagaille.

Un épouvantail maintenant incapable d'avancer, incapable de reculer, bloqué là par le simple fait d'avoir entendu la voix du bébé.

Il lutte contre tout son corps. Contre son esprit et son instinct si fort.

Après avoir serré les dents, il parvient à se secouer mais ses poings sont serrés si fort que ses ongles mordent sa peau. Il va reprendre son chemin et accélère même lorsqu'il entend les pas de Minho dans son dos.

— Jisung...

La voix de l'alpha est basse, pleine d'une fatigue et d'une lassitude immenses. Mais Noiraud ne se retourne pas, même s'il a ralenti le pas.

— Ne t'approche pas.

Le ton qu'il emploie est si froid... Si tranchant que cela blesse le châtain qui se stoppe net dans son avancée.

— Je veux juste te parler...

— Et moi je ne veux pas ni te parler, ni t'entendre.

Minho baisse la tête et pousse un soupir à fendre l'âme. Il se rend bien compte qu'il est désormais impossible pour lui de lutter contre les remparts qui se dressent entre eux désormais...

Il ne répond pas, alors Jisung poursuit sans vraiment attendre, la voix plus basse encore.

— Ramène-le où il était. Loin de moi...

L'oméga finit par disparaître, ayant enfin atteint le jardin. L'alpha ne le suit pas, il se contente de regarder dans la direction qu'il a pris. La sensation de se noyer dans ce vide absolu est si forte...

Les jours passent. Lents... Écrasants...

Et rien n'a changé.

Chaque fois que Minho tente d'approcher le noiraud, celui-ci se détourne, trouve quelque chose de plus intéressant à faire, même si cela concerne l'étude approfondi du parquet. Chaque fois que Katsuyuki tente lui aussi de parler de son enfant à l'oméga, celui se ferme comme une huître.

Parfois, le petit pleure, à la recherche, sans le savoir, de bras qui ne viennent pas. Ces cris là, pourtant, l'oméga les entend. A travers les murs, la nuit, dans ses veilles sans fin, ils résonnent comme une torture lente à la quelle on soumettrait le noiraud trop récalcitrant. Mais il ne bouge pas. Il reste assis, dans l'obscurité, les mains crispées sur ses genoux et les yeux rivés dans le vide.

Ce n'est malheureusement pas faute d'essayer. L'alpha a tenté. Une fois, deux fois, trois, dix... Des dizaines. Avec des mots. Des silences. Sa simple présence. Des gestes tendus dans le vide, mais la réponse est toujours la même. Le regard du jeune homme se détourne, il cache ses yeux si particuliers, son dos se fige, se tend, et une muraille de glace s'installe entre eux dans un silence cruel.

Un soir, il se permet d'entrer dans la chambre dans laquelle l'oméga s'est cloitré pour éviter de les voir. Il reste sur le seuil toutefois, désireux de respecter un minimum les besoins de son compagnon, malgré qu'il ne soit pas en phase avec.

— Jisung... Juste un instant... S'il te plait, regarde-le.

Sa voix, rauque, brisée par la fatigue et la douleur font se retourner brièvement le noiraud.

— Il n'y a que toi qui...

— Sors.

— S'il te plait Ji...

— J'ai dis... ! Sors.

Jisung lui tourne bel et bien le dos et c'est à la fenêtre que ce dernier se réfugie, évitant le regard trop doux de son alpha et la vision de l'enfant dans le couffin qui vient d'être déposé dans la pièce.

— Sors. SORS !

Finalement, contraint, l'alpha cède et emmène son fils avec lui. Il recule, abattu et referme le panneau derrière lui, un poids énorme dans la poitrine, si lourd que son souffle s'en coupe presque. Plus tard, c'est dans ce couloir que le général le trouve assis, le bébé recroquevillé contre lui. Sans mot dire, il pose une main compatissante sur son épaule. Le châtain se contente de secouer la tête sans lâcher son enfant des yeux, ses doigts caressant cette petite joue si ronde et douce.

— Il ne veut pas de nous. Ni de lui. Ni de moi.

Avec un soupir le soldat lui répond, la voix paisible et basse.

— Il faut encore attendre. C'est que le moment n'est pas venu encore.

— Alors quand viendra-t-il ? J'ai l'impression d'attendre quelque chose qui ne reviendra jamais...


Les jours passent encore. Fin Mars se dévoile et avec lui les températures qui commencent à redevenir légèrement plus clémentes même si parfois au lever, la neige recouvre encore tout au dehors.

Les tentatives de Minho s'effilochent une à une. Toujours elles se brisent contre ce même mur de silence et de fuite obstinée. Il se refuse à tout. A converser, même de simple manière. A regarder son propre fils, comme si le simple fait de croiser son regard pouvait le pulvériser dans la seconde.

Ce soir là, l'air est lourd, et le tonnerre gronde. L'air est électrique. C'est un de ces soirs où tout craque. L'alpha reste assis longtemps, le dos droit, les poings crispés sur ses genoux, à fixer la porte que l'oméga vient de refermer derrière lui pour fuir de nouveau. L'étau dans sa poitrine se resserre, et il sent cette rage mêlée de chagrin difficile à contenir encore.

Lorsque Jisung réapparait, le châtain se lève, lentement. Beaucoup trop lentement pour que ce soit bon signe. Sa voix claque alors et le jeune sursaute presque en rentrant sa tête dans ses épaules pendant un court instant.

— Tu vas encore partir ? Tu vas encore nous tourner le dos pour mieux aller te cacher ?

Noiraud ne répond pas cela dit. Il ne le regarde pas non plus et se contente d'avancer, l'air décidé pour s'éloigner de son aîné.

— Jisung.

Oh, il voudrait le supplier... Mais il ne sait que gronder.

— Mais merde Jisung ! Regarde le au moins ton fils ! C'est ton fils ! Il mérite un regard !

Et comme s'il avait attendu que l'alpha craque, lui aussi le fait à son tour.

— Ferme-la ! Tu ne sais rien ! Tu crois quoi ?? Que j'ai voulu ça ?? Que j'ai demandé à être là ??

Le ton monte finalement, et ce, rapidement. Trop. Les mots frappent comme des gifles.

— Retourne dans ta tombe, Minho ! Et laisse-moi crever ! Ça ne t'a pas gêné pendant des mois !

Ce dernier sent la colère le brûler. Une rage sourde qui le consomme et il s'avance, jusqu'à ce que leurs corps se frôlent, trop près, bien trop tendus. Il ne laisse pas le temps à Jisung se prendre ses distances, et le pousse brutalement, en un geste qui déborde. Oh mais l'oméga répond de la même manière et le repousse aussi violemment, tremblant de rage, de douleur. Leurs souffles s'entrechoquent, courts, brisés. Et finalement l'alpha cède. Dans un mouvement vif, il se saisit du poignet du noiraud pour le rapprocher de lui et leurs nez presque collés l'un à l'autre, il enrage.

— Puisque tu ne veux pas comprendre, puisque t'es bon qu'à me haïr pour ce que je t'ai fais, je vais te donner une bonne raison de le faire.

Jisung a beau lutter, ses forces sont misérables face à la poigne de l'alpha qui se met à le traîner dans la demeure du général.

— Lâche-moi ! Lâche-moi t'as pas le droit ! T'as plus le droit !

— Tu veux savoir pourquoi j'ai fais ça !? Tu vas le savoir !

Les voix ont attiré l'attention de Katsuyuki qui sort du bureau dans lequel il se trouvait jusque lors.

— Eh bien, que se passe-t-il ?

Mais ils ne répondent pas, bien trop occupés à lutter l'un avec l'autre.

Le pas rapide, Minho traîne son compagnon encore faible au milieu des rues de la cité, il ne fait pas attention à sa démarche compliquée et au fait qu'il peine à suivre. Il ne fait pas non plus attention à ses mots plus vifs les uns que les autres, plus piquants et mauvais à mesure qu'il l'entraine.

— Où tu vas ?! Lâches-moi !

Le pavé humide de pluie luit sous les lanternes, l'air pue l'alcool rance, la crasse, et l'humidité des bas-fonds. Jisung n'a même pas fait attention au chemin parcouru, et fronce les sourcils en voyant qu'ils approchent d'une belle bâtisse entourée de lanternes rouges. Des rires, de la musique aux fausses notes assumées, les cris d'hommes enivrés s'échappent par les fenêtres entrouvertes.

— T'aurais que je me signale. T'aurais voulu finir ici. T'aurais préféré te faire baiser par le tout venant ? T'aurais préféré ça, hein ? Tu voulais finir là-dedans ? Qu'on te prenne comme une chose ? Que n'importe quel porc te monte, et que tu puisses rien dire ?

Minho pousse la porte du bordel vivement. Dedans l'odeur du saké vient agresser leurs narines, mêlée à des fragrances immondes de sueurs et de foutre ranci. Des regards se tournent dans leurs directions. Les catins aux maquillages éteints, les clients, pour certains à moitié nus qui rient bêtement devant le spectacle qui s'offre à eux. Mais l'alpha s'en fout. Minho ne voit rien. Rien que Jisung. Jisung dans cet endroit. Jisung réduit à ça. L'oméga d'un autre. L'oméga de personne. Un jouet juste bon à remplir sa fonction primaire : satisfaire les alphas.

Réalisant, le noiraud sent sa gorge se nouer, et ses joues s'empourprer. Il n'a jamais mis un pied dans un de ces établissements. L'humiliation le saisit et la nausée le plie presque en deux.

— Arrête Minho... Arrête !

Toutefois, ce dernier est aveuglé de colère. La frustration n'est plus, il passe à l'attaque. Sa patience a atteint ses limites, emportée par sa douleur. Attrapant sans réfléchir une fiole de saké qui attend son propriétaire sur une des tables, il se tourne vers son fardeau qu'il traîne et lui jette le contenu au visage d'un mouvement violent.

L'alcool brûle ses yeux, dégouline sur ses joues trop creuses, trempe sa chemise. Jisung halète, il suffoque presque, les mèches sombres plaquées à son front.

— Tiens ! Tu as bien besoin de ça pour supporter ta soirée ! C'est pour mieux fuir ! T'as l'habitude de fuir non ?! C'est plus facile que d'affronter les choses ! Ça t'aidera à supporter ! C'est ce que t'aurais fait, hein ? T'aurais bu, tu te serais laissé faire, encore et encore !

D'un geste rageur, il pousse son oméga au milieu des clients, dont certains paraissent intéressés, ayant bien du mal à se détourner de ce qui se joue devant eux. Les rires fusent. Les regards s'enflamment. Jisung se débat, se tend violemment, et retourne auprès du châtain qui le saisit alors pas les bras pour le plaquer contre un des murs. Le choc coupe la respiration du jeune homme qui hoquette alors.

— Arrête... ARRETE !

— C'est ça que tu aurais voulu ! C'est ça que tu demandais !?

D'un geste vif, Minho, le regard fou, le secoue et le replaque encore une fois contre le mur avant de chercher à ôter les étoffes qui le recouvrent. Ses doigts, tremblant, brutaux, s'acharnent à chercher les rubans qui les maintiennent fermés quand ceux de Jisung ne font que les entraver pour se débattre et l'en empêcher.

— C'est ça hein ? T'aurais voulu que ce soit un de ces types ?! Tu veux que je te montre ce que ça t'aurait fait ?!

L'oméga suffoque complètement. Cette bataille, chaque contact, chaque souffle, ne font que raviver en lui des souvenirs qu'il aurait préféré voir enfouis à jamais. Ses genoux faiblissent, les larmes montent, mêlées au saké, amères. Dans un craquement sinistre, son kimono se déchire dévoilant trop de sa peau de miel devenue si pâle, trop tiré par l'alpha devenu fou.

— Non... arrête... je t'en supplie... Fais... Fais pas ça..

Mais Minho n'entend plus rien. Pas vraiment. Il est ailleurs, au bord du gouffre. Avec violence, ce dernier se saisit du menton du noiraud pour coller ses lèvres aux siennes, dans un baiser qui n'a rien de tendre. C'est un geste de possession, un geste de rage, un geste perdu. Sa seconde main laissera probablement sa marque sur sa hanche. Et Jisung cherche à détourner la tête, à le repousser encore même si ses forces diminuent. Le souffle court et saccadé, aussi perdu que celui de son compagnon, le châtain, sans lâcher le menton de ce dernier, pose ses lèvres sur son front.

— C'est ce que t'aurais vécu. C'est ça que t'aurais vécu chaque jour, à chaque instant passé dans ce putain de bordel.

Baissant le regard, Minho découvre alors le noiraud mal en point, les larmes dévalant ses joues, le vêtement démis. Et soudain il se voit, ses mains sur ce corps qu'il aime, qu'il salit, qu'il brise. L'image le percute de plein fouet.

Il lâche tout. Recule d'un pas, deux, les mains qui tremblent d'horreur et ses yeux accrochées à elles.

— Putain... Mais qu'est-ce que je fais...

Les rires gras autour d'eux, les regards qui s'attardent, Jisung recroquevillé, les vêtements défaits, trempé de saké, les yeux rougis, le souffle court. Minho recule. Encore. Et encore. A son tour, il tourne les talons pour fuir cet endroit, fuir ce qu'il vient de faire.

Jisung reste seul, et finit par se redresser, les bras tremblants et ballants, dans l'odeur poisseuse, au milieu des murmures et des ricanements. Les larmes dévalent ses joues en silence tandis qu'il suit son amoureux du regard.

La nuit semble s'être abattue d'un coup. Lourde. Écrasante. Jisung marche, les yeux baissés, les mains crispées sur les pans de son kimono déchiré qu'il essaie de maintenir tant bien que mal. À ses côtés, le secrétaire du général, raide, silencieux. Il ne l'a pas questionné. Il s'est contenté de venir le chercher, sur ordre après que l'alpha ait confié au général où il l'avait abandonné.

Le bruit de leurs pas résonne sur les pavés mouillés. Chaque pas ramène l'oméga un peu plus vers la réalité. L'odeur de l'alcool s'estompe, mais l'humiliation, elle, colle à sa peau, à ses entrailles. Il sent encore les mains de Minho. Son regard. Sa voix déformée par la colère. La voix du secrétaire le tire de ses songes.

— Nous sommes arrivés.

Ils franchissent le portail du domaine. La bâtisse se dresse dans la pénombre, imposante. Des lanternes faiblement allumées dansent au gré du vent, et le noiraud hésite. Le secrétaire le regarde, un bref instant, avant de s'incliner.

— Le général m'a ordonné de veiller à ce que vous rentriez sans encombre. Je vais prévenir qu'il n'y a plus à s'inquiéter.

Sans un mot de plus, il s'éloigne, le laissant seul sur le seuil. L'oméga inspire profondément. L'air est plus frais ici. Plus pur. Il lève les yeux vers les cieux voilés. La pluie menace encore. Et il songe à son compagnon. À ce qu'il vient de se passer.

Il a mal. Il a honte. Mais il ne peut s'empêcher de se rappeler ce regard. Cette douleur, au fond des yeux de l'alpha. Cette horreur, quand il a compris. Quand il s'est vu.

Et malgré lui, une part de sa colère vacille. Minho a failli, oui. Mais il s'est arrêté. Il s'est enfui. Parce que c'était au-dessus de ses forces. Parce qu'il s'est dégoûté lui-même.

Jisung entre, referme la porte derrière lui. Le silence du domaine est presque oppressant. Il avance lentement, ses pas étouffés sur le bois. Il gagne sa chambre. Là, enfin seul, il laisse tomber les lambeaux de tissu qu'il porte.

Les yeux rouges. Les joues salies par les larmes séchées. Les marques des doigts de Minho sur ses bras, ses épaules. Il tremble. Pas de peur. Pas vraiment. D'un trop-plein de tout. D'un trop-plein de lui. Il réalise ce que son alpha a voulu lui montrer. Doucement l'idée l'étreint.

Et cette pensée, amère, douloureuse, l'aide pourtant à reprendre son souffle. À comprendre. À entrevoir ce que son aîné a voulu lui faire toucher du doigt. De la pire manière, sans doute. Mais pas sans raison. Alors, à bout de forces, il s'effondre sur le futon. Le sommeil ne vient pas. Mais ses larmes, elles, oui. Plus douces, plus résignées. Moins enragées. Et dans ce silence lourd, il se promet une chose : demain, il lui faudra parler. Comprendre. Et peut-être pardonner.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top