Chapitre 24 - t2

Jisung n'a presque pas dormi. Suffisamment toutefois pour ne pas savoir quand précisément l'alpha s'en est allé. Son corps transpire par vague, il tremble violemment sans réelle raison. Chaque frisson le heurte et une douleur sourde s'est installée pesamment sur son ventre, écho direct de l'opération qu'il a subi. Ce n'est pourtant pas la cicatrice qui le fait geindre en mordant ses draps. C'est autre chose. Cette sensation de vide, si massive qu'il n'arrive pas à la localiser vraiment. Il a mal. Il a mal partout.

Le jour se lève à peine, et pourtant il a l'impression que cela fait déjà des heures qu'il est là, à tourner et à se retourner pour tenter de trouver une posture confortable, une position qui le soulage, en vain. La lumière pénètre l'endroit et le dérange, l'éblouie presque. Et ce silence qui l'entoure... Il n'y a plus les sons des autres résidents de la maison d'éducation, il n'y a plus l'odeur des encens ni les pas des éducateurs et autres gardiens. Il n'y a plus que les bruits légers du bois qui craque parfois, et les sons étouffés provenant de la cour du palais bien plus loin. Personne n'est encore venu le trouver avec une seringue pour le faire tenir sage...

Du vide...

De la douleur...

Et il ne sait retenir un gémissement lorsque tout son corps décide de se contracter entièrement.

Au son feutré du panneau qui coulisse, l'oméga tente de lever le museau et il observe un instant le général s'approcher. Comme un animal acculé, le noiraud se redresse péniblement et recule jusqu'à un coin de la pièce, peu désireux de se laisser approcher, de se laisser manipuler encore. Pourtant l'homme ne fait nul geste vif, ni ne cherche à diminuer la distance entre eux plus que de raison. Katsuyuki l'observe un instant, avant de faire signe dans son dos. Un domestique pénètre alors la pièce à son tour afin d'apporter un plateau sur lequel reposent quelques plats et de l'eau.

— Il faut que tu prennes des forces si tu veux guérir. Je ne te forcerai pas mais sache juste que je ne te laisserai pas mourir. Pas alors que tu es sous ma responsabilité.

Il avance d'un pas après son discours, mais se contente de celui-ci en voyant Jisung se recroqueviller d'autant plus dans son coin. En grognant, il s'accroupit et après un instant, le soldat tend une main calleuse et ferme.

— Veux-tu voir les environs ? Connaître un peu cette partie du palais ? T'asseoir autre part ? Prendre un peu l'air ?

L'oméga se contente de détourner la tête sans répondre. Tout tourne autour de lui et son estomac ne semble pas des plus en forme. Patient, l'homme ne réagit pas spécialement de manière irritée. Il se relève et le salut. Pas comme on salue un animal, non, comme on salue un homme, un égal.

— Lee Minho m'a dit qu'il repasserait aujourd'hui. Attend toi à sa visite. Le médecin passera aussi afin de surveiller ta santé. Nous en avons parlé un peu et c'est le médecin du palais qui va s'occuper de toi maintenant. Il va te tirer de ce mauvais pas et sera là chaque jour afin de veiller à ce que tout se passe bien. Tu vas redevenir toi-même.

Toujours aucune réponse, mais le corps de Jisung se resserre un peu plus. Le général hoche alors doucement la tête avant de tourner talons.

— Je suis occupé les journées. Mais il y a toujours quelqu'un dans les parages. Si besoin n'hésite pas à appeler. Je reviens ce soir. Et quand tu iras mieux nous pourrons aller reloger chez moi. Ici ce n'est que temporaire.

Il n'a aucune idée du temps qui est passé. La lumière est beaucoup plus vive et le réveil est délicat. Ses membres tremblent toujours, et il a l'impression d'être passé sous une cohorte de chevaux.

— Bonjour...

La voix le surprend, et l'oméga se retourne vivement, avant de le regretter. Il prend un instant pour se stabiliser et rouvre les paupières pour découvrir Minho, revenu avec sa silhouette trop droite, ses épaules trop larges et ses yeux trop doux. Le noiraud ne répond pas et se laisse retomber sur le futon en ne sachant pas calmer les spasmes qui le prennent. Si le regard de l'alpha s'obscurcit, il ne dit rien toutefois et se place non loin, mais à distance respectable. Le silence entre eux est pesant. Si bruyant de non-dit, que c'en est presque assourdissant. Alors le châtain se décide à entamer la conversation, quitte à la faire tout seul. Il se contente de parler, de tout sauf de lui-même. Le temps qu'il fait, les paysages qui commencent à se dessiner devant le printemps qui va arriver sous peu. Des nouvelles de Corée, de Chan, de Changbin et des autres... De la voix douce du médecin du palais qui a pris l'habitude de saluer même les serviteurs. De souvenirs d'enfance aussi... Jetés comme des pierres dans l'eau... Il ne demande rien, il n'exige rien. Il reste. Il est présent.

Et même si le noiraud tente de contrôler sa colère, tout ça le rend fou. En se retournant, il jette un coussin à la figure de Minho avant de cracher quelques mots d'une voix éraillée.

— Pourquoi tu viens ?!

Le châtain se saisit de l'oreiller avant de l'observer, le nez bas. Il ne répond pas immédiatement, laisse passer un long blanc.

— Parce que je suis vivant.

Le visage de l'oméga se tord avant qu'il ne se rallonge, tourné vers l'opposé.

— Je préférais quand tu l'étais pas.

Les mots sont sortis, nets, glacials... L'alpha ne bouge pas, et se contente de fermer les yeux un instant avant de souffler deux mots.

— Je sais...

Ce sont les seuls mots que Jisung prononcera ce jour. Pourtant Minho reste là, patient et décidé, à surveiller son compagnon. Ce dernier transpire lourdement, s'agite parfois, se balance l'air de rien... Il grelotte aussi, cherchant à se couvrir de tout ce qu'il peut attraper pour lutter contre le froid, mais la chaleur le rattrape et il dégage tout d'un coup de pied. Il ne sait pas se retenir de gémir parfois lorsque les sensations se font trop désagréables. Et l'alpha est toujours là... A ne pas savoir quoi faire. Mais il est là.

L'oméga ne parle pas non plus lorsque le médecin vient leur rendre visite afin de contrôler son état. Il l'examine avec une douceur clinique, ne commente rien, ni ne juge.

— Le sevrage a commencé. Pour l'heure, votre corps réagit normalement, mais vous allez avoir besoin de soin constant pour les deux prochaines semaines au moins. Le général vous l'a expliqué ? Il va falloir s'armer de patience, mais après ce sera terminé.

Toujours avec des gestes doux, il a tiré un paravent afin de cacher son patient aux yeux de l'alpha présent pendant qu'il vérifie sa cicatrice. Finalement, après un salut poli et respectueux, l'homme s'en va, les laissant tous deux.

Toujours assis, Minho observe son oméga avec un regard tendre teinté de douleurs de savoir que faire pour le soulager. Jisung, lui, se met à pleurer, le dos tourné à son compagnon. Il pleure en silence. Sans sanglots. Sans bruits.

Le soir tombe doucement, la nuit s'installe et le général revient alors. Il observe Minho, puis son cadeau... Il ne dit rien et se contente de hocher la tête.

— Demain un banc sera installé au jardin. Tu pourras en disposer comme bon te semble.

Le noiraud ne répond rien, mais cette phrase reste à tourner dans ses pensées. S'il trouve le sommeil, il rêve alors de bras ouverts qu'il refuse d'approcher...

Et d'un beau banc à l'ombre des ramures.

* * *

Encore un matin. A-t-il seulement dormi ? Les draps sont humides. Jisung a chaud, puis froid, puis chaud de nouveau. La douleur dans son bas-ventre le tire du sommeil quand il y succombe. La douleur est partout, pas seulement dans les muscles... Dans la peau... Dans les os, jusque dans son cœur. Ses tempes pulsent si fort qu'il a le sentiment que le son résonne dans sa tête, qu'il emplit ses oreilles et qu'il ne sait rien entendre d'autre.

Le médecin arrive tôt ce jour. Si tôt qu'il est accompagné du général. La porte se coulisse mais l'oméga ne moufte pas. Il n'ouvre même pas les yeux. Oh il ne fait même pas semblant de dormir, mais la lumière lui paraît si violente que s'il essaye, la douleur qui sourde dans son crâne le fait geindre.

Si Katsuyuki reste à distance respectable, comme chaque jour depuis que le noiraud est là, le médecin, lui, s'approche et cette fois s'asseoit aux côtés de Jisung. Il tend sa main mais elle reste suspendue dans l'air. Il ne le touche pas.

— C'est le troisième jour de symptômes. C'est normal pour le moment. Tu as été drogué longtemps. Cela ne va faire que s'accroître. Et quand tu auras atteint le pire, ça commencera à redescendre doucement. Il faut que tu tiennes bon. Je reviendrai ce soir pour voir si tout va bien.

Il s'éloigne et Jisung les entend converser avec le soldat. Il n'a pas ouvert les yeux. Il n'a pas réagit. Il a envie de hurler... Oh pas de douleur... A cause de ce vide si profond dans lequel il a la sensation de tomber. A cause de lui-même. Noiraud ne touche pas au plateau qu'on lui emmène après. Pas plus qu'il n'a touché à celui de la veille. Son estomac se tord à l'idée même d'avaler quoi que ce soit.

Il réussit à se laisser glisser dans un sommeil qui ne le repose pas, et le bruit, même léger, du panneau qui s'ouvre lui fait ouvrir un œil.

Minho.

Le jeune soupire et l'alpha tente un salut un peu original.

— Tu as bonne mine. ... Pas dans le sens flatteur, juste... Tu es vivant...

L'oméga se redresse avec difficulté dans les coussins qu'on lui a installé sur le futon, en appui au mur. Prostré là, les bras croisés contre lui, les genoux relevés, il ne lève pas les yeux vers son compagnon revenu d'entre les morts.

— Youhou. Je suis vivant... Au moins, toi tu le sais...

La pique atteint sa cible, mais si le châtain se rembrunit, il décide de ne pas répondre.

— Tu n'as donc aucune autre occupation ?? Comme tenir compagnie à l'oméga que tu as marié, ou à servir ton pays adoré pour lequel tu as tout abandonné ?

Minho ne répond rien, mais il s'installe comme les autres jours, ni plus ni moins. Le silence est tendu, mais Jisung met un point d'honneur à ne pas réchauffer l'ambiance. L'alpha ne le lâche pas des yeux. Pour la première fois depuis qu'il l'a retrouvé, le noiraud affiche un regard qui paraît moins flou... Moins vide malgré les rougeurs dues au manque de sommeil. Le jeune sent ce regard posé sur lui et il se tourne finalement en sa direction. Son air est revêche malgré la pâleur de sa peau et la faiblesse qui émane de lui.

— Tu m'as laissé tout seul.

Quelques mots, incontestables, l'ainé se tend, pâlit, mais ne recule pas, ne détourne pas les yeux. Jisung poursuit. Les mots sont crachés plus qu'énoncés et il n'en démord pas.

— J'étais cloîtré, drogué, mutilé, vidé, et toi tu n'étais même pas là !

— Tu crois que je ne le sais pas ? Tu crois que je ne m'en veux pas ? Que je n'ai pas tout retourné pour te retrouver ?

Le châtain se penche sur son siège, se rapproche de Jisung qui recule d'autant.

— Je ne t'ai jamais abandonné. Même quand j'étais certain de t'avoir perdu. J'ai survécu rien que pour ça.

L'oméga tremble de plus belle. Ses bras se replient un peu plus contre lui. Et il tente de faire tenir ses mains en place, tout son corps même. Il veut que l'alpha parte. Il veut qu'il reste. Il veut qu'il meure. Il veut qu'il le serre contre lui, à l'étouffer, à faire taire ce vide, qu'il se sente enfin complet. Mais il ne dit rien. Il ferme les yeux.

— Je ne veux pas de ta pitié, Minho.

— Et moi je ne te demande pas ton pardon. Juste de me laisser revenir. Même si tu me détestes. Je resterai.

— Non. Va-t-en.

— Non.

Ce soir-là, le général fait enfin installer le banc qu'il a évoqué dans le jardin. Il vient chercher son malade lui-même, à pas lents. Pas pour lui ordonner. Juste pour lui proposer. Une main tendue dans l'obscurité dans laquelle Jisung s'égare.

— Le jardin est paisible, l'air frais pourrait soulager un peu tes tremblements. Et le médecin a approuvé.

Jisung hésite. Longtemps. Puis, à la surprise de tous, et peut-être même de la sienne propre d'ailleurs, il finit par tendre une main faible et agitée à son tour. Il titube. Le général le soutient, sans jamais le saisir vraiment et ensemble, ils gagnent l'extérieur. Minho regarde la scène depuis l'encadrement de la porte après les avoir suivi sur quelques pas. Le noiraud, lui, ne le regarde pas...

* * *

Les jours suivants, les symptômes ne cessent de s'aggraver. Il ne mange rien, mais les nausées sont violentes. Le médecin, présent, tient le seau dans lequel l'oméga se vide de tout ce poison qui le ronge. Le soleil n'est pas encore levé qu'il a déjà rendu trois fois. La patience du docteur est exemplaire. Il est là, ne dit rien, distille quelques conseils et tente d'atténuer le mal à l'aide de ses connaissances en acupuncture.

Si le soulagement est présent, ce n'est encore pas suffisant au goût du noiraud qui gémit encore et encore, qui crie de détresse parfois tant le feu le dévore de l'intérieur. Il n'a plus aucune idée de ce dont il souffre le plus. Est-ce son crâne ? Son estomac qui se retourne au moindre mouvement ? Son coeur qui bat si fort qu'il a l'impression qu'il veut lui percer la cage thoracique ? Ses tremblements prennent encore de l'ampleur, ses mains griffent les draps sans qu'il ne s'en rende compte. Il n'arrive plus à respirer correctement, chaque inspiration est courte, saccadée, arrachée à la panique. Jisung veut hurler, il veut briser, se frapper contre les murs, s'arracher cette peau qui le brûle... Mais il est si fatigué. Allongé, il se débat contre lui-même sur son futon lorsque Minho arrive. Le médecin se tourne vers le nouvel arrivant, et le salue comme il se doit.

— Je vais aller demander à ce qu'un bain lui soit préparé. Ca ne pourra que le soulager un peu.

L'alpha hoche alors la tête et laisse passer l'homme avant de rejoindre son noiraud. Il ne dit rien, se saisit de vêtements propres que l'on a disposé sur un meuble.

— Je vais t'aider.

Ce n'est qu'un murmure qui s'échappe des lèvres de l'oméga qui ne prend pas la peine de se redresser cette fois.

— Laisse-moi...

Lorsque le docteur vient signaler qu'il peut l'emmener, Minho ne réfléchit pas et impose alors sa présence à Jisung qui tente de se débattre.

— Laisse-moi, t'as pas le droit ! T'as pas le droit !

Mais il est faible tandis que l'alpha est vaillant. Rapidement, il se retrouve porté et conduit dans la pièce où trône un bain empli de plantes pouvant potentiellement aider à le soulager.

— Je veux pas... Je veux pas... Laisse-moi crever... J'ai plus rien...

Le châtain serre les mâchoires et ne répond pas. Il installe l'oméga sur un siège afin de l'aider à se dévêtir... Mais les mains de ce dernier ne cherchent pas sa ceinture, ni même à ouvrir son kimono de coton. Non... Elles cherchent à éloigner Minho.

— Laisse-moi... Laisse-moi !

L'alpha l'attrape alors par les épaules afin de le secouer. S'il faut cela pour lui faire entendre raison alors il n'hésitera pas.

— Jisung ! Arrête-ça ! Tu penses que ça me plaît plus qu'à toi ?? C'est pour toi que je fais ça ! C'est pour toi et rien que pour toi que je suis là !

— T'étais pas là quand j'avais besoin de toi ! T'as préféré me faire croire que t'étais mort ! MORT ! T'étais MORT ! VA-T-EN ! LAISSE MOI !! DÉGAGE ! DEGAGE MINHO ! T'es MORT ! T'es mort... T'es pas là, t'es mort... Je veux que ça s'arrête Minho... Je veux... Je veux que ça s'arrête...

Une main sur ses lèvres, l'alpha accuse le coup. Les paroles de son compagnon sont dévastatrices, cruelles et le crèvent littéralement de l'intérieur. Pourtant il reste là et ne partira pas. Le regard dans le sien, celui de Jisung presque entièrement caché derrière les mèches qui lui tombent devant le visage, il attend un instant que les mots soient digérés en parti et que l'oméga soit plus calme pour saisir la chance et lui ôter la ceinture avant d'ouvrir les pans de son kimono. Il lui laisse le pantalon léger de coton blanc afin de préserver sa pudeur déjà bien trop mise à mal et évite de regarder la longue cicatrice qui descend de son nombril.

— Ça va aller Jisung... Ça passera... Je te promets...

— Je veux pas de tes promesses...

La tête du noiraud balance mollement sur l'épaule de l'alpha, et ce dernier finit par le faire entrer doucement dans l'eau avant de le laver avec une délicatesse rare. Comme s'il était fait de verre, une porcelaine précieuse dont il prend soin.

Ses mains, d'abord hésitantes, glissent sur les bras amaigris, lavent la fièvre et la poussière avec une tendresse silencieuse. Chaque mouvement semble une excuse, une demande muette de pardon.
— Va-t'en...

La voix du noiraud est rauque, fuyante, mais pas haineuse. Juste lasse. Trop vide pour crier. Trop blessée pour supporter la douceur.

Minho ne répond pas. Il baisse simplement les yeux, l'ombre de la peine glisse sur son visage sans altérer la douceur de ses gestes. Ses doigts poursuivent leur lente chorégraphie sur la peau du jeune homme, contournant chaque trace d'ecchymose avec un soin désarmant. A la vue de la longue cicatrice qui orne le bras gauche de son compagnon, il serre les mâchoires et retient avec difficulté les larmes de culpabilité qui ne demandent qu'à s'écouler. Il ne frotte pas, ne force rien. Il effleure, comme on efface un souvenir sans vouloir le trahir. Le silence se fait lourd, seulement ponctué par le clapotis de l'eau, et le souffle irrégulier de Jisung.

— Pourquoi tu fais ça...?

C'est un murmure, une plainte étouffée, glissée entre deux battements de cœur. L'oméga ne lève pas les yeux. Il reste là, inerte dans les bras qui le soutiennent, partagé entre le rejet et le réconfort qu'il redoute de désirer.

L'alpha déglutit. Ses mains tremblent à peine lorsqu'il les remonte jusqu'aux épaules du plus jeune, qu'il enveloppe dans un linge humide. Il aurait voulu dire mille choses. Qu'il est désolé. Qu'il l'aime. Qu'il tuerait pour lui. Mais il ne dit rien. À la place, il murmure, la voix brisée d'émotion contenue...

— Parce que tu es encore là. Et que je ne lâcherai plus jamais, quoi qu'il arrive.

* * *

Noiraud se réveille en sursaut. Les draps sont trempés, le futon marqué par la sueur. Son cœur bat si fort qu'il croit un instant être en train de mourir. Mais ce n'était qu'un rêve. Un cauchemar. Encore.

Il ne se souvient pas des détails. Juste d'un bruit de vagues. On lui a arraché quelque chose. Quelque chose qu'il ne trouve pas. Machinalement il porte une main à son ventre maintenant presque plat.

Vide.

Et alors il comprend.

Il se lève d'un bond, avant de tomber à genoux, et vomit une bile amère sur le sol de la pièce. Il a à peine la force de se redresser, il tremble, glacé jusqu'aux os. Le médecin est alors appelé en urgence. Fièvre, crampes, épuisement extrême. Il ne reste plus rien de l'oméga solide et résistant qu'il a été. Seulement une enveloppe nerveuse, amaigrie, perdue.

Quand Minho arrive ce jour, plus tôt que d'habitude, Jisung est assis, pâle, vidé, une couverture sur les genoux. Il lève les yeux vers lui.

— Où est-il ?

L'alpha se fige, ne comprenant pas vraiment avant de se douter finalement.

— Qui ?

— Le bébé.

Le silence s'abat sur la pièce comme une chape de plomb. Lentement, le châtain s'approche et s'agenouille aux côtés de son compagnon.

— Je ne sais pas...

Puis, d'une voix plus tremblante, l'oméga renchérit, plus féroce aussi.

— C'était une fille ?

— Je ne sais pas...

— Je ne l'ai même pas... vue. Même pas une fois.

Ses épaules se secoue alors. Pas de sanglots bruyants. Juste des spasmes, silencieux, tordus. Une douleur pure, qui ronge les tripes.

— J'ai porté ce bébé pendant des mois. Et je ne me souviens de rien. Rien, Minho. On m'a volé ça aussi.

Ce dernier est désireux de lui saisir la main, un geste simple, un réconfort discret, mais le jeune se lève brusquement et se dégage comme si ce simple geste l'avait brûlé. La couverture tombe à ses pieds, et il titube jusqu'à s'adosser au mur.

— Ne me touche pas.

— Jisung...

— Je te hais. Je te hais parce que tu es vivant !

Minho reste immobile, le coeur en déroute. Il hoche lentement la tête.

— Tu as le droit de me haïr.

Et alors, contre toute attente, Minho se lève lui aussi, sans s'approcher davantage , il lutte contre l'envie irrépressible de saisir son amant, de le serrer contre lui, de lui hurler combien il l'aime. Il tourne sur lui-même, fait quelques pas afin de tenter de faire retomber la nervosité qui l'étreint. Il devient compliqué pour lui de gérer toutes ces émotions qu'il contient tant bien que mal, et finalement, il sort. Il part, une douleur sourde lui dévorant la poitrine.

* * *

Le général referme la porte derrière lui dans un silence grave. Le regard qu'il porte sur le médecin est inquiet, et ce dernier hoche la tête doucement.

— C'est aujourd'hui que son corps entre en guerre. Il faut s'attendre à... tout.

Minho est là également. Une main lasse passe sur son visage. Quelque chose a basculé ce matin, il l'a compris en arrivant. Jisung n'est pas sur le futon. Il est au sol. A même le tatami, acculé dans un coin de la pièce, recroquevillé, les bras serrés autour de lui, tremblant de tout son long. La convalescence est douloureuse, difficile. Ils l'entendent geindre par delà les panneaux. Lorsque la douleur le saisit trop brusquement, le dévore littéralement, il en vient à poser le front au sol dans l'espoir de pouvoir trouver un peu de fraicheur, et le cri qu'il pousse transperce les cœurs, les âmes.

Ses cheveux collent à son front brûlant. Lorsque l'alpha s'approche, il ne lève pas la tête, et l'ainé l'observe horrifié alors qu'il gratte sa peau à sang. Il s'agenouille alors non loin de lui, conservant une distance raisonnable, qu'il sait ne pas déranger l'oméga.

— Jisung...?

Le jeune homme lève brusquement la tête. Son regard est vide, halluciné, injecté de sang. Mais il y a une panique animale dans ses traits, une terreur si pure qu'elle en est insoutenable.

— DEGAGE !! T'APPROCHE PAS DE MOI !

Il hurle si fort que Minho a un mouvement de recul.

— T'EXISTES PAS !! C'est dans ma tête ! C'est ENCORE un piège !!

Il se redresse maladroitement, tirant sur sa chevelure en désordre, chancelle, retombe à genoux. Ses ongles grattent à nouveau frénétiquement la peau de ses bras, comme s'il cherchait à retirer une couche invisible.

— Il est là, Minho. Je l'entends. Il attend. Il va me ramener. Il m'a jamais laissé. Jamais. J'ai cru, mais il revient, toujours. Il est là, il est là, il approche, il va me trouver...

Il se met à pleurer sans bruit. Des larmes acides, sans fond, comme venues d'un gouffre.

Minho veut s'approcher, mais une chaise lui vole au visage sans qu'il la voit arriver. Jisung l'a lancée sans réfléchir, les mains déjà prises de spasmes incontrôlés. Ses jambes claquent contre le sol, ses muscles se tordent, et un filet de sang coule de sa bouche entrouverte. Il s'est mordu.

Le médecin surgit, alarmé, et lutte pour contenir une crise naissante. Pas de sédatif puissant — le général l'a interdit. Mais une injection légère pour au moins stabiliser son cœur.

Jisung se débat avec une force inouïe, hurle à la mort, crie des mots sans suite.

— Ils m'ont ouvert, ils ont pris le bébé, je l'ai pas vu ! C'était moi, c'était MON ventre ! MON BEBE ! RENDEZ MOI MON BEBE !

Sa tête heurte le mur quand il essaye de s'échapper à quatre pattes, les ongles déchirant les fibres du tatami. Il geint, pleure encore, suffoque. Avant de soudainement s'écrouler, comme si le corps avait cédé. Il reste là, couché sur le côté, secoué de tremblements, les lèvres fendillées, le souffle haché. Sa peau est brûlante. Rouge à certains endroits. Son regard est ailleurs.

Le médecin fait un signe : pas de danger vital immédiat.

— Je sais que c'est difficile, mais il faut juste... Attendre...

Alors l'alpha s'assoit contre le mur, abattu.

Les minutes passent. Des heures.

Le noiraud délire à voix basse. Parfois, il rit. Parfois, il murmure des choses incompréhensibles. À un moment, il se tourne lentement, comme en transe, et regarde l'alpha sans vraiment le voir.

— Pourquoi t'es encore là...? Tu es mort... Ils t'ont tué...

Minho répond alors doucement, la tête penchée pour lui offrir un regard plein de tendresse douloureuse.

— Je suis là parce que rien de ce qu'ils ont fait n'a changé ce que je ressens.

— Tu devrais avoir peur de moi. J'ai tout laissé faire. Je suis une poupée... Un pantin...

Un sanglot le plie en deux. Il ne peut même plus se relever. Trop faible. Trop crevé. Trop usé. Il veut disparaître, il veut que tout cela cesse.

Et là, sans le vouloir, sans en avoir conscience, il tend la main. Faiblement. Comme un élan d'enfant, fragile, instinctif, vers quelque chose de connu. Le châtain l'attrape aussitôt. Pas fort. Pas pour l'agripper. Juste pour l'accompagner. Et Jisung ne la retire pas. Il ferme les yeux. Son corps continue de trembler. Il a froid, malgré la fièvre. Il est écarlate mais si pâle que ça en devient presque inquiétant. Mais il ne repousse pas cette main.

Et c'était la première fois.

* * *

La chambre pue la sueur, la peur, la fièvre. L'odeur âcre du corps en manque.

Jisung est allongé en travers du futon, les draps en boule sous lui, le regard fixe et vitreux. Il ne parle plus. Son corps est brûlant, agité de spasmes nerveux, les muscles tétanisés, comme si son squelette tout entier essayait de se briser pour s'échapper de lui-même.

Le général l'a veillé une partie de la nuit avec Minho. Le médecin a ordonné l'arrêt total de toute stimulation extérieure. Plus un mot. Plus un son. Plus de lumière vive. Mais même le silence semble hurler dans la tête de l'oméga.

C'est à midi, la crise éclate.

Sans prévenir, son corps se cambre violemment et il pousse un hurlement inhumain. Les veines de son cou gonflent, ses doigts se crispent au point de saigner. Il convulse, les yeux révulsés, les jambes battant dans le vide.

— Il fait une crise.

Le ton du médecin est glacial alors qu'il constate l'état de son patient. Ils le maintiennent au sol tant bien que mal, mais le noiraud est fort, furieux, incontrôlable. On dirait un animal pris au piège, prêt à s'arracher une patte pour s'enfuir. Minho veut l'approcher, l'enlacer, mais le médecin le retient.

— Il ne vous reconnaît plus. Vous ne ferez qu'amplifier le délire.

Mais le jeune l'appelle dans un son rauque.

— Min... Minho... aide-moi... Aide moi Min...Ho...

Et puis... plus rien. Sa tête retombe. Raide. Comme morte. Comme la totalité de son corps.

Un long silence. L'alpha est mortifié, figé dans la crainte qu'il soit mort, que ce sevrage ait été sa fin.

— Ji... Jisung... Aller... Aller petit soleil... Ma fée...

Il s'approche et se saisit du corps inerte de son amant, de son ami de toujours, jusqu'à le bercer contre lui, doucement, sa main disponible passant doucement dans les cheveux humides. Du bout des lèvres il embrasse le visage livide de son compagnon, les perd dans ses cheveux sombres, lui glisse quelques mots à l'oreille. L'entend-il au moins ?

_______

Je suis vidée! De larmes, d'énergie, ce chapitre m'a achevé :'D 

Kaput la Kristell!

J'espère que vous appréciez ce merveilleux cliffhanger. 

J'étais au bout du rolls alors j'me suis dis que j'allais vous en faire profiter avec moi MOUAAHAHAHAHAHAHAHA  krkrkrkrkrkr

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top