Chapitre 22 - t2

La voix est basse, mais la menace est bien réelle. La lame se presse un peu plus contre la gorge nue de Minho, qui ne cille pas.

— Qui es-tu ? De quel droit pénètres-tu des quartiers qui ne sont pas les tiens ?

Lentement, l'alpha tourne la tête pour jeter un regard par-dessus son épaule. Le général est revenu du banquet, mais il ne s'en est même pas soucié. Rien ne comptait plus que de rester auprès de Jisung, quoi qu'il en coûte désormais. S'il doit mourir, alors qu'il en soit ainsi.

— Je m'appelle Lee Minho. Jisung est mon oméga. Il m'a été arraché à la faveur d'un chantage immonde, et il me croyait mort.

Katsuyuki arque un sourcil. Le silence s'éternise dans la pièce, suspendu comme un fil tendu entre deux souffles. Finalement, il pousse un long soupir et abaisse son sabre, relâchant la tension qui maintenait l'homme en joue.

Après un dernier regard aux deux hommes enlacés, le général se détourne un instant pour refermer le panneau qu'il avait laissé ouvert. Le seul bruit audible est celui du bois qui coulisse lentement sur le parquet usé.

Lorsqu'il se retourne, son visage est grave, mais dénué d'hostilité. Il observe son hôte inattendu avec une sobriété presque solennelle.

— Il t'a donc reconnu ?

Minho baisse les yeux sur l'oméga endormi. A moins qu'il ne se soit évanoui ? Il pince les lèvres pour en contenir le tremblement et secoue doucement la tête.

— Oui. Mais il croit que je suis un fantôme qui vient le hanter. Il n'a pas l'air de réaliser vraiment.

Katsuyuki ne répond pas tout de suite. Son regard se pose sur l'ombre de l'oméga, lové contre la poitrine de son compagnon, et son expression se durcit imperceptiblement.

— Tu viens ici réclamer ce qui était à toi. Mais les chaînes qui ont été posées sur lui ne se brisent pas d'un simple mot d'amour.

Les mots de l'homme sont francs, et il ne lâche pas l'alpha des yeux alors qu'il s'adresse à lui. Le châtain relève les yeux, une lueur amère dans le regard.

— Il m'a été confié et est dorénavant sous ma responsabilité.

— Je ne suis pas venu réclamer quoi que ce soit. Je ne suis même pas certain d'avoir encore ce droit.

Un silence. Plus lourd encore. Puis le général s'approche lentement, jusqu'à s'asseoir face à lui, en tailleur et non sans grogner sous le mouvement, le sabre posé à ses côtés. Son geste n'est ni hostile, ni familier. Simplement humain.

— Et pourtant, tu es là. Au cœur d'une maison que tu sais dangereuse, prêt à mourir pour lui.

Minho baisse les yeux. Il sait les risques qu'il prend, plus encore vis à vis de Jisung.

— Parce que je ne pouvais plus rester loin. J'ai tout tenté pour le retrouver. Et chaque jour que je passais sans lui, c'était un jour de trop. Mais je ne sais pas s'il pourra seulement me pardonner de ne pas avoir été là.

Le général hoche lentement la tête.

— Tu n'es pas responsable de son enlèvement. Ce genre de tragédie... elle dépasse les hommes. Mais l'oméga que tu tiens dans tes bras n'est plus le même que celui qu'on t'a pris. Tu dois le savoir.

— Je le sais. Et je l'aime toujours.

Katsuyuki observe longuement Minho, son regard perçant, presque dérangeant dans sa lucidité.

— Aimer un être détruit demande une force que peu possèdent. Es-tu prêt à aimer les ruines autant que l'ombre de ce qu'il était ? Es-tu prêt à porter ce qu'il ne pourra pas nommer, à encaisser ses silences, ses refus, ses absences ?

Le châtain serre plus fort Jisung contre lui. Sa voix tremble, mais elle ne faiblit pas.

— Je suis prêt à l'attendre. À l'écouter s'il veut parler. À me taire s'il préfère fuir. Je suis prêt à tout... sauf à l'abandonner à nouveau.

Un long moment passe. Le bois du mur craque doucement sous les changements de température. Puis Katsuyuki incline la tête, comme un soldat qui s'incline devant un autre.

— Alors tu as plus de courage que la plupart des hommes que je connais. Mais sois prudent, Lee Minho. L'amour est une belle cause... mais il peut devenir une arme que l'on retourne contre soi.

Ce dernier ne songe pas à répondre. Il sait déjà tout cela. Dans son sommeil, Jisung gigote et une plainte s'échappe de sa gorge, mais l'étreinte de son alpha se resserre délicatement sur lui et semble l'apaiser au moins un peu. Voyant tout cela, le général soupire de nouveau avant de tendre un bras pour se saisir d'une petite théière de terre cuite à l'aspect simple. Il se sert un thé, et en remplit un second bol qu'il tend à son invité.

— Il est drogué. C'est sans doutes pour ça que tu as dû le trouver étrange et qu'il n'a pas compris que tu étais là.

Minho récupère le bol avec lenteur, le regard toujours fixé sur Jisung.

— Pourquoi ?

— Le médecin m'a dit qu'il était dangereux. J'ai refusé qu'il poursuive. Ils appellent son état... Coopération. J'appelle ça soumission.

Le châtain serre le bol dans sa paume, mais sans boire.

— Depuis combien de temps ?

— Je ne sais pas. Comme tu as dû le voir, je l'ai reçu tout à l'heure. Je ne sais quasi rien.

Un silence tombe, presque respectueux. Le thé fume doucement, entre leurs mains, entre leurs vies. Puis Minho murmure quelques mots.

— Qu'allez vous faire ?

Le regard de Katsuyuki se durcit légèrement.

— De toi ?

Il finit par sourire, narquois.

— J'ai fermé les yeux. Comme tant d'autres ici. On se dit qu'on ne peut rien faire. Que c'est plus grand que nous. Que si ce n'est pas nous, ce sera un autre. Et on essaie de vivre avec ça. Jusqu'à ce que quelqu'un comme toi vienne briser cette paix de façade. Je déteste ça. On n'avilit pas un homme ainsi. Il n'y a aucun honneur à faire ça.

L'alpha tourne doucement le bol entre ses doigts.

— Alors qu'allez vous faire de lui ?

Le général le fixe, puis baisse les yeux vers son propre thé.

— L'aider.

Minho ne répond pas. Il boit enfin une gorgée, silencieuse, brûlante.

Katsuyuki conclut, plus bas :

— Tu ne pourras pas le sauver seul. Mais s'il te reconnaît vraiment... alors peut-être qu'il saura s'accrocher. Et si c'est le cas, je ferai ce que je peux. Rien de glorieux. Mais un pas de côté. Un silence au bon moment. Une porte laissée entrebâillée.

Les deux hommes boivent en silence, face à face. Et pendant un instant, dans cette pièce de bois et de cendres, le monde semble suspendu.

— Couche-le. Reste avec lui ce soir. Pars au matin.

— Je... Non.

— Non ?

— Je ne peux pas partir et le laisser là.

Le général l'observe, les sourcils froncés.

— Quels étaient les termes du chantage qui vous a séparé ?

A ces mots, la mâchoire de Minho se serre violemment et tout son corps se tend.

— Je devais épouser une japonaise et travailler pour l'empire. Lui devait rejoindre une maison d'éducation. Si nous n'étions pas d'accord, ils l'auraient envoyé dans un bordel pour officier.

Hochant la tête, Katsuyuki se relève en prenant son temps.

— Alors sache que pour eux, le bordel reste une éventualité.

Minho ferme les yeux un instant, comme si le sol s'était dérobé sous ses pieds. Son souffle devient plus court, plus discret, presque craintif. Le général poursuit, la voix basse.

— Ce n'est pas une menace. C'est un fait. Une vérité froide que tu dois regarder en face, comme moi je l'ai regardée des années durant sans broncher.

L'alpha baisse la tête, les traits figés. Jisung gémit doucement dans son sommeil, et Minho resserre l'emprise protectrice de ses bras. Il l'effleure du nez, doucement, pour tenter de calmer le tumulte intérieur. Sa voix est sourde, étouffée.

— S'ils découvrent que je suis ici, ils me tueront. Et il restera seul.

— C'est ce que tu redoutes le plus, n'est-ce pas ? Qu'il reste seul dans ce cauchemar. Qu'il oublie. Qu'il devienne docile. Comme ils veulent qu'il soit.

Minho hoche la tête, lentement.

— J'ai peur qu'il finisse par croire que tout cela est normal. Que c'est lui le problème. Qu'il n'existe plus vraiment.

Katsuyuki soupire de nouveau et s'approche de la cloison. Il ne l'ouvre pas. Il reste là, une main posée sur le cadre de bois.

— Il y a une faille dans chaque mur. Mais on ne peut pas frapper partout. Il faut être patient. Choisir l'endroit, le moment, et frapper fort.

Il se retourne, le regard ferme, ancré dans celui du châtain.

— Tu es venu sans plan. Par instinct. Par amour. Et maintenant, il faut réfléchir. Réfléchir froidement. Parce que si tu tombes, tu ne l'aides plus. Tu n'es plus qu'un souvenir qu'ils effaceront de lui, comme on nettoie une tâche trop voyante sur un vêtement.

Minho reste silencieux. Puis, après quelques secondes Katsuyuki reprend.

— Il va rester ici le temps de se remettre et de libérer son sang de tout ce poison qu'ils lui ont inoculé. Tu seras le bienvenu lorsque le coeur t'en dira. Tu pourras le voir à ta guise. Je ne dirai rien.

Un frisson traverse Minho. Il baisse la tête, le souffle tremblant.

— Donc je dois poursuivre la vie que je vis maintenant, comme si de rien était... ?

Le général l'observe longuement, comme s'il pesait chaque mot avant même de le formuler. Puis il déclare, plus bas.

— Commence par rester cette nuit. Ne cherche pas à fuir. Gagne du temps. Regagne sa mémoire. Rends-lui ce qui lui a été volé : sa propre volonté. S'il t'aime encore, elle reviendra.

Il marque une pause.

— Et moi... je parlerai. A qui je peux. Discrètement. Il y a des hommes, ici, qui ne sont pas d'accord. Ils n'ont pas ton courage, mais ils peuvent prêter leur silence, leurs gestes. Il faudra t'en contenter, pour commencer.

Minho hoche la tête, incapable de répondre autrement. Sa gorge est nouée. Le général se détourne alors, prêt à rejoindre sa chambre.

— Si quelqu'un te voit, dis que je t'ai convoqué. Ce n'est pas crédible, mais c'est flou. Le flou est utile. Il fait peur aux lâches, et aux puissants.

Il s'arrête sur le seuil.

— Si tu veux qu'il vive... alors sois plus patient qu'eux. Et plus rusé. Ils pensent que l'amour est une faiblesse. À toi de leur prouver le contraire.

Après un dernier signe de tête, il disparaît dans l'ombre du couloir, en silence après avoir refermé le panneau derrière lui.

***

Le silence s'est épaissi, comme un manteau humide sur leurs épaules. Dans le calme de la nuit, seuls quelques craquements de bois et le souffle régulier de l'ombre couchée contre Minho troublent l'obscurité.

Puis soudain, Jisung sursaute.

Un râle étranglé déchire sa gorge, suivi d'un gémissement presque animal. Il se débat dans les bras du châtain, les yeux encore clos, tremblant de tout son corps. Sa main heurte le torse de l'alpha sans même sembler le reconnaître.

— Non... Non... Arrête... Minho... Minho...

Il halète, convulsif, ses paupières papillonnent. Son front est trempé de sueur. L'alpha, déjà redressé, le serre doucement contre lui, une main à l'arrière de sa nuque.

— C'est moi. Je suis là, Jisung. Tu es en sécurité maintenant. C'est fini... Je ne partirai plus.

L'oméga continue à trembler, les dents serrées, les yeux perdus dans le vide. L'effet des drogues n'est pas complètement dissipé, et sa perception semble déformée. Il regarde Minho, mais ne le voit pas vraiment. Ou pas encore. Il gémit, il sanglote quelques mots qui déchirent le cœur de l'alpha.

— Je t'ai vu... Ils t'ont... Ils t'ont... J'ai entendu le coup de feu, j'ai entendu et puis... Et puis... Minho... Et puis plus rien Minho...

— Je suis vivant. Je suis vivant. Respire. Respire avec moi, d'accord ? Juste ça.

Minho presse son front contre le sien, doucement. Et lentement, les secousses diminuent. Jisung s'apaise, le souffle encore haché, mais ancré par cette chaleur familière. Comme un navire battu par la tempête, qui retrouve enfin un rivage.

Ses yeux se referment, ses doigts s'agrippent au tissu de la veste de Minho. Il s'endort à nouveau, grelottant, mais contre lui.

***

Une lumière pâle filtre à travers le panneau de bois. Le soleil n'est pas encore haut. Minho n'a pas bougé. Il observe Jisung, dont le front reste humide, le souffle lourd et passe des doigts légers dans ses cheveux en pagaille. Le panneau coulisse et le châtain se redresse légèrement, tendu. Ce n'est pas Katsuyuki. Un homme entre, en vêtements sombres, les cheveux bien peignés. Il porte un coffret médical laqué. Le général suit seulement derrière lui mais le premier s'arrête net.

— Qu'avez vous donc, avancez. Vous voulez venir le voir, alors allez y et cessez de me faire perdre mon temps. La voix est froide, mais a le mérite de faire reprendre sa marche à Daisuke.

— Pendant encore quelques jours, nous devons soigner sa plaie et changer ses bandages.

Il ignore alors Minho, et s'approche du futon, pour examiner Jisung, qui ne réagit pas. L'alpha se décale et observe les moindres faits et gestes de l'homme qui soulève la tunique de l'oméga. Une bande serrée entoure son ventre, et le châtain fronce les sourcils avant de lancer un regard plein d'interrogations au général. Celui-ci est aussi curieux et ne se prive pas d'interroger l'homme de sciences.

— On ne m'a pas dit qu'il avait été blessé.

— Ce n'est pas réellement une blessure.

L'homme ne fait pas attention à ceux qui l'entourent et redresse avec des gestes délicats l'oméga qui s'éveille avec difficultés. Mais il a besoin de le faire au moins s'asseoir pour défaire la bande serrée qui le maintient. Le docteur ouvre la tunique sans même prévenir, et dégage les pans avant de se saisir des bords de la bande pour dérouler le tissu.

— Nous avons dû l'opérer il y a une quinzaine de jours. Son corps ne fonctionnait pas et il ne savait pas donner naissance à l'enfant qu'il portait.

Minho manque s'étrangler et serre les dents, les poings, mais ne dit rien. Il reste près de la tête de l'oméga, murmurant à son oreille pour qu'il ne panique pas. Daisuke, lui, travaille mécaniquement, nettoie, applique un onguent, bande avec soin.

— Un enfant ? Vos omégas et vos femmes ne sont pas censés être un minimum purs quand vous les accueillez ?

— Il y a toujours des exceptions. Surtout quand nous ne le savons pas au départ.

Puis, il se relève, époussette sa manche, et jette un regard vers l'alpha qui lui jette des regards meurtriers. Daisuke désigne Minho du menton.

— Il ne devrait pas être là.

— Il y est. Parlez.

Un soupir.

— Vous devez poursuivre les injections. Il en va de votre sécurité. Et de son état. Il est instable. Si vous stoppez brutalement les doses, il risque des symptômes sévères, comme des délires, convulsions, insomnies, violence. Ou, à l'inverse, une apathie extrême. C'est un sevrage, général. Cela prend des jours. Et cela fait mal.

Le général hoche la tête, mais ne bronche pas.

— Est-ce qu'il peut mourir ?

— C'est rare. Mais oui. Il pourrait s'arracher la peau, se mordre, se frapper. Il pourrait refuser de boire ou de manger. Ou... paniquer au point de faire lâcher son coeur, s'il croit voir des choses. Il a été surdosé longtemps. Trop longtemps. Vous avez tort d'arrêter si brusquement.

Le regard du général devient tranchant.

— Non. Vous avez eu tord d'avoir fait ça. Ne retournez pas les choses à votre avantage. Il est hors de question de continuer à l'abrutir ainsi.

Il s'approche de Daisuke, sa voix basse.

— Si vous cherchez à lui imposer une nouvelle dose sans mon accord, je vous briserai les deux poignets. Lentement. Et où se trouve l'enfant?

Un silence glacial tombe. Le médecin inspire lentement. Il comprend que le vent a tourné.

— Il a été adopté. Je vais préparer une tisane. Pour calmer un peu les tremblements. Mais pas de sédatif. Pas sans votre ordre.

— C'est bien.

Le médecin s'incline et s'éclipse.

Katsuyuki s'approche de Minho, qui reste près de Jisung.

— Il va falloir tenir. Les temps vont être durs pour lui. Mais au moins il retrouvera la clarté de l'esprit.

Minho baisse les yeux vers l'oméga endormi de nouveau et hoche la tête doucement. Il ne sait comment réagir à la nouvelle concernant le bébé. Comment est-ce possible? Qui...?

— Tu dois partir, maintenant. Je vais me charger de lui.



____

Je ne suis pas certaine de la qualité. C'est pas la grande forme aujourd'hui, j'ai fais du mieux que j'ai pu, j'espère que ça reste quand même à la hauteur :) Et nous avons un général gentil et compréhensif! Peut-être un futur allié de qualité :)

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