Chapitre 2 - t2

Lorsque le bateau accoste, le port est déjà animé. Des pêcheurs déchargent leur cargaison, des enfants courent sur les quais, des marchands crient leurs prix en japonais, et une odeur de sel et de poisson flotte dans l'air, mêlée à celle plus âcre du charbon brûlé dans les entrailles des navires.

Leurs pas résonnant faiblement sur le bois usé du quai, Jisung suit Minho de près, ses doigts s'accrochent discrètement au tissu de sa manche, comme un réflexe inconscient. Le châtain, lui, garde une posture droite, le regard attentif à tout ce qui les entoure. Tout est nouveau pour eux, et il leur faut trouver comment se frayer un chemin parmi les badauds afin de rejoindre un village non loin. A voix basse, il fait part du meilleur choix à suivre à son oméga.

- On devrait trouver un endroit où loger pour la nuit.

- Et après ?

- On verra. Il n'est que le matin, mais comme ça on pourra déposer ce qu'on traîne pour aller voir un peu les environs...

Le noiraud hoche la tête, il lui fait confiance.

Ils avancent sur le quai, attirant quelques regards curieux. Le Japon a beau être plus ouvert que la Corée, ils restent des étrangers ici. Sans trop y prêter attention, ils suivent quelques uns des passagers coréens qui étaient avec eux durant la traversée, dont quelques visages ne leur sont pas méconnus. Il y a de fortes chances que parmi ceux-ci, l'on retrouve quelques participants à la révolte s'étant déroulée voilà quelques jours.

L'alpha s'arrête un instant et observe l'agitation du port, avant de demander à son compagnon :

- Tu crois qu'ils nous accepteront ?

Jisung lui lance un regard en coin.

- Tu te souviens de ce qu'on s'est dit hier ?

Le châtain hausse un sourcil.

- Qu'on aurait un jardin avec des cerisiers, une glycine et un lit immense ?

L'oméga rit doucement.

- Tss ! On s'en fiche, quoi qu'il arrive, on sera bien ici.

Minho sourit à son tour, puis passe un bras autour de ses épaules.

- Alors découvrons notre nouveau chez nous.

Son compagnon ferme brièvement les yeux, savourant la chaleur de ce contact. Peu importe le regard des autres. Peu importe les obstacles à venir. Ils sont ensemble et ça, c'est tout ce qui compte.

Lorsque l'étreinte prend fin, Jisung resserre instinctivement son manteau sur lui, un réflexe vain contre la morsure du vent marin, tôt en ce matin de fin Juillet. Il se sent étouffé au milieu de la foule compacte dans laquelle ils se retrouvent soudain, où des dizaines des leurs, exténués et hagards marchent d'un même pas las. Ils ne sont plus que des ombres de ce qu'ils ont été avant la révolte. La Chine, en réagissant, leur a fait tout perdre.

Minho est juste à côté de lui, sa présence à la fois réconfortante et pesante. Lui non plus ne dit plus rien. La mâchoire crispée, le regard rivé sur les soldats japonais qui les attendent à quelques mètres, l'alpha tente d'ignorer la douleur qui fuse dans son épaule chaque fois qu'il frôle quelqu'un d'un peu trop près. Il va falloir faire montre de ses meilleurs talents d'acteur s'il veut que cette blessure encore fraîche passe inaperçue, sans quoi ces hommes se douteront de ce pour quoi il se trouve ici.

- Arrêtez-vous là.

L'ordre claque dans l'air comme un fouet. Les réfugiés s'immobilisent immédiatement. Quelques mères serrent plus fort leurs enfants contre elles, des vieillards fatigués s'appuient sur leurs cannes en jetant des regards inquiets aux hommes en uniforme.

Minho et Jisung échangent un regard. Ce n'est pas ce qu'ils avaient prévu. Pas du tout ce qu'ils avaient imaginé en venant trouver refuge ici. Toutefois en y réfléchissant un peu, la Chine et le Japon se disputant la Corée, il ne pouvait en être autrement.

Un Japonais en uniforme s'avance lentement, un registre à la main. Il prend une grande inspiration, comme si le travail à faire était d'une pénibilité incroyable. Puis, il lève les yeux et balaye la foule du regard.

- Nous allons procéder à un contrôle d'identité. Ceux qui n'ont pas de papiers seront retenus pour interrogatoire. Les autres seront dirigés sur le refuge d'Urakami après une inspection médicale, pour une quarantaine. L'Empire n'a pas besoin de la peste ou du choléra sur ses terres.

Un silence pesant s'abat sur le quai. La peur est presque palpable. Certains ont emporté leurs papiers avec eux, d'autres, dans la précipitation de la fuite, n'ont rien pu prendre.

Minho sent son oméga se tendre à côté de lui, et lui jetant un regard, il découvre son protégé bien pâle, mort d'inquiétude.

- Ça va aller, ce ne sont que des formalités Jisung.

Il veut le réconforter, le rassurer, même si c'est vain, à raison. Le japonais est une langue qu'il maîtrise, et il tend l'oreille pour écouter ce que les militaires se glissent entre eux. Les soldats commencent à avancer, méthodiques, inspectant les documents un par un. Un vieil homme devant eux tremble si fort qu'il peine à tenir sa feuille entre ses doigts osseux. Les parfums des gens présents commencent à empester l'air au point de presque faire oublier les effluves de marée.

Puis vient leur tour.

Le soldat qui se présente devant eux est jeune, mais son visage impassible ne trahit aucune indulgence. Il tend la main.

- Vos papiers.

Le châtain obéit en silence et tend les siens. Jisung l'imite, ses doigts légèrement tremblants. L'homme prend les documents et les inspecte minutieusement, plissant les yeux en passant sur les noms coréens inscrits à l'encre noire. Mécaniquement, il les interroge.

- Âge et type.

La voix de Minho est ferme et assurée lorsqu'il répond.

- Vingt-quatre ans. Alpha.

Le soldat hoche la tête et tourne son regard vers Jisung qui lève le menton, peu désireux de se montrer faible.

- Et vous ?

- Vingt-deux. Oméga.

L'homme note les informations, avant de froncer légèrement les sourcils.

- Êtes-vous marié ?

Jisung tressaille à cette question. Il serre la mâchoire, sentant le poids du regard du châtain sur lui. Pendant un instant, mille réponses possibles défilent dans son esprit. Dire la vérité reviendrait à admettre son ancienne alliance avec Tian. Mentir risquerait d'attirer des soupçons.

Mais au fond, il n'y a qu'une seule réponse qui compte.

- Oui.

Le soldat relève légèrement la tête.

- Avec qui ?

Le noiraud prend une inspiration tremblante et, sans détourner les yeux, répond d'une voix claire :

- Avec lui.

Il pointe Minho du doigt.

Le silence est brutal. Ce dernier sent son souffle se bloquer une fraction de seconde. Le soldat hausse un sourcil, détaillant tour à tour les deux hommes.

- Vous êtes liés ?

L'oméga serre les poings, mais ne se démonte pas. Il ne ment pas vraiment finalement.

- Oui.

Le soldat fixe encore les documents, puis relève lentement la tête.

- Un Alpha et un Oméga, mariés.

Il ne semble ni surpris ni impressionné. Il note quelques mots sur son registre, puis tend leurs papiers sans un mot de plus.

L'apha sent un frisson d'inquiétude parcourir son dos. C'est trop facile.

- Avancez.

Ils font un pas en avant, soulagés d'avoir passé cette première épreuve. Mais à peine ont-ils franchi la ligne des contrôles que des cris éclatent derrière eux.

- Vous n'avez pas de papiers ? Amenez-les !

Minho se retourne brusquement. Deux soldats viennent de saisir un homme plus âgé, dont les protestations sont vaines face aux fusils braqués et autres sabres sur lui. À côté de lui, une femme hurle en suppliant les soldats de le laisser partir, ses mains crispées sur leurs manches d'uniforme. Mais il n'y a aucune pitié. Le châtain sent la rage monter en lui. Il serre le poing, prêt à réagir mais Jisung lui attrape le bras.

- Ne fais pas ça.

Son compagnon alors tourne un regard noir vers lui.

- On va les laisser faire ?

Jisung hoche imperceptiblement la tête.

- On ne peut rien faire. Pas maintenant. Tu es blessé. On n'est pas tiré d'affaires. On doit montrer patte blanche...

Le plus âgé détourne le regard. Il entend encore les cris, les supplications, le bruit sourd des coups assénés pour faire taire ceux qui osent résister. Mais il avance. Du moins pour l'instant. Un sentiment lui serre cruellement la gorge. La crainte. La peur de s'être affreusement trompé en venant ici et que le refuge et la vie douce qu'il a promis à son amour ne soient qu'utopie.

L'air sent le sel, les algues et la sueur. Dans le hangar où on les a entassés aux abords du ports, les corps fatigués des réfugiés coréens se pressent les uns contre les autres, formant une masse indistincte de tissus froissés et de visages las. Le silence n'existe pas ici. Des pleurs étouffés, des souffles courts, le bruit des pas des gardes sur le sol de bois grinçant. Personne ne sait le sort qui va leur être réservé et il leur faut prendre leur mal en patience pour savoir s'ils vont pouvoir avoir l'autorisation de vivre une belle et paisible vie sur ces terres voisines des leurs. Des heures qu'ils sont là à cuire sous la chaleur de l'été accentuée par la proximité et l'endroit bien peu aéré.

Minho et Jisung sont là, au milieu de cette foule docile, mais leurs cœurs battent à un rythme différent. L'un surveille l'autre. L'alpha, blessé, tente de tenir droit malgré la douleur qui pulse dans son épaule faute de repos et de posture confortable. L'oméga quant à lui, marqué par trop de violences, ne quitte pas son visage des yeux. Il veut graver les traits de son compagnon dans ses souvenirs. Au cas où. Juste au cas où. Mais la souffrance qu'il lit sur les traits crispés de son aimé fait naître une inquiétude sourde qui lui serre le cœur. Il n'a pas suffisamment de pommade pour soigner la plaie du châtain pour plusieurs jours. Il avait à peine de quoi tenir le temps du voyage en bateau et devait trouver une herboristerie afin d'en trouver de nouveau. Une voix en japonais aboie soudain quelques mots que Jisung ne comprend pas, n'ayant pas du tout eu à étudier cette langue.

- Prochaine rangée !

Voyant que les réfugiés obéissent et se lève pour rejoindre les lieux indiqués, l'instinct de survie les poussant à avancer sans résistance, le noiraud suit le mouvement, aidant Minho à se mettre debout, leurs ombres s'étirant sous la lumière crue des lampes suspendues. Le long du hangar, des paravents de toile laissent entrevoir des silhouettes. Des soldats. Des médecins. Une file de coréens qui, un à un, disparaissent derrière ces toiles avant d'en ressortir quelques minutes plus tard, hagards, leurs vêtements remis de travers.

Une tension glacée noue l'estomac de Jisung. Il veut parler, mais les mots s'étranglent dans sa gorge. Son compagnon l'effleure du bout des doigts. Juste une seconde. Une promesse muette qu'il lui transmet dans le regard qu'il perd dans le sien.

Et puis, c'est leur tour.

Un soldat les pousse vers un espace délimité par les paravents. Deux médecins attendent, vêtus de kimonos gris, le regard froid. L'un est plus âgé, ses gestes précis, mécaniques. L'autre, plus jeune, semble jauger le couple avec un intérêt malsain, comme s'il décortiquait déjà leurs corps en pensées.

- Déshabillez-vous.

Minho se fige, et Jisung sent ses entrailles se tordre. Un silence pesant. Non, non le noiraud ne peut pas faire ça.

- Déshabillez-vous, ou nous le ferons.

Les soldats à l'entrée du paravent font craquer leurs articulations, prêts à intervenir et l'oméga se tourne vers eux en déglutissant, avant de revenir aux deux médecins.

Le châtain, lui, jette un regard vers son compagnon. L'ombre d'un ordre silencieux. N'oppose pas de résistance. Mais non, il ne peut pas s'y résoudre et sa tête se secoue de gauche à droite tandis que son teint blêmit à vue d'œil.

Ses doigts tremblent sur les pans de son habit qu'il resserre au contraire contre lui. Minho, lui, se force à se hâter, espérant par là distraire l'attention des médecins pour qu'ils s'occupent de lui et plus de son oméga. D'un mouvement brusque, il retire sa veste, révélant la chemise imbibée de sang collée à son épaule. Le bandage ne sachant plus contenir ce qui s'écoule de la plaie. Le plus vieux des médecins hausse un sourcil et, curieux, l'interroge sur la provenance de la blessure, en japonais.

- Comment t'es-tu fait ça ?

Minho ne répond pas, se contentant de soutenir le regard du scientifique.

L'homme hausse les épaules et s'approche avec des mains gantées, tirant sur le tissu et découvrant la plaie profonde et nette, aux bords un peu gonflés. L'alpha serre la mâchoire, son corps se raidit sous la douleur cuisante quand le vieil homme appuie dessus du bout des doigts.

- Infection possible. Il faudra le soigner.

- Pas nécessairement.

Le médecin le plus jeune répond en effleurant du bout des doigts la peau de l'homme qu'il a sous sa coupe.

- Peut-être qu'il ne servira pas longtemps. Un coup de sabre ?

- Peut-être. Note-le.

Jisung a un haut-le-cœur. Ils ne sont que des objets, ici. Des marchandises en transit. Au final, cela ne changera pas de la Corée. Ils sont venus ici pour rien. Cela s'avère probablement même pire que face aux chinois. Qu'ont-ils fait ? Quelle erreur ont-ils commise là ? Son coeur bat à tout rompre devant les idées qui naissent dans son esprit.

- Allongez-vous.

L'alpha obéit à contrecœur, s'installant sur la natte posée au sol. Le médecin plus âgé prépare des bandages, mais son assistant s'accroupit près de Minho, observant son corps avec trop d'insistance. Il touche du bout des doigts la peau de son torse, puis son cou, ses poignets avec une curiosité malsaine qui dérange particulièrement l'oméga. Il a envie de griffer. Il a envie de gronder, de cracher son dégoût au visage de ces types.

- Tu es un alpha ?

Le châtain le regarde droit dans les yeux, un éclat dur dans le regard. Ces types sont des bêtas. Il pourrait en venir à bout rapidement s'ils n'étaient pas entourés de soldats.

- Oui.

Un sourire satisfait étire les lèvres du médecin.

- Intéressant.

Il se relève et griffonne des notes sur un carnet déposé sur une table non loin.

Jisung, de son côté, s'oblige à ne pas trembler lorsqu'un autre médecin s'approche. Il ne veut pas qu'on lui enlève ses vêtements. Il ne veut pas de leurs mains sur lui. A chaque pas effectué dans sa direction, lui recule et essaye de conserver un semblant de distance. Il voit bien qu'ils n'apprécient pas de courir après lui et qu'il n'obéisse pas, mais c'est plus fort que lui. Minho tente bien de tempérer les choses mais il se fait rapidement couper.

- Laissez-le, il n'a pas besoin de...

- Il obéit ou bien il sera enfermé en cellule après qu'on l'ait tout de même ausculté.

Il n'a pas le choix. Il doit se plier à leurs desiderata... Les mains tremblantes, il parvient à ouvrir son hanbok et à se débarrasser des robes qui le recouvrent, conservant tout de même son bas.

Raide, les bras le long de son corps, il se laisse examiner sans lâcher son alpha des yeux. Ce dernier tente de le rassurer comme il le peut de là où il se trouve, en attendant que le vieil homme lui refasse ses pansements. Les mains froides du jeune médecin courent sur la peau caramel de l'oméga, cherchant des marques, des cicatrices, des signes de maladie. Puis, la question tombe lorsqu'il remarque la marque au poignet et celles dans la nuque. Plusieurs les unes sur les autres, ce qui fait froncer les sourcils du japonais.

- Es-tu lié ?

Jisung ouvre la bouche, son cœur tambourinant dans sa poitrine, mais la réponse tarde. Il n'a pas compris la question, c'est l'alpha qui la lui traduit.

Ses lèvres se serrent. Son regard se perd une seconde encore vers le châtain. Et il répond enfin, désignant son compagnon.

- Oui. À Minho.

Un silence. Le médecin note quelque chose, sans réagir.

- Tu es un oméga de haut rang. Il faudra t'évaluer.

Jisung sent sa gorge se nouer. Les examens continuent. Prise de sang rudimentaire, inspection du corps, palpation du ventre. Il est traité avec moins de brutalité que d'autres, mais pas avec plus d'égard. Puis, enfin, ils sont autorisés à se rhabiller, ce que le noiraud fait avec empressement.

Le plus jeune médecin échange un regard avec un officier en faction derrière le paravent.

- L'alpha sera envoyé dans les quartiers masculins du camp. À surveiller.

- Et l'oméga ?

Le médecin pose les yeux sur ce dernier, qui sent un frisson le traverser. Minho fit un pas en avant.

- Il reste avec moi.

Les soldats réagissent immédiatement, l'attrapant par les bras. La douleur dans son épaule lui coupe le souffle, mais il serre les dents. Jisung cherche à s'accrocher à lui, à refuser, mais une main s'abat vivement sur son épaule, le tirant vers l'arrière.

Il voit son alpha lutter, la rage pure dans les yeux. Il gronde, la voix vibrante d'une colère difficilement retenue et se débat pour se dégager de la pression qu'exerce les deux militaires qui se chargent de lui.

- Il reste avec moi !

Le noiraud, lui, est toujours tiré en arrière, le bras du soldat passé à sa taille pour le porter ailleurs, mais il se débat comme un beau diable tout en s'accrochant à tout ce qui passe à sa portée et il crie son refus de quitter son lié. Pas encore. Non, non on ne le lui retirera pas encore. Le vieux médecin s'interpose au milieu de tout ce fouillis et lève ses mains fripées pour appeler à plus de retenue.

- Messieurs, tout ceci n'est pas digne de fiers japonais. L'Empire ne s'encombre pas de toute cette agitation. Laissez-les ensemble. Nous verrons tout cela en temps voulu. Conduisez les au refuge pour la quarantaine.

A peine relâché, Jisung se presse de rejoindre son compagnon, et s'accroche aux vêtements de celui-ci, non sans vérifier que sa blessure ne saigne pas de nouveau maintenant qu'il a lutté contre les soldats. Minho passe un bras protecteur autour des épaules du noiraud et l'entraîne avec lui quand les militaires leur font signe de les suivre.

- On est ensemble. On est ensemble Ji.



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On commence sur des chapeaux de roue :'D

Alors, des pronostiques sur ce qu'il va se passer?

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