Chapitre 11 - t2

C'est une sensation étrange. Comme tomber dans l'eau, lentement, sans jamais toucher le fond. Un monde en demi-teinte, ni tout à fait noir, ni tout à fait réel. Il y a des sons, des formes floues. Des sensations par à-coups. La pluie se fait parfois entendre. Une odeur qu'il croit sentir sans savoir pourquoi elle lui semble familière. Une voix, trop lointaine pour être comprise.

Jisung flotte. Prisonnier de son propre corps, de sa propre tête.

Au début, il ne comprend pas. Il essaie de parler, mais ses lèvres sont collées. Il veut bouger, mais ses membres sont lourds, englués dans une poisse invisible. Et puis il le voit au-delà des sombres mèches qui lui tombent devant les yeux. Ses beaux yeux vairons se fixent sur lui.

Minho.

Là. Dans la lumière floue d'un couloir qui n'existe pas. Ses cheveux sont humides, son regard est fixe, intense. Il ne parle pas. Il attend.

— ...Min...ho...

Jisung tente de tendre la main. Elle ne bouge pas. C'est tout juste s'il parvient à faire un mouvement du bout des doigts. C'est comme si toute volonté avait disparu. Il essaie d'hurler, de courir vers lui, mais ses jambes ne répondent pas. Il suffoque de l'intérieur. Son cœur bat à s'en rompre.

Puis Minho recule. Lentement.

— Non... attends... reste, reste, reste !

Et tout s'efface.

Et Ren se tient là, à ses côtés, oubliant pour quelques temps les cours qu'ils sont censés apprendre ici.

— Ça va aller, Jisung.

Il n'apprécie pas qu'ils droguent l'oméga. Il n'apprécie pas de le voir ainsi, mais peut-être est-ce le mieux pour lui, du moins pour le moment. Alors il aide l'infirmière en le veillant, à genoux à côté du futon.

— Combien de temps vous allez le tenir endormi ?

Endormi est un bien grand mot à dire vrai. Le noiraud ne dormant pas exactement.

— Quelques jours, le temps que tout se calme.

Un autre jour, peut-être. Ou une autre nuit. A moins que ce ne soit le même ? Le temps ne veut plus rien dire. Jisung est de nouveau allongé. Sa bouche est pâteuse, ses yeux bougent sous ses paupières closes. Il entend des chuchotements. Des pas. Des craquements.

— Je viens... je viens te chercher.

C'est sa voix. C'est lui, à nouveau.

Il le voit, cette fois, accroupi à côté de lui. La lumière de la lune découpe son profil. Minho le regarde, penché sur lui, une main tendue. Il sent presque ses doigts sur sa joue.

— Je suis là, petit soleil. Je t'ai retrouvé.

Jisung pleure. Il sent les larmes couler, sans pouvoir les arrêter. Son poignet le brûle. Le lien, il est toujours là, toujours vivant. Il veut s'accrocher. Il doit. Jamais il ne le laissera partir. Il est tout ce qui le retient encore ici, tout ce qui le maintient vivant et désireux de retrouver la liberté.

— Ne pars pas... ne pars plus... t'es là ? T'es vraiment là ?

Mais le châtain ne répond pas. Il se redresse, commence à s'éloigner encore. Alors Jisung hurle. Dans sa tête. Dans son ventre. Dans tout ce qu'il est. Et son ami, à son chevet, trempe un linge dans un broc d'eau pour venir essuyer doucement son visage.

Une fois, c'est une main qui se glisse dans la sienne.

Une autre, c'est une voix tout contre son oreille, qui murmure :

— Réveille-toi. Je t'attends.

Puis il se réveille — en sursaut, trempé de sueur, le souffle haletant. Les draps froissés. Le silence. La chambre vide avant que ne se précipite Ren, pour le soutenir et le redresser un peu. Celui-ci lui offre de la compassion, s'assure qu'il ne s'efface pas sous les drogues qui le maintiennent dans cet état fragile.

— Eh... Ça va ?

Et Jisung hoche doucement la tête malgré la violence de l'étourdissement qui fait tout tourner autour de lui. Son ami le nourrit, du moins essaye, avant que l'esprit du noiraud se renferme dans cette brume infernale qui a envahit tout son être.

Chaque rêve est pire que le précédent. Chaque faux Minho est plus convaincant. Parfois, il le serre contre lui. Parfois, ils fuient ensemble dans les couloirs du bâtiment, les pieds nus sur le carrelage froid. Mais toujours, ça finit de la même façon.

Par la disparition. L'absence.

Le néant.

Et quand il est finalement réveillé, partiellement lucide et presque débarrassé de ce poison qu'ils lui injectent, assis dans son lit, un plateau devant lui qu'il ne touche pas, il regarde le mur face à lui. Fixement. Il n'a plus la force de parler. Même à Ren. Il n'a plus la force de pleurer.

— Il m'a laissé.

Et dans le fond de son ventre, le lien bat toujours. Faiblement. Comme une braise qu'on voudrait souffler. Il la garde au creux de lui, en son sein, protégé contre sa peau, contre la nuit, contre la mort. Contre tous ceux qui veulent lui faire penser qu'il est fou d'y croire.

Il le sent. Même à travers la drogue. Même à travers la douleur.

Minho vit.

Il en est certain.

Lorsqu'il rouvre les yeux après quelques jours passés dans la brouillard, le monde n'a plus la même couleur.

Tout est cotonneux. Comme s'il venait de très loin. Comme si ses membres étaient faits de boue séchée, lourde, rigide. Un goût métallique sur la langue, l'arrière-gorge douloureux, et cette lumière... pâle, sale, presque agressive, qu'il cache en posant difficilement une main en visière devant ses yeux. Il fait jour, mais le ciel est blanc. Les pluies tombent régulièrement.

Il est couché sur le futon de sa chambre et tout est calme. Il n'y a qu'un brouhaha léger qui semble venir de l'extérieur qui amène un bruit de fond. Il veut bouger, se lever, mais ses membres lui paraissaient presque étrangers. Un mouvement de panique tente de jaillir en lui, mais il est trop engourdi pour le laisser éclater.

Après quelques instants, le temps de laisser à son corps le loisir de s'éveiller, il parvient à se redresser, mais tout son être lui paraît si lourd que c'en est difficile. Sa tête tourne violemment, tant qu'il laisse échapper une plainte. Un bruit de pas feutrés précède l'ouverture coulissante du panneau en bois menant au couloir. Un homme entre, fine paire de lunettes rondes. Un japonais, aux traits aiguisés et à la démarche précise qu'il reconnaît comme étant le médecin qu'il a déjà rencontré avec Minho. Celui aux cheveux blancs et qui ne paraît pas si méchant que ça.

Il s'agenouille à ses côtés sans dire un mot au début. Son regard est neutre, presque clinique et Jisung l'observe avec défiance quand il dit quelques mots sur un ton bas. C'est du japonais et l'oméga n'y comprend rien.

— Tu es réveillé, très bien.

Le nouveau venu semble le noter et se reprend pour s'adresser à lui en coréen assez bon.

— Tu dois être un peu perdu. C'est normal. On t'a administré un calmant fort. Tu étais... agité.

Noiraud ne répond pas. Sa langue collée à son palais, ses pensées s'entrechoquent sans ordre. Le médecin poursuit doucement tout en lui servant un godet d'eau, en le regardant à peine, avant de sortir un carnet d'observation et une trousse. Tout en buvant, l'oméga observe ce qui se trame ici.

— Je suis le docteur Minazuki Souta. C'est moi qui supervise les suivis médicaux ici. On va te faire passer un examen complet aujourd'hui. Il faut que l'on sache dans quel état tu es, et si tu peux intégrer les classes enfin. C'est que tu as déjà perdu beaucoup de temps, tu sais ? Tu ne peux pas rester isolé indéfiniment. Ce n'est pas le but de cette maison. Sans compter que c'est vraiment mauvais pour toi et pour ton esprit. Ça ne va faire que t'enfoncer dans des abîmes que tu ne veux vraiment pas connaître.

Il parle calmement, presque comme on parlerait à un animal blessé. Il paraît d'une neutralité crasse mais un petit sourire s'affiche lorsqu'il s'adresse à lui, comme s'il souhaitait le rassurer, et dans son état, le noiraud en a cruellement besoin.

Jisung comprend ses paroles. Il comprend tout. Mais il ne réagit pas, préférant porter son regard en direction de la fenêtre face à lui. Une pensée résonne encore faiblement dans le fond de son crâne : Minho...

Mais elle s'étiole. Comme un rêve au réveil. Elle paraît se cacher, doucement disparaître, difficile à rattraper. La lumière grésille faiblement dans la pièce. Pour lutter contre la luminosité indécise de l'extérieur, une lanterne posée dans un coin diffuse une clarté jaune, voilée, assez forte pour que tout soit visible, mais suffisamment douce pour ne pas agresser les pupilles.

Le docteur Minazuki, referme un instant son carnet, puis croise les mains sur ses genoux. Il observe longuement l'oméga, avant de reprendre, d'une voix lente, presque cérémonieuse.

— Je sais que tu as peur. Mais ici, nous allons te remettre en ordre. C'est notre devoir. Cette maison est une école. Une maison d'éducation, comme on l'appelle. Elle ne ressemble peut-être pas à ce que tu imaginais... mais elle est conçue pour vous préparer. Vous réorienter, vous réajuster. Nous avons les meilleurs spécialistes du pays. Chaque jour, des cours sont dispensés. Comportement, étiquette, nutrition, langage du corps, désir, docilité... C'est un travail minutieux, étape par étape. Pour que tu deviennes un oméga accompli. Respecté. Désirable. Apaisé.

Il parle lentement, avec le calme de celui qui récite une vérité ancienne, presque religieuse. Depuis combien de temps tout ceci est en place ? Depuis combien de temps femmes et omégas sont soumis à ces apprentissages ?

— Jusqu'à présent, tu as été exempté des instructions. On t'a laissé seul, à cause de ton état. Mais cela ne peut pas durer. Tu n'es pas malade. Tu es... désordonné. Et c'est précisément pour cela que tu es ici.

Il se lève, poussant sur ses genoux avec un geignement rauque, remet ses lunettes en place, puis approche du futon avec un linge propre qu'il étale sur la natte.

— On va commencer par un bilan complet. Un oméga doit être suivi avec rigueur. Savais-tu qu'ils étaient de nature délicate et sensible ? Tes glandes, ton utérus, ton développement musculaire et reproductif. Tout sera contrôlé.

Jisung reste figé.

Il sait ce que cela signifie. Mais l'entendre ainsi, posé comme une formalité, sans émotion, c'est autre chose. En Chine, en Corée comme au Japon, les omégas ne sont donc que des objets... ? Il n'y a donc pas un endroit dans lequel ils peuvent être considérés comme de simples humains... ?

Le docteur écarte doucement sa tunique, révélant son torse et son ventre. L'air lui parait glacé, même s'il ne fait pas particulièrement froid. C'est la sensation d'être mis à nu, disséqué du regard qui le frigorifie.

— Relaxe-toi. Rien ne te sera fait que tu ne souhaite pas. Ne t'en fais pas.

Il commence par prendre ses constantes, rythme cardiaque, température, pression. Puis il inspecte sa peau, chaque centimètre, notant à voix basse tout ce qu'il voit avant de noter dans son carnet.

— Marques anciennes... contusions en cours de résorption... dermes cicatriciels sur les poignets Morsures au poignet gauche et à la nuque, guéries sans surinfection... quelques marques au dos. Tu sembles bien cicatriser. C'est bien. Ce sont toutes les marques de ton alpha ?

Jisung ne bouge plus. Il s'estt coupé de lui-même. Il entend les mots, mais ne les ressent plus. Comme s'il n'était plus qu'un corps entre les mains d'un autre. Toutefoos ces derniers mots le sortent de sa torpeur et il vient serrer son poignet contre lui, en un geste protecteur. Le médecin constate la chose et l'indique donc à nouveau dans son carnet.

Avec une neutralité scientifique teintée d'un soupçon de curiosité, le docteur fait ensuite le tour de l'oméga pour venir inspecter la glande principale qu'il a dans sa nuque. Plusieurs marques de morsure la recouvrent mais à ça il ne prête pas attention. Avec délicatesse, il presse doucement sur les trapèzes du noiraud, palpe tout en hochant la tête. Il porte ensuite son attention sur celles des poignets et se contente de celles-ci, évitant ainsi à son patient de se retrouver entièrement nu devant lui. Si celles-ci ont déjà certaines caractéristiques, il en ira de même pour celles de l'aine.

— Bonne activité. Taux de sécrétion élevé, même au repos. Ça pourrait indiquer un cycle en préparation... ou quelque chose d'autre.

Il se penche afin d'essayer de capter le regard de Jisung, l'observe.

— Tu ressens des bouffées de chaleur ? Des maux de tête ? Des nausées peut-être ? Vertiges ?

Le noiraud hoche vaguement la tête. Il ne sait même plus ce qui est réel, ce qui vient de la drogue, de la faim, ou de la détresse.

Le médecin continue, inlassable. Puis il sort un instrument métallique, long et fin, qu'il désinfecte soigneusement avant de finalement renoncer quand il porte son regard sur le jeune homme.

— Je vais maintenant vérifier ton ventre. Peux-tu t'allonger s'il te plaît ? Je vais appuyer, n'ai pas peur.

Jisung ne répond pas. Il se contente d'obéeir et plonge son attention dans les belles poutres de bois sombres qui recouvrent le plafond de la chambre. Il commence à les connaître par cœur, à savoir chaque aspérité, chaque petit trou présent, chaque nœud.

Les doigts du médecin s'enfonce au bas de son ventre, et noiraud se tend alors. L'homme inspecte, semble se concentrer sur quelque chose qui échappe à l'oméga.

— Utérus enflé... Dur et le ventre est chaud.

Le médecin s'arrête brusquement et se penche afin de sortir un stéthoscope en bois de la pochette qu'il a ramené. Il fait signe à l'oméga de rester silencieux, non sans un clin d'œil et l'objet déposé sur le ventre plat de celui-ci, il écoute. Il reste immobile pendant plusieurs secondes, ferme même les yeux pour être sûr.

Doucement, l'homme finit par se redresser et range son outil avec un léger sourire.

— Quand as-tu côtoyé un alpha pour la dernière fois ?

Noiraud ne détache pas son regard des poutres. Il ne sait même pas depuis combien de temps il est ici tant le temps lui paraît étrange. Quand a-t-il vu Minho la dernière fois... ? Depuis combien de temps est-il séparé de lui ?

— La veille du jour où on m'a emmené ici...

Le docteur ne répond pas immédiatement et plonge le nez dans le calepin en remontant ses lunettes rondes.

— Tu es enceint. Environ sept à huit semaines, je dirais d'après la taille de la boule que l'on sent. Tu n'en avais pas conscience ?

Jisung cligne des yeux. A-il bien entendu ? Non... Non il n'a pas entendu ça... Son regard jusque là perdu sur le plafond redescend sur le médecin alors que l'oméga se redresse en position assise.

— Quoi... ?

Il sent son cœur s'arrêter. Le sang quitter ses membres. Son ventre se contracter. Le médecin précise donc, pensant qu'il ne comprend pas, et pose un doigt sur l'abdomen du noiraud.

— Il y a un bébé. Là. En développement. C'est encore petit, mais bien là. Il est viable pour l'instant. Son cœur bat bien. Il faudra suivre son évolution de près. Tu n'as rien dit à personne ?

La phrase se brise dans l'air. Jisung comprend. Il comprend tout. Cela déferle d'un coup d'un seul dans son esprit, dans son cœur, comme un tsunami emportant tout avec lui, la violence de la réalisation est inouïe. La chaleur dans sa poitrine. Le sentiment de Minho proche. Ce fil ténu auquel il s'était accroché, encore et encore.

Ce n'était pas lui.

Ce n'était pas Minho.

C'était lui. Le bébé.

Ce quelque chose, laissé en lui après cette dernière nuit de chaleurs. Ce fragment palpitant de leur passé, de ce qui a été, de ce qu'ils n'auraient jamais.

Il porte une main tremblante à son bas-ventre tandis que l'autre se porte à sa bouche. Le contact de sa propre peau le fit frissonner de terreur.

— Non... Non...

Ce n'était pas Minho... Ce n'était pas Minho. Minho... Où est-il alors ? Où...

Loin des considérations de Jisung, le médecin poursuit comme si de rien était.

— Tu vas être pris en charge. Ce n'est pas un problème. Au contraire, une grossesse est une bonne chose ici. Tu auras un suivi hebdomadaire. Une nutrition adaptée. Et à terme, l'enfant sera intégré au programme. Tout est déjà prévu.

Mais il n'écoute plus. Jisung s'effondre sur le sol, lesmains cachant son visage.

Puis les larmes jaillissent. Des sanglots rauques, incontrôlables, terrifiants. Il suffoque, convulse presque.

— C'était pas lui... c'était pas lui... c'était juste... ça... c'était... un mensonge...

Il aurait voulu l'arracher de lui. L'extirper, hurler, griffer, tout détruire. Il n'y a plus d'espoir. Le médecin pose une main sage sur son épaule, deux petites tapes amicales, et il s'en va maintenant qu'il a rempli son office.

Et tout devient silence.

Pas un silence apaisant. Un silence lourd. Moite. Un silence sale, qui colle aux murs, qui coule des plafonds, qui s'infiltre entre les fibres du futon. Une chape poisseuse, gluante, comme de l'encre noire déversée lentement sur le monde qui enrobe l'oméga dans son sillage.

Noiraud reste là. Immobile. Raide. Bras tendus le long du corps, mains ouvertes, abandonnées. Il ne voit pas la nuit tomber, rafraîchissant l'atmosphère déjà glaciale pour lui. Il garde le regard vissé au plafond. Une toile blanche tachée de lumière sur laquelle les poutres sont semblables aux barreaux d'un cachot. Les ombres des lanternes de l'extérieur dansent paresseusement sur les murs, flottent comme des spectres, se déforment en visages qu'il ne reconnait pas.

Il n'y a rien.

Plus rien.

Pas de peur. Pas même de haine.

Tout paraît figé à l'intérieur. Comme si le monde s'était arrêté juste pour lui, juste autour de lui, dans une bulle vide où plus rien ne peut encore le toucher. Mais il y ces mots. Ce poison.

"Tu es enceint."

Elle tourne. Elle tourne. Encore. Encore. Comme une cloche dans sa poitrine, un glas, un cri muet. Ces mots vibrent sous sa peau, dans ses veines, jusque dans le creux de son ventre.

Il lève lentement une main tremblante. La pose là, sur lui. Sur son ventre. La chaleur de sa propre peau le fait frissonner. Il appuie doucement. Rien. Pas de battement. A peine un pincement lorsqu'il sent une masse rouler sous ses doigts. C'est là. À l'intérieur. Un souffle. Un être.

Un bébé.

Le bébé de Minho.

Et il n'a rien senti. Il n'a pas su comprendre. Il ne s'en est même pas rendu compte. Il a vécu avec cette vie en lui sans même s'en apercevoir, alors que chaque seconde, chaque battement de cœur aurait dû lui hurler la vérité.

Il a cru...

Il a vraiment cru que c'était Minho... Et au fond c'est un peu lui, dans cette petite vie qui grandit en son sein.

Mais Minho...

Minho est mort.

Et cette vérité, cette fois, elle l'étrangle. Elle l'étouffe.

Il se redresse brusquement, l'air lui manque. Ses bras tremblent, ses jambes fléchissent sous lui lorsqu'il tente de se mettre debout, tout son corps semble l'abandonner. Il titube jusqu'à s'accrocher au mur comme un noyé s'agripperait à un rocher. Il suffoque, halète comme si l'air était devenu un feu dévorant, comme s'il n'atteignait plus ses poumons. Les mains sur sa gorge, il tente de respirer, il tente de vivre, de survivre.

Il se souvient. de ce lien invisible. De cette chaleur tendre, presque irréelle, qui l'appelait parfois dans la nuit. De ce battement égaré, ce frisson au creux des reins, cette sensation fugace d'être attendu, aimé, vivant, ce parfum d'immortelles qui le caressait, comme un rappel que son alpha se trouvait là, non loin, qu'il l'attendait.

Il a cru que c'était lui.

Minho.

Mais ce n'est pas lui. Cela n'a jamais été lui.

Juste une trace. Une empreinte biologique. Un écho laissé par l'amour qu'ils ressentaient l'un pour l'autre.. Un battement fantôme.

Minho ne reviendra pas.

Jamais.

Minho ne franchira plus cette porte. Ne posera plus sa main sur lui. Ne le regardera plus jamais de ce regard si amoureux et plein de tendresse qu'il a l'habitude de poser sur lui.

— Je suis seul...

Les mots s'échappèrent comme un râle. Brisés. Usés.

— Seul... Tout seul...

Il chancelle jusqu'au petit meuble, ses doigts glissant sur le bois rugueux. Il s'y accroche comme à une béquille. Un bol vide, une cuillère oubliée, une serviette blanche, nette. Et juste au-dessus... un miroir.

Un cercle froid, sans pitié qui lui renvoie son image brisée. Il s'approche, lentement. Le souffle court. Le cœur en feu.

Son reflet lui parait étranger. Un inconnu. Un cadavre mal réveillé. Yeux bouffis, pommettes saillantes, lèvres gercées, teint livide. Ce n'est pas lui. Ce n'est pas Han Jisung. C'est un survivant. Un pantin vidé de sa substance à qui on a tout arraché.

Il colle son front contre le miroir. Puis sa bouche pour un baiser silencieux. Désespéré.

Puis il trace une ligne sur le verre, du bout du doigt.

— Pourquoi... pourquoi tu m'as laissé... ?

La voix tremble. Elle s'éteint, comme si toute l'énergie du jeune homme s'était évaporée.

— Minho...

Et ses jambes cèdent. Il glisse, s'effondre brusquement, à genoux.

Les sanglots reprennent, sans éclat. Sourds. Venus du plus profond de son âme. Il frissonne. Ce n'est pas le froid de la pièce — c'est dedans. En lui. Un froid noir, viscéral, qui gèle jusqu'à la pensée.

Il se recroqueville, bras autour des genoux.

— Je ne peux pas... pas sans toi... pas seul...

Puis son regard descend vers son ventre. Un enfant sans père. Un enfant né d'un amour fauché. Un enfant condamné à porter la mémoire d'un monde qui s'est effondré.

Il se lève alors, d'un geste sec, presque violent. Le petit miroir brille encore, comme un œil cruel.

Il le regarde, le défie.

Et soudain, il frappe. Il frappe de toutes ses forces. Il écrase son poing sur le verre au tain d'argent.

/!\ Je suggère aux sensibles de s'arrêter là, j'imagine que vous avez tous deviné ce qu'il s'apprêtait à faire.

Le verre se brise en une pluie d'éclats dans un bruit net, tranchant, presque beau. Des fragments scintillent en tombant, comme des étoiles fracassées qui viennent se déposer sur un monde perdu.

Le silence retombe mais il est différent. Moins oppressant... Comme si quelque chose s'était déchiré.

Il baisse les yeux sur sa main. Du pourpre y perle déjà, goutte sur le sol, mais il ne sent rien.

Jisung s'accroupit pour ramasser un tesson lisse, tranchant. Glacé.

Glacé comme il l'est depuis qu'ils lui ont pris son âme-sœur.

Il retourne s'asseoir contre le mur, lentement, comme un vieillard épuisé. Là, il observe le verre qu'il tient. Il fait jouer les reflets dans les lumières douces. C'est beau.

Son poignet gauche est finalement levé devant lui. Ils lui ont fait ôter les bracelets de cuir quand il est arrivé ici. La trace de l'amour de Minho s'affiche là, juste sous sa main, là où se découvrent les veines bleutées qui le tienne en vie.

Un sourire léger effleure ses lèvres quand il vient embrasser la cicatrice, et la tête se reposant sur le mur contre lequel il est adossé, il ferme les paupières.

Il va aller trouver Minho. Ils vont se retrouver et vivre la jolie et paisible vie qu'ils voulaient tant partager. Le bris de verre glisse avec une facilité déconcertante au creux de son poignet. La brûlure est vive, mais elle n'est rien en comparaison de la souffrance dans laquelle il se noie.

— On arrive... On arrive Minho...

_____

*MOUCHEUUU.*

Ptain je suis si cruelle...

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